dimanche 23 octobre 2016

Quelques considérations sur la Réformation (Luc 18,9-13)

Luc 18
… le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

9 Jésus dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres:
10 «Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre collecteur d'impôts.
11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: ‹O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d'impôts.
12 Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.›
13 Le collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: ‹O Dieu, prends pitié du pécheur que je suis.›

14 Je vous le déclare: celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l'autre, car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé.»
Prédication
             Le culte que nous célébrons aujourd’hui, avec un peu d’avance sur le calendrier officiel, s’appelle culte de la Réformation. 
Qui dit calendrier officiel, dit événement à commémorer et cet événement, c’est l’affichage, le 31 octobre 1517, d’une série de thèses, 95, dont Martin Luther était l’auteur… Il s’agissait initialement d’une discussion universitaire sur l’Eglise, son pouvoir, sur la manière d’obtenir les bonnes grâces de Dieu, mais aussi sur la solidarité avec les pauvres, sur le sort des défunts, sur le rapport à l’argent... Et ce qui ne devait être qu’une discussion universitaire est devenu une grande affaire, qui a provoqué une sorte d’embrasement dans l’Occident, et qui n’a pas laissé le monde intact…
            Mais la Réformation ne peut pas être seulement cela, une sorte de médaille que nous sortons du placard une fois par an pour la montrer. C’est aussi une disposition d’esprit, une orientation de vie… Nous essayons de préciser cette orientation.
           
            Nous avons pour cela une petite parabole, petite histoire apparemment très simple, destinée à nous faire réfléchir. Et qui nous fait complices d’une triple indiscrétion.
La première, disons qu’elle est la moins grave des trois, est que nous sommes spectateurs de la prière de deux hommes. C’est la moins grave des trois indiscrétions de ce texte, parce que, finalement, même si le temple, ou une église, n’est pas un cirque, on peut toujours entrer librement et observer ce qui s’y passe. Deux hommes sont là et leurs attitudes respectives signalent qu’ils sont occupés à une activité, la prière, qu’ils mettent en œuvre de deux manières bien différentes. Laissons là cette première indiscrétion.
       Seconde indiscrétion, plus grave que la première, on nous dévoile l’intimité de ces deux hommes. Nous savons comment prie le Pharisien en lui-même, ce qu’il pense de lui-même, ce qu’il pense des autres en général, et de l’autre homme en particulier. Nous savons aussi comment prie en lui-même le collecteur d’impôt. Leur intériorité nous est dévoilée... En prenant le texte juste tel qu’il est, sans rien y ajouter, nous voyons aussi que ces deux hommes sont, chacun dans sa prière, entiers et sincères.
            Mais il y a dans cette parabole une troisième indiscrétion, bien plus grave encore que la seconde. L’intimité de Dieu elle-même nous est dévoilée. On nous fait savoir ce que Dieu pense de chacun de ces deux hommes. Le collecteur d’impôt rentre chez lui justifié, c'est-à-dire considéré comme juste par Dieu, ou encore approuvé dans sa démarche par Dieu, alors que le Pharisien rentre chez lui bredouille, sans avoir été justifié. Justifié, qu’est-ce que cela peut signifier ? Cela signifie qu’au sortir du Temple, à la fin de la prière, il n’y a plus de passif entre Dieu et le collecteur d’impôts, c'est-à-dire que Dieu, à cet instant, n’a plus rien à reprocher à cet homme. Cela peut même signifier que si à cet instant la vie de ces deux hommes leur était reprise, le collecteur d’impôts comparaîtrait devant un Dieu plein de douceur, mais le Pharisien comparaîtrait devant un Dieu vindicatif…
Mais c’est nous seulement qui le savons, du fait de l’indiscrétion grave du texte. Ces deux hommes, eux, ignorent totalement cela.
            Faisons bien attention : nous sommes au bénéfice d’indiscrétions graves. Dans la réalité, deux hommes se tiennent dans un lieu de culte, et nous ne savons rien, rien de ce qui se passe en eux, rien de ce que Dieu en pense, ni rien de ce qu’il pense de nous.
Notre réflexion commence ici : nous ignorons ce que Dieu pense de nous. Là aussi commence aussi la Réformation, au moment où nous prenons acte de ce que l’avis de Dieu sur nous nous est totalement inconnu.
Dieu me justifie-t-il, approuve-t-il à cet instant la personne que je suis ? Je ne le sais pas. Approuve-t-il à cet instant les personnes que vous êtes ? Je ne le sais pas. Nous ne le savons pas.
Et nous allons poursuivre dans cette veine. Pouvons-nous nous procurer, par notre dévotion, par nos bonnes œuvres, ou à prix d’argent, quoi que ce soit qui nous rendrait Dieu favorable ? Avons-nous quelque chose à faire valoir devant Dieu, qui nous mériterait d’être justifié, approuvé par Lui ? Du fait que nous ne sachions pas ce que Dieu pense de nous il s’ensuit que nous n’avons rien à faire valoir devant Dieu. Nous n’avons même pas à faire valoir que nous n’avons rien à faire valoir. C’est là aussi que commence la Réformation.

