dimanche 31 mai 2015

Quoi Trinité ? (Matthieu 28 ; Romains 8 ; Deutéronome 4)

Deutéronome 4
32 Interroge donc les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur la terre, interroge d'un bout à l'autre du monde: Est-il rien arrivé d'aussi grand? A-t-on rien entendu de pareil?
33 Est-il arrivé à un peuple d'entendre comme toi la voix d'un dieu parlant du milieu du feu, et de rester en vie?
34 Ou bien est-ce qu'un dieu a tenté de venir prendre pour lui une nation au milieu d'une autre par des épreuves, des signes et des prodiges, par des combats, par sa main forte et son bras étendu, par de grandes terreurs, à la manière de tout ce que le SEIGNEUR votre Dieu a fait pour vous en Égypte sous tes yeux?
35 À toi, il t'a été donné de voir, pour que tu saches que c'est le SEIGNEUR qui est Dieu: il n'y en a pas d'autre que lui.
36 Du ciel, il t'a fait entendre sa voix pour faire ton éducation; sur la terre, il t'a fait voir son grand feu, et du milieu du feu tu as entendu ses paroles.
37 Parce qu'il aimait tes pères, il a choisi leur descendance après eux et il t'a fait sortir d'Égypte devant lui par sa grande force,
38 pour déposséder devant toi des nations plus grandes et plus puissantes que toi, pour te faire entrer dans leur pays et te le donner comme patrimoine, ce qui arrive aujourd'hui.
39 Reconnais-le aujourd'hui, et réfléchis: c'est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre; il n'y en a pas d'autre.
40 Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd'hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours.

Romains 8
14 En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu:
15 vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père.
16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
17 Enfants, et donc héritiers: héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.

Matthieu 28
16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»

Prédication : Mens, 31 mai 2015 (dimanche de la Trinité)
            Ces trois lectures, proposées par le lectionnaire Dimanches et fêtes, sont bien choisies pour évoquer d’abord le Père, puis le Saint Esprit, et enfin le Fils, lequel Fils, à la toute fin de l’évangile selon Matthieu, institue le baptême et  institue avec ce baptême la formule trinitaire « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». Le dimanche qui suit la Pentecôte est le dimanche de la Trinité.
            La Trinité n’est pas une fête que les protestants que nous sommes célèbrent avec une ferveur particulière. Elle pourrait même passer inaperçue dans la liste de lecture que nous fournit la Fédération protestante de France… les textes proposés sont bien ceux que liront nos sœurs et frères catholiques, mais la mention Trinité ne figure pas en marge…
            On le sait, les protestants que nous sommes émettent quelques réserves s’agissant de la Trinité, mot qui ne figure pas explicitement dans la Bible.  Mais les protestants que nous sommes ne peuvent pas ignorer que pour bien des chrétiens Dieu est (au plein sens du verbe être) Père, Fils et Saint Esprit, une seule essence en trois personnes… A-t-on pourtant tout dit de Dieu, de sa nature, de son activité, lorsqu’on a dit qu’il est Trinité ? Nous allons laisser de côté maintenant cette question ; ce n’est pas le moment d’un travail sur la doctrine et sur la nature des doctrines.
            Trois textes nous sont proposés, et ils vont servir à une méditation sur ce que nous allons appeler la triple filiation du chrétien, notre triple filiation.
            Dans un premier temps, nous ferons une sorte de description élogieuse de ces filiations. Dans un second temps, nous émettrons des réserves sur chacune des ces filiations. Puis nous parlerons d’espérance

            Premier temps, trois courts éloges.
            Première filiation, la filiation du Père, ou des pères. Nous ne sommes pas les premiers à croire. Nous recueillons dans la reconnaissance l’héritage, le témoignage, de la tradition. Le texte biblique nous est donné. Interroge les jours du début, dit le Deutéronome ! La mémoire nous est donnée. Nous sont données aussi la forme de nos cérémonies et la manière d’organiser nos Eglises... Nous ne sommes pas les premiers. Le chemin a été tracé pour nous. Honneur à nos pères, et grâces soient rendues à Dieu.
            Seconde filiation, la filiation du Fils, c'est-à-dire celle qu’on doit aux frères, et sœurs, qui sont nos contemporains. Dans la logique de cette prédication, le Fils n’est pas seulement le Fils du Père au sens où la tradition parle de lui. Il est le contemporain, le frère, celui qui partage notre condition, qui nous enseigne et que nous enseignons. Aujourd’hui, nous ne sommes pas tout seul. L’un doute, l’autre parle avec lui. La foi s’élabore, se construit, dans le dialogue, dans la rencontre, de nos contemporains. Ma sœur, mon frère, apportent à ma vie et à ma foi. En quelque manière ils m’engendrent. Qu’ils en soient remerciés, et que Dieu soit loué.
            Troisième filiation, celle de l’Esprit. L’héritage des pères et le partage entre les frères ne doivent pas laisser oublier que chaque personne peut être inspirée, créative. L’Esprit peut bien s’adresser à chacun, à chacune, engendrer en lui la foi. L’Esprit atteste intimement à chacun qu’il est enfant de Dieu.

