dimanche 23 avril 2017

Pardonner les péchés (Jean 19,19-31)

Jean 19
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples se réjouirent.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie.»
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»

24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!» Mais il leur répondit: «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas!»

26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: «La paix soit avec vous.»
27 Ensuite il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être un-qui-ne-croit-pas et deviens un-qui-croit.»
28 Thomas lui répondit: «Mon Seigneur et mon Dieu.»
29 Jésus lui dit: «Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru.»
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.

31 Ceux-ci l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Prédication : 
« Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »

            Qu’entendons-nous assez spontanément dans les derniers mots de cette phrase ? Que ceux des disciples, et eux seuls, qui ont vu le Ressuscité ce soir-là, qui ont senti sur eux son souffle, et qui ont entendu sa promesse, ont reçu une délégation de pouvoir divin, concernant les péchés : s’ils venaient à pardonner, Dieu pardonnerait, et s’ils venaient à les retenir, Dieu les retiendrait.

Cette compréhension de la promesse du Ressuscité est fort intéressante, mais tout de même un peu problématique…
D’abord, elle ne dit absolument pas en quoi Dieu en voudrait aux humains de leurs péchés, ni ce que sont ou peuvent être leurs péchés, ni comment et pourquoi il les leur pardonnerait, ou les leur retiendrait. Ensuite, cette compréhension de la promesse laisse entendre que Dieu n’est pas en lui-même capable de choisir à qui il veut pardonner ou pas et qu’il fait donc délégation à quelques humains de le faire à sa place. Et enfin, elle ne précise absolument pas si, ni comment, après la disparition de ces premiers disciples, d’autres ont été investis du même pouvoir.
            S’agit-il du pouvoir de pardonner en lieu et place de Dieu ? Nulle part dans l’évangile de Jean on ne voit un Dieu tenir la comptabilité des péchés des humains aux fins de leur infliger une peine justement mesurée ; on voit plutôt dans l’évangile de Jean (notamment au chapitre 9) Jésus récuser qu’il y ait quelque lien entre le mal et un quelconque péché des humains ; on le voit plutôt entreprendre ce qui est en son pouvoir pour soulager ce qui peut l’être. On ne voit pas non plus Jésus spéculer sur un au-delà tarifé ; on le voit au contraire (chapitre 3) déclarer que Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle.
Mais tous ceux qui ont cru ayant aussi finalement péri, il nous faut nous résoudre à nous dire que la question de périr ou d’avoir la vie éternelle, dans la bouche de Jésus, et sous la plume de Jean, ne porte pas sur l’au-delà, mais sur l’ici-bas. Pour ces raisons, et s’agissant du pardon des péchés, nous allons regarder ici-bas, chercher d’abord dans le texte que nous méditons, et nous verrons ensuite ce que nous pourrons faire de ce que nous aurons trouvé. 

            Le premier jour de la semaine, donc le dimanche de la Résurrection, le Ressuscité apparaît aux disciples qui s’étaient enfermés, par crainte… crainte sans doute justifiée de devoir subir le même sort que Jésus leur maître. Or, Thomas n’est pas là ; alors Thomas ne voit pas Jésus, ne reçoit pas sur lui le souffle du Ressuscité, n’entend pas la promesse et la déclaration liée au pardon des péchés. Or, que vont dire les autres disciples à Thomas, lorsqu’il va les retrouver ? Vont-ils lui parler de l’envoi, du souffle et de la promesse ? Non… rien de tout cela. Ils vont lui dire seulement « Nous avons vu le Seigneur ! » Et rien d’autre. Pourtant, n’ont-ils pas reçu le Saint Esprit ? N’ont-ils pas compris à quelle fin ils l’ont reçu ? N’ont-ils pas saisi qu’ils sont envoyés vers tous ceux qui n’ont pas vu apparaître le Ressuscité, et donc premièrement vers Thomas, Thomas qui n’a rien vu ?
Il ne faut pas que nous soyons trop sévères avec ces premiers disciples mais, tout de même… En ne se réclamant que de ce qu’ils ont vu, n’ont-ils pas une part de responsabilité dans le fait Thomas se met à exiger de voir et de toucher pour croire ?

