dimanche 26 mars 2017

Ce que nous savons de Dieu (Jean 9)

Tout le 9ème chapitre de l'évangile de Jean figure ici. C'est une longue lecture. Au fil de la lecture de ce texte, faites le compte du nombre d'apparitions du verbe savoir.
Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.
8 Les gens du voisinage et ceux qui auparavant avaient l'habitude de le voir - car c'était un mendiant - disaient: «N'est-ce pas celui qui était assis à mendier?»
9 Les uns disaient: «C'est bien lui!» D'autres disaient: «Mais non, c'est quelqu'un qui lui ressemble.» Mais l'aveugle affirmait: «C'est bien moi.»
10 Ils lui dirent donc: «Et alors, tes yeux, comment se sont-ils ouverts?»
11 Il répondit: « L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, m'en a frotté les yeux et m'a dit: ‹Va à Siloé et lave-toi.› Alors moi, j'y suis allé, je me suis lavé et j'ai retrouvé la vue.»
12 Ils lui dirent: «Où est-il, celui-là?» Il répondit: «Je n'en sais rien.»
13 On conduisit chez les Pharisiens celui qui avait été aveugle.
14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.
17 Alors, ils s'adressèrent à nouveau à l'aveugle: «Et toi, que dis-tu de celui qui t'a ouvert les yeux?» Il répondit: «C'est un prophète.»
18 Mais tant qu'ils n'eurent pas convoqué ses parents, les Juifs ne crurent pas qu'il avait été aveugle et qu'il avait recouvré la vue.
19 Ils posèrent cette question aux parents: «Cet homme est-il bien votre fils dont vous prétendez qu'il est né aveugle? Alors comment voit-il maintenant?»
20 Les parents leur répondirent: «Nous savons que c'est bien notre fils et qu'il est né aveugle.
21 Comment maintenant il voit, nous ne le savons pas. Qui lui a ouvert les yeux? Nous ne le savons pas. Interrogez-le, il est assez grand, qu'il s'explique lui-même à son sujet!»
22 Ses parents parlèrent ainsi parce qu'ils avaient peur des Juifs. Ceux-ci étaient déjà convenus d'exclure de la synagogue quiconque confesserait que Jésus est le Christ.
23 Voilà pourquoi les parents dirent: «Il est assez grand, interrogez-le.»
24 Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: «Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur.»
25 Il leur répondit: «Je ne sais si c'est un pécheur; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et maintenant je vois.»
26 Ils lui dirent: «Que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?»
27 Il leur répondit: «Je vous l'ai déjà raconté, mais vous n'avez pas écouté! Pourquoi voulez-vous l'écouter encore une fois? N'auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi?»
28 Les Pharisiens se mirent alors à l'injurier et ils disaient: «C'est toi qui es son disciple! Nous, nous sommes disciples de Moïse.
29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que celui-là, nous ne savons pas d'où il est!»
30 L'homme leur répondit: «C'est bien là, en effet, l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux!
31 Dieu, nous le savons, n'écoute pas les pécheurs; mais si un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l'écoute.
32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle de naissance.
33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.»
34 Ils ripostèrent: «Tu n'es que péché depuis ta naissance et tu viens nous faire la leçon!»; et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il vint alors le trouver et lui dit: «Crois-tu, toi, au Fils de l'homme?»
36 Et lui de répondre: «Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?»
37 Jésus lui dit: «Eh bien! Tu l'as vu, c'est celui qui te parle.»
38 L'homme dit: «Je crois, Seigneur» et il se prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.»
40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi?»

41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure.

