mercredi 25 décembre 2019

Deux femmes et Noël (conte pour le 24 décembre)



Il est de nombreuses histoires de Noël qui ne sont pas dans la Bible. Il en est une pourtant que l’on m’a racontée qui sans être dans la Bible raconte la Bible toute entière…

C’est l’une de ces histoires que racontent ceux qui croient que lorsqu’un personnage accomplit quelque chose de capital pour l’humanité, il devient comme immortel. Il continue de vivre parmi les humains, mais avec une immense discrétion, comme Moïse, comme Jérémie… Et ils peuvent parfois apparaître, mais seulement dans des situations capitales.

Voici cette histoire. Quelqu’un me l’a racontée. J’ai oublié qui me l’a racontée.

C’est à Bethléem, en Judée… une auberge bondée. Tous ces gens sont en voyage. Et dans l’étable qui jouxte l’auberge, un couple… elle vient de mettre au monde leur premier enfant.

Le calme est enfin revenu dans l’étable.
Les bergers, les mages sont repartis après avoir admiré l’enfant, après l’avoir adoré même et l’avoir couvert de présents.
Joseph dort, il ronfle même, ne nous moquons pas. Il est épuisé. Pour certains pères, la naissance de leur enfant provoque une fatigue extrême.
Joseph marmonne dans son sommeil, peut-être qu’un ange lui parle dans ses rêves…

Couché dans sa mangeoire, l’enfant appelé Jésus dort à poing fermé.
Il a accueilli les bergers avec son regard étonné de nouveau né. Il a accueilli ensuite les mages avec l’air très sérieux qu’ont certains bébés.
Il a reçu la modeste offrande des bergers et les somptueux présents des mages.
A présent, il dort, épuisé par sa venue au monde.

Marie, elle, ne dort pas. Pas encore… Elle se rappelle tous les évènements des derniers mois, l’annonce de l’ange, sa visite à sa cousine Elizabeth, ce long voyage jusqu’à Bethléem pour finalement ne trouver de place nulle part sauf dans cette misérable étable (drôle d’endroit pour la naissance du Fils de Dieu, du Prince de la Paix).
Et tout en revoyant ces évènements, tout en y repensant dans son cœur, elle glisse doucement dans le sommeil.

Mais un bruit la réveille d’un seul coup. La porte de l’étable vient de s’ouvrir, laissant entrer un vent glacé. Marie essaie de se lever pour aller refermer la porte, mais elle n’y parvient pas. Son corps pèse autant que la pierre, elle est livrée au courant d’air… mais pourtant, elle se sent infiniment paisible. Elle n’a ni froid ni peur.
Le vent se charge de refermer la porte. La poussière soulevée par le vent se dépose.
Et Marie distingue une silhouette. Quelqu’un est entré dans l’étable. Une silhouette toute voutée. C’est une femme. Une très très vieille femme. Plus vieille que la cousine Elizabeth, plus vieille que le plus vieux des bergers, plus vieille que tous les vieux que Marie a rencontré jusqu’ici. Cette vieille femme, semble vieille comme l’humanité.
Péniblement, courbée comme si elle ployait sous un poids trop lourd pour elle, la vieille femme s’approche de l’enfant. Marie a un moment d’effroi. Et si c’était quelque méchant esprit venue jeter un sort à l’enfant ?
Marie aimerait l’empêcher d’approcher, mais une voix en elle lui dit de laisser faire la vieille femme. Et puis, Jésus dort, il ne sera pas effrayé par cette étrange apparition…
Jésus bébé, très reconnaissable déjà à la position des bras

Mais Jésus ne dort plus du tout, il a les yeux grands ouverts. Il regarde la vieille femme et la vieille femme le regarde. Et Marie est alors frappée par la ressemblance de ces yeux et de ces regards.
Ils ont tous deux les yeux bleus-pâle, et dans leurs regards, brille comme une flamme. Dans les yeux du nouveau né, dans les yeux de cette femme, vieille comme le monde, brille la même espérance.
Jésus tend les mains et la vieille femme y dépose quelque chose. Marie ne parvient pas à voir ce que c’est.
La vieille femme reste là, prosternée devant l’enfant et cela dure longtemps.
Puis la vieille femme se relève, elle se relève, elle se redresse vraiment, comme si l’on venait d’ôter de ses épaules le fardeau qui la pliait en deux et elle quitte l’étable, redressée, rajeunie…

Marie se penche sur l’enfant qui rit maintenant aux éclats. Dans les petites mains potelées, il y a un fruit.
Et Marie comprend. Elle se souvient de sa mère, et de la mère de sa mère, et plus loin encore, de toutes ces femmes qui ont donné la vie à d’autres femmes. Et jusqu’à la première femme, la mère de toutes les femmes.
Marie comprend qui est cette silhouette qu’elle a entraperçue.

