samedi 24 décembre 2022

Noël, et, pourvu que la chair le veuille, le Verbe se fait chair (Jean 1,1-2)

Jean 1

1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était dans l’intimité de Dieu, et le Verbe était Dieu.  2 Il était au commencement dans l’intimité de Dieu.

 3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.

4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,

5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise.

6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.

7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.

8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.

10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.

11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas pleinement reçu.

12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné possibilité de devenir enfants de Dieu.

13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

 14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, engendré de l’un, plein de grâce et de vérité, il tient du Père.

Prédication : 

            Veillée de Noël, pour certains célébration à minuit, puis culte du matin de Noël, deux célébrations qui semblent inséparables l’une de l’autre. Probablement elles se soutiennent l’une l’autre.

            Veillée de Noël, il nous est proposé de lire un récit de nativité, Matthieu, ou Luc : l’enfant naît. Et cette évocation biblique pourrait effectivement suffire, car il a un nom, déjà, et une destinée, avec chacun des deux récits. Cela devrait donc suffire, car ainsi l’histoire de Jésus commence, et la flèche du temps est déjà lancée, « de Bethléem à la Croix, de la Crèche à Golgotha, de la misère à la joie », de la naissance à la mort… il n’y a que Jésus. Et cela suffit – cela devrait suffire : Jésus de Nazareth est le message, homme envoyé de Dieu, reconnu comme Christ... fin de la veillée de Noël.

            Mais voici que, le lendemain matin, culte du matin de Noël, il nous est proposé, chaque année, de lire un autre récit, « Au commencement… », début, ou encore principe, de l’évangile de Jean. Et voici que le commencement de l’évangile de Jean semble bien vouloir commencer là où les autres évangiles ne commencent pas. Jean commence plus haut – on peut le dire ainsi – ou plus loin, ou ailleurs… Jean commence à l’origine même des temps ; « Au commencement… il y avait tout ce que le langage humain a jamais pu et pourra jamais exprimer, et cela était dans l’intimité de Dieu ». Certains proposent de parler pour cela de la Parole. Parole, ou Verbe, c’est à peu près la même chose, et c’est surtout la même idée. Cette idée, c’est que Dieu est au cœur de la Parole, au cœur du Verbe, au cœur de tout ce que l’être humain peut penser et dire. Et avec cela Dieu n’est pas à l’extérieur de ce que l’être humain fait et dit, mais à l’intérieur. Et l’intimité dont nous parlons est tellement profonde que l’auteur de l’évangile de Jean affirme ceci : « Et le Verbe était Dieu ». C’est une affirmation considérable : tout ce que l’être humain peut imaginer, penser et dire, tout ce qu’il est capable de mettre en œuvre, par des gestes et par des mots, c’est cela qui est Dieu, sans qu’il soit nécessaire de se réclamer d’une puissance extérieure, supérieure et autonome. Le langage suffit. Cette affirmation, « et le Verbe était Dieu », rend compte d’une foi totalement incarnée… Et l’on se dit que peut-être, il suffirait d’y croire et, y croyant, il suffirait d’accomplir ce qu’elle dit. A savoir que la parole de Dieu et la parole humaine se confondent absolument. Et ce serait une extraordinairement bonne nouvelle.

             Cependant – ou hélas – la chose n’est pas vraiment si simple. Déjà, pour l’approcher, nous avons dû utiliser le conditionnel… « ce serait une extraordinairement bonne nouvelle… » Ce qui laisse à penser que ça ne l’est pas. Quant à Jean, il utilise un temps du passé : « et le verbe était Dieu ». Il l’était. Et Jean revient, sur ce qu’il avait tenté d’exprimer, il reprend ce qu’il avait pu donner. Poursuivant son propos, il donne ceci : « Il était [le Verbe] au commencement dans l’intimité de Dieu » (v.2).

            Ils étaient… et ensuite ? L’intimité est-elle perdue pour toujours ? Cette unité défaite peut-elle être reconstruite ? Si l’on s’en tient à ce qui est écrit, et si l’on se tient du côté des humains, cela semble brisé, et nous devrons comprendre ici que le langage – le Verbe – ici repris par les humains est au mieux neutre, mais souvent ne sert plus qu’à la ruse et à la domination. Sauf que – message essentiel d’espérance – le Verbe – la parole – persiste. C’est un peu l’idée, qu’on pourrait qualifier d’enfantine, que la Parole, celle dont nous avons parlé, celle dont Jean parle, reste la plus forte. Ce que l’un de nos cantiques de Pâques (Mon rédempteur est vivant) ose formuler ainsi : « Mais Dieu reste le plus fort, Jésus a vaincu la mort ».

