samedi 28 novembre 2020

Il est impératif de veiller (Marc 13:33-37) Premier dimanche de l'Avent

 Marc 13

33 « Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. 34 C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller. 35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin, 36 de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.

37 Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez. »

Prédication :

            Et voici un impératif que nous avons déjà rencontré il y a peu. L’impératif de veiller. Nous lisions l’évangile de Matthieu, voici celui de Marc, avec les mêmes signes avant-coureurs de la même fin. Les évangélistes ne sont pas les seuls auteurs à avoir écrit sur les signes de la fin. Nous avons ce genre de texte aussi dans l’Ancien Testament (Ésaïe, Ézéchiel, Daniel…) et dans quantité d’écrits qui ne sont pas recueillis dans la Bible. Il y en a tant d’ailleurs, et à tellement d’époques différentes, qu’il est possible de dire que la production de ce genre de texte n’a jamais cessé. Ces récits ont été continûment inspirés les uns par les autres depuis que le monde est monde et qu’il a inventé l’écriture, chaque auteur ne faisant que rajouter aux textes de ses prédécesseurs ce que les progrès de la technique permettaient d’imaginer en fait de moyens de s’autodétruire… La fin de ces récits, finalement assez convenue, est toujours à peu près la même, celle d’une grande reconstruction. Et ces récits, depuis toujours, enthousiasment les uns pendant qu’ils assomment d’ennui les autres, et il ne semble pas qu’il y ait de moyen terme.

            Pourquoi ? Peut-être ces textes sont-ils une sorte d’écriture de l’espérance des impuissants... Mais il se passe aussi que toute pensée qui se plonge dans la religion reçoit une poussée du bas vers le haut, et du présent vers le futur, lui faisant imaginer un savoir de l’au-delà de tout ce qui est observable et une connaissance de la fin de toutes choses. En plus, s’exprimer avec autorité sur ces matières est une tentation à laquelle il semble extrêmement difficile de résister. Au point qu’il faut se demander pourquoi il n’y a pas une quatrième tentation évangélique qui porte là-dessus, tentation en face de laquelle, justement, serait dressé l’impératif de veiller ; cet impératif spécifique renouvellerait d’ailleurs notre interprétation de l’épisode de Gethsémanée : « Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation » (Mar 14:38) – rendez-vous pris pour la prochaine Semaine Sainte.

            Peut-être est-ce en résistant à cette quatrième tentation que l’auteur de l’évangile de Marc, le premier, a innové, en ne considérant pas que les récits de la fin parlent de la fin, mais en considérant plutôt qu’ils parlent d’un commencement, commencement d’un engagement stupéfiant, engagement de Jésus Christ qui va se dessaisir totalement de lui-même, jusqu’à la mort sur la croix, et engagement ultime de Dieu qui va se dessaisir totalement de lui-même en ramenant Jésus Christ de la mort à la vie. Figure de cet engagement, l’incarnation, et moment essentiel de cette incarnation, Noël.  Aujourd’hui, c’est le premier dimanche de l’Avent, et au bout de cette période de l’Avent, ça sera Noël.

             Aujourd’hui, l’impératif que nous recevons, c’est de veiller, « de peur qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve en train de dormir. » Le sommeil est indispensable à la vie humaine, et nous n’allons pas passer du temps à imaginer un ministère de veilleur de nuit ni l’organisation de quarts comme on le fait sur les navires.

            Le contraire de veiller c’est dormir, c’est entendu. Mais ça n’est pas seulement de la veille et du sommeil somatiques que Jésus parle ici. La petite histoire qu’il sert à ses auditeurs, trop simple pour être une parabole, vient à la suite du récit convenu des signes de la fin, récit enrichi de quelques phrases qui placent l’ignorance en face du savoir, tout comme Jésus place la veille en face du sommeil.

Il existe pour la vie, disons d’abord pour la vie spirituelle, une sorte de sommeil qui est un sommeil toxique. Pour tâcher d’expliquer ce qu’est ce sommeil, nous pouvons nous souvenir d’une querelle entre deux prophètes et sur la durée de l’exil. Une partie de l’élite de Jérusalem avait été exilée en Babylonie (~ 590 av. J.C.). Combien de temps cet exil allait-il durer ? Le prophète Hananyah annonça une durée de deux ans, le prophète Jérémie annonça une durée de 70 ans, assortissant cette durée d’un encouragement à continuer à vivre, bâtir des maisons, cultiver des jardins, faire des enfants (Jérémie 27-28). Deux années, à peine plus qu’un battement de cils, c’est peut-être un savoir vérifiable, mais c’est surtout une durée imaginaire, une prédiction qu’on a plaisir à faire, plaisir à entendre, qui ne prépare aucun avenir, qui ne laisse aucun espace d’ouverture pour les surprises de la vie et qui, dans ce sens, est toxique. Alors que 70 années, un coup de massue peut-être lorsqu’on l’entend la première fois, c’est à peu près trois générations et compte tenu de la stabilité des empires c’est une durée réaliste, c’est surtout, dans la bouche de Jérémie, le commandement de continuer à vivre. Et que s’est-il passé 70 ans plus tard ? Le livre d’Esdras s’ouvre sur une réalisation calendaire de la prophétie de Jérémie, et sur la belle histoire d’un retour massif des exilés à Jérusalem… un retour massif qui n’a jamais eu lieu. Plus qu’un retour massif c’est un courant d’échange permanent qui s’est établi entre le judaïsme de Judée et le judaïsme de Babylonie, où à force de veille une espérance millénaire avait pu prendre corps, espérance qui permit au judaïsme de ne pas se perdre lorsque c’est à l’échelle de l’empire romain qu’il dut se disperser. 

Dans l’évangile de Marc, le commandement de veiller vient juste avant que le complot contre Jésus entre dans sa phase active. « La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. » Le moment tragique de l’incarnation en était à son commencement, dont nous reparlerons bientôt.