Ève, car c’était elle, venait de remettre à Jésus ce fruit par lequel l’humanité s’était séparée de Dieu. Et en prenant le fruit, l’enfant Jésus avait libéré Ève, non pas Ève seulement, mais aussi toute l’humanité du plus lourd des fardeaux.

Un monde nouveau pouvait naître.
Un monde nouveau venait de naître.

Marie se réveille tout à fait.
Elle regarde l’enfant : il dort à poings fermés.
Elle écoute Joseph. Son sommeil n’est plus agité. Il ronfle.
Marie sourit… tout est bien.

Elle veille sur eux jusqu’au matin.

Le conte qui est à la base de celui que vous veniez de lire a été écrit par Jérôme et Jean Tharaud ; Les contes de la vierge est le titre du recueil  duquel il est extrait.

dimanche 22 décembre 2019

Noël et la Trinité (Matthieu 1,18-25 et Matthieu 28,19-20)

Matthieu 1

18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient habité ensemble, fut trouvée enceinte du Saint Esprit.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la jeune femme concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.


Matthieu 28

19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»

Et vous pourrez aussi lire les 17 premiers versets de Matthieu 1. Alors vous aurez lu deux récits de l'origine de Jésus Christ, la généalogie paternelle, et la généalogie maternelle.

Prédication
            Et voilà, nous avons encadré l’évangile de Matthieu : le premier chapitre, tout entier, et les deux derniers versets. Pourquoi ces deux derniers versets ? A cause du Saint Esprit. Parce que c’est l’avant-dernier verset de l’évangile de Matthieu et que qu’une certaine formule apparaît là sans que rien ne semble l’avoir annoncée. Parce que nous répétons « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » chaque fois que nous baptisons, en étant plus ou moins conscient que c’est une citation de l’évangile de Matthieu, en étant plus ou moins au courant de ce que cela peut signifier. Parce que d’autres plus encore que nous utilisent cette formule plusieurs fois dans chacun de leur office. Parce que c’est pour certains l’inévitable point de départ de toute théologie possible, et que c’en est aussi le point de vérification.

            Nous avons choisi ces textes parce que, pour ce 4ème dimanche de l’Avent, il nous est proposé de lire ce fragment du 1er chapitre de l’évangile de Matthieu où le Saint Esprit occupe une place pour le moins importante : Marie fut trouvée enceinte du Saint Esprit.

            Que signifie être enceinte du Saint Esprit ? Nous pensons d’abord à un autre récit, celui de l’évangile de Luc, qui fait se rencontrer Marie et l’ange Gabriel lequel est chargé de lui annoncer une prochaine grossesse. L’ange, devant la déclaration étonnée de Marie – je n’ai couché avec aucun homme – lui annonce « la puissance du Très-Haut te couvrira d’ombre… ». C’est un peu poétique, peu explicite, et ça n’est pas une explication. C’est en fait une sorte de superlatif de la conception aussi inattendue qu’impossible ; plus impossible encore que les grossesses de femmes trop âgées ou réputées stériles, comme Sarah, ou comme Élisabeth. Car rien n’est impossible à Dieu. Mais, sur le fond, citer Luc pour expliquer Matthieu, cela revient à remplacer une formule théologique par une autre formule théologique, ce qui n’est pas du tout satisfaisant.
            Voici donc une autre piste. En ce temps-là, il arrivait certainement que des femmes soient trouvées enceintes et refusent de répondre à la question : « De qui est cet enfant ? » Ces enfants venaient donc au monde ; comment désignait-on ces enfants ? Est-ce que, parmi les quolibets, ou autres insultes, on les affublait de noms fantastiques (enfants d’Hermès, auraient dit les Grecs) ? J’entends bien que cette piste est un rien scandaleuse : la grossesse de Marie ne devrait rien à priori au surnaturel, mais serait le résultat d’un événement qu’on pourrait éventuellement imaginer violent. Et ainsi Jésus serait l’enfant d’un homme et d’une femme, mais de cette sorte d’enfants qu’à l’époque on qualifiait d’enfant du Saint Esprit, par dérision, ou par mépris. Cet enfant aurait été un pas grand-chose, un moins que rien. Il serait l’un de ces petits dont il plaît à Dieu de se servir pour accomplir ses plus hauts desseins, comme Gédéon le Juge qui ne voulut pas être roi, comme David, le petit berger qui devint roi, comme Amos, comme Elisée, etc. Quant à Joseph, il serait l’homme sage, pieux, un homme prévenant qui sait à quel sort funeste est exposée la jeune fille s’il la diffame publiquement. Et il serait aussi l’homme hésitant auquel l’ange du Seigneur – c'est-à-dire Dieu lui-même – viendrait dire « Ne crains point… car ce qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit. » Alors Joseph, fils d’Abraham et fils de David, obéirait. Et ce qui était quolibet ou insulte deviendrait, Dieu voulant, Dieu prenant les humains au mot, salut pour tout un peuple. 