Prédication :
Avez-vous compté combien de fois le verbe savoir est répété dans ce chapitre ?
Il est répété 11 fois. Toutes les utilisations de ce verbe vont assez naturellement passer sans qu’on s’interroge : nous savons que c’est notre fils… je ne sais qu’une chose, j’étais aveugle, maintenant je vois… Mais deux des utilisations de ce verbe posent un sérieux problème, disons théologique. Lesquelles ?
-          Nous savons que Dieu a parlé à Moïse (dans la bouche des Pharisiens).
-          Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs mais, si un homme est pieux est fait sa volonté, Dieu l’écoute (dans la bouche de l’homme guéri).
Quel sont les points communs entre ces deux utilisations du verbe savoir ? Les deux fois, c’est de Dieu qu’il s’agit, et les deux fois il s’agit d’un savoir bien partagé entre tous, exprimé en “nous savons…”.
On sait, ils savent… nous savons… quelque chose de Dieu !
Ainsi donc les Pharisiens de ce texte-ci savent de Dieu qu’il a parlé à Moïse – nous le savons avec eux.
Et nous nous demandons : comment savent-ils cela ? D’où savons-nous cela ? C’est écrit dans la Bible. Il y a un consensus, entre eux, entre nous, là-dessus.
Mais il nous faut explorer plus avant ce savoir. En plus du consensus sur la Bible, il y a aussi entre les Pharisiens un puissant accord, un accord exclusif. Leur accord exclut tout autre accord, et celui qui n’entrera pas dans leur accord sera déclaré pécheur, exclu, voire mis à mort.
Ceci étant dit, dans ce chapitre, il est question aussi de Jésus en tant que Christ. Nous pouvons nous poser la même question : comment savons-nous que Jésus est Christ ? Il y a un accord entre nous autour d’un savoir : Jésus est le Christ. Nous le savons. Mais cet accord exclut-il tout autre accord ? Et notamment, que Jésus soit le Christ, cela exclut-il que Dieu ait parlé à Moïse ?
Nous savons que Dieu a parlé avec Moïse, diront les uns. Nous savons que Jésus est le Christ, diront les autres. Le problème n’est pas, en tant que tel, le verbe savoir, ni d’ailleurs ce qu’on sait ; mais le comportement de ceux qui savent.
L’homme guéri rappelle, lui aussi, un savoir sur Dieu : « Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs mais, si quelqu’un est pieux… »
L’homme guéri nous dit, par cette phrase, que Jésus est pieux. Mais, qu’est-ce qu’être pieux ? La piété correspond-elle à une discipline stricte et jalouse ? La piété, nous suggéreront de bons dictionnaires grecs, c’est se tenir à distance respectueuse du dieu qu’on révère. La discipline qu’on choisit, même très stricte, qu’on s’impose à soi-même et qu’on partage dans certaines communautés, même la plus rigoureuse, peut être reconnue comme piété. Car on peut comprendre une telle discipline justement comme un moyen de se tenir à distance respectueuse de Dieu. Mais si cette discipline, en plus d’être stricte, devient jalouse, c'est-à-dire qu’elle se pose comme seule possible et exclut toutes les autres disciplines possibles, elle sort du champ de la piété. Ainsi, il y a des manières de coller au texte biblique, des manières de faire de fragments du texte biblique une parole de Dieu immédiatement disponible et opposable à autrui, qui n’est pas de la piété, mais de l’impiété.
Etre pieux, donc, c’est se tenir à une certaine distance du texte sacré qu’on ne cesse pourtant de commenter avec passion, et c’est aussi se tenir à une certaine distance des usages religieux auxquels pourtant l’on se plie.
            Poursuivons : « Dieu, nous le savons n’écoute pas les pécheurs mais, si quelqu’un est pieux et fait sa volonté… » Et qu’est-ce ici que faire la volonté de Dieu ? Jésus indubitablement fait la volonté de Dieu. C’est en passant que Jésus voit cet aveugle, c’est en passant qu’il refuse toute discussion sur l’origine du mal, et c’est en passant aussi qu’il soulage cet homme avec les moyens qui sont les siens. Voici donc une réponse simple, suggérée par le texte : faire la volonté de Dieu, c’est refuser de gloser sur l’origine du mal, c’est tâcher de soulager, avec les compétences qui sont les vôtres, le mal qu’on rencontre sur son chemin.

Et maintenant, nous comprenons un peu mieux : « Si quelqu’un est pieux et fait la volonté de Dieu, Dieu l’écoute. » Mais, Dieu écoute, qu’est-ce que cela signifie ? Que Dieu exauce ? Ou bénit ? C’est difficile à affirmer, car les justes souffrent aussi… et notre Seigneur Jésus Christ qui fut pieux et qui soulagea tant de gens, fut crucifié. Dire que Dieu écoute, cela peut bien entendu signifier que Dieu prête une attention particulière au juste, mais cela peut signifier aussi que seul le juste dit et montre quelque chose de Dieu qui mérite d’être écouté, retenu, d’être transmis… qui ait une certaine valeur. Le reste de ce qui est dit sur Dieu, c'est-à-dire les gloses infinies sur l’origine du mal, les comportements religieux radicaux et jaloux, tout ce que notre texte regroupe sous le nom de péché… cela en dit long sur la bêtise des humains, mais n’intéresse pas Dieu, ne concerne pas Dieu, ne dit rien de Dieu… « Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs… »

