dimanche 28 juin 2020

Méditations sur l'accueil (2Rois 4,8-16 ; Romains 6,1-11 ; Matthieu 10,34-42)

Matthieu 10

34 «N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive.

35 Oui, je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère:

36 on aura pour ennemis les gens de sa maison.

37 «Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi.

38 Qui ne se charge pas de sa croix et vient derrière moi n'est pas digne de moi.

39 Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l'assurera.

40 «Qui vous accueille m'accueille moi-même, et qui m'accueille, accueille celui qui m'a envoyé.

41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.

42 Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu'un verre d'eau fraîche, à l'un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.»

 Romains 6

1 Qu'est-ce à dire? Nous faut-il demeurer dans le péché afin que la grâce abonde?

2 Certes non! Puisque nous sommes morts au péché, comment vivre encore dans le péché?

3 Ou bien ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus Christ, c'est en sa mort que nous avons été baptisés?

4 Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle.

5 Car si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection.

6 Comprenons bien ceci: notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché et qu'ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché.

7 Car celui qui est mort est libéré du péché.

8 Mais si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.

9 Nous le savons en effet: ressuscité des morts, Christ ne meurt plus; la mort sur lui n'a plus d'empire.

10 Car en mourant, c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes; vivant, c'est pour Dieu qu'il vit.

11 De même vous aussi: considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ.

2 Rois 4,8-16

8 Il advint un jour qu'Elisée passa à Shounem. Il y avait là une femme de condition, qui le pressa de prendre un repas chez elle. Depuis lors, chaque fois qu'il passait, il s'y rendait pour prendre un repas.

9 La femme dit à son mari: «Je sais que cet homme qui vient toujours chez nous est un saint homme de Dieu.

10 Construisons donc sur la terrasse une petite chambre; nous y mettrons pour lui un lit, une table, un siège et une lampe; quand il viendra chez nous, il pourra s'y retirer.»

11 Un jour, Elisée vint chez eux; il se retira dans la chambre haute et y coucha.

12 Il dit à son serviteur Guéhazi: «Appelle cette Shounamite!» Il l'appela et elle se tint devant le serviteur.

13 Elisée dit à son serviteur: «Dis-lui: Tu nous as témoigné toutes ces marques de respect. Que faire pour toi? Faut-il parler en ta faveur au roi ou au chef de l'armée?» Elle répondit: «Je vis tranquille au milieu des miens.»

14 Il dit: «Mais que faire pour elle?» Guéhazi répondit: «Hélas! Elle n'a pas de fils, et son mari est âgé.»

15 Il dit: «Appelle-la!» Il l'appela et elle se tint à l'entrée.

16 Il dit: «À la même époque, l'an prochain, tu serreras un fils dans tes bras.» Elle dit: «Non, mon seigneur, homme de Dieu, ne dis pas de mensonge à ta servante.»

Prédication : 

               Nous avons lus trois textes extraordinairement différents. Le second livre des Rois reprend des traditions qui peuvent dater de 8 siècles avant Jésus Christ. L’épître de Paul aux Romains, du début des années 50 après Jésus Christ. Matthieu pourrait être des années 80. Ces trois textes sont aussi différents par les publics qu’ils visent. Et ils le sont encore par l’ambiance qu’ils dégagent. L’histoire du prophète Elisée irradie une ambiance toute de fraternelle simplicité. Le morceau d’évangile de Matthieu est plutôt tranchant. Quant à l’apôtre Paul, au mieux de sa forme et de son tourment, il expose de toutes les manières possibles ce que j’appellerai sa grâce inquiète. Qu’y a-t-il de commun entre ces textes ? Qu’y a-t-il de commun entre ces personnages ?

            Bien des pistes sont possibles. Je vais vous proposer une sorte de chemin, du plus mordant au plus doux, du plus hostile au plus sympathique, du plus rétributif au plus gratuit. (Peut-être – nous verrons un peu plus tard – s’agit-il de tracer un chemin vers la simplicité, vers la gratuité).

            Mais avant d’entamer la méditation de ces trois textes, je voudrais que nous partagions encore quelques mots sur une courte période de l’histoire du royaume de Juda. Encore quelques mots, parce que nous avons parlé de cette période dimanche dernier, déjà, mais aussi dans la lettre pastorale de cette semaine. Cette période est assez bien décrite au second livre des Rois, chapitres 22 et 23. Et lorsqu’on a saisi de quoi il s’agit, on en retrouve des traces dans de nombreux livres de l’Ancien Testament. Pour le dire en peu de mots : si vous êtes fidèles à Dieu, rien de fâcheux ne vous arrivera jamais, mais si vous ne l’êtes pas, alors se lèvera la colère de Dieu, et le pire ne tardera pas à advenir. Cette pensée théologique simple n’est qu’une partie d’un tout. Il faut lui adjoindre d’autres idées : (1) il n’y a qu’un Dieu, et (2) il n’y a qu’un lieu pour rendre un culte à Dieu, le temple de Jérusalem. Une grande réforme eut lieu au temps du roi Josias, réforme qui connut différentes phases, toutes radicales. Certaines de ces phases furent extrêmes et d’une sanglante brutalité. Vous pouvez parfaitement imaginer des groupes de prêtres et d’adorateurs de Dieu (Jérusalem) passant au fil de l’épée des groupes de prêtres et d’adorateurs de Dieu (autre lieu). Tous adorateurs de Dieu ? Hum…

             Du livre des Rois passons sans tarder à l’évangile de Matthieu. Osons-nous lire ce que nous avons lu ? Ne sommes-nous pas dans une rhétorique de violence et d’exclusion ? Jésus n’y est assurément pas rose (dans les écrits de Sainte Thérèse de Lisieux, Jésus est petit et rose). Il est question de glaive, de rupture, de déchirement, dans les populations, entre générations, entre fratries, entre maîtres et esclaves, à cause de Jésus. Il est question d’un exclusivisme radical. Et il est question, avec toutes ces ruptures, de se rendre digne de Jésus. Et c’est lui, Jésus, lui-même, qui profère tout cela.