            Est-ce que tout cela tient ? Oui, si nous considérons que les premiers destinataires de l’évangile de Matthieu sont des gens pétris de culture hébraïque, connaisseurs de l’Ancien Testament. Tout ce récit est composé dans un style et avec des éléments qui leur sont familiers. Ils peuvent entrer dans ce récit, ils peuvent le comprendre. Et comme nous avons, nous aussi, lu l’Ancien Testament, nous poursuivons notre lecture.
            Dans l’Ancien Testament, il y a des textes qui racontent une petite aventure d’un personnage important – par exemple l’un des patriarches – petite aventure qui se finit par l’invention d’un nom, nom d’un lieu, ou nom d’une personne, ou par l’invention d’un rite particulier. Un lieu ainsi s’appellera BethEL (maison de Dieu), un autre lieu s’appellera PenouEL (face de Dieu).
            En pensant à ce genre de récit, et en pensant en même temps à l’évangile de Matthieu dans son ensemble, nous pouvons nous dire que tout cet évangile, toute cette histoire de 28 chapitres, est composée dans le but d’introduire et d’expliquer le commandement de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.

            De cette formule, nous avons déjà une explication, dans le rituel de baptême que notre Église a approuvé en 1997 : « Votre enfant va être baptisé au nom du Père, qui lui a donné le souffle de la vie ; au nom du Fils, Jésus Christ, mort et ressuscité pour lui, (qui) l’appelle à son service ; au nom du Saint Esprit, qui fera naître en lui la foi, l’espérance et l’amour. » C’est beau, c’est concis, et facile à mémoriser. C’est aussi un résumé consistant de ce que nos traditions portent de meilleur (Genèse, évangiles, Paul…) ; cela peut aussi donner lieu à quantité de redéploiements. Mais dans cette explication de la formule, nous ne retrouvons pas Matthieu.
Voici donc une autre interprétation de la formule – une esquisse – qui parle de l’être humain, en tâchant d’être fidèle à Matthieu. Baptiser un enfant au nom du Père, c’est signifier qu’il est – provisoirement – le dernier maillon d’une généalogie ; il est fils de… et cela le détermine de bien des manières, et bien au-delà des deux ou trois générations ordinairement connues. Baptiser un enfant au nom du Fils, c’est signifier qu’il est situé, avec ses contemporains, sœurs et frères humains, à l’intersection singulière de toutes sortes d’éléments culturels, qu’il respire avec eux un air du temps qui le détermine aussi en bien des manières. Baptiser un enfant au nom du Saint Esprit, c’est affirmer qu’en plus de ces déterminations, l’être humain reçoit dès sa naissance et jusqu’à sa mort des capacités d’invention qui font qu’en dépit de tout il peut renouveler ce qui lui est donné comme acquis, et qu’il peut aussi inventer, découvrir, créer. Lignée, fratrie, liberté, ce serait une première interprétation de Père, Fils et Saint Esprit.
            Et voici une seconde esquisse, qui parle plutôt de Dieu. Baptiser au nom du Père, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle dans les traditions que nos anciens ont recueillies et construites. Au nom du Fils, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle dans les usages qui ont cours au sein d’une même génération. Au nom du Saint Esprit, qu’en dépit de toutes les traditions qui se perdent et des usages qui se figent, Dieu est absolument libre, à n’importe quel instant, de se laisser chercher, trouver, et réinventer. 

            Il nous reste encore un peu à penser, deux choses. D’abord, c’est que chaque fois qu’une nouvelle interprétation sérieuse de cette formule trinitaire va apparaître, il n’est pas loisible à celui qui s’en empare de ne s’emparer que d’un point qui l’arrangerait plus particulièrement, sauf si c’est après avoir bien réfléchi et dans des circonstances bien particulières. Ensuite, notre réflexion et nos esquisses ne portent que sur quelques versets de Matthieu. Il nous reste tout l’évangile de Matthieu, moins le premier chapitre – soit 27 chapitre moins deux versets – pour mettre à l’épreuve nos intuitions de ce matin.
Est-ce que l’année 2020 est une année où nous lisons Matthieu ? Si oui, nous en reparlerons le dimanche. Si non, nous en reparlerons en d’autres occasions.
           
            Sœurs et frères, en ce 4ème dimanche de l’Avent 2019 – et je vais joindre le geste à la parole – que le Dieu Tout Puissant vous bénisse, (+) au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit. Amen


dimanche 15 décembre 2019

Le Royaume qui vient (Matthieu 11,2-11)

Jean le baptiste en prison. Mais est-ce en prison seulement qu'il est enfermé ?
Matthieu 11

2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:
3 «Es-tu ‹Celui qui vient ?› ou attendons-nous quelqu’un d’autre?»
4 Jésus leur répondit: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:
5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;
6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi!»

