Spectacle... une faute de frappe, que je n'ai pas laissé subsister, m'a fait écrite le début du mot "spectral". Je m'en suis étonné, un instant, parce que juste un instant auparavant, j'étais à me demander comment j'allais illustrer le fait que Daesh vient de mettre en ligne une nouvelle vidéo d'exécution, cette fois de 28 hommes, présentés comme des chrétiens éthiopiens. Spectacle ignoble - n'abusons pas des qualificatifs pour ce qui est inqualifiable - encore une fois. De ces 28 hommes nous n'aurons même pas les noms...
Je choisis cette photo. Elle n'a rien à voir avec l'actualité. C'est l'été arctique, très loin, vers le nord. L'été arctique dure si peu de temps qu'il y a pour les plantes et les espèces une sorte d'urgence... C'est cela, une sorte d'urgence vitale. On ne cueille pas ces fleurs. On ne prend pas une vie. On en célèbre le mystère et la beauté et, même, cette célébration reste discrète, voire secrète. Tout le contraire de ce dont je parlais plus haut. Le long labeur de vivre ne supporte pas certaines mises en images.
Et puisqu'on va méditer sur les apparitions du ressuscité, on peut bien se demander de quoi ces apparitions relèvent. Du long labeur de vivre, ou de la mise en images ?
Luc 24
35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé sur la
route et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fit irruption au milieu d'eux et il leur
dit: «La paix soit avec vous.»
37 Violemment
troublés et terrifiés, ils
pensaient voir un esprit.
38 Alors
il leur dit: « Pourquoi tant de
confusion, et pourquoi des questions
montent-elles dans vos coeurs?
39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi.
Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en
ai.»
40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses
pieds.
41 Comme, sous l'effet de la joie, ils demeuraient encore incrédules et comme
ils étaient abasourdis, il leur dit:
«Avez-vous ici de quoi manger?»
42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.
44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous
ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce
qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour
comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le
Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, 47 la conversion en vue du pardon des péchés
sera annoncée, en son nom, à toutes les nations, à commencer par Jérusalem,
48 c'est vous qui en êtes les témoins.
49 Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père
a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez, d'en
haut, revêtus de puissance.»
50 Puis il les emmena jusque vers Béthanie et,
levant les mains, il les bénit.
51 Or, comme il les bénissait, il se sépara d'eux et
fut emporté au ciel.
52 Eux, après s'être prosternés devant lui,
retournèrent à Jérusalem pleins de joie, 53 et ils étaient sans cesse dans le temple à bénir
Dieu.
Prédication
Deux semaines après
Pâques, nous voici de nouveau aux prises avec un récit d’apparition du
ressuscité.
Le dimanche de Pâques de cette année, nous étions invités à méditer sur le
récit que donne l’évangile de Marc dans sa version primitive. Marc, le plus
ancien des évangiles, dans sa version primitive, ne comporte pas d’apparition
du ressuscité, mais juste une proclamation de l’ange et un envoi en Galilée. Plus
tard, cet évangile a été retravaillé, et des rédacteurs tardifs ont ajouté à la
version primitive une apparition du ressuscité. Ce qui fait que, dans les
quatre évangiles, le ressuscité apparaît. Nous allons nous demander pourquoi
ceux qui ont écrit ces évangiles ont tous éprouvé le besoin d’y introduire des
apparitions du ressuscité. Nous nous intéresserons plus précisément à Luc.
Pourquoi donc les évangiles rapportent-ils des
récits d’apparition du ressuscité ? La réponse la plus simple est que
ces apparitions ont bel et bien eu lieu
et qu’elles prouvent bien la résurrection de Jésus de Nazareth. Cette réponse,
qui a le mérite de la simplicité, n’est pas satisfaisante.
La résurrection de Jésus de Nazareth n’est pas un
moment objectif de l’histoire de l’humanité mais le cœur de la prédication
chrétienne. Ramener la résurrection de Jésus de Nazareth à n’être qu’un moment
de l’histoire, cela revient à affadir terriblement le langage de la foi, et
peut-être même à vider la foi de son contenu. Et puis si l’on choisit de
procéder ainsi, il faut procéder de même avec tous les autres éléments
fantastiques du récit. Dans le récit que nous lisons, celui de Luc, ces
éléments sont au nombre de deux : Jésus soudain se tient là… et personne
ne l’a vu arriver, comme un passe-muraille ; et plus fort encore, quelques
verset plus loin, il est emporté au ciel.
Ce que je veux dire, c’est que si Luc, mais pas
lui seulement, veut attester la véracité historique de la résurrection de Jésus
de Nazareth, il s’y prend vraiment très mal. Ça n’est pas en multipliant les
éléments fantastiques d’un récit qu’on le rend crédible. Sauf si l’on est un
auteur dont l’intention est d’abêtir ses lecteurs... Et comme nous ne voulons
pas faire outrage à l’inspiration de Luc et de son texte, nous laissons de côté
la réponse la plus simple.