            A-t-il, aurait-il, lui, Jésus, été si violent dans sa manière de dire ? En nous souvenant tout à l’heure que le texte de Matthieu pourrait dater des années 80 après Jésus Christ, nous avons distillé le oui, et le non. Pourquoi Jésus n’aurait-il pas été, devant tel ou tel auditoire, dans telles ou telles circonstances, violent dans ses propos ? Mais il y a plus à dire. Dans des milieux aussi fortement marqués par l’appartenance religieuse, toute conversion d’une personne à une autre secte, à une autre dénomination, devait être vécue comme un drame. Alors, l’emportement de Jésus, sa radicalité, dans le 10ème chapitre de Matthieu, serait la trace de conflits dramatiques entre frères, entre proches, adorateurs probables du même Dieu, mais tous ne suivant pas le même maître. Tous adorateurs du même Dieu ? Hum…

            Nous en serions réduits à méditer sur la violence, sur la permanence de la violence en matière de religion s’il n’apparaissait, dans les quelques versets de Matthieu que nous méditons, comme un changement de ton. Nous voyons qu’en peu de mots le discours d’exclusion laisse place à un discours d’accueil, que le discours de rupture laisse place à des formes de sociabilité simples. On accueille un inconnu, disciple, prophète, Jésus, ou Dieu lui-même, on lui offre un verre d’eau et l’hospitalité, sans arrières pensées et aussi sans façons. Comment donc cette transition s’est-elle faite ? En une phrase, une seule : « Qui ne se charge pas de sa croix et vient après moi n’est pas digne de moi. » Cette phrase fait hésiter bien des traducteurs, signe d’un enjeu important… Pour tâcher de comprendre cet enjeu, posons-nous une question : « Qui doit porter le poids de mes engagements religieux, de mes engagements envers le Christ ? » La réponse biblique vient ici de la bouche de Jésus : il s’agit que celui qui croit se charge lui-même de sa propre croix. Ce qui signifie qu’il ne doit pas en charger un autre. « Qui ne se charge pas de sa propre croix et vient derrière moi n’est pas digne de moi. » Et quelle est sa propre croix ? Et bien, elle est une croix de continuité, et non pas une croix de rupture, c’est une croix de serviteur, et non pas de maître. Cette croix, c’est celle que le Christ a portée, non pas seulement celle sur laquelle on l’a cloué, mais aussi celle qu’il a portée, lui, seul, librement, et totalement, sa vie durant.

C’est cette croix dont parle Paul, lorsqu’il affirme que « notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché » (Romains 6,6). C’est cette croix que Paul, à son tour, a portée. Et, avec son style à lui, il parvient à inquiéter les certitudes de tous ceux qui, en raison de la foi qu’ils professent, se croient en mesure de pouvoir se prononcer, de trier, de rompre…

Alors que tout autrement est possible.

             Accueil, dit Jésus. Ce qui nous renvoie à un texte, le troisième que nous avons lu, et dans lequel l’expression de la foi ne tient pas à telle ou telle performance du prophète, ni à telle ou telle pieuse et humaine résolution. L’expression de la foi prend forme dans un très simple accueil.

Il advint un jour qu’Elisée passa à Shounem (quelque par dans la vallée d’Yzréel), et qu’on l’invita pour un repas. Pure et simple invitation confirmée par d’autres invitations… sans aucune idée de contrepartie. Et lorsque le prophète Elisée demande à ces gens ce qu’il pourrait bien faire pour ses hôtes, ses hôtes, portant leur croix, répondent « Je vis ma vie tranquillement avec les miens. » Ils ne veulent rien demander à l’homme de Dieu. Lui offrir le couvert et le gîte leur suffit, comme engagement, et comme rétribution. Et c’est si vrai que c’est du serviteur du prophète qu’on apprendra que les hôtes vivent le drame de n’avoir pas de fils… eux, ils ne disent rien, ils portent leur croix.

Leur croix a deux composantes, celle de la joie, et celle de la tristesse, deux dimensions qui n’en font qu’une si l’on pense, le plus simplement du monde, à l’accueil. Nous savons, lecteurs du 2nd livre des Rois, comment la situation de ces gens évoluera. Mais c’est une autre histoire.

 

Accueillis, le plus simplement du monde, nous le sommes par le Christ et dans le Christ… Accueillants, nous le sommes et nous voulons l’être, avec le Christ.

Que Dieu nous soit en aide. Amen


mercredi 24 juin 2020

Lettre pastorale du 24 juin. Jérusalem et Bethel.


Jérusalem et Bethel

 

C’est en 640 avant Jésus Christ que commença le règne du roi Josias à Jérusalem. C’est sous son règne qu’eu lieu une grande réforme religieuse. La théologie mise en œuvre pendant cette réforme fut à peu près celle du Deutéronome. Une théologie de l’unicité de Dieu. « Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu, est UN. » (Deutéronome 6,4). Une théologie aussi de la rétribution.

L’unicité de Dieu fut proclamée en paroles et en actes. La proclamation en actes de l’unicité de Dieu exigeait, pour les promoteurs de cette réforme, qu’il n’y ait qu’un seul lieu de culte, le temple de Jérusalem. Et donc, tous les autres lieux de culte qui existaient furent saccagés et détruits (2 Rois 23). Une lecture attentive laisse entrapercevoir que le sang coula. S’agissant du temple de Jérusalem, on en fit sortir toutes sortes d’objets, instruments de culte à d’autres dieux, on les réduisit en cendres, qui furent emportées à Bethel (2 Rois 23,4). Au cours d’une première vague de cette réforme, pour le moins radicale, qui allait se radicalisera encore, Bethel semble avoir bénéficié d’un traitement particulier : des cendres impures souillent le lieu, mais, provisoirement, nul ravage n’y est opéré.

Si nul ravage n’est opéré à Bethel, ce peut être parce qu’on n’y adore ni le Seigneur, ni aucun autre dieu. Mais, dans un lieu qui s’appelle Bethel, c'est-à-dire maison de Dieu, peut-on faire autre chose qu’adorer Dieu ? Oui. On y peut réfléchir à ce qu’est ce Dieu que par ailleurs on adore. On peut penser sa vie et sa foi. On peut y étudier avec application les textes sacrés… A Bethel, on pense sa foi. Et si l’on imagine qu’à Jérusalem se met en œuvre une devise affirmant : « Tous adorateurs ! », on peut imaginer aussi qu’à Bethel se met en œuvre une autre devise : « Tous théologiens ! ». Faut-il choisir ?

On dit parfois que « philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée ». Ne pourrions-nous pas dire que croire en Dieu c’est penser Dieu et rendre un culte à Dieu ? Ne pourrions-nous pas ajouter que rendre un culte à Dieu c’est proclamer en paroles et en actes l’amour de Dieu et l’amour du prochain ? Dans chacune de ces propositions, le plus important, c’est le et.