Et sur ces commencements nous allons retrouver notre Pharisien, champion de l’observance, du faire savoir et de la vertu ; nous allons retrouver aussi notre collecteur d’impôts, honni en son temps et réputé collabo et boule de vice ; et nous allons retrouver aussi Martin Luther.

Revoici donc notre Pharisien. S’il ne fut pas justifié cette fois là, peut-être le serait-il une autre fois… Nous ne le savons pas ; Dieu le sait. Nous pensons tout de même que tant qu’un être humain n’a pas rendu son dernier souffle, sa vie peut valoir quelque chose qu’elle ne valait pas encore. Nous pensons ainsi que le jugement final d’une vie ne peut venir qu’à la fin de cette vie, et n’est connu que de Dieu seul. Mais nous ajoutons qu’être ignorants du jugement divin porté sur nos vies ne nous dispense pas de l’obéissance aux commandements, ne nous dispense jamais de mener une vie réglée, une vie droite, une vie prévenante… Alors, jeûner deux fois la semaine, pourquoi pas. Donner à l’Eglise le dixième de tout ce qu’on reçoit, pourquoi pas. Partager ses propres richesses avec de pauvres gens, oui. Obéir aux commandements du Décalogue, oui. Mille fois oui ! Mais, le faire juste par obéissance, juste parce qu’on a choisi d’obéir, sans bâton, sans carotte, sans fuir le jugement des humains ou celui de Dieu, sans chercher les applaudissements des humains, ni l’approbation divine, et enfin sans regarder avec mépris ceux qui font autre chose que nous, autrement que nous, voir rien du tout, car la mauvaiseté réelle ou supposée d’autrui ne justifie jamais personne…
  Et revoici aussi notre collecteur d’impôts qui se frappe la poitrine et qui n’a en son cœur qu’une seule prière : « Ô Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! » Cet homme est pécheur, il le reconnaît devant Dieu. Mais quel est son péché ? Collecter l’impôt ? Mais pourquoi donc devant Dieu un collecteur d’impôt serait-il pécheur en tant que collecteur d’impôts ? Ce sont des hommes qui pensent ça. Ce sont des humains qui catégorisent, méprisent, détestent avant d’avoir connu, et condamnent avant d’avoir entendu. Nous ne savons rien du péché de cet homme, mais nous savons qu’il est absolument sincère dans l’expression de sa contrition. Or, Dieu justifie ceux qui sont dont la contrition et le remords sont entiers et sincères.
Mais voici Martin Luther. Oui, dit-il, après les prophètes, après le Christ, Dieu sonde les reins et les cœurs et il juge, et il justifie ceux dont la contrition et le remords sont entiers et sincères. Mais, ajoute Martin Luther, « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de la justification). » (30ème des 95 thèses) Est-ce à dire que le collecteur d’impôt a prié hypocritement, ou en vain ? Nous avons exclu l’hypocrisie dans son cas. Martin Luther qui se montre ici fin connaisseur de l’âme humaine sait qu’il y a en elle toujours une sorte d’opacité. Les motivations des plus belles actions humaines ne sont pas toujours pures et c’est même l’une des marques du péché. Alors, le collecteur d’impôts a-t-il prié en vain ? Laissons cette question, et affirmons que ce n’est que par la grâce divine qu’il a été justifié. C’est cela aussi, la Réformation.