Qu’en est-il aujourd’hui, premier dimanche de l’Avent, de cet impératif. Nous pouvons veiller avant l’incarnation. Nous connaissons le déroulement de l’année liturgique. Nous savons que chaque année, au moment où nous célébrons l’avènement de la Seigneurie du Christ sur toutes choses (fête du Christ Roi de l’Univers, dernier dimanche avant l’Avent), c'est-à-dire au moment où nous célébrons la fin de l’histoire, nous sommes tout proches de célébrer la faiblesse du Christ, enfant nouveau-né, sur la paille de la crèche. Cela ressemble à un perpétuel retour des choses… cela y ressemble seulement. C’est beaucoup plus que cela. Le Christ Roi de l’Univers veille sur l’humanité entière, mais sur la paille de la crèche, qui va veiller sur lui ? L’enfance de Jésus Christ n’a pas retenu l’attention de l’évangéliste Marc. Mais Matthieu et Luc en ont parlé : Jésus est un enfant sur lequel des parents ont veillé. Mais lorsque nous parlons de la crèche, nous ne parlons pas seulement de l’enfant, nous parlons aussi de l’incarnation. Nous pouvons veiller avant l’incarnation, mais c’est une autre question qui se pose à nous : qui va veiller sur l’incarnation ? Qui va veiller à ce que le mouvement décisif de Dieu vers l’homme, que les évangélistes ont mis en récits, que les théologiens tâchent de penser, que les liturgies célèbrent, soit et demeure toujours un engagement concret de l’homme vers l’homme, une ouverture, une amitié, une fraternité, une diaconie… ?

« Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez ! » Non pas sur les signes des temps ni sur l’accomplissement littéral de telles et telles prophéties, un peu, peut-être, mais certainement pas d’une manière essentielle. D’une manière essentielle veillez les uns sur les autres. L’impératif est là. Notre réponse positive est attendue.

Que Dieu nous soit en aide. Amen


mercredi 25 novembre 2020

Lettre pastorale du 25 novembre : ceux qui pleurent


« Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés »


     Parmi différentes sortes de pleurs, nous en retenons trois. Des pleurs qui jaillissent immédiatement, dès que l’accident est arrivé, dès l’annonce d’un événement tragique. Ces pleurs sont le signe d’un débordement émotionnel, ils peuvent assez rapidement cesser, mais parfois durent toujours. Il y a aussi des pleurs rituels qui durent le temps que dure une cérémonie. Et il y a des pleurs de deuil, auxquels il est difficile d’assigner une durée, qui durent tant que dure le deuil, qui sont parfois secrets, parce que les grandes douleurs sont muettes, et qui peuvent ne jamais cesser tout à fait, tant il est vrai que certains deuils sont interminables. Toutes ces sortes de pleurs sont repérables dans les textes bibliques, avec autant de verbes. Dans la troisième des Béatitudes (Matthieu 5:5) le verbe utilisé suggère qu’il est plutôt question des pleurs de deuil, mais nous allons tout de suite voir qu’il n’est pas seulement question du deuil.

            L’évangile de Matthieu conserve le récit d’un massacre d’enfants ordonné par le roi Hérode, il garde le souvenir des pleurs des mères de ces enfants, « une voix dans Rama s'est fait entendre, des pleurs et une lamentation : c'est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus » (Matthieu 2:18). Premiers et seuls pleurs rapportés après ce massacre, ils sont le signe d’une souffrance qui ne cessera jamais, d’une souffrance indéfiniment recommencée et qui fera échouer toute tentative de consolation, d’une souffrance qui atteint jusqu’à la volonté même de celles qui ont été frappées. Pourvu qu’à cette souffrance il ne soit jamais opposé catégoriquement que notre Seigneur Jésus Christ a affirmé Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. Plus qu’une sorte de principe, la Béatitude est ici une confession de foi, qui doit parfois, question de tact, rester silencieuse et demeurer s’il le faut pour toujours la main secourable qui se tend, et que personne ne saisit.

         Pleurs de deuil : du temps a passé et la blessure vive, suturée, pansée, est en voie de cicatrisation… Le temps très figé de l’effarement rejoint le temps plus fluide d’une vie ordinaire. Comment passe-t-on d’un temps à un autre temps ? Nous l’observons, nous le ressentons, mais nous ne savons pas comment. Quant au cheminement du deuil, se fait-il sans aide extérieure ? Observons que le verbe consoler est à la voix passive : ils seront consolés, le processus est en route. Rien ne sera plus comme avant, mais il arrivera un temps où ils pourront repenser à ça sans être submergés par ce qu’ils ressentent. Qu’est-ce qui opérera la consolation, ou qui seront les consolateurs ? Dans ce processus, la Béatitude est porteuse de deux certitudes, portant justement l’une sur la consolation, et l’autre sur les consolateurs : il y en a, et il y en aura. Et ça n’est pas une certitude seulement, c’est une expérience. Chaque jour dure autant que le précédent, mais chaque fin de soirée, même au plus obscur de la nuit, a des allures discrètes d’un nouveau printemps, qui peut souvent émouvoir jusqu’aux larmes, larmes de joie, larmes de ceux qui regardent toute leur vie, et la regardent en paix. De nouveau, chaque journée peut apporter ce qu’il faut de rencontres, de surprises et d’étonnement. Chaque journée peut de nouveau apporter le plaisir de l’étude et de la pratique religieuse. La vie même blessée y retrouve son sens. Heureux ? Sur le chemin de la consolation ; la Béatitude y est un double engagement, de celui qui accompagne, et de celui qui est accompagné.

             Et puis, ultimement, la Béatitude vient répéter, discrètement, secrètement, qu’il n’y a pas de vie perdue. C’est à l’intime que cela se dit, et dans un certain silence que cela se joue.

 

Pasteur Jean DIETZ, 25 novembre 2020


Culte dominical : https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q

Offrande en ligne : https://www.eglise-protestante-unie.fr/vincennes-montreuil-p71320/don

samedi 21 novembre 2020

Est-ce à Dieu que nous voulons avoir affaire ? (Matthieu 25,31-46)

Matthieu 25

31 «Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire. 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. 33 Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche. 34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: 

‹Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. 35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli; 36 nu, et vous m'avez vêtu; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi.› 37 Alors les justes lui répondront: ‹Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire? 38 Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir? 39 Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi?› 

40 Et le roi leur répondra: ‹En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait!›

41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche: ‹Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire; 43 j'étais un étranger et vous ne m'avez pas recueilli; nu, et vous ne m'avez pas vêtu; malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.› 44 Alors eux aussi répondront: ‹Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t'assister?›

45 Alors il leur répondra: ‹En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.›

46 Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle.»