            Deuxième temps, Nous reprenons chacune de ces trois filiations. Et nous allons méditer sur les limites.
            Filiation du Père, des pères, et de la tradition… Ainsi ont fait nos pères dans la foi et nous leur devons beaucoup. Mais, parce que nos pères ont fait ce qu’ils ont fait, devons-nous faire tout comme eux ? La filiation de par la tradition est une filiation qui, si l’on ne considère qu’elle, conduit tout dans l’impasse du traditionalisme qui dit : aujourd’hui doit être comme hier. Et l’on voit des Eglises s’étioler, se rigidifier, s’accrocher désespérément à la forme des anciennes cérémonies, à de vieux bâtiments, à de vieilles histoires. On les voit peut-être disparaître, mais en tout cas on les voit terriblement s’isoler.
            Filiation du Fils, engendrement entre contemporains… Nous devons infiniment à nos contemporains, sœurs et frères dans la vie et dans la foi, mais cette filiation, Lorsqu’on choisit trop bien les gens avec qui l’on partage, conduit tout à une forme close de la foi, une forme dans laquelle la connivence d’un groupe tient lieu de vérité. Plus personne alors n’apporte rien à  personne parce que tous disent la même chose, croient la même chose... L’on voit ainsi parfois des groupes se refermer sur eux-mêmes, s’uniformiser, rejeter tout ce qui singularise, puis se stériliser.
            Filiation de l’Esprit, personnelle et intime… Nous avons peut-être en mémoire des exemples terribles de personnes qui, au nom de leur inspiration toute personnelle, au nom de l’Esprit, ont récusé leurs contemporains, récusé la tradition, et mené leur propre vie au désastre. Parfois même ce désastre a-t-il été tristement contagieux… Quoi qu’il en soit, l’on se dessèche assurément à se dire engendré uniquement par l’Esprit, en se tenant de plus tout à fait seul.

            Au point où nous en sommes, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas faire un éloge trop exclusif de nos filiations. Mais nous ne pouvons pas non plus récuser ces filiations.
Nous n’en avons pas d’autres… Il nous faut donc les maintenir, les reconnaître, les éprouver, et les tenir toujours en dialogue.
            Par exemple, lorsque Calvin parle du témoignage intérieur du Saint Esprit, c'est-à-dire de la filiation intime, il en parle dans un lien étroit avec la lecture de la Bible. L’Ecriture ne devient parole de Dieu en nous que par le témoignage intérieur du Saint Esprit. La première et la troisième de nos filiations sont ici en dialogue. Et le nous qu’il utilise indique pleinement la présence de contemporains. 
Autre exemple, lorsque Paul parle aux Romains de l’Esprit d’adoption qui parle à notre esprit, ça n’est pas pour que chacun dise arrogamment « Je suis, moi, enfant de Dieu », mais pour que cela soit dit ensemble et réciproquement par un groupe de personnes. Ainsi conjugue-t-il explicitement la troisième et la seconde des filiations.
Puisse l’Esprit souffler en chacun de nous au cours de ce culte. Cette simple phrase met en dialogue la tradition dont le culte est porteur, les sœurs et frères qui sont présents dans l’assemblée, et l’Esprit que nous espérons pour tous.

Aujourd’hui, c’est le dimanche de la Trinité et au début de cette prédication nous avons annoncé qu’il serait question d’abord d’éloge, puis de  réserves, puis d’espérance.
Quelle est notre espérance, après ce que nous venons de dire ? Les grands textes et nos traditions sont là devant nous et offerts : nous ne sommes pas les premiers à vivre, à croire et à espérer. Nos contemporains sont là, pour nous défier, pour nous soutenir : nous ne sommes pas seuls à vivre, à espérer et à croire. Et nous sommes là, chacune, chacun, avec sa vie, avec sa propre histoire, mystérieusement et réellement accompagnés.