7 Comme ils s'en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules: «Qu'êtes-vous allés regarder au désert? Un roseau secoué par le vent?
8 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d'habits élégants? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois.
9 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui, je vous le déclare, et plus qu'un prophète.
10 C'est celui dont il est écrit: Voici, j'envoie mon messager en avant de toi; il préparera ton chemin devant toi.
11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste; mais cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.

Prédication :

            Nous ferons ce matin trois remarques sur ces quelques versets dont le message central s’exprime ainsi par la bouche de Jésus Christ : « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! » 

            (1) Il y a, dans nos liturgies, des moments où nous déclarons, au sujet de notre Seigneur, que nous attendons sa venue, ou son retour, dans la gloire. Et bien, supposons que cela arrive et demandons-nous sincèrement à quoi, à quels signes, nous reconnaîtrions que le moment de son retour est arrivé et que c’est bien Lui qui vient. Reviendrait-il précédé de toutes ces sortes de signes que les auteurs bibliques ont prédis ? Ou prendrait-il – car il est libre – la liberté de revenir tout autrement ? Le reconnaîtrions-nous ? Aurions-nous alors des doutes ? Le discernement de chacun d’entre nous suffirait-il ? Ou convoquerions-nous un synode national extraordinaire pour nous prononcer collectivement ?
            C’est une question assez sérieuse, et certains ont eu à se prononcer – ils ont risqué leur vie en se prononçant… Un esprit de l’envergure de Rabbi Akiva Ben Yossef a, en son temps, reconnu Simon Bar Korba comme le Messie. Après une guerre de trois années contre Rome, la Judée a été totalement ravagée, et les chefs des révoltés mis à mort, dont Rabbi Akiva.
            Et Jean le baptiste, emprisonné, informé seulement par ses disciples ou par ses geôliers, sur quelles bases pouvait-il se prononcer ? Ne pensons pas trop rapidement que la question est sans enjeu. Au temps de Jésus, les groupes baptistes avaient une certaine importance, et ils ont certainement coexisté avec les premiers groupes chrétiens. Il s’est forcément posé entre ces groupes, entre ces deux mouvements, des questions de reconnaissance mutuelle, de précédence, de préséance. AU fond, l’espérance proclamée par Jean le baptiste s’est-elle accomplie en cet homme que certains ont tôt appelé Christ – c'est-à-dire Messie ? Les membres des groupes baptistes pouvaient-ils, devaient-ils tout simplement s’agréger aux groupes chrétiens ?
            Nous ne sommes personne pour nous prononcer doctement après 20 siècles d’histoire. Et nous ne sommes personne aussi pour nous prononcer au sujet de certains groupes Juifs qui, au XVIè siècle, ont reconnu leur messie en un certain Martin Luther. 
            Chacun ne peut se prononcer que dans sa propre époque. La nôtre, celle de chrétiens protestants en France, est particulièrement clémente. Elle n’exige pas de nous une prise de position aussi urgente que risquée. Grâces en soient rendues à Dieu. 

            (2) Tout ce que nous venons de dire ne nous dispense pas de méditer un moment sur la réponse que Jésus propose aux envoyés de Jean le baptiste. Il y a des guérisons, le Christ agit avec puissance, il y a aussi de l’espérance pour les braves gens, le Christ parle avec puissance, et nous ajoutons sans commentaire « heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi » (Matthieu 11,6). Qu’est-ce que cela signifie ?
            Ce dernier verset est, à lui tout seul, presque un condensé du 5ème chapitre de Matthieu. Dans ce 5ème chapitre il y a d’abord les Béatitudes (Heureux…, ou Bienheureux…) et il y a ensuite les amputations (Si ta main est pour toi occasion de chute, coupe-la, etc.).
Heureux celui qui ne chutera pas à cause de moi, dit maintenant Jésus. Que signifie Heureux ? Et que signifie chuter ? Chuter est difficile à traduire, mais renvoie à ces dispositifs que les humains ont tôt inventés, comme le filet, comme le collet, avec ou sans appât, dispositifs qui servent à capturer des animaux sauvages. Chuter renvoie aussi à l’idée d’entraver quelqu’un, à réduire, voire supprimer totalement sa capacité à aller et venir. Heureux, dit Jésus, celui pour qui je ne serai un piège, une entrave. Et ce la nous permet d’envisager que heureux, ou bienheureux n’est pas un état de béatitude, mais bien plutôt un en-avant, un chemin que l’on choisit et qu’on parcourt libre de toutes sorte de liens.
Libres donc, émerveillés de l’être et désireux d’en répondre, celles et ceux pour qui, loin d’être une entrave, les paroles et les actes du Christ seront et demeureront libérateurs ! 