            Pour autant, il ne s’agit pas d’agir pour que Dieu écoute. Jésus, tel qu’il se manifeste dans ce texte, n’agit aucunement pour que Dieu l’écoute. Ce qu’il cherche, c’est que les œuvres de Dieu soient manifestées, non pas par lui, Jésus, mais en cet homme. Et elles vont l’être, de trois manières toujours possibles aujourd’hui.
            1. Les œuvres de Dieu vont être manifestées dans le refus de Jésus de gloser sur l’origine du mal ; ce refus est toujours possible aujourd’hui ;
            2. Les œuvres de Dieu vont être manifestées dans le fait que Jésus met ses compétences au service d’un éprouvé que le hasard place sur son chemin ; ce service est toujours possible aujourd’hui ;
            3. Les œuvres de Dieu vont être aussi manifestées lorsqu’au nom de Dieu, il va prioriser l’engagement en faveur de l’aveugle sur le souci de l’image de soi ; cet engagement résolu et désintéressé est toujours possible aujourd’hui.

            Il n’est plus dans le monde… mais y demeure tout de même, en tant que lumière du monde. Puissions-nous être éclairés par cette lumière, jugés par cette lumière, guéris par elle et inspirés. Puissions-nous ainsi agir à la suite de notre Seigneur. Et Dieu saura écouter ce qui aura mérité de l’être. Amen
Trinité Nicoletto Semitecolo

dimanche 19 mars 2017

Les adorateurs que cherche Dieu (Jean 4,23)


Du long et très dense quatrième chapitre de l'évangile de Jean, je n'ai retenu que quelques versets, pour une courte méditation. Ce sont les circonstances qui imposaient cela. Alors ont été laissés de côté des thèmes comme l'eau vive - mais qui donc nous en donnera à boire ? Jésus nous en donnera à boire ? Mais Jésus qui ? Qui sera Jésus pour moi ? - Laissé de côté "Je le suis moi qui te parle", c'est à dire Jésus déclarant de lui-même qu'il est le Messie... Tout laissé de côté, sauf ceci :

Jean 4
21 Jésus lui dit: «Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l'heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité.»


Méditation :
            Le Père (Dieu) cherche… vous avez bien entendu qu’il cherche, il cherche des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité.
            C’est étonnant, qu’il cherche, Lui qui sait tout, qui voit tout, qui sonde les reins et les cœurs. Et Il cherche ?
            S’il y a quelque part de tels adorateurs, le Père (Dieu) sait où ils sont et il n’y a pas lieu qu’il cherche. S’il n’y en a pas, il le sait et il n’y a rien à chercher.
            Et pourtant, Jésus dit que le Père cherche de tels adorateurs. Absurde ?
 
... en esprit et en vérité...
            En mettant cette phrase dans la bouche ô combien autorisée de Jésus, l’auteur de l’évangile de Jean s’adresse à certains adorateurs…
            Juifs et Samaritains ? Apparemment… qui adorent Dieu chacun à sa manière, et se haïssent entre eux. L’évangéliste s’adresse aussi à toutes sortes de gens qui se réclament de telle et telle chapelle, Jean, ou les autres Apôtres, qui adorent Dieu et reconnaissent son Messie, chacun à sa manière, et se détestent les uns les autres. Chacun habité par une conscience satisfaite de soi, chacun, attaché viscéralement à sa manière de faire, pense sans doute qu’il est, lui, celui que Dieu cherchait, a trouvé et approuve.

            Mais, pour y réfléchir seulement un instant, si le Père (Dieu) cherche, comment quelqu’un pourrait-il affirmer qu’il est lui-même l’un de ces adorateurs que Dieu cherche ? Comment quelqu’un peut-il affirmer qu’il sait ce que Dieu lui-même ignore ?
A peine oserait-on dire de quelqu’un qu’il est un adorateur en esprit et en vérité. Une telle parole serait d’une audace folle, ou elle serait un acte de foi… Mais celui qui affirme qu’il est l’un de ces adorateurs que Dieu cherche est un blasphémateur. Seuls le Père et le Fils – qui est Un avec le Père – savent qui sont les adorateurs qui adorent en esprit et en vérité.
De tels adorateurs, le Fils en a cherché toute sa vie… et en a-t-il seulement trouvé ?