 

Il n’est pas nécessaire de choisir entre Jérusalem et Bethel. J’ai eu la grande chance de connaître de très près des hommes et des femmes qui ont dû penser et vivre leur foi pendant les années terribles de la seconde guerre mondiale. Tout en conduisant la vie de leurs paroisses, ils se consacraient secrètement à des activités extrêmement dangereuses. Ils m’ont déclaré deux choses : jamais leur piété n’avait été si fervente, et jamais il n’avaient fait de la théologie avec autant d’application. Jamais ils ne s’en étaient remis si totalement à Dieu (Jérusalem), jamais ils n’avaient fait autant d’efforts pour penser Dieu (Bethel). J’aurais dû oser leur poser une certaine question : « Et lorsque cette période fut finie, qu’avez-vous fait ? » Cette question, je ne l’ai pas posée, mais je sais, pour avoir vécu auprès d’eux, qu’ils ne se sont pas arrêtés en chemin.

 

Une période, en tout cas, est, pour nous, en train de finir. Cette lettre pastorale hebdomadaire finira avec le confinement. Le confinement s’achève. Vous lirez mercredi prochain la dernière de ces lettres. Nos rencontres suivantes auront lieu de visu.

  

dimanche 21 juin 2020

Jérusalem et Bethel, ou la foi d'un débutant (Genèse 28,10-22)

Genèse 28

10 Jacob sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân.
11 Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de ce lieu, en fit son chevet et se coucha en ce lieu.
12 Il eut un songe: voici qu'était dressée sur ce territoire une échelle dont le sommet touchait le ciel; des anges messagers de Dieu y montaient et y descendaient.
13 Voici que l’Eternel se tenait près de lui et dit: «Je suis l’Eternel, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. Le territoire sur lequel tu te couches, je le donnerai à toi et à ta descendance.
14 Ta descendance sera pareille à la poussière de ce territoire. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre.
15 Vois! Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli tout ce que je t'ai dit.»
16 Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria: «Vraiment, l’Eternel est en ce lieu et je ne le savais pas!»
17 Il fut pris d’effroi et s'écria: «Que ce lieu est effrayant! Il n'est autre que la maison de Dieu, la porte du ciel.»
18 Jacob se leva immédiatement, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet.
19 Il appela ce lieu Béthel - c'est-à-dire Maison de Dieu - mais depuis l’origine le nom de la ville était Louz.
20 Puis Jacob fit solennellement ce vœu: «Si Dieu est avec moi et me garde sur le chemin que j’ai pris, me donne du pain à manger et des habits à revêtir,
21 que je reviens indemne à la maison de mon père – l’Eternel sera mon Dieu –
22 cette pierre que j'ai érigée en stèle sera une maison de Dieu et, de tout ce que tu me donneras, je te compterai la dîme.»

Prédication

            Abraham, puis Isaac, puis Jacob, les récits de leurs pérégrinations tissent sur la terre de Canaan comme un réseau aux mailles serrées, réseau qui permet d’affirmer, à peu près partout, que "mon ancêtre étant passé par tel et tel endroit, jadis, l’endroit en question est aujourd’hui ma propriété". Mais il n’y a là rien qui soit propre aux enfants d’Israël. Toutes les religions qui se sont succédées sur la terre de Palestine ont marqué leur présence et leur autorité par des changements de noms des lieux, par des mythes fondateurs et autant de formidables bâtiments…

            Ainsi d’une ville cananéenne appelée Louz certainement depuis la nuit des temps, et qui fut rebaptisée opportunément BethEl, Maison-Dieu, parce que l’ancêtre Jacob, qui était en voyage, fut surpris là par la nuit, et y fit le rêve et le vœu que nous savons. Encore un grand nombre de siècles, et ce lieu appelé BethEl, Maison de Dieu, serait appelé Montagne de Dieu, ce qui se dit RamAllah…

            Revenons à l’épisode du songe de Jacob ; c’est beau, c’est simple, c’est "école du dimanche". Prêtons attention toutefois à deux ou trois éléments qui ne sont pas des détails.

             Par exemple prêtons attention à la répétition du mot lieu, sept fois en douze versets, dont trois fois dans le seul verset 11. Ce mot est un mot très précis, un mot qui sert en général à désigner le cœur du Temple de Jérusalem, c'est-à-dire l’endroit où l’Éternel est présent. Or, nous ne sommes pas à Jérusalem. Nous sommes à peine à 20 km au nord de Jérusalem…

Notre attention est attirée aussi par la répétition d’un autre mot, qui est le premier mot de la Bible (rosh), qui désigne anatomiquement la tête, et qui désigne aussi le principe, le fondement, l’origine des êtres et des choses.

Et notre attention est attirée enfin par le nom que Jacob choisit pour l’endroit en question, BethEl, c'est-à-dire maison-Dieu, ou maison de Dieu.

            Le tout à 20 km au nord de Jérusalem… Il y aurait eu une autre maison de Dieu que le Temple de Jérusalem ? C’est le roi David qui, fort habilement, choisit Jérusalem pour capitale du royaume qu’il avait unifié. BethEl était déjà, et sans doute depuis plusieurs siècles, un sanctuaire important, qui eut, dans l’histoire de ce pays-là, l’avantage de n’être jamais la capitale de personne. En plus, ce que nous disent les historiens, c’est que BethEl, plus encore qu’un sanctuaire, plus encore qu’un lieu où l’on célébrait Dieu, fut un lieu où l’on pensait Dieu. C’est que, hier comme aujourd’hui, nul ne peut développer tout seul une pensée originale. Pour qu’une pensée originale émerge, il faut ce qu’on peut appeler une "communauté de réflexion", un lieu pour que se rencontre cette communauté, et peut-être même une bibliothèque. Il semble que BethEl ait été l’un de ces lieux, si ce n’est ce lieu, une université autonome, avec sa faculté libre de théologie, en somme, dans laquelle auraient été élaborées, discutées, et conservées bien des idées portant sur Dieu, sa présence, sa localisation, son nom, son unicité, son unité… Quelles idées ?

            Parmi ces idées sur Dieu, celle-ci : « voici qu’était dressée sur terre une échelle dont la tête touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient… » Rappelons d’abord que, plutôt qu’anges de Dieu, nous devrions lire messagers de Dieu, et qu’écrire, ou dire, messagers de Dieu, c’est une manière de ne pas dire Dieu. Et, maintenant, nous revenons au rêve : « voici qu’était dressée sur terre une échelle dont la tête – le principe – touchait le ciel ; Dieu y montait et y descendait ». L’échelle est dressée sur terre, nous le comprenons, mais nous ne comprenons pas ce que signifie que la tête – ou le principe – de cette même échelle touche le ciel. Il n’y a aucun point d’appui dans le ciel qui fasse qu’une échelle puisse se maintenir dressée. Autrement dit, si l’on veut ramener Dieu à une architecture cosmique, ça ne tient pas. Ça ne tient pas parce que Dieu n’est pas – du moins pas à la BethEl – une architecture, ni même le garant d’une architecture cosmique. On peut même dire qu’un tel principe serait un principe évanescent, voire fumeux. Plus encore, que toute pensée de Dieu qui sortirait Dieu de la terre pour le hisser dans le ciel serait fumeuse.