Ajoutons, pour finir, que la forme de la prière du collecteur d’impôts nous laisse à penser qu’il est sur un certain chemin, où l’on s’interroge, où l’on s’évalue, et où l’on ne se trouve pas toujours bien beau.
Et bien, sur le chemin de la vie, chacun peut et doit choisir, chacun peut s’égarer, se reprendre, tâcher de devenir meilleur, humainement plus juste. Et cela dure tant que dure une vie. C’est cela enfin, la Réformation. Puisse sur ce chemin le Tout Puissant nous venir en aide. Amen



dimanche 16 octobre 2016

Le règne de Dieu, quoi, quand ? (Luc 17,20-18,8)


Rayonnement fossile de l'Univers, satellite Planck
Luc 17
20 Les Pharisiens lui demandèrent: «Quand donc vient le Règne de Dieu?» Il leur répondit: «Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable.
21 On ne dira pas: ‹Le voici› ou ‹Le voilà›. En effet, le Règne de Dieu est parmi vous.»
22 Alors il dit aux disciples: «Des jours vont venir où vous désirerez voir ne fût-ce qu'un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas.
23 «On vous dira: ‹Le voilà, le voici.› Ne partez pas, ne vous précipitez pas.
24 En effet, comme l'éclair en jaillissant brille d'un bout à l'autre de l'horizon, ainsi sera le Fils de l'homme lors de son Jour.
25 Mais auparavant il faut qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération.
26 «Et comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l'homme:
27 on mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche; alors le déluge vint et les fit tous périr.
28 Ou aussi, comme il en fut aux jours de Loth: on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait;
29 mais, le jour où Loth sortit de Sodome, Dieu fit tomber du ciel une pluie de feu et de soufre et les fit tous périr.
30 Il en ira de la même manière le Jour où le Fils de l'homme se révélera.
31 «Ce Jour-là, celui qui sera sur la terrasse et qui aura ses affaires dans la maison, qu'il ne descende pas les prendre; et de même celui qui sera au champ, qu'il ne revienne pas en arrière.
32 Rappelez-vous la femme de Loth.
33 Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera.
34 Je vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit: l'un sera pris, et l'autre laissé.
35 Deux femmes seront en train de moudre ensemble: l'une sera prise, et l'autre laissée.»
37 Prenant la parole, les disciples lui demandèrent: «Où donc, Seigneur?» Il leur dit: «Où sera le corps, c'est là que se rassembleront les vautours.»
Hubble, champ ultra profond, 2014
Luc 18
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit: «Il y avait dans une ville un juge qui n'avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui venait lui dire: ‹Rends-moi justice contre mon adversaire.›
4 Il s'y refusa longtemps. Et puis il se dit: ‹Même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien! parce que cette veuve m'ennuie, je vais lui rendre justice, pour qu'elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.› »
6 Le Seigneur ajouta: «Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit? Et il les fait attendre!
8 Je vous le déclare: il leur fera justice bien vite. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

Prédication : 
         « Quand donc vient le règne de Dieu ? » demandent à Jésus les Pharisiens, les champions de l’observance et du faire savoir, champions des apparences et de la com... dans l’Evangile de Luc.
Nous, chaque fois que nous prions le Notre  Père, nous demandons : « …que ton règne vienne ».
Qu’est-ce que le règne de Dieu ?
           
            L’idée la plus courante s’agissant du règne de Dieu est celle que nous recevons en lisant par exemple l’Apocalypse de Jean. Le règne de Dieu est un règne qui sera instauré par Dieu après la fin des temps, dans lequel chacun recevra ce qu’en sa justice Dieu lui-même aura décidé de lui attribuer, étang de souffre et de feu pour les uns, et pour les autres il n’y aura plus de sang, de sueur ni de larmes.
            Cette idée peut être précieuse pour ceux qui sont éprouvés, pourchassés… notamment en raison de leur foi. Elle peut effectivement étayer leur endurance et nourrir leur espérance.
Cette même idée peut aussi nourrir l’arrogance de ceux qui se figurent qu’en raison de leurs mérites, ils seront reconnus, et récompensés d’éternelle béatitude, ils échapperont aux flammes, seront accueillis en first class dans une nouvelle Arche de Noé pendant que les autres se noieront ou brûleront éternellement...