            Sommes-nous des adorateurs en esprit et en vérité ? Nous ne le savons pas, nous n’avons pas à le savoir, le Père cherche, et lui seul sait.
            Mais en méditant encore quelques instants, avec l’évangile de Jean, nous retiendrons (Jean 3), que si c’est en esprit que nous adorons, c’est d’en-haut que cela nous est venu. Il nous faut naître d’eau, de cette chair qui est la nôtre, de ce protestantisme qui est le nôtre, et naître aussi d’en-haut, d’esprit. Aussi bien notre culte a-t-il son formalisme propre auquel  nous nous donnons de tout notre cœur, espérant que, d’en-haut, quelque chose de plus nous soit donné.
            Quant à la vérité, en nous souvenant un instant de la rencontre entre Jésus et Pilate (Jean 18), nous comprendrons bien que c’est sans masques, sans fard et sans prétention qu’il nous faut vivre devant Dieu et devant nos frères et sœurs les humains.

Puissions-nous adorer en esprit et en vérité. Que Dieu nous soit en aide. Amen


dimanche 12 mars 2017

La gloire et la croix (Matthieu 17, Matthieu 27)

Introduction
            En ce deuxième dimanche de Carême, il nous est proposé de méditer sur le récit que Matthieu donne de la Transfiguration (la fête de la Transfiguration est au mois d’août, le 6). Nous allons lire ce récit. Et nous allons en lire un autre, celui de la Crucifixion. Il y a entre ces deux récits bien des ressemblances. Dont nous parlerons.
Matthieu 17
1  Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène à l'écart sur une haute montagne.
2 Il fut métamorphosé devant eux: son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.
3 Et voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s'entretenaient avec lui.
4 Intervenant, Pierre dit à Jésus: «Seigneur, il est bon que nous soyons ici; si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie.»
5 Comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les recouvrit. Et voici que, de la nuée, une voix disait: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir. Écoutez-le!»
6 En écoutant cela, les disciples tombèrent la face contre terre, saisis d'une grande crainte.
7 Jésus s'approcha, il les toucha et dit: «Relevez-vous! soyez sans crainte!»
8 Levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus, lui seul.
9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: «Ne dites mot à personne de ce qui s'est fait voir de vous, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts.»
Matthieu 27
33 Arrivés au lieu-dit Golgotha, ce qui veut dire lieu du Crâne,
34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel. L'ayant goûté, il ne voulut pas boire.
35 Quand ils l'eurent crucifié, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort.
36 Et ils étaient là, assis, à le garder.
37 Au-dessus de sa tête, ils avaient placé le motif de sa condamnation, ainsi libellé: «Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.»
38 Deux bandits sont alors crucifiés avec lui, l'un à droite, l'autre à gauche.
39 Les passants l'insultaient, hochant la tête
40 et disant: «Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix!»
41 De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient:
42 «Il en a sauvé d'autres et il ne peut pas se sauver lui-même! Il est Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui!
43 Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime, car il a dit: ‹Je suis Fils de Dieu!› »
44 Même les bandits crucifiés avec lui l'injuriaient de la même manière.
Prédication :
            En ce deuxième dimanche de Carême, il nous est proposé de méditer sur le récit que Matthieu donne de la Transfiguration (la fête de la Transfiguration est au mois d’août, le 6). Quel sens cela a-t-il de méditer cet épisode qui est plutôt un épisode de plénitude et d’extase, alors que nous sommes pendant la période de Carême, qui est plutôt une période de jeûne et de pénitence ?

