samedi 28 mai 2022

La gloire d'Etienne (Actes 7,55-60) ou l'unité de l'homme et de Dieu

Actes 7

55 Mais lui, rempli d'Esprit Saint, fixait le ciel: il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.

 56 «Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu.»

 57 Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles. Puis, tous ensemble, ils se jetèrent sur lui, 58 le traînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient posé leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme appelé Saul.

 59 Tandis qu'ils le lapidaient, Étienne prononça cette invocation: «Seigneur Jésus, reçois mon esprit.»

 60 Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri: «Seigneur, ne leur compte pas ce péché.» Et sur ces mots il mourut. 


Prédication : 

            Etienne n’était pas destiné au ministère de la Parole, il faisait partie de ces hommes qu’on avait choisis pour veiller au partage équitable entre tous des biens dont disposait la communauté. C’est aux Apôtres qu’était réservé l’enseignement… La toute jeune Eglise de Jérusalem avait ainsi déjà ses règlements. Mais les règlements sont faits pour être transgressés, et transgressés ils furent, notamment par Etienne. Car l’un des fils directeurs des Actes des Apôtres, c’est que toute règle édictée par telle autorité autorisée, même celle des Apôtres…, telle règle sera toujours transgressée par l’Esprit Saint. Or, Etienne était « un homme plein de foi et d’Esprit Saint », « plein de grâce et de puissance, (qui) opérait des prodiges et des signes remarquables parmi le peuple. » Nul ne l’avait appelé à cela. Nul ne l’avait non plus envoyé vers tel ou tel groupe, les Affranchis, les Cyrénéens, les Alexandrins – chaque groupe avait semble-t-il sa propre synagogue. Mais une rencontre eut lieu. Certains estimèrent qu’il blasphémait, et, par la force, ils le conduisirent au Sanhédrin, autorité autorisée à trancher en matière d’enseignement religieux à l’intérieur du Temple.

Ils produisirent de faux témoins… et au bout du parcours, il y eut un homme mort par lapidation, Etienne. Etienne est le premier martyr de l’histoire chrétienne.

            Mais pourquoi Etienne est-il mort ? Il est mort parce qu’on lui a jeté des pierres jusqu’à ce qu’il en meure. Et on lui a jeté des pierres parce qu’il avait « exaspéré » les autorités… plus fortement, ceux qui l’écoutaient eurent un accès de haine. La haine est un sentiment violent, sentiment qui exige la suppression de ce qui le suscite. Mais qu’est-ce qui avait suscité la haine de ces gens ? Le discours d’Etienne, qui est le plus long des discours des Actes des Apôtres ? Peut-être, peut-être pas, car les prédicateurs spontanés devaient être assez nombreux dans le Temple et sur les parvis du Temple (le syndrome de Jérusalem existait déjà), et les juges du Sanhédrin – grand tribunal – étaient habitués à entendre reproches et insultes. Ça n’est pas le discours d’Etienne donc, mais la vision d’Etienne.

            En fait, on ne sait pas vraiment ce qu’Etienne voit, mais il dit « Voici que je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » Ce qui arrive à Etienne, il le décrit comme une vision, mais c’est infiniment plus qu’une vision. Le tribunal religieux ne s’y trompe pas, qui ne crie même pas au blasphème mais se bouche carrément les oreilles avant de pousser des cris inarticulés. L’utilisation par Etienne du langage de la vision, dans un pays où Dieu n’est pas représentable, est le signe disons d’un événement considérable : Etienne, plus la gloire de Dieu, avec Jésus à sa droite, cela fait éclater les conventions en vigueur. En Etienne, et en Dieu, il se passe ceci : l’homme et Dieu sont un. Chose que le Tribunal ne pouvait déjà pas accepter si cela arrivait à l’un des siens ; et c’est pour cette raison qu’à la même période qu’Etienne, Rabbi Eliezer ben Hyrcanos – un personnage d’une importance considérable – fut excommunié et tous ses jugements annulés ; comment le tribunal pourrait-il accepter cela d’Etienne, un inconnu ?