            Vaincre la mort, dans le commencement de l’évangile de Jean, c’est affirmer que les mots et le langage, résistent aux offenses que leur font subir les humains. Vaincre la mort, c’est oser dire que le langage, et donc l’âme humaine, ne peuvent être totalement corrompus. Bien sûr, nous devons hésiter un peu en affirmant cela, car nous savons bien à quels désastres les humains en arrivent parfois. Souvenons-nous seulement du premier génocide du 20ème siècle, un génocide oublié, celui perpétré par la puissance coloniale allemande, en Namibie, contre deux peuples, les Namas et les Hereros. Mais, affairés que nous sommes aujourd’hui à célébrer Noël, nous ne pouvons pas désespérer… Oui, toutes ces histoires de désagrégation du Verbe, toutes ces histoires de refus d’une lumière venue d’en-haut, du refus du témoignage de Jean sont rappelées. Mais est-ce là la fin de l’histoire ? Nous avons déjà entrevu qu’il n’en est rien et que – on peut toujours le dire ainsi sans se tromper sur ce que les mots désignent – « Jésus a vaincu la mort. » Mais Pâques, sera célébré le 9 avril, aujourd’hui c’est Noël et l’évangile de Jean nous offre ceci : « Et le Verbe s’est fait chair. »

            Bien sûr, apparemment sans hésitation, certains proposeront « La Parole est devenue un homme » et quant au nom de cet homme, ils penseront sans délai à Jésus de Nazareth. Et pourquoi pas. Ça n’est pas faux. Mais si cela est affirmé d’une manière trop massive, autre chose risque d’être perdu.

            Est-ce une fois pour toutes et en Jésus de Nazareth uniquement que le Verbe s’est fait chair ? Ou bien, est-ce que l’affirmation que le Verbe s’est fait chair est le signe que cela peut advenir encore ? Nous devons choisir. Choisissons : nous choisissons d’affirmer que pour tout ce qui est chair il n’est de salut que par le Verbe, entendons salut par la Parole, salut par ce que les humains sont capables de dire, par ces propos efficients, par des actes conséquents, salut par ce divin dont ils sont capables. Bien sur, si un homme naît, c’est une fois pour toutes. Mais pour ce qu’il en est du Verbe qui se fait chair, pour ce qu’il en est d’une résorption de la Parole réputée divine dans la Parole humaine, ça n’est jamais sans reste, et ça n’est jamais sans repousse. Et si cette vérité est perdue, la parole humaine accomplira une mutation dramatique en se transformant en parole de pouvoir…

            Raison pour laquelle on n’en a jamais fini de célébrer Noël. La proposition du calendrier chrétien est qu’il faut célébrer Noël au moins une fois par an. Il faut une fois par an  au moins s’exposer à Noël. Et penser toujours à ce qui, dans notre environnement, peut nous rappeler l’importance de ce mouvement, le Verbe qui se fait chair et rend capable de dire ce que Dieu dit et de faire ce que Dieu fait. Amen.

 

            P.S. : Et le Verbe s’est fait et se fera chair en ces enfants dont les noms suivent, nés à Vincennes entre le 1er et le 31 octobre (je n’ai pas trouvé de liste plus récente), Rose, César, Ilaï, Léa, Camille, Léonard, Orso, Maël, Nahyl, Noé, Gauvain, Lorenzo, Yumi, Émile, Basile, Amaury, Gaia, Romane, Eva, Louisa, Pierre, Gaby, Roberto, Clara, Arthur, Jeanne, Marc, Gaspard, Andrea, Gaspard, Helena, Clémence, Juliette, Hector…


samedi 17 décembre 2022

Quatrième dimanche de l'Avent (Matthieu 1,18-25 et Esaïe 7,10-16) Le presque rien d'une espérance invincible

Ésaïe 7

10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes:

 11 «Demande un signe pour toi au SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut.»

 12 Akhaz répondit: «Je n'en demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l'épreuve.»

 13 Il dit alors: Écoutez donc, maison de David! Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que vous fatiguiez aussi mon Dieu?

 14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe: Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.

 15 De crème et de miel il se nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien.

 16 Avant même que l'enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois.

Matthieu 1

18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.