Lorsque le Ressuscité apparaît de nouveau, huit jours plus tard, et en la présence de Thomas, ce n’est certes pas pour répéter ce qu’il a déjà dit, ni juste pour se montrer encore, mais au contraire, pour dire, d’une manière définitive, que les apparitions sont infiniment moins importantes que la mission impartie aux disciples, que le disciple qui croit ne se réclame d’aucune apparition. Le disciple est envoyé avec ce qu’il croit, et rien d’autre.
« Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » C’est la dernière parole du Ressuscité, l’ultime message du Fils dans la rédaction la plus ancienne de l’évangile de Jean. Et il ne reste donc à ceux qui ont vu qu’à faire… comme s’ils n’avaient pas vu, et à obéir. Que leur reste-t-il donc à faire, dans cette obéissance ? A faire, à leur mesure, ce pour quoi ils sont envoyés, et qui est ce pour quoi le Fils fut envoyé par le Père, avec la même responsabilité : « …ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »           

Alors, qu’est-ce que remettre les péchés dans le sens très terre à terre qu’appelle l’évangile de Jean ? Pour le dire, il nous faut nous référer à la manière de vivre et d’agir de Jésus. Ainsi, pardonner les péchés, c’est, comme le dit très tôt Jean le Baptiste, les porter, jusqu’au point de les ôter (Jean 1,29). Ainsi, pardonner les péchés, c’est par exemple changer l’eau en vin, suppléer la déficience des organisateurs d’une fête (Jean 2). Pardonner les péchés, c’est prendre la défense d’une femme qu’on avait déjà condamnée à mort (Jean 8) : « Que celui qui est sans péché lui jette le premier la pierre ! » ; Jésus ne la condamnera pas, mais l’exhortera à une vie mieux réglée. Pardonner les péchés, c’est ce qu’il fera aussi en refusant de spéculer sur l’origine du mal qui frappait un aveugle de naissance, et en le guérissant (Jean 9). Il pardonnera les péchés en accueillant les exclus, en enseignant sans relâche, en se consacrant à ses semblables humains, amis ou ennemis, disciples ou détracteurs, en se laissant aimer, mais aussi haïr, en se laissant trahir et livrer, le tout – et c’est caractéristique de l’évangile de Jean – tout en demeurant toujours paisible et maître de soi, comme il le dira, Ressuscité, à ses disciples : « La paix soit avec vous ».

Qu’est-ce alors pour les disciples, que pardonner les péchés ? Dans ce sens très terre à terre, le seul qui soit accessible aux humains, pardonner les péchés, c’est accueillir à bras ouverts ceux que la vie donne de rencontrer, sans complaisance et sans condamnation, leur offrir la possibilité effective de vivre en vérité, la possibilité effective d’un questionnement radical, d’un soulagement, et d’une vie toujours renouvelée. Et les accueillir ainsi que ce soit une seule fois, pour ceux qu’on ne rencontre qu’une seule fois, ou chaque fois, pour ceux que l’on rencontre plus souvent ou avec qui l’on vit. Et lorsque cela advient, en rendre gloire avec eux, ou sans eux, au Père qui a envoyé le Fils, et au Fils, qui a donné l’Esprit et qui a envoyé les disciples.
Cette forme terre à terre du pardon n’est pas un « ou bien ou bien » magique, pardonner ou bien retenir selon l’appréciation qu’on se fera de la gravité des fautes d’autrui ; pardonner ainsi c’est la responsabilité permanente de ceux que le Ressuscité envoie… et s’ils ne sont pas à la hauteur de cette responsabilité, ou encore s’ils s’y dérobent, les péchés sont retenus, ils demeurent… 

Mais qui Jésus envoie-t-il ? Si nous nous contentons d’une simple lecture, il n’envoie que ceux qui ont assisté à sa première apparition. Et ça pourrait alors s’arrêter là. Sauf que le Père n’a pas envoyé le Fils pour que ça s’arrête là… Le Père envoie le Fils et le Fils envoie ses disciples comme le Père l’a envoyé, c'est-à-dire pour pardonner et envoyer à leur tour. En cela, le lecteur de l’évangile n’est pas moins envoyé que les premiers disciples. Et d’ailleurs, il est directement interpellé dans les derniers versets de l’évangile : ce qui a été rapporté l’a été « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom. »

Pouvons-nous croire sans avoir vu ? Et bien si quelqu’un un jour nous a pardonné dans le sens si terre à terre que nous avons expliqué, oui. Nous n’aurons pas vu le Ressuscité, mais nous pourrons croire.
Et nous pourrons aussi entendre en nous-mêmes, et pour nous-mêmes, ce que le Ressuscité a dit lors de sa première apparition : « Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie. Recevez l'Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » L’entendre, sans crainte et sans tourment, et le mettre en œuvre.

Que cet Esprit Saint de consolation, d’ouverture et de pardon demeure sur nous tous. Amen

dimanche 16 avril 2017

Rendez-vous en Galilée (Matthieu 28) Pâques ! Il est ressuscité !