Mais alors, qu’en est-il de Dieu ? Il est écrit que les messagers montaient d’abord, et redescendaient. Pourquoi ? Sans trop perdre de vue ce que nous avons dit déjà, et en n’oubliant pas que ça se passe en rêve, c'est-à-dire dans la tête d’un homme, nous pouvons dire que Dieu est la pensée d’un homme, une pensée qui s’élève, qui prend de l’altitude et du volume, qui gagne en beauté autant qu’elle perd en consistance, qui se spiritualise autant qu’elle se désincarne, le tout en suivant des chemins finalement assez balisés, simples comme l’est le chemin d’une échelle, avant  de revenir à l’homme, en bas, sur terre, dans le concret, dans la chair.           

Pour bien marquer que c’est de la chair à la chair, de la terre à la terre, qu’a lieu ce mouvement qu’on appelle Dieu, il arrive, dans le rêve de Jacob, que l’Eternel se tient à côté de lui – à côté de Jacob. C’est donc ici bas, effectivement, que ça se passe avant tout. Mais dans cette seconde partie du rêve, Dieu porte un autre nom que Dieu : c’est l’Eternel (comprenons bien, l’Eternel, le nom imprononçable de quatre lettres, dont ceux de Jérusalem affirment, pour leur propre avantage, à la fois l’unité et l’unicité). Et bien non, pense-t-on et dit-on à BethEl, l’Eternel se tient près de Jacob, et, plus encore. A BethEl donc, on relève le défi de l’unicité et de l’unité de Dieu sans le Temple, l’unité et l’unicité de Dieu –  et de l’Eternel – dans la chair, c'est-à-dire réellement au côté d’un voyageur, égaré peut-être, mais en tout cas surpris quelque part par la nuit.

Dieu donc, au côté de Jacob, au côté du voyageur, ou plutôt de celui qui part sans savoir s’il reviendra un jour, qui part, en somme, sans savoir où il va. Si Dieu, dans le rêve, devient alors l’auteur de la promesse, il sera, dans la vie éveillée, le chiffre de l’espérance. Une espérance pour Jacob, celle d’une terre où revenir, celle d’une descendance, évidemment. Mais, plus subtilement, une espérance pour l’humanité, espérance d’une terre qui ne serait pas ma terre sacrée (Eretz) qui serait ma propriété, mais cette terre commune (Adamah) que les humains, après un long processus de conversion, après un long voyage, pourraient enfin partager.

Le rêve s’achève, le rêveur s’éveille ; il se souvient de son rêve. Sans aucune hésitation, Jacob donne à ce lieu son nouveau nom, BethEl, dresse la pierre dont il avait fait son chevet, en fait donc une stèle, et la consacre par onction. Il prononce aussi deux phrases au moins qui sont des provocations adressées à ceux de Jérusalem :

« l’Eternel est ici présent… et je ne le savais pas » ; entendons bien que personne d’ailleurs ne le savait, vu que Dieu n’est même pas censé être ailleurs qu’à Jérusalem.

Mais Jacob hésite, il hésite comme un homme qui aurait un autre Dieu ; il hésite comme s’il n’avait pas compris que l’Eternel n’est pas un Dieu à la place d’un autre Dieu, mais qu’il est l’Eternel… Et Jacob ainsi reste comme en deçà de ce qu’est l’Eternel, en deçà de ce que peut être vivre dans la foi à l’Eternel. A ce moment-là de son parcours, Jacob veut bien de l’Eternel, mais il en veut bien seulement comme d’un autre Dieu, comme d’un Dieu utilitaire.

Ce qui va lui faire dire cette phrase qui ne s’apparente que de très loin à la foi en l’Eternel : « Si Dieu est avec moi, me garde sur ce chemin sur lequel je vais (…), et que je reviens en paix à la maison de mon père… l’Eternel sera mon Dieu, cette pierre sera une maison de Dieu, et je donnerai à Dieu la dîme…

            Peut-il y avoir un si, une condition, dans l’engagement du croyant envers l’Eternel ?

            Il est très facile pour nous de repérer cette condition, ce si  qui apparaît dans la confession de foi de Jacob. Mais avons-nous un jour été le voyageur égaré, surpris par la nuit ? Avons-nous pris conscience de la présence de l’Eternel à nos côtés ? Avons-nous répondu, et répondons-nous encore, à son appel et à sa promesse sans hésiter aucunement ?


         Dans les versets que nous méditons, Jacob apparaît comme un débutant. IL est quelqu’un qui éprouve sa foi, mais qui, faute d’avoir déjà réfléchi, ne sait pas encore la dire. Sa foi donc est une foi de débutant, une foi encore pleine de si et de alors, une foi qui ne sait pas encore dire, simplement, amen.

Nous sommes tous en chemin, et peut-être bien tous des débutants. Tous, nous apprenons à croire. Et dans cet apprentissage, nous n’avons pas à choisir entre BEthEl et Jérusalem.

Notre apprentissage de la foi dure autant que dure notre vie. Sœurs et frères, voici, « l’Eternel se tient auprès de nous… » Amen


mercredi 17 juin 2020

Lettre pastorale du 17 juin. Ton travail de serviteur de Dieu


Le prophète Élie était un homme emporté. Lui qui était prophète de Dieu défia un jour les prophètes de Baal et d’Astarté. Ce fut à qui saurait prouver la puissance de son Dieu en faisant descendre le feu du ciel sur un sacrifice… et il gagna. Dans l’euphorie de sa victoire, ses adversaires furent massacrés par centaines. Menacé de vengeance par le pouvoir royal, terrorisé, Élie s’enfuit.  Il marcha 40 jours et 40 nuits vers la montagne de Dieu. Il s’y réfugia dans une grotte. Et il arriva que Dieu lui annonça sa visite. « Il y eut devant le Seigneur un vent fort et puissant qui érodait les montagnes et fracassait les rochers ; le Seigneur n'était pas dans le vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre ; le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; le Seigneur n'était pas dans le feu. Et après le feu le bruissement d'un souffle ténu » (1Rois 19). Et c’est alors seulement que le Seigneur prit la parole.