Prédication :

            Serons-nous – serai-je – brebis ou chèvre ? Serons-nous placés à droite, ou à gauche ? Serons-nous des bénis ou des maudits ? Et finalement, sommes nous – suis-je – destinés à la vie éternelle ou au châtiment éternel ? Nous ne le savons pas. Bien sûr, nous aurons parfois donné à manger, donné à boire, recueilli, vêtu, soigné, et visité, ce qui nous destine à la vie éternelle. Et bien sûr, nous aurons parfois fait défaut, ce qui nous destine au châtiment éternel. Quant à nos actes, nous n’en aurons plus un seul souvenir, car la charité ne fait jamais le compte de ses actes, et l’indifférence le fait encore moins que la charité. Le grand juge, lui, qui siégera en pleine gloire, comment fera-t-il le total ? Nous ne le savons pas. Nous savons bien plutôt qu’il ne le fera pas, et il ne le fera pas parce que le résultat est connu – comme il est écrit – depuis la fondation du monde.

            L’évangile de Matthieu n’est pas le premier à parler ainsi de fin des temps, en utilisant des images pastorales. Ézéchiel (chapitre 34), au bas mot cinq siècles plus tôt, prophète du temps de l’exil babylonien, voit en Dieu lui-même le berger qui congédiera de mauvais bergers, et qui prendra soin de son troupeau, fortifiera les bêtes faibles, guérira les malades… et surtout rassemblera le troupeau dispersé. Ézéchiel voit en Dieu lui-même celui qui règlera leur compte à ceux qui, chargés de mener paître le troupeau, ne mènent paître qu’eux-mêmes. Ces gens-là, mauvais bergers, Ézéchiel les traite de bêtes grasses, et les promet à l’extermination.

            Avantage du prophète Ézéchiel sur l’évangéliste Matthieu : les bêtes grasses se distinguent aisément du reste des animaux. Mais pour ce qu’il en est de la séparation des justes dans l’évangile de Matthieu, c’est une toute autre affaire. Au fil des textes que nous avons lus et médités ces deux derniers mois, il a été question d’une invitation inespérée à une noce, mais avec un risque d’exclusion brutale ; il a été question aussi de dix jeunes femmes, et d’une noce aussi, mais cinq en furent exclues ; il a été question encore de trois serviteurs, mais un fut dépouillé puis jeté dehors. Et maintenant, avec le jugement dernier, il est question de vie éternelle, ou de châtiment éternel… et nous ne savons toujours pas pour qui. Car notre dernier texte peut conforter ceux qui sont les plus sûrs d’eux-mêmes, autant qu’il peut inquiéter d’avantage encore ceux qui sont déjà les plus inquiets.

            Si bien que revient une fois encore la question que nous avons posée ces dernières semaines : ces enseignements de Jésus, les chapitres 21 à 25 de Matthieu, que sont-ils donc ? Sont-ils des révélations particulières qui portent sur la fin des temps, l’élection et la réprobation, le salut et la damnation, pour qui et en fonction de quels mérites ? Ou bien sont-ils un enseignement sur ce qui advient dans les groupes, communautés ou Églises, lorsque leurs membres se mettent furieusement en quête de réponses à la question de leur propre salut ?

L’orientation de nos méditations a été dans le sens de cette deuxième question, et nous avons proposé cette réponse : lorsque les humains se mettent en quête de réponses à la question de leur propre salut, ils finissent toujours par justifier l’exclusion, celle des autres évidemment, et par justifier l’élection, la leur évidemment ; et pour être encore plus certains de ce qu’ils avancent, c’est dans la bouche de Jésus lui-même qu’ils trouvent les phrases qui les arrangent.

Si bien que c’est pour cela, et pour tâcher de désarmer cela, que Jésus a donné tous ces enseignements que nous avons médités. A chaque fois, la question posée, implicitement et explicitement, était toujours la même : « Voici ce qui peut advenir lorsque les temps se feront si durs que vous croirez que la fin est toute proche, voici ce qu’il en sera alors de la prédication du salut . Est-ce ce que vous voulez ? » Et tous ces textes préparent leur lecteur à dire non. Tous ces textes préparent leur lecteur à dire ceci : « Du jugement de Dieu nous ne voulons rien savoir. S’il y a ou s’il n’y a pas de jugement de Dieu nous ne voulons pas le savoir. Savoir que le savoir du jugement est un non savoir ne nous intéresse pas. Et si Dieu finalement juge mais ne condamne personne nous ne voulons pas le savoir non plus. Et pour finir, nous nous refusons même à dire que tout cela relève au fond du mystère de Dieu. »             

Au fond, la grande question qui est posée à leurs lecteurs par ces chapitres de Matthieu est celle-ci : « Est-ce à Dieu que vous voulez avoir affaire ? »

Notre travail de lecture et d’interprétation, et la conclusion tellement ouverte, tellement inattendue, de ce travail peuvent nous avoir persuadés que c’est bien de Dieu en Jésus Christ qu’il est question dans l’évangile de Matthieu (on pourrait, on devrait même, mener ce travail de lecture et d’interprétation sur d’autres grandes pages la Bible… mais restons-en provisoirement à Matthieu 21-25). Il y est bien question de Dieu, mais est-ce à Dieu que nous voulons avoir affaire ?

Au risque d’apparaître trop affirmatif, voire péremptoire, au risque donc d’une contradiction ruineuse, nous proposons ceci : si c’est un savoir que nous recherchons et trouvons dans ces chapitres, si c’est seulement la possibilité d’un savoir que nous cherchons et trouvons, alors ça n’est pas à Dieu que nous voulons avoir affaire. Si ces chapitres semblent soulever un coin du voile qui couvre un mystère, c’est une part du mystère de l’homme qu’ils dévoilent. Ce qui est dévoilé n’est pas très beau. Mais avec ce dévoilement, la question posée prend toute sa pertinence. Et tant que cette question est posée, ce qui est dévoilé n’est absolument pas une fatalité. Bien des croyants n’ont jamais abdiqué sur le thème de la foi seule, bien des croyants n’ont jamais cessé de n’avoir affaire qu’à Dieu. Bien des croyants n’ont jamais affirmé qu’une seule chose : Dieu seul est Dieu.

 Et c’est pourquoi le fin mot de l’évangile ne peut pas être que les réprouvés s’en iront au châtiment éternel et les justes à la vie éternelle. Voici donc le début de la suite-et-fin du récit : « Or, quand Jésus eut achevé toutes ces instructions, il dit à ses disciples : "Vous le savez, dans deux jours, c'est la Pâque : le Fils de l'homme va être livré pour être crucifié." » La suite, c’est l’engagement, celui de Jésus Christ qui va se dessaisir totalement de lui-même, jusqu’à la mort sur la croix, et c’est aussi l’engagement ultime de Dieu qui va se dessaisir totalement de lui-même en ramenant le Christ de la mort à la vie. Et nous aurons à dire alors, devant cet incroyable engagement du Fils et du Père, que c’est bien à Dieu que nous avons affaire, et bien à lui aussi que nous voulons avoir affaire.