Matthieu 28
1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre: l'ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s'assit dessus.
3 Il avait l'aspect de l'éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu'ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l'ange prit la parole et dit aux femmes: «Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6 Il n'est pas ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit; venez voir l'endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses disciples: ‹Il est ressuscité des morts, et voici qu'il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez.› Voilà, je vous l'ai dit.»
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit: «Je vous salue.» Elles s'approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit: «Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu'ils doivent se rendre en Galilée: c'est là qu'ils me verront.» 

11 Comme elles étaient en chemin, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville informer les grands prêtres de tout ce qui était arrivé.
12 Ceux-ci, après s'être assemblés avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une bonne somme d'argent,
13 avec cette consigne: «Vous direz ceci: ‹Ses disciples sont venus de nuit et l'ont dérobé pendant que nous dormions.›
14 Et si l'affaire vient aux oreilles du gouverneur, c'est nous qui l'apaiserons, et nous ferons en sorte que vous ne soyez pas inquiétés.»
15 Ils prirent l'argent et se conformèrent à la leçon qu'on leur avait apprise. Ce récit s'est propagé chez les Juifs jusqu'à ce jour.

16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»

Prédication : 
            Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps. Promesse du ressuscité à ses disciples, qui nous fait nous poser une question simple : passé le moment où s’achève l’évangile de Matthieu, et donc aujourd’hui, où le Ressuscité est-il, où faut-il aller pour le voir ?
            Tâchons de répondre en méditant le texte que nous venons de lire.

C’est justement pour voir – c'est-à-dire contempler le tombeau – que les femmes se déplacent juste après le sabbat, le premier jour de la semaine. Jésus doit être là, parce qu’il est mort, parce qu’il est enseveli, et parce qu’il est bien gardé. Le récit de la résurrection commence donc sur une certitude : c’est là qu’Il est. Or, et contrairement à toute certitude : il n’est pas là.
Donc, premier élément de réponse à notre question : si l’on souhaite aujourd’hui voir le Ressuscité, inutile d’aller au tombeau. A supposer même qu’on découvre l’emplacement du tombeau, ce n’est pas là qu’il est.
Comme on ne sait ni où est le tombeau, ni où les disciples se tenaient ce jour-là, il sera difficile de voir Jésus là où il apparut personnellement aux deux Marie. Inutile donc de chercher dans cette direction, il n’est pas là non plus.
Il reste donc la Galilée, puisque c’est là que le rendez-vous est donné par le Ressuscité à ses disciples mais, même si la Galilée n’est pas très grande, il y a trop de lieux élevés, trop de collines, et trop peu d’informations dans l’évangile, pour que nous puissions reconnaître l’endroit précis. Ainsi donc, pour la Galilée, c’est comme pour le tombeau et les environs de Jérusalem, il faut se résoudre à une cette réponse : oui, en Galilée, mais où précisément, mystère. 

Retournons au texte, avec notre question. La présence de Jésus, c’est bien ce qui a troublé les autorités de ce temps-là. Elles avaient justement mis tout en œuvre pour qu’à ce Jésus soit assignée une place, un lieu, où il serait, mort et enterré, et il serait alors là, bien là, et nulle part ailleurs : il y  avait un tombeau, et des gardes devant le tombeau. Or, ni le tombeau ni les gardes n’ont pu garder Jésus. Il ne reste donc aux autorités de ce temps-là, pour garder ce Jésus, qu’à inventer une fable : vous n’aurez qu’à dire, enseigne-t-on aux gardiens, que ses disciples ont pris le corps pendant que vous dormiez. Et les gardiens, pieusement, fidèlement, font tout comme il leur avait été enseigné.
Ceci serait totalement anecdotique si le mot gardien et le verbe garder n’étaient pas répétés dans le récit, et si le verbe enseigner n’y apparaissait pas lui aussi deux fois. Il y a des gardiens, et la mission des gardiens, qu’ils reçoivent et qu’ils acceptent, c’est que la version des faits soit exactement celle qui arrange leurs maîtres, et que leur maîtres leur ont enseignée. Qu’ils soient gardiens du tombeau ou gardiens d’une fable, c’est toujours sur l’immobile, le figé, le mort… qu’ils veillent. Et à eux aussi, les gardiens, et leurs maîtres, la déclaration de l’ange va toujours s’opposer : il n’est pas ici !
Qu’est-ce à dire, aujourd’hui ? Et bien, à ceux qui, même de bonne volonté,  gardent jalousement, fidèlement et pieusement les lieux saints, à ceux qui assènent les lieux communs des catéchismes que leurs maîtres leur ont enseignés, aux surveillants de la présence réelle, aux sentinelles de l’inspiration littérale des Saintes Ecritures, aux plantons de la grâce seule, à ces bons petits soldats, à nous tous, la déclaration de l’ange s’oppose et s’opposera toujours : il n’est pas ici. L’ange nous dit à tous : il n’est pas ici. Le Ressuscité ne se laisse ainsi enfermer dans aucune fable, aucun énoncé, aucune doctrine, ni aucune tradition, même les plus belles et les plus respectables… Il n’est pas ici !
Mais cela ne répond pas à la question que nous posons : où est-il, où faut-il aller pour le voir, pour le rencontrer ? Où nous donne-t-il rendez-vous ?

