dimanche 27 octobre 2019

Celui-ci redescendit chez lui justifié (Luc 18,9-14)


 
Luc 18

9 Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres:
10 «Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre collecteur d'impôts.
11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: ‹O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d'impôts.
12 Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.›
13 Le collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: ‹O Dieu, prends pitié du pécheur que je suis.›
14 Je vous le déclare: celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l'autre, car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé.»

Prédication
            Nous avons aujourd’hui un anniversaire à fêter, et je pense que vous savez lequel. En cette fin du mois d’octobre, c’est la fête de la Réformation. Les historiens ont retenu pour cette fête la date du 31 octobre et comme événement l’affichage à Wittenberg de 95 thèses de Martin Luther, dans la perspective d’une controverse théologique publique destinée « à prouver la vertu des indulgences ». De 1517 à 2019, cela fait 502 ans, nous avons fêté les 500 ans il y a deux ans à peine ; et 502 ne fait pas un compte rond. Il y a un autre anniversaire à fêter, avec un compte rond de 20 ans. Cet autre anniversaire est celui de la signature, à Augsbourg, le 31 octobre 1999, d’un texte d’accord au plus haut niveau, entre catholiques et luthériens, intitulé Déclaration commune sur la doctrine de la justification. Phrase clé de cet accord : « Nous confessons ensemble que la personne humaine est, pour son salut, entièrement dépendante de la grâce salvatrice de Dieu. » Ce qui signifie qu’aucune belle ou bonne action qu’un être humain pourrait mettre à son propre crédit ne contribuera jamais à son salut. La foi seule sauve, et non pas la foi ornée de charité comme il fut dit et rabâché en d’autres lieux, en d’autres temps. La signature de cet accord mettait un terme à une controverse vieille de presque 5 siècles, controverse grave, avec condamnation, anathèmes, bûchers, avec ruptures et schismes... Autrement dit, depuis 20 ans maintenant, catholiques et luthériens, ils sont justifiés par la grâce seule, c’est par grâce seule qu’ils sont sauvés. On retrouve ici le sola gratia – sola fide si chers à notre cœur, et que nous partageons désormais avec les catholiques... mais le saviez-vous seulement ? Si vous n’êtes ni luthériens, ni catholiques, sachez que ce même accord a été signé aussi et au plus haut niveau par les méthodistes, les réformés, et les anglicans. Le saviez-vous seulement ?
            J’aime vous poser cette question. Vous a-t-il été donné l’occasion de lire ce genre de texte d’accord entre Églises ? Vous a-t-il été donné l’occasion de lire les 95 thèses de Martin Luther, ou d’autres textes de lui ?    Nous pourrons, si vous le voulez,  évoquer cela dans les semaines qui viennent.

            Pour l’heure, retenons qu’à cinq siècles d’aujourd’hui, des êtres humains dont certains étaient des montagnes d’intelligence se sont affrontés sur la question de la justification, c'est-à-dire du salut. Et il s’agissait, en ce temps-là, d’être sauvé d’un purgatoire infernal – avec toutes les caractéristiques de l’enfer, purgatoire qui attendait à peu près toutes les âmes dès après leur mort et pour une durée totalement indéterminée – qu’on pressentait forcément très longue.
            A cinq siècles de distance, qui a aujourd’hui peur du purgatoire, de l’enfer… et qui peut-on réduire à merci en lui prédisant dans l’éternité d’après sa mort un océan de souffrances ?
            Quoi qu’il en soit, la controverse du 16ème siècle portait sur la justification, le texte de 1999 portait sur la justification, et les quelques versets d’évangile que nous avons lus tantôt portent sur la justification. Concentrons-nous maintenant sur ces versets.