Cette forme de méchante certitude et de cruelle espérance devait être bien répandue du temps de Jésus – et de Luc. Elle devait être si répandue qu’il est bien précisé par Jésus que personne ne peut se prévaloir d’une connaissance de la juste décision finale de la justice de Dieu. Ainsi, comme nous le lisons, ce jour-là, nul n’aura rien à faire valoir pour sauver sa vie, son âme… On aura tellement rien à faire valoir que deux hommes couchés dans un même lit – modèle absolu du  vice masculin selon certains – et l’un sera pris, l’autre laissé, scandale que l’un des deux soit pris ; deux femmes seront à moudre le grain – modèle absolu de la vertu féminine – l’une sera laissée et l’autre prise, scandale que l’une des deux soit laissée.
Et vous, demande Jésus à des interlocuteurs probablement très sûrs de leurs mérites, pensez-vous vraiment que vous serez pris ?
La justice de Dieu est assurément juste, puisqu’Il est Dieu et qu’Il sonde les reins et les cœurs. Mais vu le peu de connaissance que les humains ont de Dieu, le peu de connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes, vu aussi leur propension parfois à se réclamer de leurs propres bonnes actions, il ne faut pas qu’ils soient trop pressés d’être finalement jugés par la justice de Dieu…


            Dieu jugera, c’est certain, mais quand jugera-t-il ? Dans chaque période de grande tension et de grande violence, la pensée que la fin des temps est pour bientôt ressurgit. Jésus de Nazareth puis Luc l’évangéliste ont vécu l’une de ces périodes. Nous sommes la 80ème génération après eux, et le jugement de Dieu commence à accuser un retard certain... Pourtant, avec la même espérance que Jésus et que Luc nous disons qu’aujourd’hui encore Dieu qui connaît ses élus les écoute qui crient vers Lui, et qu’il leur fera promptement justice.
Promptement ? La justice de Dieu a déjà jugé. Dieu connaît ses élus, Lui seul les connaît, depuis toujours, et Il les écoute qui crient vers Lui, jour et nuit. Il les écoutera jusqu’au jour où viendra le Fils de l’homme.

            « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » A cet instant, la question finalement très spéculative, très abstraite sur le jugement et sur la fin des temps, redevient tout à fait concrète.
Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera assurément des gens qui prieront, d’autres qui ne prieront pas. Il trouvera des gens affairés à des célébrations bien ordonnées. D’autres à des activités diaconales. Il trouvera des croyants, des demi-croyants et des incroyants… mais la foi ? trouvera-t-il la foi sur la terre ?
           
            Au commencement de cette prédication, nous nous interrogions sur le règne de Dieu. Mais ce règne de Dieu, tel qu’on l’imagine après la fin des temps, semble bien abstrait, bien lointain… et c’est la question de la foi qui revient. Souvenons-nous bien de nos précédentes lectures.
Au Samaritain lépreux guéri venu lui rendre grâce et rentre louange à Dieu, Jésus n’a pas dit « ta foi te sauvera au jour du jugement », mais « ta foi t’a sauvé ». Pour qui se tient dans la foi, la question du jugement est déjà du passé. Il y a une présence et une actualité de la foi qui dépassent toute spéculation sur le futur règne de Dieu. L’affirmation de Jésus, « ta foi t’a sauvé », ramène la question du règne de Dieu dans le présent, et nos réflexions de ces dernières semaines sur la foi vont nous permettre de préciser, dans le présent ce qu’il en est du règne de Dieu.
            Avec le berger aux 99+1 brebis, ou avec le père du fils prodigue, nous avons repéré que la foi prend les aspects d’un engagement gratuit, déraisonnable, coûteux, voire même ruineux.
            Avec le Samaritain lépreux guéri, nous avons repéré que la foi prend aussi l’aspect d’une profonde reconnaissance envers les humains et envers Dieu.
            Nous repérons enfin avec cette veuve harcelant un juge corrompu, que la foi prend l’aspect de l’espérance, c’est à dire d’une prière qui ne cesse jamais, qu’elle n’ait pas été exaucée, ou qu’elle l’ait été.