La réponse est dans le texte : il nous donne rendez-vous en Galilée. Et ne demandons pas maintenant pas “où est la Galilée ?” mais, “qu’est-ce que la Galilée ?”
Lisons et réfléchissons. La Galilée, ce n’est pas la Judée. Les Judéens du temps de Jésus avaient d’eux-mêmes une opinion très haute, opinion qu’ils étaient les purs, les vrais, les seuls croyants, qu’ils possédaient le seul lieu du seul vrai culte au seul Dieu. Et si le Ressuscité avait dû être quelque part, c’était donc forcément chez eux. La déclaration de l’ange est opposable aux Judéens aussi, aux Judéens surtout : il n’est pas ici !
La Galilée, c’est le nord de la Palestine, un territoire qui fut extrêmement prospère à une époque où Jérusalem n’était rien. La Galilée fut envahie plus tard, ravagée, presque vidée de ses populations tribales hébraïques anciennes, et repeuplée par on ne sait qui. La Galilée du temps de Jésus a une population pour le moins métissée, bâtarde disaient certains, mais une population pourtant attachée à servir Dieu et qui venait fidèlement prier à Jérusalem, en Judée.
La Galilée de l’évangile de Matthieu, c’est la Galilée des Nations dont parle déjà le prophète Esaïe. Et il y a là-bas, comme il y en a partout ailleurs, des gens qui se réclament de Dieu (le Père) par leur généalogie naturelle, il y a aussi des gens qui se réclament de Dieu (le Fils) de par une adoption filiale qu’ils ont endossée, et il y a enfin des gens qui peut-être ne se réclament pas de Dieu mais dont l’existence est teintée d’une telle Justice qu’on peut dire que le Saint Esprit les inspire.
La Galilée, où l’on peut voir le Ressuscité, c’est donc là où « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » prend tout son sens concret, celui d’une heureuse reconnaissance et paisible entente entre des humains d’ascendance et de traditions diverses, là où l’amour de Dieu et le service du prochain ne sont pas des vains mots. Et bien c’est là, où que ce soit sur cette terre, nous l’affirmons, que le Ressuscité donne rendez-vous, et qu’on peut Le voir.
Cette terre existe-t-elle ?
Il nous faut la bâtir. Lisons encore. Les disciples, s’étant rendu en Galilée, sur une montagne dont le nom est perdu – et tant mieux s’il est perdu. Ils y ont vu le Ressuscité, mais lui ne s’est pas contenté de se faire voir. Il leur a aussi commandé de Le rendre visible. En plus de l’avoir vu, les disciples ont reçu du Ressuscité, aux fins de le rendre visible, un triple commandement.
(1) Commandement d’aller vers toutes les nations ce qui ne signifie pas forcément d’aller au bout du monde, mais d’aller vers les humains, sans discrimination aucune ; non en plaquant des vérités toutes faites, mais en vivant devant eux et auprès d’eux tout comme Jésus a vécu ; car l’évangile, vérité incarnée  de Dieu, se transmet par ceux qui vivent justement cette vérité ;
(2) Commandement de baptiser, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, ce qui n’est pas une formule magique ni une breloque identitaire, mais l’affirmation que personne ne peut prétendre connaître l’étendue des manifestations et de l’action de Dieu ;
(3) Commandement  d’enseigner à garder tout ce que Jésus a commandé, à commencer, dans l’évangile de Matthieu, par ces incomparables Béatitudes ; mais comme il y a enseigner et enseigner, ce troisième commandement est précédé par les deux autres, afin qu’aucun de ceux qui le mettront en œuvre ne puisse se transformer derechef en gardien jaloux et mortifère d’on ne sait quel temple, d’on ne sait quelle doctrine, ou d’on ne sait quelle tradition.

Sœurs et frères, celui qui avait été crucifié et mis au tombeau, celui sur lequel on a empilé tant de saintes doctrines, tant de pieuses images et tant de lieux communs… n’est pas ici. Vous pouvez certes voir les endroits où il gisait, mais il ne gît plus, il ne gît nulle part.