Amen

Oui, je remets ceci... Pendant que nous causons "bénir", pendant que nous parlons Trinité, pendant que des partis changent de nom, Daesh exécute 217 personnes en 9 jours à Palmyre.

dimanche 24 mai 2015

Pentecôte. Qui est ton frère, et que fais-tu de lui ? (Actes 2)

Actes 2
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:
17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;
18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes.
19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée.
20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux.
21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,
23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;
24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.
25 David en effet dit de lui: Je voyais constamment le Seigneur devant moi, car il est à ma droite pour que je ne sois pas ébranlé.
26 Aussi mon coeur était-il dans la joie et ma langue a chanté d'allégresse. Bien mieux, ma chair reposera dans l'espérance,
27 car tu n'abandonneras pas ma vie au séjour des morts et tu ne laisseras pas ton saint connaître la décomposition.
28 Tu m'as montré les chemins de la vie, tu me rempliras de joie par ta présence.
29 «Frères, il est permis de vous le dire avec assurance: le patriarche David est mort, il a été enseveli, son tombeau se trouve encore aujourd'hui chez nous.
30 Mais il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône quelqu'un de sa descendance, issu de ses reins;
31 il a donc vu d'avance la résurrection du Christ, et c'est à son propos qu'il a dit: Il n'a pas été abandonné au séjour des morts et sa chair n'a pas connu la décomposition.
32 Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous tous en sommes témoins.
33 Exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez.
34 David, qui n'est certes pas monté au ciel, a pourtant dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: assieds-toi à ma droite
35 jusqu'à ce que j'aie fait de tes adversaires un escabeau sous tes pieds.
36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
37 Le coeur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»
38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.

39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»

Prédication :
            Pentecôte, avant que l’Esprit ne soit répandu sur les Apôtres, c’est d’abord une fête juive, la fête de Shavouot, fête des semaines, fête des moissons, et c’est l’un des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Une grande foule est là, une foule de juifs de Judée et de Galilée, bien entendu, mais aussi composée de juifs de la diaspora,  ainsi que de sympathisants du judaïsme, tout ce monde pouvant arriver des quatre coins de l’Empire romain… et d’au-delà. Retenons qu’on parle là une multitude de langues, de dialectes et d’idiomes.
            L’on vient de loin, et l’on arrive à Jérusalem. Il y a tout d’abord dans le récit un mouvement qui  part de la périphérie, qui converge vers le centre.
Puis il y a un mouvement qui part du haut et qui va vers le bas, l’Esprit Saint descend, et même si le récit fait apparaître des langues de feu qui se posent sur la tête des gens, c’est pour chacun une expérience très intime, voire très secrète.
Il y a ensuite le mouvement de cette prédication inaugurale de Pierre, prédication unique donnée dans une langue unique. Du centre on repart vers la périphérie.
Enfin ce dernier mouvement allant s’amplifiant, les gens repartiront vers les quatre coins de l’Empire romain, et au-delà. Chaque pèlerin convaincu par la prédication de Pierre retournera chez lui en étant porteur, et traducteur, de cette première et unique prédication.
Toute cette construction est au service d’une idée simple : tous les chrétiens du monde, édifiés à l’origine par une même prédication, sont tous frères et objectivement membres d’une même entité, l’Eglise.
Ici, poussons un grand Alleluia, la fraternité nous unit et nous unit à tous ceux qui, partout sur cette terre, se réclament du Très Saint Nom de Jésus Christ.
           
            Cette idée, nous l’avons dit, est une idée simple, l’idée d’une prédication unique qui voyage sans s’altérer jamais et qui trouve sans cesse, et jusqu’à nous, de nouveaux adeptes et de nouveaux témoins. C’est une idée tellement simple, et très belle mais, dès l’époque de la rédaction des Actes des Apôtres, c’est une idée tout à fait fausse.
            Les Actes des Apôtres mettent en avant l’idée que l’unité précède la diversité, mais, en réalité, la diversité précède l’unité.