            Bien entendu, tant la prière, que l’engagement, que la manifestation de reconnaissance, peuvent être de pures mises en scène. Ce sont d’ailleurs bien des Pharisiens qui s’adressent à Jésus… Et de ce genre de manifestations publiques d’engagement ou de piété on ne pourra pas déduire que la foi est bien là, ni que Dieu règne déjà. Jésus énonce effectivement que le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. Jésus interroge les apparences. Il interroge aussi les cœurs. Et à chacun il demande si son engagement, sa reconnaissance et sa prière sont produits par la grâce et rendus à la grâce.

Et bien là où s’engager, être plein de reconnaissance et prier se correspondent, là est la foi, et là Dieu règne. Ainsi, ce que nous demandons, lorsque nous prions « que ton règne vienne », c’est que, dans nos cœurs, dans nos vies personnelle et dans notre vie communautaire, viennent se correspondre l’engagement, la reconnaissance et la prière.
Que Dieu nous exauce. Et qu’il règne en nous et entre nous. Amen.


dimanche 9 octobre 2016

La foi comme reconnaissance (Luc 17,11-19)

Luc 15
1 Les collecteurs d'impôts et les pécheurs s'approchaient tous de lui pour l'écouter.
2 Et les Pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient: «Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux!»
3 Alors il leur dit cette parabole:
4 «Lequel d'entre vous, s'il a cent brebis et qu'il en perde une, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée?
5 Et quand il l'a retrouvée, il la charge tout joyeux sur ses épaules,
6 et, de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins, et leur dit: ‹Réjouissez-vous avec moi, car je l'ai retrouvée, ma brebis qui était perdue!›
Luc 17
5 Les apôtres dirent au Seigneur: «Augmente en nous la foi.»
6 Le Seigneur dit: «Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait.
7 «Lequel d'entre vous, s'il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: ‹Va vite te mettre à table›?
8 Est-ce qu'il ne lui dira pas plutôt: ‹Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour›?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné?
10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites: ‹Nous ne sommes que de simples serviteurs. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.› »

11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
13 et élevèrent la voix pour lui dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»
14 Les voyant, Jésus leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit: «Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?
18 Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»

19 Et il lui dit: «Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé.»

Prédication :
Lorsqu’on envisage les chapitres 15, 16 et 17 de l’évangile de Luc comme une longue réflexion sur la foi, on repère tout d’abord que la foi prend les aspects d’un engagement éperdu, gratuit, voire déraisonnable, et coûteux, voire même ruineux. Comme laisser sans surveillance 99 brebis pour en cherche une seule. Comme donner la moitié d’une fortune à un fils, et l’accueillir lorsqu’il revient après ayant tout claqué. La centième brebis finit par être retrouvée, le fils prodigue finit par revenir, et on est content.
Mais on pourrait imaginer que cet engagement de la foi pourrait être en pure perte… Avec le récit de la guérison de dix lépreux, il y en a un sur dix qui revient… On se dit que ça n’est pas si mal. Mais lorsque Jésus crucifié remet son esprit entre les mains de Dieu, quel retour sur engagement reçoit-il ?
Nous avons médité ces dernières semaines sur le coût de la foi, sur cet engagement qu’elle est.
Nous explorons maintenant une autre dimension de la foi.

Et voici que dix lépreux se trouvent un jour, à l’entrée d’un village, à portée de regard et de voix de Jésus et qu’ils lui demandent d’avoir pitié d’eux. Ils ne sont peut-être pas affligés de lèpre au sens de la médecine d’aujourd’hui, mais toute affection cutanée un peu trop visible ou suintante était en ce temps-là qualifiée d’impureté, et isolait les gens, parfois même les condamnait à être des parias, vivant à l’entrée des villages, de ce qu’on voudrait bien leur laisser, et attendant le passage d’une âme généreuse ou, peut-être, d’un guérisseur performant… Toute guérison devait être authentifiée par un prêtre spécialisé. Une fois la consultation accomplie,  on pouvait tenter de recommencer une vie normale.
Aie pitié de nous, maître, « toi qui es au-dessus de tout », clament les dix lépreux !