Nous n’allons pas rappeler tout de suite ce que le Seigneur dit à Élie. Nous allons plutôt nous demander où était le Seigneur lorsqu’il parla à Élie. Nous avons bien entendu saisi qu’il n’était dans aucune des violentes manifestations des forces de la nature. Mais aurait-il pu être dans d’autres manifestations des forces de la nature, des manifestations plus douces ? Le bruissement d’un souffle ténu ? C’est encore trop dire, et c’est encore une manifestation des forces de la nature. Nous aurions bien aimé lire dans la Bible que le Seigneur n’était pas d’avantage dans le bruissement d’un souffle ténu qu’il n’avait été dans les manifestations cataclysmiques. Nous aurions bien aimé pour pouvoir conclure qu’aucune manifestation d’aucune force de la nature ne contient Dieu ni n’est le support de sa révélation. Nous aurions bien voulu conclure qu’il n’y a que l’homme et que la voix divine ne passe que par l’homme.

En interrogeant les traducteurs de la Bible, nous pouvons découvrir que c’est encore trop dire que de parler du « bruissement d’un souffle ténu ». Nous pouvons lire « après le feu, une voix, un silence subtil. » C’est donc moins encore qu’un bruissement naturel. Est-ce pour autant surnaturel ? Non, puisqu’après l’éviction successivement de toutes les forces de la nature, il reste encore un homme, et que cet homme entend. La voix divine s’entend une fois seulement que toutes les puissances naturelles ont été évincées. Elle n’est donc pas la voix de la force, ni la voix d’une force qui se serait déguisée en faiblesse. Elle est accordée spécifiquement à un homme, Élie, que nous avons décrit comme un homme emporté, capable de ces emportements qui pulvérisent absolument tout ce qui s’oppose à eux, si violents qu’on ne sait plus alors séparer ce qu’il en est d’Élie de ce qu’il en est de Dieu. Lorsqu’il s’agit de parler ce jour-là à Élie, le silence subtil est ce qui est approprié.

A un autre qu’ Élie, ou à Élie un autre jour, Dieu se serait adressé autrement. Mais peut-être pour dire la même chose. Quelle même chose ? Ce jour-là, Dieu rappela à Élie le prophète ce qu’était son travail de prophète ; et il l’envoya reprendre son travail. Dieu en somme dit à Élie : « Va, fais juste ton travail de serviteur de Dieu, et moi, Dieu, je m’occupe du reste. » Il me semble que nous pouvons recevoir cette divine exhortation.


dimanche 14 juin 2020

Vraie nourriture et vraie boisson (Jean 6,51-58) Un choix radical


Jean 6

51 «Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l'éternité. Et le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie.»

 52 Sur quoi, les Juifs se mirent à se quereller : «Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?»

 53 Jésus leur dit alors: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie.

54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.

56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.

57 Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.

 58 Tel est le pain qui est descendu du ciel: il est bien différent de celui que vos pères ont mangé; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l'éternité.»

Prédication :

            Aussi loin que notre regard peut se poser dans l’histoire des communautés chrétiennes, nous trouvons des récits au cours desquels Jésus, partageant la Pâque  juive avec ses plus proches disciples, prend du pain, prend du vin, et les donne à consommer en les déclarant son corps et son sang. Matthieu, Marc, Luc, et Paul rapportent cela, Luc et Paul ajoutent à ces récits de partage un commandement de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi… ».

La première épître aux Corinthiens est le plus ancien des quatre textes. Nous savons que Paul a séjourné à Corinthe vers 52-53. Nous avons de bonnes raisons de penser que parmi les enseignements qu’il a donnés aux chrétiens de Corinthe, il y a le partage du pain et du vin en mémoire de Jésus – il leur a même donné une liturgie toute entière, reçue par lui, dit-il, du Christ lui-même, qui comporte, comme les évangiles, le ceci est mon corps, et le ceci est mon sang au sujet desquels, deux mille années plus tard, la discussion n’est pas close.

Matthieu, Marc, Luc, et Paul… il manque Jean, l’évangéliste qui ne fait rien comme les autres évangélistes.

Dans la Passion selon Jean, vous le savez, il n’y a pas de récit d’institution de la Sainte Cène. C’est tout autre chose qu’on y trouve : Jésus lave les pieds de ses disciples. Certains commentateurs nous font cependant remarquer que, dans l’évangile de Jean, la Passion commence dès le second chapitre, lorsque Jésus, monté à Jérusalem pour une Pâque, chasse les marchands du Temple (chapitre 2).

Si donc la Passion commence dès le chapitre 2, le chapitre 6 fait aussi partie de la Passion, et il y a bien alors dans l’évangile de Jean quelque chose qui a trait au corps et au sang  du Christ. Et, en effet, Jésus donne là son corps à manger – vraie nourriture – et son sang à boire – vraie boisson. Mais quant à savoir s’il faut partager du pain, du vin, et si ce pain et ce vin deviennent autre chose que ce qu’ils sont, ça n’intéresse absolument pas l’évangile de Jean. En vous référant à l’évangile de Jean, vous pouvez prendre les espèces que vous voulez, ou pas du tout d’espèces, c’est sans importance. Ce qui importe, dans l’évangile de Jean, c’est de méditer sur ce pain vivant, vraie nourriture, et ce sang, vraie boisson et, peut-être, de faire l’expérience de manger l’un, de boire l’autre, c'est-à-dire, en somme, d’en vivre.

1.     Méditation (comment peut-il donner sa chair à manger ?)

« Et le pain que je donnerai, dit Jésus, c’est ma chair… » D’où la question, qui apparait dans le texte : « Comment celui-là peut-il donner sa chair à manger ? » Dans l’auditoire, on en vient à se quereller sur cette question. Nous aimerions bien connaître les attendus de cette querelle, mais l’évangile ne nous les donne pas. Nous devons donc faire avec nos propres moyens. Il donne sa chair à manger ? Mais qu’est-ce que sa chair ? Que pouvons-nous dire de la chair d’un être humain ? Ce corps que nous voyons, qui naît, qui vit et meurt ? Bien sûr, mais tous les êtres humains sont faits de chair. Qu’est-ce qui fait que telle chair est Jésus de Nazareth, et que telle autre chair est, par exemple Judas ? Une histoire de vie, une parole partagée, un engagement, tout cela qui est tant que l’on est vivant et qui subsiste une fois qu’on est mort, telle est la chair. S’agissant de la chair de Jésus de Nazareth, tout ce qui est rapporté par les Évangiles et par le Nouveau Testament en général en fait partie, et il n’est pas trop difficile de comprendre que cela est donné à chaque lecteur. Il est possible de prendre, il est possible de laisser, et il ne se passera rien de mauvais si l’on choisit de laisser plutôt que de prendre, parce que, justement, cela est donné.