La prédication de Pierre n’est qu’une traduction personnelle, une mise en mots personnelle, une mise en catéchisme personnelle, de la vie de Pierre transformée par sa rencontre de Jésus et fécondée par l’onction du Saint Esprit. La prédication de Pierre est l’exposé raisonné de son intime conviction. Or, le propre de l’intime c’est qu’il s’expose, mais ne se transmet pas.
Autrement dit, dès lors que le discours de Pierre est entendu par tel pèlerin, que ce pèlerin, convaincu, voire transformé par ce qu’il a reçu, retourne chez lui et, dans sa propre langue, dialecte ou idiome, rapporte ce qu’il a entendu et exprime ce qu’il a vécu, la diversification est en marche, la diversité est déjà là. Pourtant, dans le petit périmètre, sur le petit territoire un peu clos, un peu jeune, de réception du récit de ce pèlerin, on vivra, temporairement, une certaine unité.
Et ainsi peut-on affirmer qu’en matière de foi chrétienne, l’unité n’existe que là où l’on est très jeune, peut-être même immature, et centré, voire replié sur soi-même.

Qu’adviendra-t-il si l’un de ceux à qui ce premier pèlerin aura parlé rencontre un autre homme, qui aura, lui, reçu la parole d’un autre pèlerin, dans une autre langue ? Vont-ils se reconnaître comme frères, enfants d’un même Père et sauvés par un même Sauveur ?
 
La foi chrétienne a connu et connaît de multiples expressions. La diversité, cela a pu être toujours constaté, précède l’unité. Mais quelle unité ? Ce n’est pas une question seulement pour les spécialistes de l’œcuménisme. C’est une question pratique, une question à laquelle le début du livre des Actes nous permet de répondre au moins en trois points ; nous les reprenons en remontant le texte.

Premier point, l’unité peut être une unité émotionnelle. Le peuple auquel s’est adressé Pierre est saisi tout collectivement d’une grande émotion. Et il vient alors à l’idée que mon frère, ma sœur, en Christ, est celui qui éprouve la même émotion que moi, au même moment que moi, au même endroit que moi. Nous pouvons tout à fait adhérer à cette idée. Mais nous savons que c’est une idée pour le moins dangereuse ; nous savons bien que les émotions éprouvées collectivement peuvent être stimulées par toutes sortes de prédicateurs habiles et produire parfois des résultats tout à fait délétères. Nul besoin de nous souvenir des grands tribuns des totalitarismes du 20ème siècle. Les tribuns de la politique intérieure française savent raconter bien des choses, émouvoir bien des gens, et faire passer des idées pour le moins étranges… Ne refusons pas d’être émus par ce que nous entendons, ne refusons pas d’être émus par ce que le prédicateur dit un jour de Pentecôte, mais n’en restons surtout pas à une communauté d’émotion… car qui n’est pas venu aujourd’hui au Temple, qui n’a pas été ému aujourd’hui avec nous, mérite aussi notre attention.
Second point, en remontant dans l’ordre de notre texte, l’unité peut être une unité doctrinale. Pierre fait très exactement un exposé de catéchisme, un exposé de doctrine. C’est un bel exposé et on peut approuver cet exposé. Mais cet exposé n’est pas le seul possible. D’autre exposés de la jeune foi chrétienne vont venir, très vite, dans le livre des Actes, et se posera très tôt la question de la reconnaissance entre eux de frères qui  ne se réclament pas exactement de la même doctrine. Celui qui, bien que professant le nom de Jésus Christ, ne le professe pas exactement de la même manière que moi, est-il mon frère, ma sœur ? Celui qui insiste fortement sur l’histoire rapportée par les Saintes Ecritures, et celui qui insiste fortement sur la conduite légale et morale suggérée par les Saintes Ecritures, se reconnaîtront-ils comme frères ? Ce n’est qu’un exemple. Car les doctrines chrétiennes sont diverses, et peuvent, c’est selon, accorder une importance prééminente à la morale, à l’histoire, à l’organisation ecclésiastique, à la liturgie, au geste critique ou encore à l’action diaconale… cela fait autant de variations possibles des discours doctrinaux. Se reconnaîtra-t-on entre frères et sœurs par delà ces discours, ou ne se reconnaîtra-t-on comme frères et sœurs seulement lorsqu’on professera ensemble la même doctrine ?
Troisième point, toujours en remontant le texte, l’unité peut être une unité liturgique et rituelle. Ceux sur qui  l’Esprit descend étaient occupés à une même adoration. Et ceux auxquels Pierre parle étaient occupés à une même fête religieuse. Est-ce que l’unité est unité de celles et ceux qui sont ensemble occupés à adorer Dieu de la même manière ? Mon frère est-il celui qui prie comme moi, qui récite les mêmes prières, qui chante les mêmes cantiques que moi ? Ou celui qui prie tout autrement que moi, dans une langue qui ne sert plus qu’à la prière, avec de l’encens, avec force processions, en parlant en langues, en alignant cinq cantiques de suite… est-il mon frère, est-elle ma sœur ?