            Voici quatre remarques sur la Transfiguration.
  1. Tout d’abord, et nous l’avons dit déjà, c’est un moment d’extase et de plénitude. Un moment qu’on ne recherche pas, mais qui vous saisit, comme il est écrit : « Il fut métamorphosé… » C’est un moment intime, c'est-à-dire qu’on ne partage pas avec les foules. Mais auquel, incidemment, pourront assister quelques intimes, qui seront là presque par hasard lorsque cela se produira. Pierre, Jacques, et Jean, ceux dont Jésus souhaitait la présence lorsqu’il se retirait loin des foules, loin des Douze… On ne donne pas son intimité à voir, sinon, ce n’est plus de l’intimité, mais de l’exhibition.
  2. Ce moment est un moment d’abord très pictural, uniquement pictural. Le visage de Jésus resplendit comme le soleil, ses vêtements deviennent lumineux de blancheur, Moïse et Elie apparaissent. Ces trois personnages semblent parler, mais nous n’entendons rien. Mais nous avons des yeux pour voir. C’est Pierre, qui rompt le silence, pour dire en substance, que c’est très bon – bon pour qui ? – et qu’on aimerait bien que ça s’éternise. C'est-à-dire, que ça se fige, qu’on prenne un cliché, une photo, un selfie. Pierre est habité par un désir bien humain : vouloir conserver pour toujours et pour soi ce qui ne peut être que donné et reçu. Si les Hébreux se méfiaient tant de l’image, des représentations picturales, c’est que, bien plus que la parole, les images immobilisent, elles figent ce qu’elles représentent. C’est ce que Pierre veut faire donc figer, posséder et exhiber, au lieu de recevoir et témoigner.
  3. La nuée qui vient couvrir tout cela vient à propos rappeler que ce qui est donné à voir n’est pas donné à conserver. La voix divine, s’agissant de Jésus de Nazareth, n’ordonne pas « Regardez-le ! », mais « Ecoutez-le ! » Et les Hébreux que sont Pierre, Jacques et Jean ne peuvent pas se tromper sur la signification  de cet ordre essentiel. Croire en Dieu – en ce Dieu-là, celui des traditions des pères, de Moïse, des Prophètes et de Jésus de Nazareth – c’est se tenir dans l’obéissance au commandement « Ecoutez ! » Ecouter non pas le coup de tonnerre qui assourdit, tout comme l’éclair éblouit, non pas se laisser séduire ou impressionner par ce qui se voit, mais écouter jusque dans le bruissement d’un souffle ténu (2 Rois 19), se voiler la face parce qu’il n’y a rien à voir, ouvrir les oreilles ; et prendre le temps de la réflexion avant de parler et d’agir.
  4. Ceci dit, même s’il y a des moments où l’on ferme les yeux, des moments de recueillement et de prosternation, parce que l’essentiel s’écoute plus qu’il ne se voit, la vie entière ne peut pas se dérouler prosterné, en extase, les oreilles grandes ouvertes et yeux fermés. Il faut à un moment redescendre de la montagne et, ce qu’on a entendu, et ce qu’on a vu, il faut le dire. Dieu se révèle à certains, soit, mais ce n’est pas pour qu’ils le gardent pour eux-mêmes. Il faudra en parler ; cela même a été donné pour qu’on en parle, et à tout le monde… Mais quand, et comment ? Ne parlez jamais de votre vision, ordonne Jésus à Pierre, Jacques et Jean,  jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts. C'est-à-dire, et d’une manière essentielle, que la  Transfiguration de notre Seigneur Jésus Christ n’a de sens que référée à sa Passion. C’est pourquoi nous avons lu aussi le récit de la Crucifixion. 
Je vais dresser ici trois tentes...
Ça se passe aussi sur un lieu élevé, Jésus est pris, saisi, on dispose de Lui, et deux autres personnages sont à ses côtés ; il y a aussi des spectateurs.
            Ce n’est plus l’intimité en gloire qui est partagée avec quelques-uns ; c’est l’infamie et l’agonie qui sont exposées à la vue de tous. Les spectateurs ne sont plus sidérés puis dans l’attitude d’une prosternation silencieuse et les yeux clos, mais ils se repaissent, les yeux grands ouverts, et prononcent des mots de moquerie, de défiance et d’insulte.
Transfiguration, Crucifixion, Jésus, Fils de Dieu, Messie, Christ, est là, c’est lui, les deux fois, en gloire, et en croix.

Notre méditation donc, en temps de Carême, porte sur la gloire et la croix. C'est-à-dire sur le bonheur suprême et sur le fond de la déréliction.
Quelle serait la vérité de l’Evangile s’il présentait la gloire sans la croix ? Il n’y aurait nulle vérité de l’Evangile s’il s’en tenait à la gloire. Et le culte chrétien ne serait que prétexte à épanchements publics, l’occasion de se féliciter soi-même ; il ne serait qu’une aliénation…
Et quelle serait la vérité de l’Evangile, s’il présentait la croix sans la gloire ? Le culte chrétien serait une rencontre de flagellants, et la prédication une prédication de la haine du bonheur, une apologie de la souffrance rédemptrice, une autre aliénation...