Jésus donc donne sa chair, et il la donne à manger. La proposition de Jésus est que ses disciples mangent sa chair, qu’ils incorporent – fassent entrer dans leur propre chair – cette parole, cet enseignement, qu’ils en fassent leur nourriture, et donc leur vie. Ainsi, manger la chair et boire le sang de Jésus, c’est se mettre à son écoute, c’est vivre de lui, et c’est marcher à sa suite

Cela nous semble si clair, que nous ne comprenons pas qu’il y ait eu querelle au sujet de cette déclaration de Jésus… Peut-être sommes-nous familiers, trop familiers de ces textes, trop familiers de ce repas que nous partageons pendant nos cultes. Nous sommes héritiers – pour la plupart d’entre nous – de deux millénaires de Sainte Cène et de Ceci est mon corps... Ceci est mon sang.

Mais nous avons finit par comprendre que participer à la Sainte Cène, c’est confesser sa foi et que confesser sa foi c’est faire un choix de vie.

2.     Expérience (prendre une décision radicale pour une dépendance radicale)

Quel choix de vie ? L’enseignement que nous venons de méditer fut donné par Jésus à Capharnaüm (rive nord de la mer de Galilée), à une foule qui voulait se saisir de lui et le faire roi… roi de quoi ? Roi des guérisons miraculeuses et de la multiplication des pains qu’il venait d’accomplir pour eux. Inacceptable pour Jésus, et il ne se gêne pas pour le leur dire vertement. Retenons que cette foule voulait se saisir de Lui, c'est-à-dire en disposer. Nous avons dit, il y a quelques minutes, que la chair et le sang de Jésus étaient donnés. Pourtant nous voyons aussi Jésus se refuser.

Mais ça n’est pas contradictoire. Car ce que les gens qui forment cette foule veulent saisir, ça n’est ni la chair ni le sang de Jésus, mais une image de Jésus qui serait à leur disposition et qu’ils pourraient exhiber selon leurs besoins d’un moment.

Autrement est-il possible ? Il est important à cet égard de se ressouvenir que si les Hébreux ont reçu la manne dans le désert, cette manne n’a toujours été envoyée que par Dieu, n’a toujours été que donnée. Prendre la manne, dans ces conditions, chaque jour pour juste la journée, c’était bien entendu prendre de la nourriture, mais aussi affirmer sa foi en Dieu.

On objectera que, dans le désert, les Hébreux n’avaient pas le choix, que c’était la manne ou rien, et que la confession de foi obtenue dans de telles conditions ne peut valoir grand-chose. Cette objection est recevable, Jésus la reçoit et il y répond : nul n’est obligé par Jésus de manger sa chair et de boire son sang.

Mais pour celui qui le choisit, c’est une décision radicale. Manger sa chair et boire son sang, c’est choisir de ne vivre que par Lui, comme Lui ne vit que par le Père. C’est faire le choix radical d’une dépendance radicale.

Et qui veut de cette expérience ? Et qui voudra faire ce choix ? Et même si quelqu’un voulait faire ce choix, pourrait-il seulement l’assumer ?

 

Lorsque Jésus, à Capharnaüm, prononça cet enseignement, plusieurs lui firent reproche de la dureté de ses paroles. Et si à ceux-là il restait encore quelques illusions portant sur l’efficacité de tel ou tel rituel, ou sur leurs mérites propres, Jésus  rappela ceci : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »

Et qu’advient-il alors ? L’enseignement fini, la foule évidemment se dispersa. Puis on apprend alors que « beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui. » D’un groupe semble-t-il important de disciples galiléens, il n’en resta que 12…

« Et vous, leur demanda Jésus, ne voulez-vous pas partir ? » Simon-Pierre alors répondit, pour les Douze, et pour nous tous : « Seigneur, à qui d’autre irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle. » Amen 


mercredi 10 juin 2020

Lettre pastorale du 10 juin 2020. Le pays où l'on n'arrive jamais.

 

Le pays où l’on n’arrive jamais

Le livre des Nombres rapporte que les Hébreux se révoltèrent une fois encore. Dans un désert de pierres, ils ne trouvèrent pas d’eau. Moïse pria Dieu qu’il vienne à leur secours. Et Dieu, exauçant Moïse, ordonna que, Moïse et Aaron se tenant face au peuple, Moïse parle au rocher pour que le rocher donne son eau. Or Moïse ne parla pas au rocher, mais le frappa de son bâton. L’eau jaillit tout de même, mais le geste de Moïse fut compris par Dieu comme un manque de foi… Et Dieu dit : « Puisque, en ne croyant pas en moi, vous n'avez pas manifesté ma sainteté devant les fils d'Israël, à cause de cela, vous ne mènerez pas cette assemblée dans le pays que je lui donne » (Nombres 20,12). Et c’est pour cette raison que ni Aaron ni Moïse n’entrèrent finalement en terre promise. Aaron mourut très peu de temps après. Moïse survécut quelques temps encore. Du sommet du mont Nébo, à l’est du Jourdain, il vit de loin la terre promise (Deutéronome 34). Puis Dieu lui-même enterra Moïse quelque part au pays de Moab, nul n’a jamais su où. Ce qui nous fait deux récits différents, provenant d’autant de sources, et portant sur une même légende.
Et nous nous demandons si l’exode peut finir. Ce qui revient à se demander si un être humain peut de lui-même atteindre et manifester la sainteté de Dieu. Et s’il ne l’atteint pas, il faut se demander comment Dieu va réagir : punir, ou pardonner ? Cela revient aussi à se demander si la terre promise par Dieu peut être conquise et possédée. C’est entendu, cette terre, Dieu l’a promise et cette promesse est l’objet de l’espérance, le but du voyage. Mais même si elle est conquise par les Hébreux, cesse-t-elle d’être terre de Dieu et objet de la promesse ? Qu’adviendra-t-il de l’espérance si ce but est atteint ? En a-t-on jamais finir d’apprendre à vivre avec Dieu, d’apprendre à vivre tout court et donc d’apprendre à espérer ? Est-on jamais tout à fait chez soi lorsque c’est Dieu lui-même qui donne la terre ? Ce que Dieu donne gratuitement, cela ne peut-il, ne doit-il pas être partagé ? L’esprit de la promesse n’est-il pas un esprit de partage bien plus qu’un esprit de possession ? Les questions se bousculent.
Et pendant ce temps, on avance, car ces questions font avancer. La perspective de la servitude s’estompe, le voyage qui, tout d’abord, s’inscrivait dans un paysage torrentueux, épouse maintenant de lents méandres qui, peut-être, se redresseront encore et s’en iront rejoindre un possible estuaire. Nous gagnons en visibilité, l’horizon s’élargit, et, pourtant, le voyage n’a pas pris fin. Et quand bien même l’estuaire rejoindrait-il la mer, nous n’y gagnerions qu’un paysage plus large et plus profond encore qu’il nous faudrait explorer et apprendre à connaître.
Les Hébreux n’ont connu que sable et poussière. Ils ont dû trouver un chemin là où aucun chemin n’était encore tracé, apprendre à vivre là où personne ne vivait. Et lorsqu’il leur fut donné de reposer dans de verts pâturages, lorsqu’ils eurent le temps d’élaborer leur pensée, ils comprirent que l’exode est la condition de celui qui vit de la promesse de Dieu et que la terre promise est le pays où l’on n’arrive jamais. On marche, on avance, plein de joie et d’espérance.