            Il y a quinze jours, nous avons lu le récit de la guérison par Jésus de 10 lépreux ; un seul de ces dix lépreux se mit à la recherche de son guérisseur. L’ayant retrouvé – ayant retrouvé Jésus – il en entendit cette déclaration : ta foi t’a sauvé (Luc 17,19).
            Il y a une question que nous n’avons pas posée ce jour-là. La foi de cet homme l’a sauvé ; mais elle l’a sauvé de quoi ?
            Il y a huit jours, nous avons commenté la parabole qui met aux prises un juge inique et une veuve. Cette parabole, prononcée par Jésus, s’achevait sur « …mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
            Nous avions conclu positivement : oui, il trouvera la foi sur la terre. Et nous avions aussi pu donner une définition de la foi : la foi est une joie en quête de l’agent de sa cause. Ce qui fait que, maintenant, nous pouvons répondre à la question : de quoi la foi sauve-t-elle ? La réponse vient, assez simplement : la foi sauve d’un repli sur soi oublieux et ingrat. Et nous savons maintenant quelque chose sur le salut, quelque chose bien terre à terre, un salut pour l’être humain vivant : mémoire et reconnaissance. C’est avec ce bagage que nous abordons le texte de ce jour. 
Mémoire : Bob Beamon, Mexico, 1968
Il est des gens qui sont certains de leur propre salut, et d’autant plus certains qu’ils en sont eux-mêmes les agents. Leur joie n’est donc plus en quête de rien. Leur foi a disparu dans l’accomplissement supposé parfait de leurs engagements. Pourquoi pas… rien ne peut nous empêcher de considérer valablement ce genre de certitude et d’accomplissement. Cependant, quelque chose cloche. Si ce Pharisien est si certain du bien fondé et de la valeur de ses engagements et de ses actes, pourquoi éprouve-t-il le besoin de se distinguer lui-même d’un autre homme ? Que lui apporte ce collecteur d’impôts en prière ? Que lui apportent aussi ces autres hommes dont il affirme qu’ils sont voleurs, malfaisants et adultères ? Certes, il n’est pas comme eux… mais qu’en est-il au fond de lui-même ? Y a-t-il de la joie en lui ? Et sa joie, si toutefois il y en a en lui, est-elle en quête de quelque chose ? Il semble que ce Pharisien soit seulement en quête de pécheurs suffisamment abominables pour conforter la haute idée qu’il a de lui-même. Mais qu’en est-il de lui-même dans cette quête, et qu’en est-il de lui-même devant Dieu ? Pour un peu, ce Pharisien donnerait des leçons de sainteté à Dieu, pour un peu, il s’élèverait lui-même au-dessus de Dieu.
Autre, bien entendu, est le collecteur d’impôt. Et il n’est absolument pas écrit que le péché de cet homme soit de collecter l’impôt pour l’occupant romain ; cet homme qui s’abîme dans sa prière est sur le chemin d’une recollection de lui-même qui, peut-être, sera un jour paisible. Et dans l’attente de ce jour, dans la quête de cette paix, il se confronte à un Dieu dont il espère la miséricorde. Sa joie, si elle vient un jour, aura toujours été en quête de l’agent de sa cause. De l’attitude de cet homme nous pouvons dire qu’elle n’est pas encore la foi, mais qu’elle s’oriente vers la foi. Et Jésus, déclare que c’est là où en est cet homme qu’il est justifié déjà, bien avant même qu’il puisse être dit de lui qu’il a la foi. Ce qui justifie au fond cet homme, c’est une foi qui n’est pas encore sienne… au crédit de laquelle on ne peut mettre aucun acte.

            Le Pharisien de la parabole s’en retourna donc chez lui sans être justifié et sans même le savoir – sans être sauvé – bien qu’il fût clairement certain du contraire. Quant au collecteur d’impôts, il rentra chez lui justifié – parole de Jésus – et il n’en savait rien.
            Le lecteur, lui, sait tout. Il en sait même trop. Il sait même que s’il en vient à se féliciter de ne pas être comme le Pharisien, la justification ne sera pas sienne. Mais qui peut dire qu’il ne s’est jamais félicité de n’être pas comme… et chacun peut ici finir la phrase : je me réjouis de n’être pas comme… L’éventail est large, aussi large que les dérives religieuses, combinées ou pas avec des dérives sexuelles, ou financières…
Et bien, pas d’autre voie de salut que la foi, c'est-à-dire de repérer en soi cet esprit pharisien, et de lui donner la place dans cette récollection 
de soi dont on espère qu’elle sera un jour apaisée, qu’elle se fera joie, qu’elle se fera quête de l’agent de sa cause… Dans cette perspective, dans cette quête, pas d’autre prière possible que « prends pitié du pécheur que je suis », une prière qui, son adresse étant à Dieu, assume clairement l’ignorance de son propre exaucement.
Sœurs et frères, nous en resterons là, ne rajoutant que ceci : le Seigneur connaît nos cœurs et nos chemins. Puisse-t-il prendre pitié des pécheurs que nous sommes. Et puisse la foi prendre racine et toujours grandir en nous. Amen
Le lectionnaire que je suis ne propose pas de commenter les versets qui suivent. Redevenir, sans rien laisser de côté, accueillant, ouvert... comme un enfant que la vie n'a pas encore esquinté. 15 Des gens lui amenaient même les bébés pour qu'il les touche. Voyant cela, les disciples les rabrouaient. 16 Mais Jésus fit venir à lui les bébés en disant: «Laissez les enfants venir à moi; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 17 En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas.» Et entrer, plein de foi, plein de joie, rentrer dans la vie.

dimanche 20 octobre 2019

Trouvera-t-il la foi sur la terre ? (Luc 18,1-8)