            Alors on se saisit d’Etienne, on le traina hors de la ville, et il fut lapidé. Pour cette horrible scène, le rédacteur des Actes a repris le vocabulaire de la crucifixion de Jésus, pour bien signifier à quel point l’homme, le Christ et Dieu sont en ces matières absolument confondus. Et s’il s’agissait d’employer le langage de l’évangile de Jean, nous pourrions énoncer qu’ils sont un. Qu’en est-il de cette unité ? (6 courtes remarques)

 

            1. D’abord, cette unité embrasse toute l’histoire, d’une manière d’ailleurs originale (nous relirons, une autre fois, l’ensemble du discours d’Etienne).

            2. Ensuite, cette unité ne laisse personne de côté. Les gens auxquels Etienne s’adresse ont des origines extrêmement diversifiés. L’ambition – ou plutôt la proposition – de cette unité est bien une unification – mais on sent bien que c’est une unification qui n’est pas une uniformisation (si l’on voulait d’ailleurs adresser une réserve aux Apôtres s’agissant de leur conduite des affaires de la communauté, ça serait qu’ils visent un peu – un peu trop ? – à l’uniformisation…)

            3. Cette unité donc, est inclusive – le mot est trop à la mode – mais elle est aussi critique. Cette unité est critique, c'est-à-dire, pour tous ceux dont elle s’approche elle fait office « d’opérateur de vérité ». La vérité n’est pas toujours la bienvenue et son apparition dans le paysage est assez souvent le signe de prochaines turbulences, voire de violence. Etienne en fera les frais…

            4. L’unité de Dieu et de l’homme se donne entièrement à l’homme, elle se donne entièrement à celui qui parle, et elle se donne entièrement aussi à ceux qu’elle approche et qui entendent. Pour elle-même, il n’y a pas de défense, pas d’abri. Elle s’abandonne, pour le meilleur, et quoi qu’il arrive. Elle n’oblige au fond absolument personne, et surtout pas ceux auxquels elle s’adresse pourtant au premier chef.

            5. Et s’il advient qu’on la traine hors de la ville et qu’elle doive payer de sa vie le prix de ce qu’elle est, le prix de la grâce et de la vérité, le prix de l’unité de l’homme et de Dieu, on la voit prier Dieu de n’imputer aucun péché à ses bourreaux. Cette prière ne s’adresse pas à un Dieu qui serait lointain et puissant et qui viendrait venger ses serviteurs martyrs – au point où nous en sommes, il ne peut plus en être question – cette prière est un cri d’amour de l’homme pour l’homme.

            6. Et finalement, cette lecture, dans les Actes des Apôtres, vient nous rappeler quelques lectures, dans l’évangile de Jean, évangile dans lequel il est question du Verbe qui s’est fait chair, de l’unité du Père et du Fils, de l’unité des disciples et de leur maître, de l’engagement absolu de l’un envers les autres et des autres les uns envers les autres. Et le mot qui revient, et revient, et le verbe qui va avec ce mot, c’est amour, et c’est aimer. L’évangile de Jean n’a pas le monopole des propos sur l’amour (ni Paul aux Corinthiens).

 

            A tous ces textes nous pouvons adresser quelques questions. L’amour dont ils parlent peut-il l’emporter ? L’unité de l’homme et de Dieu peut-elle être défaite ? Et les violents, ceux qui font de Dieu une hydre toujours en quête de chair vivante à dévorer, vont-ils fatalement l’emporter ?