 19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.

 20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint,

 21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»

 22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:

 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».

 24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,

 25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

Prédication

            Je me souviens d’une exposition qui a tourné dans nos temples, dont le titre était Protestants, qui était sortie en 2000, panneaux et livrets, avec force citations intéressantes dont celle-ci : « Un nom commence généralement comme un surnom, voire une insulte. Il est repris comme un drapeau et une confession. » En avril 1529, devant l’Empereur Charles Quint, qui souhaite rétablir le catholicisme comme seule religion pour tout le Saint Empire, certains princes refusent de se soumettre : Protestamus… En latin du 16ème, protester signifie confesser sa foi. On les nommera Protestants. Et l’insulte deviendra un drapeau. Un peu comme s’ils avaient dit : Protestants ? Chiche ! Il semble qu’il y ait eu des phénomènes linguistiques un peu semblables avec Huguenots, avec Camisards, et sans-culottes. Nous sommes à peu près certains que le nom de chrétiens fut attribué, à Antioche, à ceux qui se réclamaient du Christ, christ signifiant oint, chrétien signifiant donc par dérision ceux qui sont pommadés, « sentant à dix pas le cosmétique »… Et à chaque fois, dans ces bribes d’histoire que nous partageons, le surnom et l’insulte sont repris comme un drapeau et une confession. « Chiche… » Et le plus bas, le plus vil, devient un peu comme une gloire.

            Mais cette gloire, en laquelle habitent fierté et consolation, épuise-t-elle la peine traversée et l’état de peine dans lequel on a vécu ?

 

            Si nous évoquons aujourd’hui ces questions de noms, voire d’origine, c’est parce que deux d’entre elles nous sont proposées dans les textes que nous venons de lire. Pour l’une, le surnom devenant nom c’est Esprit Saint, pour l’autre, c’est Emmanuel. Et elles sont très intimement arrimées l’une à l’autre.

            Évoquons, tout d’abord, l’Esprit Saint, et surtout l’Esprit Saint avec Marie. Et nous avons tous bien en tête l’épisode de la visite à Marie de l’ange Gabriel, lequel lui apprend qu’afin qu’elle devienne mère l’Esprit Saint la couvrira de son ombre… Évangile de Luc, le récit de la rencontre de Marie avec l’ange, et ce qui s’ensuit, a trouvé dans les traditions chrétiennes, et comment elles pensent la femme, une réception superlative, pendant que l’évangile de Matthieu est plus prosaïque, au point qu’on sent certains traducteurs gênés : ils introduisent du Luc à l’intérieur de Matthieu. Matthieu : une très jeune femme est – littéralement – trouvée enceinte – verbe trouver au passif – il y a quelque chose à l’intérieur – sans ombre  ni mystère, sauf un : mais de qui ? C’est la question des villageois et de sa famille, question qui concentre en elle tous les bonheurs, et tous les malheurs possibles pouvant arriver à une femme. Celle qui est trouvée enceinte est promise à un homme…. Cette grossesse disons précoce la met en grand danger, affaire d’honneur. Si l’homme se plaint publiquement, elle est morte.

            Or, l’homme n’en fera rien. Un ange du Seigneur lui commande d’agir autrement – nous savons comment. Mais pourquoi le commandement de l’ange est-il possible ? C’est que l’homme est juste. Joseph est – selon Matthieu – un homme juste. Mais qu’est-ce qu’un homme juste ? C’est un homme qui, sans aucunement regarder à sa propre réputation, ni d’ailleurs parfois à sa propre sécurité, fait pour autrui dans la détresse le choix de la vie (et ça ressemble pas mal à la définition de ce qu’est un juste parmi les nations). Le commencement de l’histoire de Jésus dans l’évangile de Matthieu est une généalogie assez brillante… mais le commencement de l’histoire de Jésus est aussi une affaire glauque, et tragique, très ras du sol, d’une ignominie trouvée contre une femme, mais qu’un homme rachètera. L’évangile, donc, selon Matthieu, commence avec le nom d’un juste : Joseph. Mais pas un juste seulement. Le nom du juste n’est rien s’il n’est pas le nom de la justice. Le nom du juste est le nom de la justice, le nom de toutes celles et ceux qui, inspirés par cette histoire, agiront dans la justice et pour tels de leurs semblables (27.712 personnes ont reçu – 1er janvier 2020 – le titre de juste parmi les Nations).