Mais nous n’allons pas anticiper sur la semaine sainte qui viendra en son temps – que Dieu nous garde. Il est un autre moment de l’année liturgique où nous pressentons tout cela, c’est l’Avent, qui commence la semaine prochaine, et qui nous prépare à méditer sur l’accomplissement de toutes choses, accomplissement de la destinée même de Dieu qui advient dans une seule naissance.

 Sœurs et frères, patience dans l’azur, patience dans la crèche. Il vient. Amen



mercredi 18 novembre 2020

Lettre pastorale du mercredi 18 novembre. Les doux.

 

« Heureux les doux : ils hériteront de la terre »

Lorsque les Hébreux sortirent du désert après 40 années d’exode, et qu’ils commencèrent à entrer dans leur terre promise, cette terre était déjà occupée. Ceux qui occupaient cette terre seraient-ils enclins à la partager avec ces derniers venus ? Et les Hébreux eux-mêmes, forts de la promesse de leur Dieu, seraient-ils enclins à un partage ? La guerre était-elle inévitable et l’extermination en serait-elle la seule issue ? Lorsque nous lisons la Bible, à partir de l’Exode et jusqu’à la fin du livre de Josué, nous pouvons remarquer que la conquête n’a jamais été totalement achevée. Certains auteurs bibliques voient en cela le ferment d’une dégénérescence qui, des siècles plus tard, allait aboutir à l’exil, voire même à l’assimilation. D’autres auteurs, sotto voce, donnent à méditer sur des modes de cohabitation, des manières de partager de la terre. Et ces modes de partage peuvent être vus comme les germes d’une ouverture de la promesse à l’ensemble de toutes les nations. Des faucons d’un côté, et de l’autre des colombes, face à face, ainsi est le monde. Les faucons l’emportent-ils toujours ? Ceux pour qui la fin justifie les moyens vont-ils toujours mettre la main sur la terre qu’ils convoitent ? Ceux qui espéraient vivre pour toujours sur la terre de leurs pères devront-ils s’incliner et disparaître ?

Vision du prophète Zacharie : « Voici que ton roi s'avance vers toi ; il aime la justice, il sauve, il est doux, monté sur un âne, le petit d’une ânesse. » Zacharie imagine un roi qui prend la ville autrement qu’avec des machines de siège, un roi plein de douceur qui rend inutiles l’arc de guerre et le char de combat, un roi qui, depuis Jérusalem, établira la paix sur tout le Proche-Orient. Avec quels moyens ? Zacharie ne le dit pas. Le roi plein de douceur n’a que sa douceur et son amour concret de la justice pour sauver ses sujets de l’enchaînement toujours recommencé des violences. Avec ce roi, une paix douce et d’inspiration divine est inscrite sur l’horizon de l’histoire, mais que faire dans l’attente de l’avènement de ce roi ?

Réponse de Jésus à cette question : « Heureux les doux. » La deuxième des Béatitudes ne parle pas d’un roi. Elle renvoie à une expérience individuelle, l’expérience des doux. Qu’est-ce que l’expérience des doux ? Jésus dit de lui-même qu’il est doux (Matthieu 11:29). En quoi est-il doux ? Il est doux parce qu’il renonce à l’exercice de la violence et de la domination. Il est doux car en ce qu’il dit, et en ce qu’il fait, il engage entièrement sa propre personne. Il n’engage que sa propre personne ; ceux à qui il s’adresse, ceux qu’il nourrit ou guérit, restent toujours totalement libres de répondre, d’acquiescer ou de refuser, de bénir ou de maudire. Face à Jésus, l’être humain reste libre, toujours. Les doux sont ceux qui, atteints et convaincus par la douceur du Christ, choisissent avec lui la douceur. Affirmons aussi que même sans Christ il est possible d’être doux.

Quelle promesse pour les doux ? Ils hériteront la terre. Ils hériteront de ce pour quoi les humains se déchirent avec le plus de férocité : la terre. Cet héritage ne leur échoira pas à cause de leur lignée ; devant la douceur, la lignée n’est rien. Ni à force de douceur, ce serait une contradiction. Ils en hériteront toujours comme par pure grâce, même si leurs ancêtres étaient déjà là.

Les doux qui héritent de la terre n’ont aucun droit qu’ils fassent valoir sur la terre. Même gagnée par les doux, la terre reste la terre de la promesse, pour tous. Et même si la terre des doux semble parfois à jamais perdue, la promesse demeure. Et avec la promesse, l’espérance. 

Pasteur Jean DIETZ, 18 novembre 2020

Culte dominical : https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q

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samedi 14 novembre 2020

Pour que l'Evangile reste toujours une bonne nouvelle (Matthieu 25,13-30)

Matthieu 25

13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure.

14 «En effet, il en va comme d'un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur laissa ses biens. 15 À l'un il remit cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités; puis il partit aussitôt 16 Celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla les faire valoir et en gagna cinq autres. 17 De même celui des deux talents en gagna deux autres. 18 Mais celui qui n'en avait reçu qu'un s'en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l'argent de son maître. 

19 Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il fait le bilan avec eux. 20 Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança et en présenta cinq autres, en disant: ‹Maître, tu m'avais confié cinq talents; voici cinq autres talents que j'ai gagnés.› 21 Son maître lui dit: ‹C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; viens te réjouir avec ton maître.›  22 Celui des deux talents s'avança à son tour et dit: ‹Maître, tu m'avais confié deux talents; voici deux autres talents que j'ai gagnés.› 23 Son maître lui dit: ‹C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; viens te réjouir avec ton maître.› 24 S'avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit: ‹Maître, je savais que tu es un homme dur: tu moissonnes où tu n'as pas semé, tu ramasses où tu n'as pas répandu ; 25 par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien.› 26 Mais son maître lui répondit: ‹Mauvais serviteur, timoré! Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé et que je ramasse où je n'ai rien répandu. 27 Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers: à mon retour, j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt. 28 Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29 Car à tout homme qui a, l'on donnera et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. 30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.›