Je voulais trouver un document illustrant "un juge qui n'avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes". Et je n'ai trouvé que ceci, la tombe familiale, bien entretenue encore en 2015, d'un juge nazi de sinistre mémoire, décédé à Berlin pendant un bombardement, le 3 février 1945, ayant prononcé plus de 2600 condamnations à mort. Et notre Seigneur, quant il viendra...
Luc 18
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit: «Il y avait dans une ville un juge qui n'avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui venait lui dire: ‹Rends-moi justice contre mon adversaire.›
4 Il s'y refusa longtemps. Et puis il se dit: ‹Même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien! Parce que cette veuve m'ennuie, je vais lui rendre justice, pour qu'elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.› »
6 Le Seigneur ajouta: «Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit? Et il les fait attendre!
8 Je vous le déclare: il leur fera justice bien vite. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

Prédication

            Voici semble-t-il un enseignement sur la prière : prier constamment et sans jamais se décourager conduit immanquablement à l’exaucement. Pour une fois, le texte biblique semble avoir été clair et nous pouvons penser que nous avons quelque chose de précis à proposer.
            C’est un bel enseignement. Un enseignement tentant (tentant dans le sens de la troisième tentation selon Luc, celle de faire de Dieu l’obligé des croyants). Pourtant, c’est avec une certaine réserve que nous l’accueillons. (1) Cet enseignement ne propose aucune réflexion sur les sujets de prière, comme si tous les sujets étaient possibles et légitimes, comme si nous pouvions absolument tout demander à Dieu.  Pourquoi pas, mais pas sans une réflexion préalable. Pouvons-nous réellement tout demander à Dieu ? (2) Cet enseignement aussi fait de Dieu une sorte de juge partial, dont les jugements favorables sont en faveur des plus casse-pieds de ses fidèles. Drôle de Dieu pour de drôles de paroissiens ! (3) Cet enseignement se clôt sur « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » ; la foi, et non pas la prière... Tiens donc !
            Ces trois réserves à elles seules ne suffisent pas à invalider un enseignement sur la prière, mais elles nous suggèrent au moins de tenter un approfondissement de la lecture.
1.     Une parabole
Au tout début de ce fragment, apparaît le mot parabole. Il s’agit bien d’une parabole, l’une de ces petites histoires faussement simples – Jésus semble bien avoir été un maître de cet exercice – auxquelles assigner un titre ou un but pédagogique est toujours erroné. Prudence donc car, en matière de paraboles, la conclusion n’est jamais certaine et ne peut jamais précéder une sérieuse lecture, et encore... Aller trop vite en besogne s’agissant des paraboles vous fait toujours arriver à des conclusions inacceptables, comme celle d’un Dieu mettant en quelque sorte aux enchères l’exaucement des prières qui lui sont adressées, comme celles de croyants qui seraient absolument certains d’être exaucés pourvu qu’ils ne cessent jamais d’insister. Conclusions inacceptables, théologiquement – ce qui en soi n’est pas bien grave – mais aussi anthropologiquement – ce qui est beaucoup plus grave. Cela revient à faire du croyant un sujet perpétuellement priant pour perpétuellement ne pas être exaucé. Ce qui est une prédication culpabilisante (si ça ne marche pas, c’est seulement de votre faute), une orientation stérilisante…
2.     Le contraire de prier constamment
Voici donc une invitation à prier constamment, et à ne pas se décourager, comme si le contraire de prier constamment était se décourager. Ici, le traducteur s’étonne : s’il consulte le dictionnaire de référence Bailly, il trouvera que le verbe grec utilisé par Luc n’est jamais traduit par se décourager, sauf en Luc 18:1 ; c’est un sens particulier qui a été inventé et recensé pour cette seule apparition dans la langue grecque, pour ce seul verset. Les lecteurs d’autres traductions que la TOB vont découvrir qu’il peut s’agir plutôt de ne pas faiblir ou encore de ne pas se relâcher. Qui dit se relâcher indique bien qu’il y ait du relâchement ; comme on dit, « il y a du relâchement ». Qui dit aussi faiblir indique aussi qu’il y aura de la faiblesse ; comme on dit, « c’est par faiblesse que… » Ces deux expressions n’augurent rien de bon. Le verbe grec, encore lui, a aussi une étymologie qui suggère mal agir.
Voyez-vous, le contraire de prier constamment, c’est faiblir, se relâcher, et mal agir. Pour illustrer ce mal agir, voici une petite excursion dans le 16ème siècle.
Lorsqu’en 1520 Martin Luther produit ce qu’on appellera plus tard ses grands écrits réformateurs, il en écrit un qui s’appelle : Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande pour la réforme de l’état chrétien. Il y a dans ce texte un véritable programme de réforme de cette société médiévale tripartite qu’était le Saint Empire Romain Germanique, avec en particulier, concernant les seigneurs et leurs serfs, l’apparition d’instances paritaires pour négocier l’impôt et la corvée.... Nul doute qu’on ait prié sincèrement pour que cela advienne. Mais lorsqu’il est apparu, en 1524, que l’exaucement des prières tardait un peu (on devine bien que les seigneurs étaient plutôt tièdes sur ce sujet), était-il légitime qu’on cesse de prier pour cette réforme et qu’on – les paysans et certains “prophètes” à leur tête – en précipite l’advenue les armes à la main et dans un bain de sang ? Cet épisode est connu sous le nom de guerre des paysans. Une fois cette guerre déclenchée, nul doute qu’on ait prié pour la paix. Mais lorsque la paix a trop tardé à s’établir, fallait-il cesser de prier et fallait-il légitimer une répression dont l’ampleur et la férocité ont douloureusement – et pour des siècles – torturé l’âme allemande ? Cet épisode est bien documenté : nous avons des textes de circonstances qui émanent de tous les camps. Mais nous, qu’aurions-nous fait ? Aurions-nous été « meilleurs ou pires que ces gens » ?
            Notre propos, pour l’instant, c’est de bien repérer que, dans notre parabole, le contraire de prier constamment, c’est faiblir, c’est se relâcher, et finalement mal agir.
Signature du traité de Versailles, avec en tête l'alternative justice ou vengeance. Avec en tête aussi une chanson, Leidenstadt, de Jean-Jacques Goldman.
3.     La justice, ou la vengeance ?
A quatre reprises, le verbe rendre justice apparaît. Rends-moi justice contre mon adversaire, dit la veuve ! Peut-il s’agir de justice, lorsque le juge tranche en faveur de la veuve avec pour seul argument qu’elle lui casse les oreilles ? Bien sûr, cette veuve nous est sympathique, parce que c’est une veuve, une rien du tout, ce que les veuves étaient en son temps, et qu’elle fait face à un juge inique. Mais est-ce vraiment justice qu’elle réclame, ou autre chose ? Le verbe grec – une fois encore – peut nous suggérer tout autre chose que la justice : la vengeance. Venge-moi de mon adversaire, crie sans relâche la veuve. Et le juge de se dire en lui-même : je ne crains pas Dieu ni ne respecte les humains… choses qu’on ne se dit évidemment pas lorsqu’on s’apprête à rendre un jugement juste.
Alors, s’agissant de Dieu et des prières qui lui sont adressées, sont-ce des demandes de justice, ou des demandes de vengeance ? A moi la vengeance, dit le Seigneur (Deutéronome 32,35). Et ce même texte se poursuit par le Seigneur va faire justice à son peuple (Deutéronome 32,36). Dieu va-t-il venger ? Dieu va-t-il faire justice ? Quoi que cela soit, ça prend du temps, trop de temps. Dieu les fait-il attendre pour les venger, parce que la vengeance est un plat qui se mange froid ? Ou bien est-il patient avec eux, le temps qu’il faut pour l’âme humaine pour que l’exigence de vengeance devienne une quête de justice ? A suivre un peu les informations, nous savons que ce sont deux choses bien différentes l’une de l’autre, que l’acte de justice n’assouvit jamais cet esprit de vengeance dont certaines victimes restent à jamais hantées.
Dieu va peut-être devoir patienter longtemps, mais sa patience est infinie. Nul doute qu’il leur fera justice. Et lorsqu’enfin ses fidèles en seront arrivés à demander à Dieu justice, ils s’apercevront bien souvent que justice leur aura déjà été faite. 