Lorsque Jésus interdit à Pierre, Jacques et Jean de parler de ce qu’ils ont vu, lorsqu’il leur défend de parler de la Transfiguration avant qu’il soit, Lui, ressuscité des morts, il veut que personne, ni les plus anciens, ni les plus illustres des disciples, ne puisse se réclamer d’un privilège particulier ou d’une révélation particulière. Car, au moment de la Passion, tous ont fui, tous l’ont abandonné, sans exception, même le tonitruant monsieur Pierre…
Et donc personne ne peut parler de Lui, de Jésus, du Fils de Dieu et de sa gloire, qui ne se soit reconnu – et qui ne se reconnaisse encore – comme un parjure, un indigne.

Ecouter le Fils de Dieu, croire en Lui et vivre de Lui, c’est ainsi le contempler en gloire et en croix, en se connaissant soi-même réprouvé et choisi, pécheur et pardonné. Et parler de lui, ce ne peut donc être qu’exprimer une discrète et profonde conviction, que formuler une humble proposition, et  proposer un témoignage d’attention et de service.


Que Dieu nous soit en aide. Amen


dimanche 5 mars 2017

Carême, pénitence, apprentissage de la foi (Matthieu 4,1-11)

Matthieu 3
16 Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
 17 Et voici qu'une voix venant des cieux disait: «Celui-ci est mon Fils, le bien-aimé, en qui je me reconnais.» 

Matthieu 4
1 Alors Jésus fut conduit par l'Esprit au désert, pour être tenté par le diable.
2 Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim.
3 Le tentateur s'approcha et lui dit: «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains.»
4 Mais il répliqua: «Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu.»
5 Alors le diable l'emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du temple
6 et lui dit: «Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre.»
7 Jésus lui dit: «Il est aussi écrit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
8 Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire
9 et lui dit: «Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m'adores.»
10 Alors Jésus lui dit: «Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c'est à lui seul que tu rendras un culte.»
11 Alors le diable le laisse, et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient.

12 Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée.
13 Puis, abandonnant Nazara, il vint habiter à Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali,
14 ainsi s'accomplit ce qu'avait dit le prophète Esaïe:
15 Terre de Zabulon, terre de Nephtali, route de la mer, pays au-delà du Jourdain, Galilée des Nations!
16 Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière; pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort, une lumière s'est levée.
17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer: «Convertissez-vous: le Règne des cieux est tout proche.»

18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon appelé Pierre et André, son frère, en train de jeter le filet dans la mer: c'étaient des pêcheurs.
 19 Il leur dit: «Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d'hommes.»




Prédication : 
Mercredi dernier, c’était le mercredi des cendres, jour que nous autres protestants réformés français ne célébrons pas, important toutefois pour le catholicisme romain, et qui marque l’entrée en Carême. C’est une période de pénitence qui commence... Ceux qui affirment un peu trop haut que tout est grâce ont souvent du mal à envisager la pénitence.
Nous étions donc, mercredi, exactement 40 jours avant Pâques, ces 40 jours rappellent ceux que Jésus passe au désert…
Et l’on vient nous proposer, ce premier dimanche de Carême, de méditer le récit que Matthieu donne des tentations au désert.

Ce récit, il m’a semblé nécessaire de ne pas le considérer isolément. Et il commence donc juste après le baptême de Jésus, et finit lorsque Jésus commence à proclamer ceci : « Convertissez-vous ; le Règne des cieux est en effet tout proche. «  Ainsi, sous nos yeux, il y a trois moments de la vie de Jésus. Ces moments sont très différents apparemment, mais ils ont pourtant un point commun : Jésus est tout seul. On va bien entendu objecter que Jean qui le Baptise, l’Esprit, le diable, et les anges, et finalement ceux qui l’écoutent prêcher, ça fait plus qu’un tout seul. Mais Jésus est tout seul quand même, dans le sens où il n’est pas en situation de dialogue humain. Cette solitude va guider notre interprétation de ce texte : c’est l’être humain qui est interpellé ici, un être humain, chaque être humain.