            L’Évangile donc, a son commencement dans l’engagement d’un homme. Non pas de l’homme Joseph exclusivement, mais d’un être humain. Le commencement de l’Évangile peut être totalement anonyme. Il n’est alors possible que sous la clause d’une espérance. Et c’est de cette espérance que nous allons parler maintenant.

 

            L’ange nous met sur la voie qui rappelle qu’Emmanuel, le nom donné à l’enfant qui doit naître, signifie Dieu avec nous. Les compétences de cet enfant devenu adulte : sauver son peuple de ses péchés… Jésus et Emmanuel, dans la  pensée de Matthieu, c’est le même. Cela devrait être le même. Pourquoi deux noms ? Nous avons vu tantôt que l’acte peut porter le nom d’une personne, mais que ce qui motive l’acte peut être épuisé par le nom d’une personne. Transmettre la mémoire de l’acte est simple, transmettre la motivation de l’acte, de sorte qu’il ait lieu de nouveau, c’est bien plus difficile.

            Pour le faire, Matthieu évoque l’un de ses prédécesseurs, qui, en son temps, a dû penser l’espérance dans les larmes, la fécondité dans l’impossible, et a inventé pour cela le nom d’Emmanuel, enfant mis au monde par une très jeune femme, enfant qui, devenu adulte, saura – entre autres – rejeter le mal et choisir le bien. En regardant en amont, Matthieu rencontre Ésaïe (7,10-16 – texte du jour), il rencontre un texte et un nom, rencontre qui est comme condition de possibilité de l’espérance et de l’engagement – de Matthieu.

            Mais Ésaïe, lui, que rencontre-t-il ? Ésaïe a-t-il un nom, ou quelque chose, à quoi il se réfère et qui soit, pour lui, inépuisable motif et de l’espérance et de son engagement ? Nous ne le savons pas. Dans nos Bibles savantes, nous ne recueillons pas de citations provenant d’autres auteurs et d’autres cultures. Mais il y a d’autres ressources pour le prophète. Emmanuel, c’est – redisons-le – Dieu avec nous. Peu de temps avant le ravage d’un pays entier, profitant d’une sorte d’accalmie, le prophète commet un jeu de mot – il s’agit bien de cela – qu’il propose comme formule de l’action de grâce, et aussi comme formule l’espérance aux temps mauvais. Un seul nom pour un seul homme, un seul nom pour un seul Dieu, quels que soient les moments de l’histoire, la douceur de vivre, ou la catastrophe. Mais où trouve-t-il ce nom ?

            Il trouve ce nom dans le langage, dans des bouts de langage qui, associés judicieusement les uns aux autre, produisent de l’inspiration et du sens. Avant donc qu’Emmanuel devienne le nom de quelqu’un, et que son sens s’épuise dans une reconnaissance trop souvent parcourue, il y a trois fragments de langage qui, pour  toujours, peuvent rester ce qu’ils sont, mais qui, associés peut-être à d’autres fragments, peuvent renouveler l’espérance et faire se recommencer l’engagement. L’espérance ainsi située repart de tout en bas, là où les mots s’élaborent, dans ces lieux humains qui sont inépuisables.

            L’espérance peut-elle repartir de plus bas encore que ces fractions de mots ? Oui. Elle peut repartir d’une lettre, comme le i, et même du point sur le i (Matthieu 5,18) comme du point sur l’iota des grecs ; et pour ceux qui sont de culture hébraïque, l’espérance peut toujours renaître d’une de ces petites cornes qui décorent les caractères avec lesquels on écrit. Ainsi, « (…) avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas une corne d’une lettre de la loi ne passera que tout ne soit arrivé » (Matthieu 5:18).

            Avant que tout ne soit arrivé ? Tout quoi ? Quelle totalité ? Des maux et des drames ? Comme si la totalité des drames possibles pouvait un jour être atteinte dans l’histoire… Non. Ou peut-être. Mais plutôt – nous le croyons – comme si la totalité des bonheurs possibles pouvait être atteinte dans l’histoire ? Et nous disons que non. Ce que nous avons dit des Écritures, nous pouvons le dire aussi de l’espérance. Rien ne les épuise, rien de l’épuisera. Un être humain s’en empare, choisit d’en vivre et de la partager. Et tout peut recommencer. Amen.

 

samedi 10 décembre 2022

Troisième dimanche de l'Avent (Matthieu 11,2-11 & Esaïe 35,1-10) Jean le Baptiste a-t-il cru ce qu'il prêchait ?