Prédication

La semaine dernière, nous nous sommes penchés sur l’histoire de dix jeunes filles qui devaient se tenir prêtes à accueillir un époux. Signe de leur préparation : tenir une lampe allumée. Elles ne savaient pas à quelle heure il arriverait. Tard dans la nuit, il arriva. Cinq jeunes filles étaient prêtes, cinq ne l’étaient pas, et ces dernières furent définitivement exclues de la noce. Pas de deuxième chance…

            Cette semaine, nous nous penchons sur l’histoire de trois serviteurs et de leur maître. Celui-ci, partant au loin et pour une durée indéterminée, laissa ses biens aux serviteurs. Deux firent de bonnes affaires et doublèrent la mise, mais le troisième ne fit rien du tout et rendit le capital... Il fut définitivement exclu. Pas de deuxième chance…

La dureté de ces deux textes a quelque chose d’effrayant. Effrayant parcequ’il s’agit du Royaume des cieux ; il s’agit de la prédication de ce royaume, et nous nous étonnons d’une telle brutalité dans la bouche de Jésus. Dans la bouche de Jean le Baptiste, on trouvait cette violence, et il était question de l’urgence de la conversion (Matthieu 3) parce que le Royaume des cieux était très très proche ; et maintenant, dans la bouche de Jésus, il est question d’un moment où il sera trop tard, même pour se convertir. Il n’y aura alors plus de deuxième chance.

            Est-ce cela qu’il nous faut comprendre ? Devons-nous poser comme acquis, et enseigner comme un savoir absolu qu’à un certain moment de l’histoire de l’humanité, il sera trop tard, et que les portes de la divine miséricorde seront définitivement fermées à tous ceux qui n’auront pas fait, par ignorance ou par négligence, ce qui devait être fait pour être assuré d’obtenir la béatitude des sauvés ? Jésus entérine-t-il cette prédication de clôture et d’exclusion, ou s’agit-il de tout autre chose ?

             Deux indices nous suggèrent qu’il pourrait s’agir de tout autre chose.

Le premier, et le plus grand, de ces indices est que le chapitre que nous lisons est le 25ème, alors que l’évangile de Matthieu en comporte 28. Si l’évangile de Matthieu finissait maintenant, alors nous pourrions considérer qu’effectivement Jésus met un point final à la prédication de Jean le Baptiste : Jean ayant ouvert le temps de la conversion finale, Jésus le ferme. Mais en plus de tout ce que nous avons lu jusqu’ici, il y a la passion, la mort, et la résurrection : avec Jésus ressuscité et vivant pour les siècles des siècles, la prédication du Royaume ne peut plus comporter un trop tard. Elle peut comporter toutes sortes d’enseignements et de recommandations, mais pas de trop tard. Tant que le ciel et la terre dureront, tant que l’humanité existera, il ne sera jamais trop tard.

Et voici le second indice de ce que ces deux petites histoires ne sont pas une prédication de l’exclusion. Nous avons bien lu ceci : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. ». Parole de Jésus qui est une libération ; nul ne sachant quels seront le jour et l’heure, personne ne peut jamais parier sur la durée ni se prétendre prêt. La veille dont parle Jésus est donc d’abord un constat d’impréparation, puis un appel à la mobilisation… celui qui veille n’attend pas, n’attend rien, et il peut donc se tenir seulement à sa tâche et, se sachant simplement prêt à n’être pas prêt, il pourra dormir tranquille.

Ceci dit, même si le veilleur peut dormir tranquille, l’impératif de la veille comporte un objet. Nous nous mettons en quête de cet objet. Pour ce faire, nous en revenons à nos deux petites histoires, celle des dix jeunes filles, et celle des trois serviteurs. Que sont ces deux petites histoires ? Des paraboles ? Peut-être pas ; leur déroulement est bien trop linéaire, bien trop à sens unique, pour que nous les regardions comme des paraboles. Des paraboles nous inviteraient à l’étonnement et à une réflexion sans fin, alors que ces deux petites histoires appellent plutôt à une prise de position immédiate, le oui, ou le non.

Les lecteurs – et sans doute aussi les premiers auditeurs de la prédication de l’Évangile – se sont trouvés ainsi, devant ces paroles de Jésus, sommés de se prononcer sur l’entrée dans le Royaume des cieux, non seulement sur leur entrée à eux, mais aussi sur l’entrée de tous. Oui, ou non ? Entrera-t-on  dans le royaume des cieux avec ce qu’il faut de calcul, de ruse et de succès en affaires, avec en somme ce qu’il faut de mérite (oui, ou non) ? Entrera-t-on dans le Royaume des cieux même si l’on a raté, peut-être par négligence, ou peut-être par peur (oui, ou non) ? Sera-t-il exigé que, même si l’on a raté, on ait tenté quelque chose (oui ou non) ? Avec ces deux petites histoires, c’est tout oui, ou tout non… Que sont ces oui ou non en face de l’immense richesse, l’immense joie, l’immense générosité des paraboles du Royaume. Avec ces deux petites histoires¸ nous n’avons pas deux paraboles de plus, à ajouter à la collection des paraboles du Royaume.

Il s’agit bien plutôt de prophéties. Et quel est l’objet de ces prophéties ? Une certaine inquiétude. Que deviendra la prédication du Royaume ? Que deviendra-t-elle si elle réussit, s’il se forme autour de cette prédication des communautés durables ? Si ces communautés doivent faire face à l’hostilité d’autres groupes, d’autres communautés, ou à l’hostilité de la force publique… est-ce que la prédication du Royaume deviendra aride ? Est-ce que la libre et joyeuse adhésion à l’Évangile deviendra une série de critères à satisfaire ? Est-ce que le bel appel de l’Évangile deviendra une exigence absolue ? La prédication de la grâce deviendra-t-elle un commerce des mérites ?

Billet d'indulgence (XVIe siècle)

Les protestants que nous sommes peuvent être sensibles à ce genre d’évolution. Ils peuvent se souvenir des 95 thèses de Martin Luther (1519), qui dressent un portrait halluciné de ce qu’à certains égards l’Église de son temps était devenue… Les protestants savent bien cela, mais savent-ils que, le même Martin, des années plus tard, dut ferrailler jusque dans son propre camp, parce que même la prédication de la grâce seule peut devenir une sorte d’acte méritoire si elle oublie d’où vient cette grâce et qui est celui qui la dispense. Et aussi parce que l’âme humaine est ainsi fait que même si elle adhère, même si elle croit à ce salut gratuit, elle peut en même temps se figurer que c’est son adhésion qui lui vaut ce salut.