(3)  Est-ce que les disciples de Jean le baptiste ont rapporté tout cela à leur maître emprisonné ? Nous ne le savons pas. Comment aura-t-il réagi ? Nous ne le savons pas.
Mais ce que nous apprenons, c’est que reconnaître en Jésus celui qui vient n’est pas une question qui porte sur une généalogie, ni sur l’appartenance à une école ou à une groupe religieux constitué. Elle porte sur le fruit, uniquement sur le fruit que produit le Christ.

Dans cette perspective, et Jean le baptiste arrivant le premier, sa venue avait une fonction préparatoire. Il s’agissait d’apprendre à regarder aux fruits plutôt qu’à l’arbre. Qui donc voudrait devenir un ascète au désert comme Jean le fut ? Les foules l’ont-elles adulé comme on adule un champion ? Et se seraient-elles trouvé en Jésus un nouveau champion à aduler ?
A tous ces gens, Jésus demande en substance : Qu’espériez-vous voir ? Et qu’avez-vous vu ? Et qu’avez-vous reconnu ? L’avez-vous reconnu, ce Jean le baptiste qui disait « ça n’est pas moi » ? Et si vous n’avez pas reconnu pour ce qu’il est celui qui disait « ça n’est pas moi ; un autre va venir ! », comment reconnaîtrez-vous celui qui vient ?
Et nous revenons avec cela au commencement du texte : même Jean le baptiste a hésité. Jean le baptiste lui-même n’a pas pris la véritable mesure de cette foi qu’il proclamait pourtant – le règne des cieux est vraiment tout à fait proche, si proche qu’il est déjà là. Et Jean le baptiste n’a pas non plus pris, pour lui-même, la mesure de la conversion que cela appelait. Jean le baptiste, le plus grand de ceux qui sont nés d’une femme, s’est arrêté – entravé comme nous l’avons dit – sur le chemin du Royaume des cieux. Il n’a pas pu croire entièrement à la foi que, pourtant, il proclamait à tous.
Faiblesse humaine ? Sommes-nous, au fond, tous, d’incurables mécréants ? Faut-il aux croyants plus encore d’instruction et plus encore d’inspiration pour qu’ils reconnaissent enfin et une bonne fois, en Jésus, celui qui est venu, qui aussi est là et qui aussi va venir ? Comment cette reconnaissance peut-elle venir ? A cet instant, je pense à Fernandel dans le rôle de don Camillo et à son inimitable manière de bafouiller un peu et de dire « Oui, Seigneur ! » lorsqu’il entend la voix de son crucifix. Comment ce oui, Seigneur, pourra-t-il nous advenir ?
Dangereuse liberté
Et bien, là où nous en sommes, tout à la fois dans nos liens mais aussi déjà libérés, ouvrons les yeux, et regardons à ce que les humains sont capables de faire de bon, regardons aux fruits. Regardons aussi, simplement, à ce que nous avons pu faire de bon, gratuitement, pour rien, œuvre humaine accomplie gratuitement dans la foi. Là est l’espérance, là est le Royaume des cieux. Et disons, du fond de notre cœur : « Oui, Seigneur. »
Amen

dimanche 8 décembre 2019

Du fruit en relation avec la conversion (Matthieu 3,1-12)


Matthieu 3
1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée : 2 «Convertissez-vous: le Règne des cieux s'est approché!»
3 C'est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait: «Une voix crie dans le désert: ‹Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.› »
4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.

5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ; 6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.

7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc du fruit qui témoigne de la conversion;
9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11 «Moi, je vous baptise dans l'eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.
12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»
Prédication :
            S’il est une erreur qu’il ne faut pas commettre lorsqu’on évoque le monde où vivait Jésus, c’est de considérer que la foi en Dieu n’y était portée que par une seule religion instituée, qui aurait été celle des enfants d’Israël depuis la nuit des temps et dont le seul lieu de culte aurait été le temple de Jérusalem.
Un examen même sommaire des évangiles nous permet de repérer au moins quatre manières d’honorer la foi en Dieu en lui rendant un culte (baptistes, sadducéens, pharisiens, samaritains), ces manières correspondant chacune à une quête particulière d’un unique salut. Mais le même examen des évangiles nous permet de comprendre que ceux qui se réclamaient de tel culte ou de tel autre n’entretenaient pas forcément entre eux des relations fraternelles. Il est même des épisodes où ils s’entretueraient si Jésus ne les appelait à la retenue (Luc 9).
C’est ainsi, et c’est ainsi depuis toujours. En observant le paysage des religions de cette fin d’année 2019, il apparaît qu’aucun des trois monothéismes ne s’est encore suffisamment amendé, émondé, réformé et unifié pour pouvoir honorer de juste manière le dieu unique dont il se réclame.
Mais n’est-ce pas aussi sur un fond de divergences religieuses que la première fratrie de l’humanité a inventé le fratricide, Dieu lui-même n’ayant pas pu endiguer la haine de Caïn, ni retenir le bras de Caïn ?