Il est vivant pour les siècles des siècles. Amen

dimanche 9 avril 2017

Le roi messie du prophète Zacharie (Zacharie 9)


Matthieu 21
1 Lorsqu'ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples
2 en leur disant: «Allez au village qui est devant vous; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu'un vous dit quelque chose, vous répondrez: ‹Le Seigneur en a besoin›, et il les laissera aller tout de suite.»
4 Cela est arrivé pour que s'accomplisse ce qu'a dit le prophète:
5 Dites à la fille de Sion: Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d'une bête de somme.
6 Les disciples s'en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l'ânesse et l'ânon; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s'assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses vêtements sur la route; certains coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le suivaient, criaient: «Hosanna au Fils de David! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient! Hosanna au plus haut des cieux!»
10 Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi: «Qui est-ce?» disait-on;
11 et les foules répondaient: «C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée.»
12 Puis Jésus entra dans le temple et chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes.
13 Et il leur dit: «Il est écrit: Ma maison sera appelée maison de prière; mais vous, vous en faites une caverne de bandits!»

14 Des aveugles et des boiteux s'avancèrent vers lui dans le temple, et il les guérit.

Mais ça n'est pas tout. Matthieu fait référence au prophète Zacharie :

Zacharie 9
1 Proclamation. La parole du SEIGNEUR est arrivée au pays de Hadrak, et à Damas elle a fait halte, car au SEIGNEUR appartient le joyau d'Aram tout comme l'ensemble des tribus d'Israël,
2 de même Hamath, sa voisine, ainsi que Tyr et Sidon, où l'on est très habile.
3 Tyr s'est construit une forteresse, elle a accumulé de l'argent, épais comme la poussière et de l'or, comme la boue des rues,
4 mais voici que le Seigneur s'en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera.
5 À ce spectacle, Ashqelôn sera épouvantée, Gaza se tordra de douleur et Eqrôn se verra privée de son appui. Le roi sera éliminé de Gaza et Ashqelôn ne sera plus habitée.
6 Des bâtards s'installeront à Ashdod, je rabattrai l'insolence du Philistin.
7 J'ôterai de sa bouche le sang et d'entre ses dents, les mets abominables; alors lui aussi, comme un reste, appartiendra à notre Dieu. Il aura sa place parmi les clans de Juda et Eqrôn sera pareil au Jébusite.
8 Je camperai auprès de ma maison, montant la garde contre ceux qui passent et repassent; plus aucun tyran ne l'accablera au passage car, à présent, j'y veille de mes propres yeux.
9 Tressaille d'allégresse, fille de Sion! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem! Voici que ton roi s'avance vers toi; il est juste et sauveur, humble, monté sur un âne - sur un ânon tout jeune.
10 Il supprimera d'Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l'arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'aux extrémités du pays.
11 Quant à toi, à cause de l'alliance conclue avec toi dans le sang, je laisserai partir tes captifs de la fosse où il n'y a point d'eau.

Prédication :
            C’est un bel épisode que celui de l’entrée de Jésus à Jérusalem, un épisode de grande joie pour un peuple qui, semble-t-il, était dans l’attente d’un chef qui lui ferait connaître des jours meilleurs. Quelle sorte de jours meilleurs ?
            Il y a trois sortes de jours meilleurs dans l’imaginaire de la Bible des Hébreux. 1. Des jours meilleurs juste pour le peuple hébreu, c'est-à-dire qu’il domine tous ses voisins. 2. Des jours meilleurs pour tout le monde, mais chacun chez soi à l’intérieur de ses frontières. 3. Des jours meilleurs pour tous dans une forme universelle de fraternité.
            A quelle sorte de jours meilleurs les gens qui ont acclamé Jésus ont-ils pensé ? Nous ne le savons pas. Des jours meilleurs sont-ils venus ? Nous le savons, nous savons qu’ils ne sont pas venus. Nous savons que les quatre évangiles ont retenu l’épisode de l’entrée de Jésus à Jérusalem, et qu’ils l’ont tous référé au même texte du premier testament, au livre de Zacharie, chapitre 9.
Et le livre de Zacharie, à quelle forme des jours meilleurs pense-t-il ? C’est la troisième forme : des jours meilleurs pour tous dans une forme universelle de fraternité. Ainsi, avec une audace folle, une audace qui doit tout à sa foi en Dieu, et presque rien au nationalisme judéen, le prophète Zacharie imagine que son Dieu purifie lui-même tous les ennemis d’Israël, et leur fait à tous un accueil de fils légitimes. Zacharie imagine aussi le roi messie qui conviendrait à cette universelle fraternité. Et cela tient en trois mots, il est juste et sauveur ; et il est ajouté qu’il est humble.
Nous allons explorer successivement ces trois qualifications.