Et voilà… nous avons relu cette parabole. Et nous allons finir exactement là où Jésus finit. Oui, Dieu fera bien vite justice à ses fidèles, c'est-à-dire qu’il les justifiera instantanément. Il les a d’ailleurs justifiés avant la fondation du monde. Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
La foi, non pas la prière. Mais la foi, qu’est-ce que c’est ? Un sentiment de dépendance absolue ? Aller au culte. S’engager dans l’action diaconale, ou dans l’action politique ? Vivre d’une manière modeste et généreuse ? Lire la Bible et prier chaque jour ? Connaître sa Bible par cœur ? Être membre d’une Église ? Tout cela, oui, la foi est sans doute tout cela, et même plus. Mais rien de cela ne figure dans les chapitres de l’évangile de Luc que nous méditons depuis le début du mois de septembre.
Par contre, il y a quelque chose, la semaine dernière, après la guérison de 10 lépreux. L’un revient, plein de joie, retrouve Jésus, et se prosterne devant lui. Jésus lui dit : « Relève-toi, ta foi t’a sauvé. » Qu’est-ce que la foi propre de cet homme ? Comme les 9 autres il a crié à Jésus, comme les 9 autres, il a été guéri. Mais, à la différence des 9 autres, il s’est mis joyeusement à la recherche de l’homme qui l’avait guéri. Pour ce qu’il en est de s’être prosterné, Jésus l’en relève… La foi spécifique de cet homme, c’est de s’être mis joyeusement à la recherche de celui qui l’avait guéri. Ce qui va nous permettre de dire ceci : la foi est une joie en quête de l’agent de sa cause.
Cette définition est un peu abstraite. Redisons-la : la   foi est une joie en quête de l’agent de sa cause. Mais elle a le mérite de guider notre réflexion vers ce que nous avons reçu, et d’orienter nos sentiments vers la joie. Pensons-y ! Souvenons-nous ! Réjouissons-nous !