Or, vous l’avez bien lu, sans aucun geste miraculeux, comme s’il était effectivement au-dessus de tout, c'est-à-dire même au-dessus des gestes miraculeux, Jésus les envoie se montrer aux prêtres, prêtres qui les constatent guéris et les déclarent purs. Quand donc ces dix hommes ont-ils été guéris ? Le furent-ils dans l’instant où Jésus leur a donné ordre de bouger ? Ou encore se mirent-ils en route et guérirent-ils ainsi tout en marchant ? Nous ne le savons pas… nous n’avons pas à le savoir.
Ce texte d’ailleurs ne parle pas d’un miracle. Il appartient à une grande séquence qui invite à réfléchir sur la foi. Et la phrase clé que nous avons à méditer est celle que Jésus prononce : « Ta foi t’a sauvé. » Nous avons donc à nous interroger sur la foi de cet homme, et sur ce dont sa foi l’a sauvé. 

Qu’est-ce donc que la foi de cet homme ? Il revient sur ses pas. Il rend gloire à Dieu. Il se prosterne devant Jésus. Il remercie. Il est Samaritain. Qu’est-ce donc que sa foi ? Ou croire ? Ou un croyant ?
Et bien, en reprenant tout ce qui distingue cet homme, un croyant est un étranger, c'est-à-dire quelqu’un qui ne mérite rien, à qui pourtant il a été fait miséricorde, qui s’en émerveille, qui revient vers celui qui lui a fait miséricorde, le remercie, et rend gloire à Dieu.
Croire, c’est constater qu’on vous a fait du bien, sans que vous l’ayez aucunement mérité, éprouver le besoin de remercier l’auteur de ce bien, remercier l’auteur de ce bien, et enfin rendre gloire à Dieu – c'est-à-dire reconnaître après tout – mais surtout pas avant – que ce bien vient d’au-delà même de celui qui vous a fait du bien, et porte plus loin que votre propre personne.
La foi est une exclamation de reconnaissance, pour un bien immérité, qui célèbre plus encore que l’auteur de ce bien la possibilité même de ce bien.
On pourrait même aller jusqu’à dire que celui qui croit s’éprouve soudain miraculeusement justifié de son existence même au sein d’une insondable et merveilleuse histoire qui remonte de lui jusqu’à la création du monde : il remercie l’auteur de ce bien et rend gloire à Dieu.
 
Mer montante, ou mer descendante ?
Et maintenant, voici notre seconde interrogation : de quoi la foi de cet homme l’a-t-elle sauvé ?
Observons que cet homme « rend » gloire à Dieu, qu’il « rend » grâce à Jésus, qu’il se prosterne devant lui, et qu’il ne parle aucunement de lui-même. Il reçoit sa guérison et sa purification et, même si elles sont bien sa guérison et sa purification à lui, il les « rend » en quelque manière à celui qui en est l’auteur et à Dieu. Nous pouvons oser dire que, en rendant grâce à Jésus et en rendant gloire à Dieu, bien que guéri et purifié, il reste un Samaritain lépreux. Sa guérison, qui était totalement inattendue et totalement imméritée, reste, même une fois qu’elle lui est advenue, inattendue et imméritée. Elle est bien sienne, mais pourtant ne appartient pas.
De quoi donc la foi de cet homme le sauve-t-elle ? Justement, de se figurer que c’était bien normal, que Jésus pouvant le faire devait le faire. La foi le sauve d’une double ingratitude, ingratitude envers celui qui lui a fait du bien, Jésus, ingratitude envers ce qui rend ce même bien  possible, Dieu.