En mettant en récit toutes ces modalités de l’Unité, toutes ces formes possibles de la fraternité, et en n’en privilégiant manifestement aucune, l’auteur des Actes des Apôtres nous invite à les repérer toutes, à les éprouver toutes, à les mesurer toutes, et à n’en privilégier aucune. Aucune, sauf une, qu’il prend bien soin de mettre en abyme. Il n’en parle pas directement mais, pourtant, elle est là, évidente. Car lorsqu’on a pris la mesure de ce que produisent entre êtres humains les rigidifications liées aux émotions collectives, les rigidifications liées aux doctrines et les rigidifications liées à la forme du culte, il reste une question, une seule, posée à chacune, à chacun, lorsqu’il en rencontre un autre, différent de lui : celui-ci est-il ton frère ? ta sœur ? es-tu prêt à lui donner de ton temps, de ton argent, de toi-même, à cet être étrange, à cet étranger ?
C’est la seule forme d’unité que notre texte n’évoque pas directement. Et, pourtant, si l’on veut bien prendre la mesure de la démesure du récit de Pentecôte, cette unité, l’unité fraternelle, à laquelle est appelé chaque être humain, est bien celle qui troue toutes les belles cérémonies, toutes les doctrines, toutes les émotions collectives.

Que fais-tu, que faites-vous, de votre frère, du différent, de l’étrange, de l’étranger ?

La première prédication de Pierre, celle de la première Eglise, est une prédication trop jeune, trop enthousiaste et trop exaltée pour qu’on puisse se fonder uniquement sur elle. Elle attend l’épreuve du temps… Elle attend la question que posent finalement ses auditeurs : que ferons-nous ? Et la réponse que donne Pierre ne peut être seulement une réponse liturgique, ou doctrinale, ou émotionnelle. Elle est un peu tout cela. Mais, surtout, elle appelle à la conversion : l’acceptation de cet homme si différent, Jésus, le Nazôréen, et la reconnaissance de la faute de l’avoir rejeté, c’est le premier pas d’une acceptation de tous ces autres si différents que la vie nous réserve de rencontrer et qui sont tous nos frères et nos sœurs. Avec cette conversion vient la promesse concrète d’une humanité réconciliée avec elle-même.

Puisse souffler ainsi et sur nous tous l’Esprit de Pentecôte. Amen


dimanche 3 mai 2015

Dieu aime le monde... et le monde, lui, aime-t-il Dieu ? (1 Jean 3,14-20 ; 1 Jean 4,7-21)

1 Jean 3
14 Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. Qui n'aime pas demeure dans la mort.
15 Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et, vous le savez, aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.
16 C'est à ceci que désormais nous connaissons l'amour: lui, Jésus, a donné sa vie pour nous; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères.
17 Si quelqu'un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu'il se ferme à toute compassion, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui?
18 Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité;
19 à cela nous reconnaîtrons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur,
20 car, si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout.

1 Jean 4
7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu.
8 Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.
9 Voici comment s'est manifesté l'amour de Dieu au milieu de nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.
10 Voici ce qu'est l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d'expiation pour nos péchés.
11 Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
12 Dieu, nul ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous, est accompli.
13 À ceci nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous: il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous l’avons contemplé, et nous en témoignons : le Père a envoyé son Fils Sauveur du monde.
15 Quiconque confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous connaissons, pour y avoir cru, l'amour que Dieu manifeste au milieu de nous. Dieu est amour: qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.
17 En ceci, l'amour, parmi nous, est accompli, que nous avons pleine assurance pour le jour du jugement, parce que, tel il est, lui, tels nous sommes, nous aussi, dans ce monde.
18 De crainte, il n'y en a pas dans l'amour; mais l’amour parfait rejette la crainte, car la crainte implique un châtiment; et celui qui craint n'est pas parfait dans l'amour.
19 Nous, nous aimons, parce que lui, le premier, nous a aimés.
20 Si quelqu'un dit: «J'aime Dieu», et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne peut pas aimer Dieu, qu'il ne voit pas.