Et le Seigneur, quand il viendra, trouvera la foi sur la terre. Amen

dimanche 13 octobre 2019

Est-ce pour rien? (Luc 17,11-19)

Est-ce pour rien.... ?

Luc 17
11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
13 et élevèrent la voix pour lui dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»
14 Les voyant, Jésus leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit: «Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?
18 Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»
19 Et il lui dit: «Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé.»

2 Rois 5
14 Alors Naamân descendit au Jourdain et s'y plongea sept fois selon la parole de l'homme de Dieu. Sa chair devint comme la chair d'un petit garçon, il fut purifié.
15 Il retourna avec toute sa suite vers l'homme de Dieu. Il entra, se tint devant lui et dit: «Maintenant, je sais qu'il n'y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n'est en Israël. Accepte, je t'en prie un présent de la part de ton serviteur.»
16 Elisée répondit: «Par la vie du SEIGNEUR que je sers, je n'accepterai rien!» Naamân le pressa d'accepter mais il refusa.
17 Naamân dit: «Puisque tu refuses, permets que l'on donne à ton serviteur la charge de terre de deux mulets, car ton serviteur n'offrira plus d'holocauste ni de sacrifice à d'autres dieux qu'au SEIGNEUR.
18 Mais que le SEIGNEUR pardonne ce geste à ton serviteur: lorsque mon maître entre dans la maison de Rimmôn pour s'y prosterner et qu'il s'appuie sur mon bras, je me prosterne aussi dans la maison de Rimmôn. Quand donc je me prosternerai dans la maison de Rimmôn, que le SEIGNEUR daigne pardonner ce geste à ton serviteur.»
19 Elisée lui répondit: «Va en paix!»
2 Timothée 2
8 Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d'entre les morts, issu de la race de David, selon l'Évangile que j'annonce
9 et pour lequel je souffre jusqu'à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée!
10 C'est pourquoi je supporte tout à cause des élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut, qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle.
11 Elle est digne de confiance, cette parole: Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons.
12 Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons. Si nous le renions, lui aussi nous reniera.
13 Si nous lui sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même.

Prédication :
            Voici le dernier verset que nous avons médité la semaine dernière : 10 vous aussi, lorsque vous aurez fait ce qui vous était ordonné, dites  “Nous sommes des serviteurs, nulle gratification ne nous est due. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.”
            Un peu par pudeur, c’est le mot serviteur qui avait été utilisé ; il s’agit en fait du mot esclave. Un esclave est une personne qui n’est pas de condition libre, qui est sous la puissance absolue d’un maître. Et telle serait la condition du disciple de Jésus Christ… Obéir, toujours ; servir, toujours ; pour rien, toujours…
            Est-ce vraiment pour rien ? La question est posée, exactement en ces termes, frontalement, une fois au moins dans toute la Bible : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? » La réponse que propose le livre de Job est d’abord NON, puis elle devient OUI. Il faut la moitié d’un verset pour formuler la réponse négative : ce n’est pas pour rien que Job craint Dieu et le sert. Il faut ensuite 42 chapitres pour élaborer la réponse positive : OUI, c’est pour rien que Job sert Dieu… 42 chapitres ! En retranchant le chapitre d’ouverture et le chapitre de clôture, cela fait 40, un 40 symbolique, bien fréquent dans la Bible. 
Un très très long chemin vers la paix
            Et nous voici, avec nos petits fragments du dimanche matin, devant un océan… Est-ce pour rien que Jésus guérit ces lépreux ? Est-ce pour rien que ces lépreux guéris vont se montrer aux prêtres ? Est-ce pour rien qu’Elisée le prophète guérit Naamân, le général syrien lépreux ? Et la question ne cesse de rebondir, d’un personnage à l’autre, d’un verset à l’autre – au point qu’elle pourrait devenir obsédante. Est-ce pour rien que nous servons Dieu ?
            De la part de Naamân, Elisée ne veut rien recevoir. Alors même que l’offre de Naamân est une offre absolue : ce n’est pas accepte, que dit Naamân, mais prends, et ça n’est pas le mot serviteur que Naamân utilise, mais bien le mot esclave. Avec une obstination absolue, Elisée refuse. Et lorsque c’est sa conversion à Dieu que Naamân met en avant, Elisée lui répond : Va en paix. Cette phrase d’envoi signifie que dorénavant, c’est entre Naamân et Dieu lui-même que la suite se joue.
            Est-ce pour rien qu’Elisée sert Dieu ? Oui, semble-t-il. S’agissant de cet épisode de son ministère, Elisée semble bien servir Dieu pour rien.