Et si nous laissions là les protestants, nous pourrions enrichir encore ce thème, celui de la grâce ignorée, en pensant aux Hébreux, libérés d’Égypte, et qui, juste après leur libération, se mirent à maugréer dans le désert…

 

Veillez donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure, recommande Jésus. Nous comprenons que ça n’est pas du tout une question de délai, de jour ni d’heure. Bonne nouvelle, vous n’êtes pas menacés.

Ces petites histoires, ces prophéties, ne disent pas nécessairement que le pire va arriver, elles n’annoncent pas par avance le pourrissement de la prédication, ni la dégénérescence des groupes et communautés, elles n’annoncent pas que tous les croyants finissent toujours par être rattrapés par la maladie du radicalisme. Ces deux prophéties sont bien plutôt des sortes de fanaux, des balises sur le parcours, pour signaler qu’il y a des écueils, et pour affirmer aussi qu’il n’y a pas de fatalité.

Alors veiller, c’est veiller à ce que l’Évangile reste l’Évangile, pour tous et non pas seulement pour certains, pour l’humanité entière et non pas seulement pour une sous-ethnie, pour l’homme simple et non pas seulement pour des champions de la piété. Veiller, c’est veiller à ce que les portes ouvertes par notre Seigneur restent ouvertes. Veiller, c’est accompagner sur leur chemin, et lorsqu’ils le demandent, celles et ceux qui veulent franchir ces portes, celles et ceux qui aspirent à choisir le chemin des paraboles du Royaume et la joie des Béatitudes.

Puissions-nous nous en tenir à ce chemin et à cette joie, vivre et agir ainsi avec nos semblables, et pour eux. Dieu nous est en aide sur cette voie. Amen





mardi 10 novembre 2020

Lettre pastorale du mercredi 11 novembre. Des cœurs purs.

« Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu »

           « L’être humain ne saurait me voir et vivre ». Cette déclaration, qui ressemble à un principe, fut faite par Dieu à Moïse, un jour que Moïse était désespéré par le comportement du peuple hébreu : un peuple à la nuque raide, prompt à évaluer si son affaire avec Dieu était une affaire rentable, prompt à se construire des statues pour se prosterner devant elles, prompt à regretter d’avoir été libéré d’Égypte... Si Dieu se montrait à ces gens-là, ils mourraient, tous, même Moïse (Exode 33). La sixième Béatitude (Matthieu 5,8) vient contredire ce principe, et nous invite à nous demander s’il y a des cœurs purs dans la Bible.

Gédéon, un cœur pur ? L’ange du Seigneur vient le saluer et le recruter comme chef de guerre pour libérer son peuple (Juges 6). Gédéon est un enfant lorsque cela arrive. Sans hésiter un seul instant, et sans façons, il engage la conversation avec l’ange du Seigneur. Sans façons aussi il demande des preuves, et sans façons, il ira ensuite faire ce à quoi il a été appelé. La facilité enfantine avec laquelle il reçoit et accomplit sa vocation est-elle le signe que son cœur est pur ? Les enfants sont-ils des cœurs purs, de ces Heureux qui peuvent voir Dieu et vivre ?

Objection : l’ange du Seigneur, est-ce Dieu ? L’ange du Seigneur est l’une de ces expressions qui permettent de ne pas prononcer le nom de Dieu, les quatre lettres de son nom. Plutôt que de prononcer le nom, on dit Seigneur, ou Maître-de-l’Univers, ou Le-Saint-Unique-Béni-soit-Il, ou Le-Nom. L’ange du Seigneur et Dieu, c’est donc tout un.

Nous parlions des enfants, cœurs purs peut-être, qui voient Dieu, et lui répondent, agissant sans manières ni façons. Mais lorsque les enfants ont grandi ? Le prophète Elie est un adulte. Parfois il obéit simplement aux commandements de Dieu, et parfois il en rajoute. Il déchaîne alors le feu du ciel, provoque et assassine ses adversaires... Elie, un cœur pur ? Le champion de Dieu qu’il est, menacé de mort par une reine courroucée, prend la fuite, pitoyablement, et demande à Dieu la mort (1 Rois 19:4). Elie l’adulte, le grand prophète, perd toute sa superbe. Et c’est alors qu’il voit Dieu, et revient à la vie. Il revient à une vie très simple : une galette, une cruche d’eau, l’obéissance et un chemin à parcourir. L’adulte recouvre la pureté du cœur.

Moïse désespéré, Gédéon sans fard, et Élie ayant perdu son masque, vivent des expériences différentes, mais qui peuvent être rapprochées si l’on parle de fragilité. Un cœur pur est un cœur qui accepte la fragilité. Il ne sait que croire et espérer. Il vit et agit sans cesser de rendre gloire à Dieu. Un cœur pur ne se trompe pas sur la nature de ce qu’il voit. Un cœur pur peut voir Dieu sans mourir, c’est à dire sans perdre sa pureté, en demeurant juste ce qu’il est. C’est dans l’intimité qu’il voit Dieu, dans une forme très humble d’illumination, dont autrui pourra librement bénéficier.

           Et nos cœurs à nous, peuvent-ils être purifiés ? La prière, l’étude, la Cène, et l’humble service peuvent être des chemins de purification. Dieu nous apparaîtra-t-il ? C’est Lui qui le sait. Heureux sommes-nous, car de nombreuses traces d’apparitions de Dieu ont été déposées sur ces chemins. A nous de suivre ces chemins.

 

Pasteur Jean DIETZ, 11 novembre 2020



Culte dominical : https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q

Offrande en ligne : https://www.eglise-protestante-unie.fr/vincennes-montreuil-p71320/don

samedi 7 novembre 2020

Des jeunes filles, folles et sages, et un drôle de Seigneur (Matthieu 25:1-13)

Matthieu 25

1 «Alors il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l'époux. 2 Cinq d'entre elles étaient insensées et cinq étaient avisées. 3 En prenant leurs lampes, les insensées n'avaient pas emporté d'huile; 4 les avisées, elles, avaient pris, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. 5 Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. 6 Au milieu de la nuit, un cri retentit: ‹Voici l'époux! Sortez à sa rencontre.› 7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. 8 Les insensées dirent aux avisées: ‹Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent.› 9 Les avisées répondirent: ‹Oui, mais non. Il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous! Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous.› 10 Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et on ferma la porte. 11 Beaucoup plus tard, arrivent à leur tour les autres jeunes filles, qui disent: ‹Seigneur, seigneur, ouvre-nous!› 12 Mais il répondit: ‹En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas.›

 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure.