21 Et voici le commandement que nous tenons de lui: celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère.


Prédication : 
            L’histoire de Dieu avec le monde est une histoire d’amour. C’est ce que les fondateurs de l’Eglise réformée de France ont retenu, en 1938, lorsqu’ils ont considéré que « la révélation centrale de l’Evangile » se trouvait exprimée dans un verset : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils, unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3,16). Ils ont inscrit ce verset au cœur de la déclaration de foi qu’ils ont approuvée tous ensemble.
            Parler de ce verset comme de la révélation centrale de l’Evangile appelle une observation, et une question.
            L’observation, la voici : lorsqu’on dit d’une révélation qu’elle est la révélation centrale de l’Evangile, on dit qu’il n’y en a pas de plus centrale, de plus profonde ni de meilleure. Et s’il advient que quelqu’un ait une autre révélation, que se passe-t-il ? La première épître de Jean, écrite à l’occasion d’une grave crise ecclésiastique, nous permet de méditer sur cette idée de révélation.
            Voici maintenant la question. L’histoire de Dieu avec le monde est une histoire d’amour : Dieu aime le monde. Mais le monde, lui, aime-t-il Dieu ? Tout en méditant ces versets de la première épître de Jean, nous essayerons d’approfondir cette question, et, surtout, de nous la poser à nous-mêmes.

            Commençons par notre observation. La révélation centrale de l’Evangile, telle que la formule la 1ère épître de Jean est énoncée ainsi : « Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son fils, unique, dans le monde, afin que nous vivions par lui. » C’est presque exactement ce que l’évangile de Jean affirme. Cette révélation centrale n’est pas mise en mots tout à fait gratuitement ; tout texte est composé dans des circonstances particulières. La 1ère épître de Jean est composée dans des circonstances qui sont déchirantes. Il y avait une communauté rassemblée autour d’une révélation, celle que nous venons de rappeler, puis, certains, au sein de cette communauté, se sont mis à se réclamer d’une autre révélation que la précédente. Ils l’ont prétendue meilleure, plus accomplie, et définitive.
Alors, oui… on ne pourra jamais empêcher quelqu’un d’affirmer qu’il a eu, lui, une révélation meilleure que celle dont vous vous réclamez vous. D’une certaine manière, c’est tant mieux, la divinité de Dieu inclut sa liberté de s’adresser comme il veut, quand il veut, à qui il veut. Mais d’une autre manière, cette liberté est la porte ouverte à toutes sortes d’affirmations d’inégale valeur, à toutes sortes de possibles séductions, à de réelles sottises voire de monstruosités…
            Au moment où la 1ère épître de Jean est rédigée, certains se réclament d’une première révélation, d’autres d’une seconde révélation. Nul n’a jamais vu Dieu, disent les premiers ; nous, nous l’avons vu, affirment les seconds. Jésus Christ est venu en chair, un vrai homme, affirment les premiers ; non, il était un pur esprit, affirment les seconds. C’est Dieu qui nous a aimés le premier et nous l’aimons parce qu’il nous aime, affirment les premiers ; non, c’est nous qui avons aimé Dieu et nous l’aimons pour qu’il nous aime, répondent les seconds… Résumons cette seconde révélation : Jésus était un esprit qui nous a enseigné la connaissance supérieure d’un Dieu qui est lui-même esprit, que nous devons aimer, et auquel un parcours initiatique peut nous faire accéder ; en quoi nous possédons un savoir qui nous rend supérieurs au reste des humains.
            Cette révélation a séduit, nous le lisons en creux, une grande partie de la communauté. Et cela a été l’occasion de tensions, puis de conflits, violences verbales sans doute, physiques peut-être aussi, puis de scissions, puis de haines. Et par-delà les belles convictions et les vilains mots, se pose un problème : un frère, un semblable, dans la misère noire, mais qui ne se réclame plus de la même révélation que vous, doit-on le secourir ? Ce problème est posé aux uns comme aux autres. La vie réelle s’invite dans ces affaires de révélation, de doctrine et d’intime conviction : que professes-tu ? comment agis-tu ? qui est ton frère ? que feras-tu pour lui ?  