            Est-ce pour rien que Jésus sert Dieu ? Posons cette question le plus simplement du monde, en face du récit de la guérison de ces dix lépreux. Jésus ordonne aux dix d’aller se montrer aux prêtres – c’est la règle – et ne leur demande rien d’autre. Il n’a d’ailleurs aucun moyen de vérifier qu’ils y sont bien allés. C’est lorsqu’un seul revient que son comportement est un peu étrange. Comment comprendre la question que pose Jésus au sujet des neuf autres ? Jésus s’attendait-il à ce que tous reviennent, rendant gloire à Dieu, et se prosternent à ses pieds ? La manifestation de joie, et de gratitude de cet homme guéri ne dit rien ni de la joie ni de l’ingratitude des neuf autres, et peut-être ces neuf autres sont-ils quelque part à louer Dieu et à crier partout que Jésus a eu pitié d’eux et les a guéris. En fait, nous n’en savons rien. Face aux questions posées par Jésus, nous pouvons penser qu’il a pu espérer un retour plus abondant. Et cette pensée en précède une autre : Jésus, Juif de son temps, n’attendait rien de la part d’un Samaritain qu’il désigne comme cet étranger, d’une autre engeance, et attendait quelque chose d’autre, de plus… de la part de ses compatriotes. S’il attendait quelque chose, quoi que ce fût, ça n’était donc pas vraiment pour rien qu’il avait servi Dieu en les guérissant tous.
            Cet épisode peut nous en rappeler au moins un autre, celui où les disciples de Jésus n’ont pas été capables de guérir un enfant gravement malade. Et que leur dit Jésus ? « Génération incrédule et pervertie ! Jusqu’à quand serai-je tout proche de vous, et aurai-je à supporter de vous ? » (Luc 9,41) Manifestation de colère ? Manifestation d’impatience ? Le motif de cette colère et de cette impatience signale que Jésus aurait aimé que ses disciples, devant lesquels il servait Dieu, soient autres qu’ils n’étaient, deviennent plus rapidement qu’ils ne le pouvaient les témoins pertinent et efficaces de la grâce.
            Nous pouvons aussi penser à la dernière Pâque que Jésus célèbre avec ses disciples. Il sait que tous vont l’abandonner, et il l’accepte. Mais au moment où cela va effectivement se produire, il prie Dieu son Père : « si tu veux écarter de moi cette coupe... » (Luc 22,42). Cette demande même, qui marque un instant de refus, laisse à penser, au moment où tout va s’accomplir, que Jésus, Fils de Dieu, et vrai homme, a éprouvé cette faiblesse bien humaine qui montre que ça n’est pas toujours pour rien qu’on sert Dieu, ni lui, ni personne d’ailleurs. 

            Personne, et même pas Paul – ou l’auteur des épîtres à Timothée. Vous l’avez entendu tout à l’heure. « … je supporte tout, à cause des élus – des membres de l’Eglise – afin qu’eux aussi obtiennent la vie éternelle (…) » et bien, celui qui s’exprime ainsi avoue dans sa propre déclaration que ça n’est pas pour rien qu’il sert Dieu.
           
            Voyez-vous, à part Elisée le prophète, dans un tout petit fragment de sa vie, personne ne passe la barre. Personne ne semble être en mesure de toujours montrer que c’est pour rien qu’il sert Dieu. Mais ne nous attristons pas. D’abord parce que ce que nous avons eu sous les yeux aujourd’hui, ce sont des tranches de vie. Une autre fois, Elisée chancellera. Une autre fois – bien d’autres fois – Jésus tiendra bien haut l’étendard de la foi en Dieu.
            Et puis quand bien même, les fruits de nos engagements nous auraient par trop déçus, et que nous en venions à renier le Christ notre seigneur et maître, lui ne nous renierait pas. Avez-vous remarqué, tout à l’heure, dans la lecture de Timothée, qu’il est écrit : « Si nous le renions, lui aussi nous reniera » ? C’est au verset 12, c’est comme une tache, ou une épreuve. Un copiste, un jour, aura ajouté cela… Alors, c’est dans la Bible, et nous ne le croyons pas. Peut-être que ça n’est pas toujours pour rien que nous servons Dieu, mais c’est toujours pour rien qu’il nous sert, lui. Lui demeure fidèle, Lui ne peut se renier lui-même.


