Romains 12
1 Je vous exhorte donc,
frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes à Dieu en
sacrifice vivant, saint et agréable : ce sera là votre culte spirituel (raisonnable) (accordé à son objet).
2 Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, ce qui est agréable, ce qui est parfait.
Prédication
Dans l’histoire de nos synodes, l’histoire des sujets sur
lesquels notre Eglise a cru nécessaire de devoir se prononcer, il y a une
classe de sujets qu’on appelle des sujets de société. Parmi ceux-ci, un peu
ancien mais pas tant que ça, la question du ministère pastoral féminin, sujet maintes
fois évoqué, et résolu en 1966. Parmi ces sujets aussi, la question de la
bénédiction nuptiale des divorcés. Ou encore, et récemment, il y a cinq ans, la
question de la bénédiction de toutes sortes de couples.
Un sujet de société, c’est l’Eglise qui se prononce, le plus souvent après
que des évolutions sociétales significatives aient eu lieu. Elle se demande si
elle doit ou pas évoluer elle aussi, elle tâche de réfléchir sur ce qu’elle
doit faire, si elle doit ou pas adapter ses règlements et ses liturgies pour
les rendre compatibles avec ce qui est déjà devenu un usage et avec ce sur quoi
la société civile a déjà légiféré.
Tous ces sujets ont en commun qu’ils sont, comme on dit, clivants. D’un
côté, ceux pour qui la chose va déjà de soi et est évidemment bibliquement
justifiée. De l’autre côté, ceux pour qui la chose est absolument
inenvisageable, voire interdite, Bible en main évidemment aussi.
Si l’on faisait le hit-parade des versets les plus souvent utilisés au
cours des débats portant sur ces sujets, Romain 12:2 serait à coup sûr le
verset gagnant : « Ne vous conformez pas au monde présent,
etc. », tout comme nous venons de le lire. Un verset très intéressant,
mais aussi très embarrassant. Et très embarrassant pour deux raisons : (1)
Qu’est-ce qui caractérise le monde présent ? (2) Quelqu’un peut-il
affirmer de lui-même que son intelligence a été renouvelée et qu’il sait par
conséquent discerner ce que Dieu veut ? La méditation de ces deux
questions est l’objet de ce sermon.
Qu’est-ce qui caractérise le monde présent ?
Nous sommes en train de méditer un texte de Paul, qu’il adresse aux Romains,
habitants de Rome, vers 58-59 ap. J.-C. Qu’est-ce qui caractérise le monde présent
de Paul, Juif de culture, Romain de naissance, apôtre du Seigneur Jésus
Christ ? Même avec le privilège du recul historique, et faute d’être
historien, il n’est pas forcément simple de répondre. Mais voici tout de même
une vague piste.
Lorsque Paul entreprend
sa lettre, c’est le début du chaos dans le règne de Néron (54-68). Comment
devient-on empereur, et comment demeure-t-on empereur ? par décision du
Sénat, c'est-à-dire consensus entre les principales familles romaines, et ensuite
par acclamation par l’armée ? Ou par la voie de complots et de corruption ? Régner, est-ce une affaire de délibération
entre pairs éclairés, ou est-ce décision d’un seul ? Est-ce exercice de la
violence plutôt que de la vertu ?
L’épître de Paul aux Romains ne peut pas tout de go être regardée comme un
écrit politique. Mais nous y trouvons par contre, dans le premier chapitre, une
liste considérable de vices, péchés et turpitudes, liste dont nous pensons
qu’elle pourrait constituer la description de ce monde présent, ce monde dont
Paul veut parler. Vous pourrez relire cette liste, mais lorsque vous le ferez,
vous constaterez qu’elle est finalement assez intemporelle et très peu
originale. Ce qui, par contre, est original, c’est que Paul ne dresse pas cette
liste pour caractériser son monde et pour en condamner, un par un, les
habitants, mais pour rendre impossible, à vues humaines, tout jugement et toute
condamnation. « Tu es donc indéfendable, toi, qui que tu sois, qui juges;
car, en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, puisque tu en fais autant,
toi qui juges » (Romains 2:1). Paul puise ici à ce qui est peut-être
le meilleur des traditions hébraïques – le Christ Jésus, selon Jean, ne fera
pas autrement pour sauver une femme adultère – en réservant le droit de juger
et de condamner à celui-là seul qui serait sage entre tous les sages, et pur
entre tous les purs. Mais cet homme-là n’existe pas, Dieu seul est donc juge.
Or, au lieu de condamner, Dieu fait miséricorde à tous (Romains 11:32).
Et c’est cette miséricorde précisément qui est à l’origine, au principe du
monde selon Paul, un monde dont les habitants, se sachant tous imparfaits et
égaux en imperfection, aspirent à ce que leur intelligence soit renouvelée.
Qu’en est-il de ce renouvellement de l’intelligence ?
Qu’est-ce, d’abord, que cette intelligence ? C’est, avec Paul, la
capacité à discerner ce qui est bon – contribuant à l’éclosion et
l’épanouissement de la vie ; ce qui est agréable – qui peut être accepté ;
ce qui est parfait – ce qui fait l’objet d’engagements durables, dans la
perspective ouverte par les deux premières qualifications. Il y a bien sûr de
l’incertitude là-dedans, ça ne s’appelle pas discerner par hasard. Il y a de la
découverte, de l’apprentissage.
L’intelligence n’a pas nécessairement besoin d’énoncer de grands principes,
non qu’elle fasse fi de grands principes, mais parce qu’elle est expérience,
parce qu’elle est situation.
L’intelligence dont parle Paul est à la fois une morale provisoire et une
fraternité agissant concrètement. Aussi vrai que Dieu est vivant, elle est
vivante ; aussi vrai aussi que l’homme est pécheur, elle doit être
constamment renouvelée.
Mais le peut-elle par ses propres forces ? La réponse de Paul est
apparemment sans appel : parce que l’homme est homme, et parce que Dieu est
Dieu, l’intelligence de l’homme ne peut pas être renouvelée de par ses propres
forces. Mais, et c’est capital, l’être humain peut s’offrir lui-même à
Dieu ; devant Dieu, il ne peut peut-être rien d’autre, mais cela, affirme
Paul, il le peut.
« Je vous exhorte donc, frères, parce que Dieu fait miséricorde – et la miséricorde de Dieu vient en premier – à vous offrir vous-mêmes à Dieu, en sacrifice vivant, saint et qui puisse être accepté ; cela sera votre culte, conforme à son objet. »
Quel lien entre ce culte dont parle Paul et le culte que nous vivons,
dimanche après dimanche, dans la liturgie, dans la prière et dans la méditation
de la Parole ? Chaque dimanche et chaque jour…
Ouvrir grandes nos oreilles et grands nos cœurs, prêter attention à des
paroles récitées, parlées et chantées, qui nous y sont offertes. « La
liturgie, m’a dit un jour sœur Myriam, prieure des Diaconesses de Reuilly
jusqu’en 1996, me fait entendre et dire des choses que je n’aurais jamais
entendues ni dites sans elle. » C’est cela, s’offrir à Dieu, et chacun en
est capable.
L’unique divine et vivante parole trouve et trouvera place en nous, chaque jour. Et notre intelligence vivra de cette parole et du renouvellement qu’elle apportera. Amen