Matthieu 11

2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:

 3 «Es-tu ‹Celui qui doit venir› ou devons-nous en attendre un autre?»

 4 Jésus leur répondit: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez:

 5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;

 6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi!»

 7 Comme ils s'en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules: «Qu'êtes-vous allés regarder au désert? Un roseau secoué par le vent?

 8 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d'habits élégants? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois.

 9 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui, je vous le déclare, et plus qu'un prophète.

 10 C'est celui dont il est écrit: Voici, j'envoie mon messager en avant de toi; il préparera ton chemin devant toi.

 11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.

Esaïe 35

1 Qu'ils se réjouissent, le désert et la terre aride, que la steppe exulte et fleurisse,

 2 qu'elle se couvre de fleurs des champs, qu'elle saute et danse et crie de joie! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharôn, et on verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu.

 3 Rendez fortes les mains fatiguées, rendez fermes les genoux chancelants.

 4 Dites à ceux qui s'affolent: Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu: c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.

 5 Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront.

 6 Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe.

 7 La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes. Dans le repaire où gîte le chacal, l'herbe deviendra roseau et papyrus.

 8 Là on construira une route qu'on appellera la voie sacrée. L'impur n'y passera pas - car le Seigneur lui-même ouvrira la voie - et les insensés ne viendront pas s'y égarer.

 9 On n'y rencontrera pas de lion, aucune bête féroce n'y accédera - on n'en trouvera pas. Ceux qui appartiennent au Seigneur prendront cette route.

 10 Ils reviendront, ceux que le SEIGNEUR a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s'enfuiront.

Prédication : 

             Nous parlons souvent de la destruction de Jérusalem et du Temple de Salomon, 585 av. J.C., et de la destruction de Jérusalem et du second Temple, 70 ap. J.C., mais nous parlons rarement de la destruction de Samarie, capitale du Royaume du nord, vers 722 av. J.C. Pourquoi en parlons-nous si peu ? Parce que les auteurs – religieux – de l’ancien testament n’ont guère aimé ces gens du « nord » qu’ils considéraient comme de vils polythéistes, qui avaient mis IHVH dans leur soupe religieuse, et qu’ils considéraient comme coupables d’avoir noué de vilaines alliances avec des Rois étrangers. Les auteurs de l’ancien testament donc ont mal parlé de ces gens-là. Cependant, et pour notre culture, le Royaume du nord a connu une période de prospérité économique, et de puissance politique, l’archéologie le dit avec précision. Et ce royaume a laissé aussi une littérature originale, à une époque où, au « sud », c'est-à-dire à Jérusalem, l’écriture n’était pas encore apparue.

            Peut-on lire cette littérature ? Oui, en lisant la Bible. Les auteurs de l’ancien testament (des gens du sud) ont utilisé certains textes et fragments (des auteurs du Nord) comme matériaux. Et en exerçant un peu nos yeux, nous pouvons apercevoir des paysages que les auteurs de Jérusalem ne connaissaient probablement pas, comme le Mont Carmel, comme la Plaine du Sharôn, et vous ajouterez à ces lieux la splendeur du Liban, entre autres. Ce sont bien les auteurs du Nord qui ont choisi cela comme expression imagée de leur espérance. Et tous ces noms sont les noms de leur tristesse, de leur nostalgie, mais aussi les noms de leur joie passée et de leur joie à venir.

             Car, vous l’avez entendu – nous l’avons lu – en Ésaïe 35 les verbes sont plutôt au futur. L’espérance se conjugue au futur, qu’il s’agisse des auteurs du Royaume du Nord, qu’il s’agisse aussi des auteurs du Royaume du Sud, prophètes et scribes, le bonheur se vit par anticipation du retour de l’exil, et parfois aussi par anticipation de l’avènement d’un guide qui conduira le peuple à la pleine réalisation de la vision ; il ira les chercher jusqu’au bout du monde, il les rassemblera, il les mènera, etc.. Retenez bien que les verbes sont au futur.