En ce deuxième dimanche de l’Avent 2019, trois textes nous sont offerts, qui proposent trois visions d’un monde enfin apaisé, trois espérances : Esaïe, Jean le baptiste, Paul. Nous pourrions – nous devrions – sujet possible d’une année entière d’études bibliques – nous intéresser à chacune de ces trois espérances, l’étudier dans son propre temps et méditer sur son actualité. Pour notre prédication de ce dimanche, nous nous concentrons sur Jean le baptiste : « Produisez donc du fruit qui témoigne de la conversion », dit-il, un fruit qui atteste de la conversion, qui a une valeur correspondant à celle de la conversion. C’est ce verset (Matthieu 3,8) que nous allons tâcher d’élucider. 

L’époque est brutale, l’occupant romain est féroce, la résistance armée juive d’autant plus violente qu’elle est désespérée. Le paysage religieux est morcelé à l’extrême : de nombreuses dénominations rien que pour le judaïsme, et c’est alors que paraît Jean le baptiste, prophète des derniers temps.
Il porte jusque dans sa chair la conviction que Dieu s’apprête à rendre à chacun selon ses œuvres : le royaume des cieux est proche, annonce-t-il, infiniment proche, jamais aussi proche… et conséquemment une conversion pour le pardon des péchés est nécessaire, non pas de ces ablutions toujours répétées, mais un engagement ferme, intégral, et définitif.
Jean le baptiste propose alors un cheminement en vue de ce pardon. Sortir de son lieu de vie personnel, traverser un désert, atteindre un point de rencontre, confesser à haute voix ce qu’on est, passer par une immersion ou une aspersion d’eau, et, ensuite, vivre le reste de sa vie en portant un certain fruit. Sur ce chemin de vie, le rituel baptismal est un point de passage… Le point de départ est quelque part dans le secret de l’âme humaine. Le point d’arrivée est le jour du jugement. Et nous en demeurons là, provisoirement.

C’est que, pendant que Jean le baptiste baptise, nous avons rendez-vous à Jérusalem. A Jérusalem, et s’agissant du pardon des péchés, il y a une institution importante qui existe déjà depuis longtemps. Cette institution, c’est le Temple. Le Temple est le lieu où il est possible de se rendre pour accomplir un rituel de pardon des péchés. Mais qui peut y aller ? Le Temple, qui ne concernait initialement que les Fils d’Israël, était vu par certains (Esaïe 56,7) comme « maison de prière pour toutes les nations » ? Telle fut l’espérance d’Esaïe. Mais même si, au temps de Jean le baptiste, le Temple avait son parvis des gentils, un lieu où pouvaient se tenir et se recueillir ceux qui n’étaient pas juifs, cela ne signifie pas que ces gentils aient eu accès à l’entièreté du rituel de pardon. Et puis, il n’est pas certain que les petites gens d’Israël aient eu les moyens d’assumer le coût des trois pèlerinages annuels obligatoires,  et de payer au prix fort les victimes du sacrifice. Il n’est pas non plus certain que les prêtres y furent irréprochables. Bref, cette institution séculaire qu’était le Temple était contestée par beaucoup.
Et notamment par Jean le baptiste. Détaillons encore la proposition de Jean le baptiste : pas de bâtiment à entretenir, pas de clergé à rétribuer, ni à nourrir, pas d’objets et de vêtements rituels précieux, pas de purification préalable, pas de clause d’origine ethnique, pas de soulte à payer, et surtout, surtout, un rituel très simple et dans lequel le fidèle et sa parole trouvent place : confession, baptême.
Les différences sont considérables entre le Temple et Jean le baptiste. Apprécions-les pour ce qu’elles sont, deux extrêmes, et ne pensons surtout pas que tous les hypocrites allaient au Temple et que tous les sincères allaient au Jourdain. Pensons plutôt que si le cœur du fidèle n’y est pas, si le fidèle est insincère, ni le rituel du Temple ni le baptême de Jean le baptiste n’y changeront rien. Et de cela, Jean le baptiste était très certainement informé.