dimanche 7 juin 2020

Quel est ce Dieu que nous adorons (Jean 3 et Exode 34)


Jean 3
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n'est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.



Exode 34
4 Moïse tailla des tables de pierre comme les premières, se leva de bon matin et, comme le Seigneur-Dieu le lui avait ordonné, monta sur le mont Sinaï, ayant pris à la main les deux tables de pierre.
5 Le Seigneur-Dieu descendit dans la nuée, se tint là avec lui, et Moïse proclama le nom de «Seigneur-Dieu».
6 Le Seigneur-Dieu passa devant lui et proclama: «Le Seigneur-Dieu, le Seigneur-Dieu, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein d’amour de la vie et d’amour de la vérité,
7 qui aime la vie des milliers de générations, qui porte la faute, la révolte et le péché, sans rien laisser passer, et qui prête attention à la faute des pères chez les fils et les petits-fils sur trois et quatre générations.»
8 Aussitôt, Moïse s'agenouilla à terre et se prosterna.
9 Et il dit: «Si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô Seigneur, que le Seigneur marche au milieu de nous; c'est un peuple à la nuque raide que celui-ci, mais tu pardonneras notre faute et notre péché, et tu feras de nous ton héritage


Prédication
            Les méditations de nos dernières semaines tournaient autour d’une question importante pour la vie d’une communauté : « Quels sont ces liens qui nous unissent ? » Les liens de l’amour, si l’on médite l’Évangile de Jean. Les liens hiérarchiques, si l’on médite le tout début des Actes des Apôtres. Ce qui nous fait deux réponses, beaucoup trop peu pour la question posée. Mais suffisamment pour qu’une réflexion s’ébauche.
A peine ébauchée, nous allons laisser de côté cette réflexion. Et nous allons poser une autre question : « Quel est ce Dieu que nous adorons ? » Nous nous posons cette question à l’occasion de la fête de la Trinité (ce dimanche). Et nous disons tout de suite que la Trinité est pour certains chrétiens tellement fondamentale qu’on peut dire qu’elle est Dieu lui-même. Mais pour d’autres chrétiens cette notion doit être écartée sans hésiter parce que le mot ne figure pas dans la Bible…