Les prédications de ces dernières semaines étaient l’occasion d’examiner notre foi sous l’angle de nos engagements. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’examiner notre foi sous l’angle de la gratitude pour ce que nous avons reçu.
Que chacun s’examine un instant dans son cœur et fasse silencieusement mémoire d’un ou deux faits, d’un ou deux noms...

Grâces soient rendues à ceux auxquels nous pensons.
A Dieu soit la gloire. Amen


dimanche 2 octobre 2016

8 leçons sur la foi (Luc 17,1-10)

On pourra, dans un premier temps, se reporter au billet précédent. C'est que, dans le travail préparatoire, il est apparu qu'il n'était pas possible de se contenter de lire seulement les versets du fragment proposé par le lectionnaire... Le billet précédent proposait une méditation sur "La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare". Et donc cette parabole figure au début du billet en question.
Abbaye de Moissac, Lazare dans le sein d'Abraham
Luc 17
1 Jésus dit à ses disciples: «Il est inévitable qu'il y ait des causes de chute. Et malheur à celui par qui la chute arrive.
2 Mieux vaut pour lui qu'on lui attache au cou une meule de moulin et qu'on le jette à la mer et qu'il ne fasse pas tomber un seul de ces petits.
3 Tenez-vous sur vos gardes. «Si ton frère vient à t'offenser, reprends-le; et s'il se repent, pardonne-lui.
4 Et si sept fois le jour il t'offense et que sept fois il revienne à toi en disant: ‹Je me repens›, tu lui pardonneras.»
5 Les apôtres dirent au Seigneur: «Augmente en nous la foi.»
6 Le Seigneur dit: «Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait.
7 «Lequel d'entre vous, s'il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: ‹Va vite te mettre à table›?
8 Est-ce qu'il ne lui dira pas plutôt: ‹Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour›?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné?

10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites: ‹Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.› »

Prédication :
            « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait. »
            Etrange défi que Jésus propose à ses disciples : faire la démonstration de la puissance de leur foi au détriment d’un malheureux arbre qui ne demandait qu’à vivre et qui va se noyer dans la mer. Est-ce cela, la foi ? Une puissance stupide qui s’adresse à une obéissance servile ? On ne comprend pas cet arbre qui ne se rebiffe pas. Et on ne comprend pas non plus cette manière de disposer à l’envi des êtres et des choses.
Jésus d’ailleurs ne peut pas enseigner cela, lui, le Fils de Dieu. Un jour qu’il avait faim, il a refusé de transformer pour lui-même des pierres en pain. Et souvent, il a contesté les pouvoirs et les servitudes de son temps…
Que veut donc dire Jésus à ses disciples qui lui demandent d’augmenter en eux la foi… Veut-il leur dire que s’ils en avaient un peu plus qu’ils n’en ont, ils accompliraient des actes merveilleux ? Mais faire se déraciner un sycomore pour le faire se jeter dans la mer, ça n’est pas accomplir un acte merveilleux, c’est juste une bête démonstration de force… Et qu’attend-on en général de ce genre de démonstration de force, si ce n’est l’adhésion de spectateurs médusés ?
Or, s’agissant de provoquer l’adhésion de spectateurs médusés, Jésus est celui qui a un jour refusé de se jeter du haut du Temple et d’atterrir porté par des anges devant un parterre stupéfait.
Il ne semble donc pas que Jésus dise à ses disciples : « Hélas, vous n’avez pas de foi, donc vous n’accomplissez pas d’actes merveilleux… ». Il leur dit plutôt : « Heureusement, vous n’avez pas de foi, parce que sinon vous accompliriez n’importe quoi. »
Mais y a-t-il, dans le texte, quelque chose qui nous signale que les apôtres risquent d’accomplir n’importe quoi ? Il y a un avertissement, un sévère avertissement.