C’est pourquoi, lorsque Jean le baptiste se met à vitupérer contre Pharisiens et Sadducéens, ça n’est pas une question de sincérité qu’il pose, mais une question de foi, la question de la foi des Pharisiens et des Sadducéens. Si ces gens ont recours au ministère de Jean le baptiste et à son baptême, que vaut alors leur propre ministère ? Est-il insuffisant, voire inefficace ? Et si ces gens ne croient pas en leur propre ministère, et s’ils le proposent néanmoins – à prix d’argent – à leurs semblables, ne sont-ils pas pervers, ne mettent-ils pas Dieu lui-même à l’épreuve ? Leur comportement est tout bonnement inacceptable, d’où les vitupérations de Jean le baptiste.
Mais Jean le baptiste ne se contente pas de vitupérer, il donne un ordre, et cet ordre vaut pour tous ! « Faites-donc du fruit qui corresponde à la conversion ! » Pour Jean le baptiste, même si les rituels sont multiples, la conversion est une, et elle est conversion à Dieu. Le fruit qui corresponde à cette conversion peut évidemment être multiple mais, sur le fond, ce fruit est un. Quel est-il donc ?
L’obéissance à Dieu a deux dimensions, toujours, tout comme les Dix Commandements s’écrivent sur deux tables, la première table est cultuelle, la deuxième est éthique. La première table résume toutes les formes possibles du culte, sans en exclure aucune ; la deuxième table résume tout ce qu’on peut faire de mal, et donc aussi de bien, à ses semblables. La première table répond aux questions : « Qui est ton Dieu et comment le sers-tu ? », la deuxième table répond aux questions : « Qui est ton prochain, et comment le sers-tu ? ». Ainsi, vu que Jean le baptiste n’a disqualifié aucune manière de servir Dieu, aucune forme du culte, il ne reste, en tant que fruit de la conversion à Dieu que cette seconde table. En ce sens, la conversion à Dieu est aussi une conversion au prochain, une conversion diaconale, et la diaconie, l’attention au prochain, le soin du prochain, prend de multiples formes. Toutes ces formes sont constitutives du même fruit. 

Et nous voici revenus à ce verset par lequel nous avons commencé (Matthieu 3,8) « Produisez donc du fruit qui témoigne de la conversion ». Nous avons suffisamment élucidé ce verset ; nous savons ce qu’il nous reste à faire, nous savons quel est le bon fruit que nous pouvons porter. Mais, se demandent nos âmes tourmentées, cela sera-t-il suffisant pour échapper à la colère qui vient ?
Voici une réponse qui devrait vous rassurer : lorsque Jean le baptiste annonce la proximité du règne de Dieu, la manière dont il l’annonce peut signifier que le règne de Dieu est déjà là. Autrement dit, la colère qui vient est en fait déjà venue… et elle vous a épargnés. D’où cette exhortation : « Retournez chacun à sa tâche et continuez de porter ce bon fruit que vous portez déjà. » Dieu sait qui sont les siens. Et pour les siens comme pour les autres, le Seigneur est patient, il est fidèle. Amen  

dimanche 1 décembre 2019

Soyez prêts (Matthieu 24,37-44)... Prêts à quoi ?


Matthieu 24
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne savait rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;
41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison savait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.

44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.
Prédication :