            Et Jean le Baptiste ? Tel qu’il est présenté au commencement de l’évangile de Matthieu, sa prédication diffère radicalement de ce que nous venons de rappeler. Il n’évoque pas un passé glorieux, il évoque un présent, (Matthieu 3,2) le Royaume des cieux s’est approché ; c’est ce qu’il annonce et nous devons bien comprendre ce que cela signifie : ce Royaume – le Royaume des cieux, n’a jamais été aussi proche qu’il ne l’est au moment où Jean le Baptiste parle, et ce Royaume ne pourra jamais être plus proche qu’il n’est maintenant. Nous pouvons appeler cela la première intuition de Jean le Baptiste : le Royaume des cieux est déjà là ! Et voici une seconde intuition de Jean le Baptiste : le Royaume des cieux ne tient pas tant à une intervention de Dieu qu’à un libre engagement humain. Celui de Jean, d’abord, celui aussi des gens qui adhèrent à sa prédication, et bien sûr ensuite l’engagement de Jésus, etc..

             Le Royaume donc, c’est au présent la prédication et l’engagement de Jean le Baptiste, prédicateur bouillonnant, qui fut jeté en prison. Et qui envoya ses disciples vers Jésus avec la question : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

            Je vous parle, une fois encore, des traducteurs et de leurs traductions. Le mot à mot grec ne parle pas de devoir venir, ni de devoir attendre. Beaucoup plus simplement, et sans aucune notion de devoir, cela donne « Es-tu celui qui vient ? Ou en attendons-nous un autre ? En disant devoir venir, ce qui est un présent redevient un futur, et ce qui est librement offert redevient une chose qui doit être saisie. Et alors ce que nous avons appelé les intuitions de Jean le Baptiste se trouve être effacé.

            Nous demandons, pour quelle raison le libre accomplissement de l’espérance du temps présent est ainsi effacé, par les traducteurs… mais pas par eux seulement, il l’est aussi par Jean le Baptiste lui-même, en ce qu’il s’interroge, et en ce qu’il envoie ses disciples pour interroger Jésus. Et nous nous disons que si Jean le Baptiste vient lui-même effacer sa propre espérance, c’est que la reconnaître pour ce qu’elle est et la vivre comme simple mais magnifique illumination concrète du temps présent… cela ne doit pas être si facile. Ainsi, le prédicateur prêche, il donne une forme verbale à son espérance, avec des tournures suffisamment imagées  pour que le message reste pertinent suffisamment longtemps. Et le message vit sa propre vie. Et le message trouve ses auditeurs, et ses lecteurs. Et quelque chose un jour s’accomplit, littéralement, ou pas. Il y a un écart. Comment les gens envisageront-ils l’écart entre le message et les événements ? Et comment le prédicateur, s’il est encore en vie, envisagera-t-il l’écart entre ce qu’il a prêché et ce qui arrive ?

             Et nous revoilà auprès de Jean le Baptiste… avec sa question : Es-tu celui qui vient ? Nous connaissons la réponse. Oui et trois fois oui. Mais comme souvent dans la Bible, le lecteur est plus savant que certains personnages. Nous avons, si j’ose dire, deux millénaires d’avance sur Jean le Baptiste, et nous savons donc que Jésus est celui qui vient – non pas celui qui est venu et qui reviendra, ça n’est pas le propos aujourd’hui, ça n’est peut-être même jamais le propos. Ce qui importe, c’est l’intuition de Jean le Baptiste, assumée pleinement par Jésus le Christ, « les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Et pour nous, femmes et hommes de 2022, il nous faut porter les yeux sur le monde qui est le nôtre, trouver là où ça a lieu, et accomplir avec grâce ce que nous pouvons accomplir : et c’est bien là qu’Il est, il n’y en a pas d’autre à attendre, là est le Royaume des cieux, et c’est bien là que se perpétue l’espérance dont nous parlons depuis tout à l’heure.

             Jean le Baptiste a eu manifestement du mal à repérer tout ça. Et nous-mêmes ? En ce troisième culte de l’Avent, revenons sur ce que nous avons exploré, le très-haut, le très bas, et cette descente spirituelle – et peut-être même éthique – qui fait que, dans une sorte de parcours de la foi, le croyant peut frayer un chemin qui soit le sien.

            Jean le Baptiste est parti de très haut, et Jésus lui-même le reconnaît : « parmi tous ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ». Aucun n’a mieux que lui saisi ce que sont la mémoire, le présent, le temps et l’espérance. Tout ce qu’il faut une fois au moins s’entendre dire, et qu’il faut profondément méditer, Jean le Baptiste l’a pensé, et l’a formulé. En ajoutant que c’est le Christ lui-même qui le dit de Jean, nous mesurons l’importance du propos. Cependant, ajoute Jésus, « le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » Jean le Baptiste n’a pas cru à ce qu’il prêchait… un moment, au moins, il n’a pas cru.