            Il est juste. [צַדִּיק] Mais qu’est-ce à dire ?
            Pour comprendre ce qu’est un juste, pensons au mémorial de Yad Vashem, où sont honorés les Justes parmi les nations, c'est-à-dire ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah. Entreprendre de sauver un Juif pendant cette période était dangereux et, à Yad Vashem, on honore la mémoire de Justes qui ont survécu à leurs actes, mais aussi la mémoire de Justes qui en sont morts.
Un Juste, c’est quelqu’un qui se lie à autrui, par choix, à la vie, à la mort. Le juste dit : « Il est inenvisageable que tu ne survives pas… », ou encore : « Je ne vivrai pas sans toi… » Etre juste c’est gager sur sa vie la vie d’autrui…
            En quoi le roi qu’imagine le prophète Zacharie est-il juste ? A la différence de ceux qui n’ont fait que passer pour razzier, pour piller la ville, et qui arrivaient pour cela avec de puissantes armées, puis repartaient, le roi messie arrive sans armée, sur une misérable monture, et s’installe là, définitivement. Il lie son sort au sort de cette ville, à la vie, à la mort.
            Retenons ceci : le roi messie selon Zacharie est un juste ; il engage sa vie ; il se lie à la ville, à son peuple, à la vie, à la mort.
           
            Il est sauveur. [וְנוֹשָׁע] Ce roi est aussi sauveur. C’est d’ailleurs le nom que porte notre Seigneur : Jésus, ce qui signifie sauveur… Mais, sauveur, qu’est-ce que cela signifie ?
            Dieu est sauveur, dans le livre de l’Exode, lorsqu’il ouvre la mer des Roseaux, fait traverser son peuple à pied sec, balaye l’armée de Pharaon en refermant la mer, et rend impossible tout retour en arrière.
            Faut-il penser avec ceci que le roi messie protège miraculeusement ses fidèles contre les forces du chaos ? On peut bien entendu le penser, mais il faut être lucide : un tel chemin n’est pas un chemin sur lequel il est garanti que rien de fâcheux n’arrivera. Le sauveur ouvre le chemin, et montre le chemin, en le parcourant lui-même, et en ne s’en détournant jamais. Ce n’est pas un chemin tranquille, c’est un chemin de vie. La décision prise pour cette ville et pour son peuple est irréversible, le roi messie l’a prise et ne reviendra pas dessus. Il sait quelle est la menace, il l’affronte. Et, cette menace, qui n’est pas celle du siège, mais celle de la capitulation devant le danger, il l’a déjà vaincue au moment où il choisit de s’installer là, au milieu de ce peuple.
Il est ainsi sauveur en tant qu’il trace un chemin – le sien – qui est aussi un chemin pour ses semblables. Dans son sillage – ou sur ses pas – il est possible que les autres s’engagent. Pas de retour en arrière : les forces du chaos sont déjà vaincues,  et toujours à vaincre.
Retenons ceci : le roi messie selon Zacharie est sauveur, il peut être sauveur parce que, d'abord, il est juste ; il n’a jamais fini d’être sauveur. 

            Il est humble. [עָנִי] C’est le troisième qualificatif de ce roi messie. C’est d’ailleurs le seul que les évangélistes ont retenu.
Notons déjà que ce qualificatif n’est pas construit exactement comme les deux premiers. Il est juste et sauveur... il est humble.
            Humble n’est pas une très bonne traduction ; le mot humble a une connotation morale qui n’est pas présente directement en hébreu.
Pour tâcher de comprendre ce qui est en jeu dans ce troisième qualificatif, pensons plutôt à ce que fut Israël en Egypte. Esclave, déconsidéré, assujetti aux pires tâches et ne vivant que de ce qu’on voulait bien lui concéder ; impuissant et incapable de s’en sortir par ses propres forces.
Certaines traductions pourraient ici dire du roi messie qu’il est pauvre (mais le grec a un autre mot spécifique pour cela), ou petit (mais on a aussi un mot grec plus spécifique pour cela), dans le sens où le pauvre et le petit ne peuvent vivre que de ce que quelqu’un voudra bien leur donner, ne vivront que si quelqu’un consent à se lier à eux.
Et ainsi, le roi messie selon Zacharie, qui est juste, et qui est sauveur, n’est en fait rien si… personne ne se lie à lui, si personne ne le suit.

            Voilà, nous avons exploré ces trois qualifications. Juste et sauveur… humble. Tel est le roi messie selon Zacharie. Celui dans lequel Jésus s’est reconnu, celui dans lequel Matthieu a reconnu Jésus. Devant lui la foule s’écarte, la foule qui l’acclame. Il passe au milieu d’une foule en liesse, sans se retourner, sans s’arrêter. Il ouvre le chemin, il montre le chemin. Il laisse la foule à ses acclamations, l’essentiel est ailleurs.
Mais nous nous demandons, ce roi qui vient et qui ne s’arrête pas sur la liesse des foules, que peut-il faire, de lui-même ? 
Il peut suivre le chemin qu’il a choisi. Il ne fera rien, rien que suivre ce chemin jusqu’au bout, parce qu’il est juste, et sauveur ; parce qu’il est humble, faible.