Prédication :

            Alors, il en sera du royaume des cieux comme de dix jeunes filles… Le petit mot alors signale un contexte particulier. Depuis la semaine dernière, depuis notre méditation sur les invectives et les béatitudes, bien du temps a passé. Jésus est toujours dans le Temple, ou tout près du Temple. Et après avoir enseigné et prophétisé sur ceux qui exploitent le Temple et son image, il prophétise sur la destruction du Temple, puis sur la destruction de Jérusalem, puis, en élargissant toujours d’avantage le champ de son propos, il prophétise sur la fin des temps et sur l’avènement du Fils de l’homme. L’évangile de Matthieu prend alors des airs d’Apocalypse. Et toutes sortes de question spécifiques sont posées. Quel sont le but et la fin de l’histoire ? Quel est le sens des catastrophes, quel est le sens de ce qui n’a pas de sens ? Est-ce que l’humanité survivra ? Et si elle doit survivre, qui seront les survivants ? Et pourquoi survivront-ils, eux, alors que d’autres disparaîtront ? Et puis, surtout, c’est pour quand ?

            C’est pour quand ? Parole de Jésus, « en vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive », hypothèse brève si l’on entend par génération seulement nos contemporains, mais hypothèse longue si l’on entend qu’il s’agit de l’espèce humaine dans son ensemble, et c’est le même mot qui exprime les deux hypothèses.

             C’est pour qui ? Début d’une réponse possible, « alors il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui… » La suite du texte, c’est qu’une moitié du groupe y entrera comme de plein droit. C’est déjà une réponse, avec en plus une indication quant aux précautions à prendre préalablement. Mais la moitié du groupe, celles qui entrent, se fiche bien du sort de l’autre moitié du groupe. La réponse à la question posée, "c’est pour qui ?" est-elle acceptable ? C’est une parabole du royaume des cieux, prononcée par Jésus… Cela fait donc autorité, et nous n’avons donc a priori rien à y redire. Pourtant, nous devons toujours nous demander si les conclusions trop évidentes de certains textes bibliques sont acceptables. Même si c’est Jésus qui parle, même si c’est Dieu qui parle…

               Cinq jeunes filles étaient sages, et avaient fait du stock, et les cinq autres étaient folles, proposent certains traducteurs. Que savaient-elles de plus que les autres, les cinq qui ont fait du stock ? Peuvent-elles être regardées comme sages ? Il n’y a aucune sagesse dans le fait de faire du stock, tout juste de la prudence, et encore : qui sait si le stock sera suffisant ? Tout juste de la prudence, et peut-être un soupçon de ruse. A l’extrême, en constituant du stock, elles auraient pu créer la pénurie et s’assurer par là-même de leur propre élection en cas d’arrivée tardive  de l’époux. Et si ce n’est pas ça, elles sont tout de même bien rusées d’envoyer à minuit leurs consœurs  réveiller des marchands, le temps du trajet, le temps du négoce, alors que l’arrivée du marié est imminente… Alors, sages, ces cinq-là ? L’imminence de l’arrivée de l’époux ne permettait-elle pas un partage ? Sages, prudentes, avisées… ou garces ? Et les cinq autres, celles qu’on dit insensées, ou folles, quelle était leur folie ? Folie de n’avoir pas fait de stock, mais quel sens cela a-t-il de faire du stock lorsqu’on n’a pas idée du temps à attendre, ou folie d’avoir écouté leurs consœurs ? Et l’autre, le marié, qui n’a pas vu passer l’avion et qui est bien au chaud chez lui, pouvons-nous ratifier qu’il les envoie promener sans aucune autre forme de procès… Et ça serait ça, le royaume des cieux, et ça serait ça, d’y entrer, par le moyen d’une charité bien ordonnée qui, comme tout le monde le sait, commence par soi-même ? Et ça serait ça, le Seigneur, notre Seigneur de ce royaume ? Malaise… un malaise qu’il faut reconnaître, mais pas nécessairement accepter. Malaise qui nous invite à revenir au texte…

            Il en sera (futur) du Royaume des cieux… Dans le futur, dans ce futur-là précisément qui est celui des grands chamboulements, des grands désordres, des grandes incertitudes de la fin des temps, il en sera du royaume des cieux comme de ces dix jeunes filles qui prirent leurs lampes etc.  Le royaume des cieux donc, ça n’est pas toujours la même chose. Ça dépend de qui en parle, et ça dépend du moment de l’histoire. Il en sera donc… le verbe est au futur. Le verbe est aussi à la voie passive. Littéralement, cela donne à peu près ceci : on fera être le royaume des cieux comme de dix jeunes filles… Et qui donc fera cela ? Nous retrouvons ici une intuition que nous avons eue il y a quelques semaines, lorsque nous évoquions une histoire d’invités à la noce. Le royaume des cieux, peut-être un dévoilement de la fin, est tout autant ce que les humains imaginent, prêchent, et même surtout ce qu’ils vivent. L’histoire de ces dix jeunes filles, de leurs lampes et de l’huile pour alimenter ces lampes nous rappelle ces scènes – toujours les mêmes scènes – toujours la même scène – auxquelles nous assistons dès que se répand la rumeur d’une peut-être possible pénurie. Le riz, les pâtes, le sucre, le carburant, le papier toilette… et nous en voyons de pleins caddies poussés par des gens qui, sans le savoir, citent les Saintes Écritures, « Il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous » (Matthieu 24,9), et qui vous envoient en chercher chez les marchands qu’ils viennent eux-mêmes de dévaliser.

Le royaume des cieux donc, pourvu que j’y entre, que m’importe le sort d’autrui ! Il ne reste qu’à ajouter que tel est le croyant tel est son sauveur pour élucider la parabole. Et si l’on veut y voir comment sera le salut, c’est un salut douteux que nous voyons, dispensé par un petit seigneur douteux, douteux parce que la grâce y devient divisible et quantifiable, et douteux aussi parce que cette même grâce devient marchandise et non partageable. Ainsi, semble bien dire Jésus, en sera-t-il à la fin des temps. Ainsi se comporteront les humains, et même les croyants, à la fin des temps, et ainsi aussi se justifieront-ils, en faisant de leur Seigneur leur semblable. Ainsi comprise, cette parabole est tout à fait cohérente avec les enseignements, diatribes et autres invectives que nous avons méditées depuis plusieurs semaines.