             Ce qui n’empêche pas que, dans le Royaume des cieux, les choses s’accomplissent toujours pour le plus grand bien des hommes et pour la plus grande gloire de Dieu. Et le plus petit, tout en bas, les reconnait comme telles, sans hésitation aucune, et avec la plus grande joie. A cela, à l’espérance, au Royaume plus qu’au baptême, à suivre Jésus plutôt que Jean, les premiers croyants furent invités. Il me semble que nous sommes nous aussi invités. Amen

samedi 3 décembre 2022

Deuxième dimanche de l'Avent (Matthieu 3,1-12)


 Matthieu 3

1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:

 2 «Convertissez-vous: le Règne des cieux s'est approché!»

 3 C'est lui dont avait parlé le prophète Ésaïe quand il disait: «Une voix crie dans le désert: ‹Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.› »

 4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.

 5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;

 6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.

 7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ?

 8 Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion;

 9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.

 10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.

 11 «Moi, je vous baptise dans l'eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu.

 12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»

Prédication : Vincennes, 4 décembre 2022, 2ème Dimanche de l’Avent

            Je voudrais d’abord me souvenir avec vous de cette infinie grandeur que nous avons évoquée tout récemment, celle du Christ Roi de l’Univers, très haut, plus haut que tout, grandeur qu’en pensée, dans la foi, et guidés par les Saintes Écritures, nous avons ramenée à la naissance d’un enfant, non pas l’enfant de Bethléem que nous connaissons déjà si bien, mais un enfant tout à fait anonyme. Il s’agit, dans cette méditation (pour la période de l’Avent 2022) de tâcher de rester – peut-être de retrouver – une certaine simplicité, un certain dénuement. Alors un enfant anonyme, des parents anonymes donc aussi – voire pas de parents du tout – appelé à l’existence par l’attention patiente à lui prodiguée par quelqu’un.

            Et voici que – au second dimanche de l’Avent – Jean Baptiste apparaît dans le paysage des Judaïsmes, disons vers les années 30, comme il est écrit : en ces jours-là, Jean le Baptiste parut. Il parut, soudainement, personne ne l’attendait, personne ne le connaissait. Ça n’est pas l’évangile de Luc que nous méditons, évangile dans lequel est rapporté tout le pédigrée de Jean le Baptise. Dans l’évangile de Matthieu, il apparaît (idem Marc) comme ça, et nous pourrons dire qu’il apparaît anonymement. Il n’est fils, ou petit fils, ni neveu de personne, et ne s’exprime que de sa propre autorité. Il emprunte leur look et leur verbe aux anciens prophètes d’Israël. En tout cela, en-deçà de la description que nous donnons de lui, il semble bien n’être intéressé ni par le succès ni par une postérité.

            Laissons-le là, comme une parole singulière, et intéressons-nous plutôt à ce qu’il dit. Et avant ce qu’il dit, intéressons-nous à qui il le dit. D’abord, il le dit au peuple. Il est un prédicateur de la fin des temps, et le salut dont il parle tient au repentir de la personne, associé à une confession personnelle des péchés, et à un baptême. Il semble bien que Jean le Baptiste ait rencontré un grand succès. Il nous est difficile de dire pourquoi. Nous n’avons que des conjectures… essayons.

            Les gens de ce pays avaient un besoin religieux, un besoin de pardon, besoin de sentir pardonnés par Dieu. En quel lieu, et comment, ce besoin pouvait-il être satisfait ? C’est toute une histoire. Le lieu et la manière n’ont pas toujours été uniques. Mais disons qu’à l’époque du Baptiste, il y avait le Temple de Jérusalem. Lisant l’évangile de Matthieu, nous nous limitons à ce lieu-là. Le recours à Dieu y était possible, et le pardon de Dieu y était obtenu, moyennant l’accomplissement de sacrifices compliqués, et tarifés. Le tarif des sacrifices – le prix du pardon – a dû être l’objet de bien des contestations, de contestations violentes, si l’on en juge par l’action de Jésus dans le Temple (Matthieu 21). Le repentir et l’engagement de ceux qui venaient au Temple ne sont jamais interrogés… Le succès du Baptiste était phénoménal, nous dit Matthieu… phénoménal un peu trop.

