2 Corinthiens 3
1 Est-ce que nous recommençons à nous recommander nous mêmes ? Ou n’avons-nous pas besoin, comme certains, de lettres de recommandation auprès de vous, ou de votre part ?
Méditation
Le texte que nous venons de lire, est un texte difficile... du moins, je le croyais, parce qu’il me semble, au fond, dans le fond, tout à fait simple... C’est un texte qui met en branle une histoire de nouvelle alliance, et l’on ne devrait pas croire trop vite qu’on est dans la nouvelle alliance, et que d’autres sont dans l’ancienne... qui sont ces autres ?
C’est - de mémoire, et j’y tiens - Calvin qui suggère, au sujet de ce texte, que s’agissant de la nouvelle alliance, il s’agit qu’elle ne devienne pas une nouvelle ancienne alliance...
mais se peut-il qu’il y ait toujours du neuf ?
ou, encore, comment peut-on dire quelque chose de neuf ?
je m’éveille ce matin, nouvelle journée... une journée neuve... facile à dire parce que possible à dire... mais demandez-vous comment vous pouvez nommer un sentiment que vous éprouvez pour la première fois ? En quoi cette journée qui commence est-elle différente de toutes les autres ?
Ou en quoi mon sentiment dans ce début de journée est-il nouveau ? Je ne peux pas le dire... ou alors j’écris des poèmes... ou bien je lis la bible... et peut-être qu’elle me prêtera des mots nouveaux...
Partons de Paul, apôtre... mais de quel droit est-il apôtre ?
c’est une question qui va souvent être posée... Paul, un parmi sans doute beaucoup d’autres, est un itinérant, un voyageur de commerce, voyageur de la prédication, passant d’une communauté à l’autre et vivant, souvent de la charité - ou de la crédulité - de ceux à qui il prêche... tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute... la phrase est sans doute déjà sur les lèvres il y a deux mille ans...
sans doute que certains des concurrents de Paul avaient sur eux des lettres d’on ne sait quel notable : « Chers Corinthiens, nous recommandons à votre meilleure générosité le sieur Untel dont l’éloquence nous a ravis ! Sa doctrine est brillante, son phrasé parfait... »
sans doute aussi que bien des communautés isolées ont pu voir arriver Untel doté de lettres dithyrambiques provenant d’autres communautés qu’elles ne connaissaient pas, Untel s’installant parmi eux... un loup se faisant passer pour berger, ça existe de tout temps...
Paul, qui est un grand bonhomme, pose cette question, pour lui-même : « Ai-je besoin de lettres de recommandation ? mes actes ont-ils besoin d’être recommandés par d’autres ? ai-je besoin qu’on me fasse de la pub ? »
La question des lettres de recommandation, telle que Paul la pose hier, c’est la question de la compétence de tous ceux dont la profession ne se limite pas à l’application d’une procédure ou à l’observation d’un règlement... c’est à dire, je l’espère, tous...
c’est qu’il est bien clair que chacun a des qualités universitaires reconnaissables et reconnues pour accomplir la tâche qu’il a à accomplir...
par exemple personne de sensé ne me confierait de conduire un pelle mécanique... ou ne me confierait son corps pour l’opérer d’une appendicite...
nous sommes des gens compétents et diplômés, ou, du moins, reconnus... mais est-ce suffisant ?
telle est la question, peut-être pas trop importante dans telle ou telle de nos activités, mais capitale dès lors qu’il s’agit de mettre en jeu des relations entre les personnes...
pas suffisant d’être un éminent virtuose pour donner le goût de la musique !
pas suffisant d’être un bon théologien pour être un pasteur honnête...
et on pourrait le décliner de toutes les manières, dans toutes les professions...
le geste technique - et le diplôme - ne suffisent pas !
voilà quelle est la question que Paul pose, dans des circonstances bien particulières, et à sa manière bien particulière aussi...
quelle qualité ai-je pour parler comme je le fais... telle est sa question, et il pourrait bien mettre en avant un lettre, un papier... il pourrait... mais il préfère renverser le problème et dire « ma recommandation auprès de vous, c’est vous ! »
c’est ce renversement qu’il convient d’essayer d’apprécier... et d’essayer de vivre... et d’expliquer...
pour ce qui en est de l’explication, c’est assez simple, nous avons presque tout dit...presque seulement... parce qu’il y a quelque chose de très difficile, et, aussi, de très précieux !