L’épisode des Rameaux appartient ainsi pleinement à la Passion de notre Seigneur Jésus Christ. Il y donne sa vie. Il sera ce qu’on fera de lui. On peut le rejeter et l’humilier, on peut aussi  l’accepter et le suivre, parfois.  Ceux qui le suivront feront à sa suite ce qu’Il a fait pour eux.

Frères et sœurs, c’est notre vocation. Que Dieu nous soit en aide. Amen.


dimanche 2 avril 2017

Votre péché demeure (Jean 9)

Une seconde prédication sur Jean 9. Une ne suffisait pas. Deux ne suffiront pas non plus. C'est ainsi. On n'épuise pas les grands textes, ils ne cessent de parler. 

Ils ne cessent de parler à ceux dont je fus qui pensent ou affirment un peu trop légèrement que tout est pardonné car la grâce accomplie en Jésus Christ suffit à tout effacer et à tout transformer, il reste toujours à lire ceci, adressé aux pharisiens, et pharisien je suis : "... vous dites 'nous voyons'. Votre péché demeure." Il y a donc quelque chose à faire pour que notre péché ne demeure pas... De là à dire que l'homme peut contribuer à son propre salut, il n'y a qu'un pas.


Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.

14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.

24 Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: «Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur.»
25 Il leur répondit: «Je ne sais si c'est un pécheur; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et maintenant je vois.»

29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que celui-là, nous ne savons pas d'où il est!»
30 L'homme leur répondit: «C'est bien là, en effet, l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux!
31 Dieu, nous le savons, n'écoute pas les pécheurs; mais si un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l'écoute.
32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle de naissance.
33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.»
34 Ils ripostèrent: «Tu n'es que péché depuis ton engendrement, et tu viens nous faire la leçon!»; et ils le jetèrent dehors.



35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il vint alors le trouver et lui dit: «Crois-tu, toi, au Fils de l'homme?»
36 Et lui de répondre: «Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?»
37 Jésus lui dit: «Eh bien! Tu l'as vu, c'est celui qui te parle.»
38 L'homme dit: «Je crois, Seigneur» et il se prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.»
40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi?»
41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure.


Prédication :
            Il y a voir, et voir… Il y a voir, une manière de voir qui sait ce qu’il faut voir, et qui ne verra que ça, ou le contraire, sans jamais se laisser déstabiliser, sans jamais s’interroger. Il y a voir, une autre manière de voir donc, qui observe, qui s’interroge…

Lisons ! Jésus dit aux Pharisiens : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais là, vous dites ‘nous voyons’, votre péché demeure ». Quand donc les Pharisiens ont-ils dit ‘nous voyons’ ?
Ils ne l’ont pas dit directement. Ils ont juste demandé à Jésus ‘serions-nous, nous aussi, des aveugles ?’ Pourquoi ont-ils demandé cela à Jésus ?
Parce que Jésus a énoncé ‘C’est pour un jugement – une contestation, une interpellation radicale – que je suis venu dans le monde ; pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles.’

A la fin de ce récit, l’aveugle qui ne voyait pas, voit. Mais ceux qui voyaient, seront-ils devenus aveugles ? Ceux qui voyaient… peuvent être les disciples de Jésus, les Pharisiens… et bien sûr les lecteurs.

Les disciples de Jésus
Des disciples de Jésus, tels qu’ils se présentent dans le texte, peut-on dire qu’ils voyaient ? Vu la question qu’ils posent, on va dire que oui, qu’ils voyaient, au moins un peu. Ils voyaient que tout mal a un péché pour cause, et que tout péché a été forcément commis par quelqu’un. Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle, demandent-ils ? Mais le fait même qu’ils posent la question, et qu’il y ait quelque chose d’absurde dans leurs réponses, signale qu’ils n’y voient pas si bien que cela… Ils s’interrogent, et ils interrogent Jésus.

Ils voyaient donc, n’étaient pas totalement aveugles. Y verront-ils mieux, à la fin du récit ? Ils auront vu en tout cas ce qu’aura fait leur maître, et entendu ce qu’il aura dit. Mais seront-ils pour autant devenus aveugles, y verront-ils, finalement, et de quelle manière ?
Nous laissons cette question de côté pour l’instant.