Quel est ce Dieu que nous adorons ? Lisons et méditons les textes qui nous sont aujourd’hui proposés. 
            (1) (Évangile de Jean, chapitre 3) L’Église réformée de France, union de plusieurs Églises protestantes, a existé entre 1938 et 2012. Ses fondateurs ont considéré comme révélation centrale de l’Évangile l’un des versets que nous avons lus ce matin : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » Nous avons lu cette déclaration de foi dans nos assemblées générales jusqu’en 2012, et les pasteurs de ma génération l’ont même signée de leur main.
Quiconque croit au Fils a la vie éternelle. Nous approuvons ce verset. Mais nous nous demandons plus rarement ce qu’il en est de ceux qui ne croient pas. Or, la réponse est sous nos yeux. Celui qui ne croit pas est déjà condamné (v.18). Mais pourquoi est-il condamné ? Parce qu’il n’a pas cru ? Est-ce à dire que l’amour de Dieu pour le monde connaît des limitations ? Dieu ne pourrait-il pas, ou ne voudrait-il pas sauver tout le monde ? Et quelle serait alors la condamnation de ceux qui n’ont pas cru ? Voici déjà un faisceau de questions qui est de nature à nous troubler. Mais ça n’est pas tout.
Car nous ne savons pas quelle est cette vie éternelle, vie promise à ceux qui ont cru, et qui meurent, comme tous les humains meurent un jour. L’évangile de Jean cependant nous apporte un commencement de réponse. Parole de Jésus dans l’évangile de Jean : « …la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17,3). Cette connaissance de ne peut pas être le palmarès de certaines âmes supérieurement illuminés ; cette connaissance de Dieu est une joie, paisible récollection de soi, que celui qui l’éprouve partage avec ses semblables. La vie éternelle est donc paix et engagement pour la paix.
Mais qu’en est-il alors de ceux qui n’ont pas cru ? Toujours dans l’évangile de Jean, on peut s’intéresser à la vie des personnages seconds du récit. Et l’on voit des disciples qui s’observent les uns les autres, qui se regardent de loin et de haut… et l’on voit aussi des dignitaires religieux torturés par leur jalousie… Et nous nous demandons : ces gens-là qui n’ont pas cru sont-ils condamnés, sont-ils pour toujours livrés à leurs appétits grossiers ?
Pour répondre à cette question, observons Pierre, Jean, et Jésus, dans le dernier chapitre de l’évangile de Jean. Par trois fois, Jésus demande à Pierre s’il l’aime. Par trois fois Pierre répond affirmativement. Et par trois fois Jésus confirme Pierre dans son rôle de berger. Mais Pierre voyant Jean, le disciple que Jésus aimait, pose à Jésus cette question : « Et qu’en sera-t-il de lui ? » Réponse de Jésus : « S’il me plaît qu’il vive jusqu’à ce que je vienne, qu’est-ce que ça peut te faire ? Toi, suis moi ! » Nous voyons Pierre déjà jaloux de sa prérogative de berger. Nous le voyons ainsi ne plus croire au Fils. Est-il alors condamné ? Et bien, en lui répondant ainsi qu’il le fait, Jésus donne à Pierre toute la durée de sa vie, et plus encore, pour apprendre à aimer son prochain…
Sœurs et frères, concluons avec l’évangile de Jean qu’il n’y a pour Jésus Christ et en Dieu aucun homme perdu. Tel est le Dieu que nous adorons.
(2) (Exode 34) Vous êtes des lecteurs de l’Exode, et vous souvenez comment les tables de la Loi furent données à Moïse et pourquoi Moïse les détruisit. Vous sous souvenez que Dieu se proposa d’anéantir les fils d’Israël et de faire de Moïse une grande nation (Exode 32,10). Et Moïse refusa. Moïse ne cessa jamais d’intercéder auprès de Dieu en faveur des fils d’Israël, et Dieu ne cessa jamais d’exaucer les prières de Moïse. Et cela va si loin qu’on peut dire que l’engagement de Moïse en faveur des fils d’Israël et l’engagement de Dieu pour les fils d’Israël sont une seule et même réalité. Tel est celui qui prie, tel est Dieu.
Or, tant celui qui prie que le Dieu qu’il prie nous sont connus par la Bible, ou plutôt, par les traducteurs de la Bible, dont nous sommes, nous, des lecteurs. Tel est celui qui traduit, tel est Dieu.
Prenons un exemple, relisons Exode 34,6-7. « l'Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, qui conserve son amour jusqu'à mille générations, qui pardonne l'iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui punit l'iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération! » Tel traducteur, tel Dieu, et, ici, Dieu punit. Alors, chers amis, vos arrière-arrières grands-parents ont péché et Dieu vous punit, choix d’un traducteur, et pas des moindres. Et voici le choix d’un autre traducteur : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein d’amour de la vie et d’amour de la vérité, qui aime la vie des milliers de générations, qui porte la faute, la révolte et le péché, sans rien laisser passer, et qui prête attention à la faute des pères chez les fils et les petits-fils sur trois et quatre générations. »
Dieu, pour l’un, est un Dieu qui punit, et dont l’invocation peut alors justifier toutes sortes d’inégalités et toutes de brutalités… Dieu, pour un autre, lisant le même verset, est un Dieu qui accompagne, qui conteste les situations figées et qui aide les humains à se relever.
Alors on se demande : mais Dieu, en vrai, il est comment ? De la première à la dernière page, la Bible est écrite par des humains qui s’interrogent et qui interrogent Dieu sur leur propre destin, sur le destin de leur peuple et sur le destin de l’humanité. Chaque auteur donne ses propres réponses. Chaque réponse va avec une image de Dieu. Chaque réponse aussi suggère une manière de vivre et d’agir. Il a une extrême variété de réponses… Et nous ne pouvons pas dire oui à tout. Il est même des réponses bibliques auxquelles il faut savoir dire non. Lorsque nous aurons examiné beaucoup de ces réponses bibliques et que nous aurons prononcé le non, et le oui, nous ne saurons toujours pas ce que Dieu est en lui-même. Mais nous aurons choisi la vie que nous voulons mener avec Lui et en son nom.
Et, voyez-vous, les deux questions que nous posions, « Quels sont ces liens qui nous unissent ? » et « Quel est ce Dieu que nous adorons ? » se rencontrent, comme se rencontrent nos réflexions et nos engagements.
Que le Seigneur Dieu vous accompagne et vous éclaire. Amen

mercredi 3 juin 2020

Lettre pastorale du 3 juin 2020. Il faut savoir dire non.



Lorsqu’enfin le déluge, puis la décrue, prirent fin, lorsque la terre fut sèche et que les animaux eurent été libérés, lorsque Noé eut offert moult sacrifices à Dieu, il se fit viticulteur et, un soir, il abusa de la boisson au point  de tomber nu au milieu de sa tente. L’un de ses trois fils, Cham, vit la nudité de son père. Lorsque Noé, ayant cuvé son vin, fut mis au courant de ce qui s’était passé, il maudit son fils Cham (Genèse 8 et 9). Et Cham devint ainsi et pour toujours esclave de ses frères. Littéralement, Cham devint l’esclave des esclaves de ses frères.
Ceci pourrait n’être qu’un récit mythologique s’il n’était pas précisé que Cham est l’ancêtre de tous les Cananéens et que Sem, fils aîné de Noé, est l’ancêtre de tous les Sémites, et donc ancêtre des Hébreux, autrement appelés Fils d’Israël. Une certaine hiérarchie, une certaine inégalité, entre les peuples est donc rapportée et justifiée dans la Bible. Et elle concerne deux peuples qui habitent sur la même terre…
Nous pourrions, prudemment, poser que, ne descendant ni de Sem ni de Cham, nous ne sommes guère concernés par cette affaire. Mais il reste à Noé un troisième fils, Japhet, que les auteurs de la Genèse ont fait en gros l’ancêtre de tous les autres peuples de la terre. Ainsi donc, lecteurs de la Bible, descendants de Japhet, nous apprenons que les descendants de Cham sont nos esclaves. Quel crédit accordons-nous à ce récit, et quel article de foi pouvons-nous fonder sur lui ? Parfois, l’expression de la foi peut se résumer au seul mot Amen. Parfois, l’expression de la foi peut se résumer par le mot Non.   
Nous ne savons pas exactement dans quel monde vivaient les auteurs et les rédacteurs de la Genèse. Posséder des esclaves y était certainement possible. Et cela était possible aussi dans le monde où voyagea l’apôtre Paul. Pourtant, de Paul, nous recevons ceci : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus -Christ » (Gal 3,28). Paul s’exprime en tant qu’homme d’Église. Il parle pour la liberté des fidèles au sein de l’Église, une liberté que certains voulaient restreindre en obligeant chaque fidèle au Christ à une obéissance stricte à la Loi de Moïse, obéissance comprenant entre autres Genèse 8 et 9, qui aurait fait des uns les esclaves des autres, au sein même de la communauté. Quel crédit apportons-nous à l’épître de Paul aux Galates, et quel article de foi allons-nous fonder sur elle ? Non, ou Amen ?

Il aura fallu énormément de temps pour qu’un texte comme celui de Paul sorte des Églises et devienne le motif d’une réflexion autonome. Les grandes déclarations universelles apparaissent 18 siècles après Paul. Et il est tout à fait clair que leurs conséquences pratiques n’ont pas encore été mises en œuvre. A cela nous ne pouvons pas consentir. Notre foi, une fois de plus, dit non. Et elle salue, souvent sans les connaître, celles et ceux qui, au nom du Seigneur et des idéaux qui sont les leurs, espèrent et agissent pour un monde plus généreux, plus fraternel.