D’abord ce qui est très
difficile :
si les diplômes, les lettres de recommandation ne sont que lettre morte, que du vent, de quoi pouvons-nous être certains, sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour prendre la parole ?
s’il n’y a pas de diplôme, de lettre de recommandation, ou de droit à parler - à qui que ce soit -, que reste-t-il à faire, ou à dire ?
il faut mesurer le caractère vertigineux de ces interrogations... mais pas trop longtemps, parce qu’autrement, on va passer son temps à interroger, à s’interroger, et à angoisser ceux qui nous côtoient... sans rien d’ailleurs leur transmettre que notre propre angoisse...
on est ainsi ramené au problème précédent... celui qui, au nom de l’incertitude de toutes choses, refuse de se réclamer de ce qui est écrit, diplôme ou lettre de recommandation, ne se réclame finalement que de sa propre angoisse qu’il propage partout où il peut...
alors, passons, et gageons que le fait qu’il y ait un interlocuteur en face de vous est un raison suffisante pour engager le dialogue avec lui, avec confiance
Ensuite ce qui est très
précieux
c’est cela qui est précieux : il y a quelqu’un qui est là...
Paul ne s’y trompe pas...
ça n’est pas au nom d’une lettre qu’il vient, mais au nom de la communauté qui le reçoit...
ça n’est pas au nom de l’histoire qui a déjà été écrite, mais au nom de celle qui reste à écrire entre lui et la communauté...
avec la confiance qu’il reste quelque chose à vivre, de différent de ce qui a déjà été vécu... ce que Paul énonce en opposant la lettre et l’esprit !
tout ce qui peut être écrit noir sur blanc, qui sépare le blanc du noir, c’est lettre morte, et prétendre considérer quelqu’un comme déjà tout écrit, c’est le réduire, c’est le tuer...
pour autant, Paul sait bien qu’il y a toujours quelque chose de déjà écrit, et qui résiste au changement... il y a toujours de la mort qui se refuse à vivre...
et Paul sait bien aussi, c’est le cœur de sa foi - et j’espère aussi le cœur de la notre - Paul sait bien qu’il y a une espérance pour la vie...
mais cette vie, d’où viendra-t-elle ? Elle viendra, Paul en est certain,
c’est à dire qu’il vient vers ces gens avec qui il a une histoire, en affichant que ce qui se passera est peut-être un peu déterminé par ce qui s’est passé, mais pas complètement...
il peut, il y aura du nouveau... entre eux : du nouveau pour Paul, et du nouveau pour la communauté... du nouveau dont ils bénéficieront, sans pour autant s’en croire propriétaires, ni en se croyant propriétaires les uns des autres...
c’est, selon Paul, un souffle d’esprit, un souffle de vie qui souffle sur ce qu’on croyait définitivement écrit, figé, et acquis, peut-être même dû... de la vie soufflant sur ce qui est écrit - et pas à la place de ce qui est écrit - pour que là où tout semble écrit il arrive quelque chose de juste, bon et nouveau...
juste, bon, et nouveau...
tout à l’heure, il était question de recevoir des mots nouveaux... il en est un qui pourrait résumer notre propos : alliance...
loin de toutes considérations de diplômes, loin de l’inertie du passé, et de la pesanteur des souvenirs, lorsque l’alliance existe entre les humains et leur Dieu, chacun reçoit son identité comme un présent nouveau que lui fait l’autre...
appelez ça être aimé... c’est probablement juste, et c’est toujours nouveau. La communauté se construit toujours de cet amour...
Que Dieu nous soit en aide pour le construire et le vivre ensemble.
Amen