J’ai en moi quelques souvenirs d’un conférencier chrétien que j’ai pu entendre vers l’été 1975, ou 1976, qui nous avait prédit pour très bientôt une apocalypse nucléaire qui aurait été le prélude au retour de Jésus. C’était assurément pour très bientôt. Cette prédiction n’avait guère effarouché le petit groupe auquel j’appartenais alors. Lorsque nous chantions Jésus revient, Alleluia… Seras-tu prêt quand il viendra, Alleluia… nous étions certains que oui, nous serions prêts, en fait, nous étions certains que nous étions prêts… Et dans le ciel, il te prendra, Et avec lui, tu règneras, Et à ses pieds tu te tiendras… J’ai un peu oublié qui était ce conférencier – j’ai un doute entre deux noms – mais je me souviens d’une extraordinaire accumulation de savoir et de certitudes. Je ne me souviens pas qu’il soit attardé sur le fait que de deux hommes travaillant aux champs, l’un serait pris et l’autre laissé. Ça nous aurait peut-être aidés à réfléchir…
S’agissant de textes de la fin des temps, nous sommes gâtés. La Bible n’est pas pauvre, ancien testament et nouveau testament. Hors la Bible, des dizaines de textes apocalyptiques ont été conservés, qui sont plus riches encore de soi-disant mystères révélés, et d’horreurs bien détaillées. L’imagination des êtres humains est absolument sans limites, autant pour dire que pour faire.
Et voici que nous trouvons ce style de discours dans la bouche même de Jésus. Jésus lui-même, et les auteurs des évangiles, auraient-ils cherché à étaler leur savoir, à impressionner leurs auditeurs, leurs lecteurs… Tâchons de voir ça de plus près. Des huit versets de Matthieu qui nous sont proposés ce matin, faisons trois parties. 
Un certain prédicateur...
Première partie : « tels furent les jours de Noé… ». Nous avons tous des souvenirs précis du récit du Déluge. Nos monitrices d’école biblique ont aimé nous conter, nous faire illustrer… ce récit. C’est un récit à l’arithmétique cruelle : tous périrent sauf un. Nous lisons : « Tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme ». A l’avènement du Fils de l’homme, tous vont-ils périr, sauf un ? Et non, un homme sur deux sera pris, mais on ne sait pas lequel, une femme sur deux sera prise, mais on ne sait pas laquelle. Le Fils de l’homme adviendra-t-il comme vint le déluge ? Le mot avènement pourrait être remplacé par le mot de parousie – un mot qui ne traduit rien du tout, puisqu’il recopie le grec parousia ; mais ce mot grec signifie parfaite présence. La parfaite présence du Fils de l’homme ne vient pas comme vient le Déluge, comme les eaux montent pendant quarante jour et quarante nuits, puis descendent pendant quarante jours et quarante nuits. La parfaite présence est là, dans l’instant, inentamée, pleine, entière, et ne cesse plus. Ainsi, les différences entre les jours de Noé et l’avènement du Fils de l’homme s’avèrent massives. Ajoutons qu’il n’est pas écrit qu’aux jours de Noé, « on ne se doutait de rien », nous devons lire qu’aux jours de Noé, on ne savait rien. Et c’est bien là qu’il faut comprendre que « tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme » : on ne sait rien, absolument rien ! Le savoir du Déluge ne sait rien, absolument rien, de l’avènement du Fils de l’homme.
Portrait d'un innocent ignorant...
Deuxième partie : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir. Vous le savez, si le maître de maison savait l’heure de la nuit où le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison. » Trois fois le verbe savoir, deux fois le verbe venir… Bien sûr, il faut veiller, car nous ne savons pas quel jour notre Seigneur va venir. Mais peut-on veiller ainsi, jour et nuit ? Il est extrêmement dangereux de se priver de sommeil. Notre Seigneur, qui a eu tant soin de ses semblables, peut-il leur donner un tel commandement ? S’il donne ce commandement, pourquoi rajoute-t-il, en redoublant le verbe savoir, que « vous savez bien que si le maître de maison savait à quelle heure de la nuit le voleur va venir, il veillerait » ; or le maître de maison ne le sait pas et, conséquemment, il ne veille pas. Alors, dans l’attente de la venue du Fils de l’homme, faut-il veiller, ou ne pas veiller ? La réponse serait plutôt négative, surtout s’agissant de la nuit. Précisons encore que le mot jour ne signifie pas nécessairement la journée calendaire à laquelle nous pensons spontanément, mais bien plutôt la journée, c'est-à-dire le temps pendant lequel il fait jour. Vous pouvez donc vous endormir tranquilles ! Il viendra pendant la journée, pendant qu’il fait clair, pendant que les humains sont à leurs activités. C’est un petit savoir, mais reste à savoir dans quelles dispositions d’esprit ceux qui attendent doivent se trouver.
Troisième partie : « C’est pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir. » Dans cette troisième partie, nous nous intéressons d’abord à l’adjectif prêts. Tenez-vous prêts, ou, mieux, soyez prêts. Apparemment simple, l’adjectif prêt utilisé par l’évangile de Matthieu est en réalité très riche de significations. Il désigne à la fois l’état de préparation dans lequel on est, mais aussi l’état d’avancement de ce à quoi l’on est prêt ; ce à quoi l’on est prêt peut être réalisé déjà, ou être sur le point d’être réalisé, ou doit être réalisé un jour lointain. Autrement dit, la venue du Fils de l’homme, que nous attendons sans en avoir aucun savoir, peut être un jour lointain, ou peut être imminente, ou peut être déjà accomplie. Resterait encore à se demander sous quelle forme. Et bien, ce que nous pouvons comprendre, c’est que tout ce que l’imagination individuelle peut produire et tout ce que la pensée commune peut véhiculer est sans correspondance aucune avec la venue du Fils de l’homme. 
En attendant l'advenue du Fils de l'homme
Voici donc qu’en huit versets, tout ce que nous savions de la venue du Fils de l’homme, de la fin des temps, tout ce qu’ont pu nous en dire des prédicateurs spécialisés, s’effiloche, s’évanouit.
Et pourtant, cette venue, nous l’attendons, sans aucun savoir, nous l’attendons. Notre lecture, notre compréhension de la parole de Jésus, vient contester tous les prétendus savoirs de la fin des temps, de la venue du Fils de l’homme. Mais en même temps, elle ouvre tout en grand une espérance pour chacune et chacun. L’espérance est ce qui se déploie au-delà des savoirs biffés et des illusions perdus.
Peut-être quelqu’un estimera que le Fils de l’homme est déjà advenu ; mais nous attendrons encore le Fils de l’homme. Si nous reconnaissons sa venue dans tel événement passé, nous l’attendrons encore. Car ce que nous avons compris c’est que le point culminant de l’ignorance est aussi le point culminant du concret de l’incarnation. Le point culminant de l’incarnation est aussi le point culminant de l’espérance.

Dans cette espérance, dans cette incarnation, s’agissant de la venue du Fils de l’homme et à la fin de notre méditation, nous n’avons qu’une seule perspective : tenir bon à notre tâche, avec les yeux grands ouverts sur ce monde. Contrairement à certaines apparences, contrairement à ce qu’assènent certains, Dieu ne l’a pas abandonné. Amen