Premier moment de la vie de Jésus dans notre texte, son baptême : « Il vit l’Esprit de Dieu descendre… ». On nous suggère ici que c’est Jésus lui-même – et personne d’autre – qui voit l’Esprit de Dieu. C’est dire que cette expérience est profonde, bouleversante et surtout intime, même si la voix du ciel semble bien être publique…
Demandons-nous quel effet peut avoir sur celui qui la vit une expérience aussi extraordinaire. Jésus est soudainement promu Fils de Dieu et sûrement doté par l’Esprit des pouvoirs  absolus qui vont avec. Il est devenu l’homme le plus important, le plus puissant du monde. Et nous nous demandons ce qu’il va en faire. Et nous ne le savons pas. Il faut que nous fassions l’effort de ne pas savoir d’avance ce que qui est cet homme. Un homme reçoit – je reçois – soudain un titre extraordinaire et le pouvoir qui va avec ce titre. Que va-t-il en faire ? Bon usage ? Ou alors combien de temps faudra-t-il à cet homme pour mésuser, pour abuser de cela ?
Chaque être humain est ici invité à réfléchir sur l’usage des titres et pouvoirs qui lui ont été conférés.

Deuxième moment de la vie de Jésus dans notre texte, le désert. Le premier moment avait été un moment de plénitude, le second moment sera un moment de profonde disette. Absolue solitude ! Absolu silence. Absolu abandon. Et vient le diable, avec ses tentations.
La divine puissance a été donnée à Jésus. Va-t-il s’en servir pour sa propre satisfaction ? Il a faim et refuse de transformer les pierres en pain.
Dieu lui est donné par les Saintes Ecritures. Va-t-il disposer de Dieu ? Il refuse de disposer de Dieu.
La puissance lui est proposée sur l’humanité tout entière. Va-t-il accepter cela ? Va-t-il vouloir dominer ? Il refuse encore.
Il y a un point commun entre ces trois tentations : œuvrer pour son propre profit. Jamais Jésus n’agira ainsi. Et même sur la croix, lorsqu’on lui dira « … sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix! », il refusera.
Ce deuxième moment de la vie de Jésus dure 40 jours. Au terme de ce deuxième moment, les anges s’approchent de lui et le servent. Les anges ne servent que ceux qui ne se servent pas eux-mêmes. Ils se mettent au service de Jésus, totalement, ils le peuvent, sans ambiguïté aucune, car pour qui a traversé la tentation, ce qui se donne n’est jamais revendiqué, et est toujours reçu comme un cadeau du ciel.
Emplacement destiné à recevoir la photo d'un ange
Le troisième moment de la vie de Jésus peut venir ensuite. C’est seulement après avoir traversé la tentation qu’il peut valablement commencer à proclamer que le Royaume des cieux s’est approché. Le Royaume des cieux s’est vraiment approché, en lui, et s’approche par lui, par sa personne, par son exemple. Sa proclamation n’entend rien démontrer et n’oblige personne. S’il appelle des disciples, si quelques-uns le suivent, c’est en toute liberté.

40 jours, c’est dans la Bible le chiffre symbolique du temps qu’il faut pour qu’un être humain vienne – ou revienne à Dieu. C’est un temps de dépouillement au terme duquel un être humain découvre par toute sa personne que croire en Dieu c’est vivre et que vivre n’est pas posséder, mais seulement recevoir, que croire en Dieu c’est s’en tenir strictement aux promesses de Dieu.
Il faut pour cela 40 jours, ou 40 ans… ou trois fois 40 ans comme pour Moïse à qui il a fallu 40 ans avant de fuir l’Egypte, 40 ans avant de revenir en Egypte, et 40 ans encore pour apercevoir de loin la Terre Promise, ne pas y entrer, et s’en remettre définitivement à Dieu.
A-t-on jamais fini d’apprendre à croire, d’apprendre à vivre ? « Notre Seigneur et maître Jésus Christ, en disant “Faites pénitence” (Matthieu 4,17), a voulu que la vie toute entière des fidèles soit une pénitence. » C’est la première des 95 thèses de Luther. Si le mot de pénitence vous fait peur, parce qu’il vous évoque des péchés que vous devriez expier, ou des mérites dont vous pensez n’avoir aucun besoin, remplacez-le par conversion, par retour à Dieu, par apprentissage de la foi…
« Notre Seigneur et maître Jésus Christ, en disant « Convertissez-vous », a voulu que la vie toute entière des fidèles soit un apprentissage de la foi. »

Cela aura-t-il la dureté d’un jeûne, d’une immense solitude, d’une nuit de la foi de 40 jours, ou de 40 ans ? Nous ne pouvons pas mentir sur la dureté et l’aridité de certains épisodes d’une vie.

Nous ne pouvons pas non plus mentir sur le fait que des joies adviennent aussi. Les promesses de Dieu ne sauraient faillir. Amen