            Phénoménal un peu trop : nous avons parlé pour l’instant d’une adhésion un peu main stream, des gens du peuple, peut-être sincères, incapables de se payer les sacrifices du Temple… c'est-à-dire incapables de s’offrir par eux-mêmes les moyens de leur salut. Et ceux-ci venaient en foule. Et venaient aussi, nombreux, des Pharisiens et des Sadducéens…

             Ces deux espèces de gens, que représentent-ils ? Les premiers, les Écritures, les seconds, le Culte. Les Pharisiens sont les champions de l’observance. Faire ce qui est écrit, le faire à chaque instant de la vie, ne jamais cesser de s’y appliquer, c’est accéder à la pureté, à la sainteté, et par là, au salut, le salut des Pharisiens. Pour les Sadducéens, c’est la vie du Temple qui est tout ; le culte, celui du Temple de Jérusalem, exclusivement, sophistiqué à l’extrême, accompli de manière conforme à la révélation, par des gens élu pour cela depuis la nuit des temps, c’est ce qui fait que le monde existe, continue et continuera d’exister. Et ainsi, les Pharisiens et les Sadducéens détiennent eux-mêmes, et pour eux-mêmes, les instruments de leur propre salut.

            Et deux questions se posent. Ce salut, peuvent-ils en faire profiter leurs compatriotes ? La réponse devait pouvoir être positive. Sauf que, Sadducéen, on l’était par appartenance à une lignée, hors de laquelle il n’était point de salut. Et que Pharisien, il était possible de le devenir en fréquentant telle ou telle école, mais cette fréquentation n’était pas chose vraiment possible pour ceux qui avaient besoin de travailler dur pour manger le soir. Et voilà que Jean le Baptiste propose à ses contemporains un salut qui leur soit accessible, un salut qui ne réclame même pas l’ascèse, comme nous l’avons déjà dit.

            Deux questions se posent, avons-nous dit, celle d’abord d’un salut accessible. L’autre question est beaucoup plus fine, et incisive : Pharisiens et Sadducéens ont-ils cru en ce qu’ils pratiquaient eux-mêmes ? C’est une question redoutable. Et avec ce que nous venons de dire, nous pouvons répondre non. Ils n’y croyaient pas. Une simple observation nous permet d’être catégoriques. Ils ne croyaient pas en ce qu’ils pratiquaient ; s’ils y croyaient, pourquoi venaient-ils se présenter devant le Baptiste pour être baptisés par lui ?

            Fureur du Baptiste. Et à ces gens qui certainement se pensaient très élevés, très saints, très au-dessus des autres hommes, il adresse les invectives que vous savez. Ils sont très haut, et il va les mettre très bas. Il leur propose un abaissement considérable. D’abord il les insulte : ils sont des serpents, insulte désignant leur ruse et leur fourberie, ils sont des végétaux, du genre qui épuisent la terre et ne produisent rien ; ils sont de la balle, juste bon à brûler, et, gardons cela pour la fin, ils sont des pierres, et certainement pas de nobles pierres de construction, mais des pierres du désert de Judée, de la pierraille qui rend pour toujours impossible toute fertilité.

            C’est ce que leur dit, en substance, Jean le Baptiste. Une descente vertigineuse, leur dit-il, c’est ce que vous avez accompli.

             Mais Jean le Baptiste, fétu de paille, lui-même pierre du désert parmi les pierres du désert, croit à ce qu’il prêche. Il s’intéresse au salut des autres bien plus qu’à son propre salut. Ce qui fait qu’au terme de la descente vertigineuse dont il parle, et qu’il distingue chez les Pharisiens comme chez les Sadducéens… au plus bas de cette descente il y a la possibilité d’une remontée. De ces pierres du désert, humaines ou minérales, Dieu peut faire lever des enfants à Abraham. C’est sans doute un long chemin de conversion, c’est peut-être même le chemin d’une vie entière, mais c’est possible. Possible mais difficile ?

            Le récit que nous méditons nous enseigne qu’une ascèse rigoureuse comme celle de Jean le Baptiste n’est pas une nécessité. Plaise à Jean le Baptiste de mener cette ascèse et d’être extraordinairement libre dans ses paroles, d’interpeller dignitaires, princes et rois. Il propose à ses sœurs et frères une vie religieuse, pleine, entière, et possible.

            A bien des égards, Jésus en son temps ne fera pas autrement. Ce dont nous parlerons plus tard dans l’année. Pour l’heure, avec Jean le Baptiste, nous voyons quel chemin est possible, et en rendons grâce à Dieu. Amen