« Il est inévitable qu’il y ait des causes de chute… », ou, pour tâcher de bien comprendre le texte, « il est inévitable qu’il y ait des gens qui soient piégés ». Et quelle serait la nature du piège ? Et bien justement l’acte de puissance, le miracle accompli délibérément et porté aux nues, pour apporter la preuve de ce qu’on avance. Ou encore la mise en avant de miracles accomplis, la promesse qu’il y en aura d’autres, le « et pourquoi pas vous… », et le « tous les gagnants ont tenté leur chance », pour attirer les pauvres gens.
Ces pièges furent tendus à Jésus par le diable au moment des tentations… Et ils seront plus tard aussi tendus aux apôtres, comme ils sont tendus à tous les prédicateurs, à tous les témoins de l’Evangile. Raison pour laquelle Jésus recommande à ses disciples de se tenir sur leurs gardes, afin qu’ils ne se laissent pas séduire et piéger par la puissance de leurs convictions, afin qu’ils n’asservissent pas ceux qui les écouteront.

Au vu des quelques versets que nous méditons, nous ne pouvons pas affirmer que les apôtres ont bien compris ce qui est en jeu, ce qui en serait de leur ministère, et ce qu’il en est de la foi. Il nous faudrait lire encore un peu plus loin l’évangile de Luc, puis les Actes des apôtres. Et nous nous rendrions compte qu’ils n’ont commencé à comprendre, ce qu’il en est de la foi, qu’après la Croix, qu’après Résurrection, l’Ascension et la Pentecôte. Mais nous nous rendrions compte aussi que, parfois, même après tout cela, ils agissent comme s’ils avaient parfaitement saisi ce qu’est la foi, et que parfois, il semble qu’ils n’ont rien saisi du tout… L’apprentissage de la foi dure autant que dure une vie.

Mais qu’est-ce donc que la foi ? Avec les quelques versets que nous méditons, et avec la parabole qui les précède, nous pouvons esquisser quelque chose.
  1. Puisqu’Abraham apparaît dans la parabole, puisque la résurrection est mentionnée, la foi est une conviction profonde, conviction que Dieu agit. Cette conviction est gagée par des récits anciens, par des témoignages directs, et par des expériences personnelles.
  2. Avec la parabole, apparaissent Moïse et les prophètes. La foi n’est pas indifférente à la vie des gens ; elle ne dévalorise pas la richesse, ni ne valorise l’indigence, mais elle appelle un souci d’autrui qui se manifeste par des actes conséquents visant à la survie d’autrui.
  3. Dans l’évangile de Luc, il y a Jésus, les apôtres, un peuple… La foi, n’est pas seulement personnelle, elle s’inscrit dans l’histoire et l’actualité d’une communauté ; et qui dit communauté dit transmission ; et transmettre la foi exclut de séduire, d’imposer et de dominer.
  4. Si bien que la foi, qui est une pratique concrète, et aussi une pédagogie. La foi se propose, s’expose et ne s’impose pas. Elle n’a recours à aucun artifice visant à soumettre, que ce soit par peur, ou par séduction.
  5. La foi selon Jésus, la foi de Jésus, est une foi radicale ; elle est une consécration à autrui gratuite, absolue et désintéressée, tant pour enseigner que pour soulager. En Jésus, la conviction que Dieu agit, et l’action de Dieu sont totalement conjointes, en cela il est fils de Dieu.
  6. La foi est souvent mise à l’épreuve, et parfois jusqu’à sept fois par la même personne dans la même journée. Souvent offensée, la foi toujours pardonne. Elle ne fait jamais de grief à qui se repent.
  7. La foi n’attend ni gratification, ni rétribution. Celui qui a la foi est un  serviteur, qui, selon sa perception de la situation et soutenu par ses convictions, dit ce qui doit être dit, fait ce qui doit être fait, et s’en remet à Dieu.
  8. Et pour en revenir à la parabole, où nous voyons le riche donner ordre à Abraham de ressusciter Lazare, la foi laisse à Dieu seul le soin de se manifester, en Lui elle se confie, à Lui seul elle rend gloire.

Posons-nous la question : et nous, avons-nous la foi ? Ne soyons pas trop sévères avec nous-mêmes. Nous en avons un peu, de la foi… et nous n’en faisons probablement pas trop mauvais usage. Nous nous connaissons peu les uns les autres. Mais Dieu, lui, nous connaît.
Alors maintenant, revenons à la demande des disciples, qui sont nos frères. Et demandons à leur Seigneur, qui est notre Seigneur : « Augmente en nous la foi. » Amen