Les Pharisiens
            Ils n’ont pas le beau rôle, les Pharisiens. Car eux, c’est clair, dès le début, ils voient. Ils voient tout le temps – ou presque tout le temps. Pourquoi presque tout le temps ? Quelque chose d’anormal s’est produit. L’anormal, ce n’est pas qu’un aveugle de naissance ait été guéri ; car un homme de Dieu peut bien guérir… c’est même à ça qu’on les reconnaît parfois. L’anormal c’est que c’est un jour de sabbat que Jésus a œuvré. Travailler un jour de sabbat, c’est pécher, Jésus est donc un pécheur ; Dieu n’écoute pas les pécheurs, pourtant l’homme a été guéri ; c’est donc que Dieu a écouté un pécheur, or Dieu n’écoute pas les pécheurs, etc. Et il y avait division entre eux, entre les Pharisiens. Division, voire schisme, entre eux… mais aussi, on peut le traduire ainsi, en chacun d’eux.
Ils hésitent donc, plus ou moins, plus ou moins longtemps. On ne peut donc pas dire qu’ils voient tout le temps. Quelque chose les embarrasse. Leur embarras, c’est que les faits sont têtus - l’homme a été guéri, un jour de sabbat – et que leur doctrine, qu’ils appellent Loi de Moïse est têtue elle aussi. Que vont-ils faire de cet embarras ? Que peuvent-ils faire, d’ailleurs ?
            Ils peuvent rester exactement ce qu’ils sont, Pharisiens, et c’est d’ailleurs exactement ce qu’ils vont faire en jetant dehors l’homme guéri que, guérison ou pas, ils considèrent comme entièrement dans le péché depuis sa conception, et même après sa guérison, puisqu’elle a été accomplie dans le péché, par un pécheur... Mais ils jettent dehors cet homme qui leur a demandé si, par hasard, ils ne voudraient pas eux-aussi devenir disciples de Jésus…


C’est cela, qu’ils pouvaient faire : devenir disciples de Jésus. Pourtant ils en resteront, nous l’avons compris, à ce qu’ils voient – c'est-à-dire à ce qu’ils savent, et c’est ainsi qu’ils se font dire finalement par Jésus ‘votre péché demeure’. Leur péché ? Une intransigeante obstination. Une inébranlable arrogance. Rien à demander, rien à recevoir de personne. Leur péché aussi, n’avoir pas tiré profit de leur hésitation, n’en avoir pas fait une occasion de penser, et de commencer à vivre autrement leur propre foi.

Les lecteurs (ou devenir disciple)
            Mais qu’est-ce à dire ? Cesser d’être disciple de Moïse pour devenir disciple du Christ ? Si c’est pour être disciple du Christ avec la même arrogance qu’on l’est de Moïse, ça n’a aucun sens. Si c’est pour dire au nom du Christ que tout ce qui ne respecte pas les mêmes usages que moi n’est pas de Christ, ça ne change rien. Un chrétien anti-Pharisiens, c’est juste un Pharisien de plus. Alors devenir disciple, qu’est-ce que c’est ?

C’est bien entendu, dès le début du texte, refuser de gloser sur l’origine du mal et se mettre, pour ce qu’on peut, au service de ceux qui sont éprouvés et que le hasard met sur notre chemin ; mais ça, des tas de gens le font, et le font très bien, qui n’ont jamais entendu parler du Christ. Alors devenir disciple, ça passe par là, mais ça doit être plus.
Etre disciple, c’est aussi observer une certaine discipline de vie, d’étude, pratiquer assidument un certain rituel. Jésus ne reproche jamais à ses contradicteurs la discipline qu’ils s’imposent à eux-mêmes, ni dans les trois premiers évangiles, ni dans celui de Jean. Devenir disciple, ça passe par là, mais ça ne peut pas être seulement ça.

Devenir disciple, dans ce texte, ce doit être plus encore. Il est question de voir, d’une manière ou de l’autre, ou de ne pas voir. Il est question de dire – ou de ne pas dire – nous voyons. Nous voyons quoi ? Ce que les Pharisiens voyaient dès le début, et qu’ils voient aussi à la fin : nous avons raison et il a tort… Devenir disciple de Jésus, dans ce texte, et dans l’évangile de Jean, c’est refuser, personnellement, et collectivement aussi, de dire « je vois », ou « nous voyons ». C’est donc se reconnaître aveugle, dans le sens où, au fond, nous ne pouvons pas voir, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres si, devant Dieu et devant le Christ, nous avons raison ou tort. Et donc, devenir disciple de Jésus, quel que soit le titre que nous lui donnons, Christ, ou Fils de l’homme, c’est enfin se prosterner devant le Christ, sans aucunement voir d’ailleurs si nous avons raison ou tort.

Et, faisant ce que nous faisons, comme nous le faisons, toujours espérer de Lui, lumière du monde qu’il nous illumine. Amen