            Que ses serviteurs lui rendent grâce !
            Vous direz après moi : « Nous rendons grâce à Dieu ! »
            Nous rendons grâce à Dieu !
            Amen

dimanche 6 octobre 2019

De la foi gros comme une petite graine (Luc 17,1-10)



           Une abondante moisson de textes, c’est ce qui nous est donné chaque dimanche que Dieu fait, et ce dimanche 6 octobre est, de point de vue, particulièrement béni. Il y a le prophète Habaquq, que nous lisons rarement, et dont nous pouvons dire que sa pensée est aussi profonde que son livre est succinct ; Habaquq est le prophète qui a inspiré à Paul (Romains 1,16-17) sa réflexion fondatrice sur l’Evangile ; Habaquq est le prophète qui a aussi, le premier, énoncé que « le juste vivra par la foi », énoncé qui a bouleversé ce jeune moine allemand dont nous parlons souvent, Martin Luther et a inspiré l’idée qu’en matière de salut, tout se joue sola fide, par la foi seule. Dans notre moisson du jour, il y a aussi la seconde épître à Timothée, qui vient mettre sous nos yeux une notion très importante, celle du dépôt de la foi, pierre d’entente et d’achoppement, moment essentiel des réflexions œcuméniques. Combien de temps devrait durer nos cultes si nous voulions nourrir ainsi trois fois notre foi ? Nous devrions y passer la journée… et pourquoi pas ? Troisième texte de notre moisson du jour, ceci :
Luc 17
1 Jésus dit à ses disciples : « Il est inévitable que des scandales arrivent ; mais malheur à celui par qui le scandale arrive.
2 Mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une meule de moulin et qu’on le jette à la mer, et qu’il ne scandalise aucun de ces plus petits.
3 Faites-y bien attention. Si ton frère t’offense, fais-le lui savoir ; et s’il s’en repent, pardonne-lui.
4 Et s’il t’offense sept fois durant la même journée et qu’il revienne à toi en disant “Je me repens”, pardonne-lui.
5 Les apôtres dirent alors au Seigneur : « Ajoute-nous la foi. »
6 Mais le Seigneur leur répondit : « Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore “Déracine-toi et va te planter dans la mer !”, et il vous obéirait.
7 Lequel d’entre vous, s’il a un serviteur qui laboure, ou qui farde les bêtes, lui dira à son retour des champs “Va vite te mettre à table !” ?
8 Est-ce qu’il ne lui dira pas plutôt “Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive ; et après, tu mangeras et tu boiras à ton tour” ?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ?
10 De même, vous aussi, lorsque vous aurez fait ce qui vous était ordonné, dites  “Nous sommes des serviteurs, nulle gratification ne nous est due. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” »
Prédication :
            Je voudrais ouvrir la méditation de ce jour avec le mot scandale. Qu’est-ce qui a fait scandale lorsqu’en 1988 est sorti le roman de Salman Rushdie, Les versets sataniques ? Ou encore qu’est-ce qui a fait scandale lorsqu’a été projeté, en 1988 aussi, La dernière tentation du Christ, film de Martin Scorcese, adapté d’un roman éponyme de Nikos Kazantsakis ?
Qu’est-ce qu’un scandale ? La méditation de ce mot me mène à l’évocation d’un livre et d’un film, mais aussi de personnes probablement honnêtes et vertueuses qui, devant quelque chose, un événement, un propos, qui heurte des convictions reçues mais jamais encore réellement pensées ou mises à l’épreuve, s’adonnent à force criaillements. « C’est un scandale ! » Quand ces gens-là crient au scandale de cette manière, le mot est galvaudé…
Mais ce cri, je l’ai entendu une fois aussi, dans la bouche d’un vieux prêtre respectable avec lequel je célébrais un mariage ; tout se déroulait pour le mieux jusqu’au moment où je l’ai entendu crier : « La prière universelle est avant la bénédiction nuptiale ! » J’ai répondu à mi voix : « Oui, et alors ? » « Et alors, a-t-il encore crié, c’est un scandale ! » Sur ces mots il nous a laissés là, la noce et moi, et il est parti vers la sacristie. Nous avons entendu la porte claquer et la serrure se fermer rageusement à double tour… et… je ne vous raconte pas la suite.
            Cette scène a quelque chose de cocasse et mérite votre sourire. Elle mérite aussi votre attention : la foi de ce vieil ecclésiastique, sa foi, indissociable de la pratique bien réglée d’un rite, avait été heurtée… heurtée au point que, pendant quelques minutes, il ne pût plus supporter la présence d’autres êtres humains autour de lui.
Ce scandale aurait-il pu être évité ? Nous n’allons pas refaire l’histoire.