            Nous avions annoncé une observation sur la révélation centrale de l’Evangile, et une question. Nous sommes arrivés au moment de nous rappeler cette question : Dieu aime le monde, c’est entendu, mais le monde aime-t-il Dieu ? Avant de tenter de répondre, méditons un peu – avec la première épître de Jean que nous venons de lire – sur l’amour dont Dieu aime le monde.
Ça n’est pas si simple que cela, d’affirmer que Dieu aime le monde, surtout que, comme l’épître le rappelle, Dieu, nul ne l’a jamais contemplé ; nul ne peut se déclarer intime de Dieu et affirmer qu’il sait tout de Lui. Ceci pour introduire que tout ce qu’on professe au sujet de Dieu relève d’une révélation, c'est-à-dire de l’intime conviction.
Dieu aime le monde. Et l’épître déclare qu’en raison de cet amour, Dieu a envoyé son fils unique dans le monde – et l’on sait ce que le monde fit de ce fils... Pour bien saisir la profondeur de l’engagement de Dieu envers le monde, rappelons que le fils est unique : Dieu lui-même n’en a pas deux. Dieu, qui est UN,  aime, et un véritable amour ne se dédouble pas. Il se donne, entièrement. Il est entièrement livré entre les mains de ceux à qui il se donne. Ainsi en est-il de l’amour. Dieu est amour, Dieu aime le monde…
            Et le monde, lui, aime-t-il Dieu ? Il ne s’agit pas de répondre à la place du monde. Il est trop facile de regarder l’état du monde, de regarder ce que les gens font d’eux-mêmes et font à leurs semblables, puis de conclure que le monde n’aime pas Dieu. C’est trop facile de procéder ainsi, parce que la question n’est pas posée au monde. La question est posée à ceux qui croient et professent que Dieu aime le monde. Ce n’est pas une question abstraite sur Dieu, mais une question concrète posée à ceux qui croient en lui.
Selon l’épître de Jean, aimer Dieu que nul n’a jamais vu n’est qu’un mensonge si l’on n’aime pas ce monde que l’on ne cesse jamais de voir. Autrement dit, la proclamation de l’amour de Dieu pour le monde est, pour celui qui la proclame, une brûlante question : toi qui crois et professes que Dieu aime le monde, aimes-tu le monde ? L’aimes-tu, non pas en sentiment seulement, car l’amour de Dieu n’est pas un sentiment seulement mais un engagement, total, définitif ? Ce monde, l’aimes-tu ainsi ?
Mais le monde, c’est encore trop vague, ou trop vaste. L’épître de Jean restreint la question à un champ plus étroit : le proche, le semblable, le frère. Mais pas n’importe quel frère : aimes-tu, toi qui professes que Dieu aime le monde, ce frère qui, depuis qu’il se réclame d’une autre révélation que la tienne, te regarde de haut ? L’aimes-tu – concrètement – c’est à dire en engagement, en solidarité, ou bien, parce qu’il se réclame d’une révélation autre que la tienne, le regardes-tu de haut toi aussi ? Alors, que donnes-tu, que consacres-tu à ce frère, sans certitude qu’il le reçoive, sans espérance même de réciprocité ? Et s’il vient à t’exclure de la communauté, l’aimeras-tu encore ?
L’épître de Jean, au nom même de ce qu’elle professe, l’amour de Dieu pour le monde, ose déclarer caduque toute profession de foi – y compris la sienne propre – qui ne serait pas soutenue par un témoignage d’amour cohérent et concret. Dieu aime le monde n’a de signification réelle que lorsque ceux qui le professent aiment, et concrètement, en actes – pas en sentiments et en paroles seulement – ceux qui se sont éloignés de la communauté, voire ceux qui les excluent de la communauté.

Sœurs et frères, nous professons cet amour, l’amour de Dieu pour le monde. Et notre profession de foi ne peut faire exception de personne. Aimons-nous ainsi ? Notre cœur, peut-être, nous accuse. Mais Dieu, qui aime le monde, est plus grand que notre cœur. Il s’est totalement donné au monde et son amour ne saurait faillir.
Et puis, osons le dire, chaque geste minuscule que nous accomplissons pour notre semblable, pour notre frère, est une esquisse de la révélation tout entière.
Que Dieu nous vienne en aide.