Reste donc la
question : pourquoi y a-t-il, dans les évangiles, des apparitions du
ressuscité ? Et j’ose une hypothèse : si Luc, et pas Luc seulement,
introduit dans son évangile une – et plusieurs – apparition du ressuscité,
c’est pour faire face en son temps à une
inflation galopante de récits d’apparitions du ressuscité. Il y en a eu des
centaines, tous plus fantastiques, plus merveilleux, plus détaillés les uns que
les autres. Et pour dire quoi ? Et pour porter quel message ? Des
foules entières sortant du tombeau et défilant devant des foules médusées… du
spectacle, beaucoup de spectacle, beaucoup d’abrutissement, mais rien qui
nourrisse la méditation et la foi.
Les évangiles, s’agissant du fantastique, font le
service minimum. Luc donne quelques détails corporels, et met surtout en avant
ce qu’il tient pour le cœur de l’enseignement permanent de Jésus. Il procède
ainsi, justement pour que les récits d’apparition, avec ce qu’ils ont de
magique, voire d’aliénant, passent à l’arrière plan et que la parole de
l’évangile soit placée, elle, au tout premier plan.
Quel est cette parole,
selon Luc ? Lisons – il suffit de lire – ceci : « …la conversion
en vue du pardon des péchés, sera annoncée (au nom du Christ), à toutes les
nations, à commencer par Jérusalem » Il n’y a rien de magique ni de
merveilleux là-dedans. Cela sera annoncé. Par qui cela sera-t-il annoncé ?
Par les disciples de Jésus, évidemment ! Personne d’autre à ce stade du
récit ne peut en être témoin. Mais certainement pas témoin d’une apparition
fantastique. Après la première génération, il n’y a plus de témoins, rien que
des racontars. Aussi les disciples doivent-ils être témoins de la résurrection
par une vie toute entière qui atteste d’une conversion en vue du pardon des
péchés. Qu’est-ce à dire ? C’est assez simple encore.
On relit l’évangile. On y voit des disciples, de
braves disciples, de braves gens, mais qui ne comprennent rien à l’enseignement
de leur maître, qui cherchent à s’en tenir à la littéralité d’un texte sacré,
qui espèrent s’imposer par la force, qui vont de fanfaronnades en
fanfaronnades… et qui, lorsque le chemin devient par trop accidenté,
s’endorment, renient et se débandent. Dans l’évangile on voit aussi un maître,
Jésus de Nazareth, qui tâche d’enseigner, qui fait tout ce qu’il peut, guérit,
nourrit, qu’on suit, voire qu’on idolâtre tant que ça n’est pas trop dangereux
et qui finit tout seul abandonné, trahi, et mort.
Ce qu’on voit dans l’évangile : la grande
bonté, la grande pureté souillées par la bêtise de pécheurs ordinaires.
Mais, dans l’évangile, et c’est pour Luc le cœur
de sa Bonne Nouvelle, la grande bonté et la grande pureté ne peuvent pas être
renvoyées au néant, même lorsque celui qui les a incarnées est mort de la
manière la plus infamante qui soit. En plus, ceux qui ont péché, souillé, trahi,
ne peuvent pas être réduits à leur passé et ne sont pas condamnés par leurs
actes ; le pardon de leurs péchés, c'est-à-dire leur libération, est
l’horizon de leur possible conversion.
Ceci est, pour Luc, le cœur de la Bonne Nouvelle,
et c’est premier par rapport à toutes les apparitions possibles du ressuscité.
C’est premier parce que c’est toujours actuel. Le
lecteur de l’évangile, l’auditeur de la prédication chrétienne est invité à
avoir une intelligence ouverte, disposée à comprendre les Ecritures, disposé à
dépasser la chose écrite pour entrer dans une lecture concrète, une
interprétation incarnée de ce qu’elles expriment. Et ici, au moment où Luc
conclut sont récit, au moment où il résume tout en une ou deux phrases, il
déclare pour toutes les générations qui viendront, il déclare pour nous
que :
-
le pire de ce
qu’un être humain a accompli ne le condamne pas à jamais, car se repentir est
possible, changer est possible, grandir est possible ; le pécheur n’est
pas voué au péché, et ce qui l’enchaîne aujourd’hui peut très bien demain le
laisser libre ;
-
le meilleur
de ce qu’un être humain accomplit, le plus beau, le plus généreux, le plus pur,
ne peut jamais être totalement vain, même si celui qui l’accomplit n’en
recueille aucun fruit ; autrement dit, il faut prêcher l’évangile en
paroles et en actes, annoncer concrètement la résurrection ; et cela même
si l’on n’en recueille aucun fruit, même si l’on ne recueille que quolibets ou
indifférence ;
-
et ainsi, l’apparition
du Christ ressuscité est le nom que l’on peut donner à cet événement, à ce
parcours d’une vie lorsque cette vie a été renouvelée, et transformée ;
rien de magique là-dedans, rien de fantastique et pourtant quelque chose
d’infiniment beau, et d’infiniment simple.
Qu’il en soit ainsi de nos vies.