Retenons de cette petite histoire que le scandale a quelque chose à voir avec la foi. Et que lorsque un scandale arrive, celui qui est atteint, celui qui en est victime, voit sa foi être écornée, voire ruinée, pour un temps plus ou moins long, ce qui se traduit par une incapacité temporaire à se compter soi-même parmi les vivants. Le scandale a donc à voir avec la vie, avec la mort, avec la foi…
Nous aimerions donc ne jamais en être l’auteur, et ne jamais en être la victime. Or, Jésus affirme qu’il est impossible qu’il n’y ait pas de scandale. Dès lors que nous ouvrons la bouche, dès lors que nous ouvrons les oreilles, le risque du scandale est là, et le scandale est inévitable… En sera-t-on l’auteur, ou la victime ? S’il arrive que nous en soyons auteur, malheur à nous si nous avons scandalisé, heurté, l’un de ces plus petits qui n’ont pour vivre que leur propre et souvent naïve foi. Si nous en sommes victimes, notre tâche est de pardonner infiniment à ceux qui nous ont offensés, scandalisés, autant de fois qu’ils manifesteront un repentir.

Quelle a pu être dans leur temps la situation des disciples de Jésus ? Comme manifestations de la foi ils ont vu l’insistance parfois désespérée des pauvres gens, ils ont vu la dangereuse et inaccessible audace de leur maître Jésus, ils ont vu la stricte et parfois dominatrice observance des Pharisiens. Ils ont vu surtout que certaines attitudes et propos scandalisent, mais que d’autres attitudes et propos, pleines de tact et de puissance, guérissent et restaurent… A toutes ces attitudes et propos étaient attachées le nom de foi, mais ce qui leur a paru le plus beau, c’est la foi de leur maître, paroles et gestes surhumains de puissance, qu’ils ont ardemment désirée. Et l’écart entre eux et Lui était si grand qu’ils ne lui ont pas demandé : « Augmente en nous la foi. », comme s’ils en avaient un peu déjà mais qu’il leur en faudrait plus pour faire ce que le maître faisait… non pas : « Augmente en nous la foi », mais « Ajoute-nous la foi. » Comme s’ils étaient pourvus déjà de la connaissance du texte et de la connaissance du rituel, et qu’il ne leur manquait que la puissance – une puissance d’en-haut spécifiquement à eux donnée – pour faire de grandes et bonnes choses.

Réponse de Jésus : « Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait » Que signifie donc cette réponse ? Elle est souvent interprétée comme un reproche que Jésus adresse à ses disciples. Jésus leur reprocherait ainsi de n’avoir que très très peu de foi, mais trop peu ; s’ils en avaient à peine plus que ce qu’ils ont,  ils accompliraient des choses extraordinaires… Mais cette réponse va-t-elle avec les chapitres qui précèdent (une brebis perdue, une pièce perdue, un fils perdu…) ? Va-t-elle avec l’engagement entier et au long cours de ceux qui attendent, cherchent, trouvent, accueillent et partagent leur joie ?  La foi est-elle une puissance d’en-haut dont certains disposent pour prouver que leur dieu est bien Dieu et que c’est lui qu’il faut adorer ? Si vous êtes lecteurs des écrits apocryphes chrétiens, vous savez que des Apôtres de Jésus Christ Fils de Dieu s’y battent à coups de miracles contre les prophètes d’autres dieux. Mais ressusciter un hareng saur, cela tient-il lieu de prédication ? Idem, ordonner à un sycomore de se déraciner et d’aller se planter dans la mer, quel intérêt cela a-t-il ? La réponse de Jésus, « Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde… » ne signifie-t-elle pas plutôt « Heureusement, vous n’avez pas la foi, car si peu que vous en auriez, vous feriez n’importe quoi ! » ? Et en faisant ce n’importe quoi, vous acquerriez une position dominante, vous deviendriez exactement semblables à ces gens qui, au nom de la foi qui est la leur, scandalisent, asservissent les plus petits.
A l’appui de cette interprétation, il y a les paraboles qui précèdent notre texte et que nous avons commentées ces dernières semaines. Et il y a aussi la suite du texte. La foi, le croire en paroles et en actes, ce qui est la condition du disciple, du témoin de Jésus Christ, n’est pas une condition de seigneur et maître, mais une condition d’esclave et de serviteur, toujours. Et si, au titre de ce témoignage, il faut occuper un temps une position prééminente, cela ne peut être qu’au titre d’une compétence confiée pour un temps, et jamais au titre d’une qualité essentielle. La parole est donnée pour être transmise. Elle est dite et, Dieu voulant, entendue. Elle œuvre selon sa propre puissance. Et revient à Dieu lorsqu’elle a produit son effet.

Que reste-t-il alors à ceux qui l’ont prononcée et assumée ? Il leur reste leur devise : « Nous sommes vos serviteurs et vous ne nous devez rien pour cela. » Amen