Maintenant, si nous considérons cette parabole au regard du contexte dans lequel Jésus parle, et du lieu dans lequel elle est prononcée, c'est-à-dire si nous considérons l’engagement qui est celui de Jésus, un engagement total, sans réserve, irréversible… cette parabole peut être résumée à un seul mot, un seul petit mot de trois lettres : non ! Non, il n’en sera pas ainsi, et le monde de la fin des temps pourra être un monde de responsabilité, de générosité, de partage et de grâce. Au milieu de la nuit – mais peut-être était-ce une nuit spéciale, une nuit d’hiver, ou une interminable nuit de la foi – personne n’avait imaginé que ça durerait aussi longtemps – plus personne en fait ne savait vraiment ce qu’on attendait – un cri retentit : « Voici l’époux ! Allez à sa rencontre ! » Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. Les insensées dirent aux avisées : « Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. » Et les avisées répondirent « Mais oui ! Partageons tout. Et finalement s’il n’y en a plus, il n’y en aura plus pour personne ! » Les insensées répliquèrent : « Vous risquez de ne pas entrer… » Mais les avisées reprirent : « Et alors ? Si vous n’y entrez pas, nous ne voulons pas y entrer nous-mêmes ! »

Qu’il en soit ainsi du monde de la fin, et du monde d’aujourd’hui. Amen





mercredi 4 novembre 2020

Lettre pastorale du mercredi 4 novembre 2020. Des artisans de paix.


 « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu »

 

Revoici le confinement, moins sévère que celui que nous avons traversé le printemps dernier, mais suffisamment sévère pour que nos activités ecclésiastiques soient suspendues. Cultes, études bibliques, atelier du samedi et catéchisme sont reportés sine die. Je reviens donc vers vous avec cette lettre pastorale hebdomadaire.

 Heureux les artisans de paix, proclame Jésus dans la septième des neuf Béatitudes (Matthieu 5:9). Qui sont-ils, ces artisans de paix, ceux qui font, ceux qui fabriquent la paix ? Et quelles sont leurs méthodes ? Car la paix même si elle peut parfois être décrétée, nécessite un travail de construction, et aussi un travail d’entretien. Qui dit paix dit aussi guerre. De quelles guerres parlons-nous ? Qui sont les artisans de paix dans la guerre contre le virus ? Cette guerre est une sorte de guerre publique. Les actions menées sont connues, et chaque citoyen respectant sciemment les règles édictées à cette occasion peut-être vu comme un artisan de paix. Autre est la guerre menée contre l’extrémisme. Elle est une sorte de guerre secrète dont les acteurs nous sont le plus souvent inconnus. Lent et méticuleux travail de renseignement, actions d’intervention si nécessaire… ceux qui agissent dans cette guerre-là peuvent-il être regardés comme des artisans de paix ?

Aux uns comme aux autres il est peut-être tout à fait égal d’être vus comme des artisans de paix. Et conséquemment il leur sera tout à fait indifférent d’être considéré comme Heureux et aussi d’être appelés fils de Dieu. La modestie des héros véritables a été repérée depuis toujours. Heureux , ou Bienheureux, ils le sont parce que leur vie est conduite de sorte qu’ils ne créent pour leurs semblables aucune obligation ni aucune dette, et parce qu’ils ne réclament rien pour eux-mêmes, ni reconnaissance, ni rétribution. En fait, la septième Béatitude ne s’adresse pas à eux. L’auditoire du Sermon sur la montagne est, à ce qu’il paraît, un auditoire de jeunes disciples – nous sommes de jeunes disciples.

 Lorsque nous entendons « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu », trois questions s’imposent. (1) Qui sont les artisans de paix que j’ai rencontrés ? (2) Suis-je, moi-même, un artisan de paix ? Répondre de ces deux premières questions relève de notre réflexion et de notre engagement personnels.  Voici la troisième question : Pourquoi appeler fils de Dieu les artisans de paix ? Les Béatitudes figurent au 5ème chapitre de l’évangile de Matthieu, à un moment de commencement où le Fils de Dieu n’a pas encore été confronté à ses contradicteurs. Son propos ne s’est pas encore durci comme il le sera avant la Passion. Le moment du commencement est irénique, fait de paix et orienté vers la paix, une paix dont la Béatitude suggère qu’elle est tout à fait contagieuse. Oui, le Fils de Dieu est en un sens singulier et il porte un nom connu dès avant la fondation du monde, mais la filiation divine, la présence de fils de Dieu, est en même temps discernable en chaque lieu où des artisans de paix se manifestent efficacement.

 Puissions-nous, dans ces moments étranges de notre existence, rencontrer le Fils de Dieu en rencontrant des fils de Dieu. Puissions-nous être et demeurer en paix en étant artisans de la paix.

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Culte dominical : une mise en ligne aura lieu chaque dimanche et pendant toute la durée du confinement sur :

https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q

Offrande en ligne : https://www.eglise-protestante-unie.fr/vincennes-montreuil-p71320/don

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Cette semaine, nous joignons notre méditation à celle du pasteur Emmanuelle Seyboldt, daté du 30 octobre dernier, qui préside le Conseil National de l’Eglise Protestante Unie de France.

 « Frères et sœurs,

Les jours que nous vivons sont sombres, la peur s’infiltre dans les esprits, la mort et son cortège de larmes recouvrent tout. L’épreuve est forte. A la peur de la maladie s’ajoute la menace terroriste. Deux dangers insaisissables, non-maîtrisables.

Au cœur de l’épreuve, c’est en Dieu que nous plaçons notre confiance. Disons-Lui nos craintes et nos peurs, Il apaisera notre cœur. Tournons-nous vers Lui, il nous donnera sa paix, à nulle autre semblable.

Alors que nous avançons sans voir d’issue, c’est Dieu qui guide nos pas. En Jésus, le Christ, Il a subi la violence, il a traversé la mort. Il a ouvert la porte d’une irréductible espérance. Soyons les uns pour les autres témoins de cette espérance, témoins de cette promesse de vie plus forte que la mort. Ne marchons pas à la suite des violents mais soyons partout, toujours, des artisans de paix.

Dans la nuit du monde, que la lumière du Christ ressuscité soit notre phare. »

 https://www.eglise-protestante-unie.fr/actualite/message-d-emmanuelle-seyboldt-22879