            Ceux qui nous ont suggéré nos lectures de ce jour se sont arrêtés à « Et sur ces mots, (Etienne) mourut » Fin de l’aventure d’Etienne ; l’unité de l’homme et de Dieu semble avoir été défaite. A proximité de la scène du meurtre, on nous signale la présence d’un jeune homme appelé Saul. « Saul était de ceux qui approuvaient ce meurtre » On nous raconte aussi qu’une violente persécution éclata contre l’Eglise. Était-ce la fin ? Oui, fin de certains qui, comme Etienne, payeraient de leur vie la profondeur de leur engagement. Fin aussi pour plusieurs autres, car hier comme aujourd’hui les persécuteurs massacrent, et il n’y a jamais de distinction lorsqu’on massacre.  Et pourtant, s’agissant de ce jeune Saul, vous savez qu’après une expérience personnelle bouleversante il devint Paul, voyageur infatigable et apôtre des Païens : l’unité de l’homme et de Dieu se fit un jour en lui et ne se défit plus jamais. Quant à cette Eglise persécutée, ses membres survivants se dispersèrent, et allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle de la Parole. Et ça n’était que le début de l’aventure.

                       

            Que conclurons-nous ? Cette unité de l’homme et de Dieu, dont nous parlons depuis tout à l’heure, peut toujours se faire en telle personne. Elle le peut toujours, aujourd’hui comme hier et, c’est notre acte de foi aujourd’hui, ne cessera jamais de toujours se faire à nouveau. Joie pour nous tous. Amen


samedi 21 mai 2022

La gloire de Pierre (Actes des Apôtres 15,1-29 - une très longue lecture)

Actes 15

1 Certaines gens descendirent alors de Judée, qui enseignaient aux frères: «Si vous n’êtes pas circoncis selon la loi de Moïse, disaient-ils, vous ne pouvez pas être sauvés.»

 2 Un conflit en résulta, et des discussions assez graves opposèrent Paul et Barnabas à ces gens. On décida que Paul, Barnabas et quelques autres monteraient à Jérusalem trouver les apôtres et les anciens à propos de ce différend.

 3 L'Église d'Antioche pourvut à leur voyage. Passant par la Phénicie et la Samarie, ils y racontaient la conversion des nations païennes et procuraient ainsi une grande joie à tous les frères.

 4 Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l'Église, les apôtres et les anciens, et ils les mirent au courant de tout ce que Dieu avait réalisé avec eux.

 5 Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir qu'il fallait circoncire les païens et leur prescrire d'observer la loi de Moïse.

 6 Les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette affaire.

 7 Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint pour déclarer: «Vous le savez, frères, c'est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours et chez vous, les nations païennes ont entendu de ma bouche la parole de l'Évangile et sont devenues croyantes.

 8 Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous, l'Esprit Saint.

 9 Sans faire la moindre différence entre elles et nous, c'est par la foi qu'il a purifié leurs cœurs.

 10 Dès lors, pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter?

 11 Encore une fois, c'est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés, exactement comme eux!»

 12 Il y eut alors un silence dans toute l'assemblée, puis l'on écouta Barnabas et Paul raconter tous les signes et les prodiges que Dieu, par leur intermédiaire, avait accomplis chez les païens.

 13 Quand ils eurent achevé, Jacques à son tour prit la parole: «Frères, écoutez-moi.

 14 Syméon vient de nous rappeler comment Dieu, dès le début, a pris soin de choisir parmi les nations païennes un peuple à son nom.

 15 Cet événement s'accorde d'ailleurs avec les paroles des prophètes puisqu'il est écrit:

 16 Après cela, je viendrai reconstruire la hutte écroulée de David. Les ruines qui en restent, je les reconstruirai, et je la remettrai debout.

 17 Dès lors le reste des hommes cherchera le Seigneur, avec toutes les nations qui portent mon nom. Voilà ce que dit le Seigneur, il réalise ainsi ses projets

 18 connus depuis toujours.

 19 «Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu.

 20 Écrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang.

 21 Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu'on le lit tous les sabbats dans les synagogues.»

 22 D'accord avec toute l'Église, les apôtres et les anciens décidèrent alors de choisir dans leurs rangs des délégués qu'ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabas. Ce furent Judas, appelé Barsabbas, et Silas, des personnages en vue parmi les frères.

 23 Cette lettre leur fut confiée: «Les apôtres, les anciens et les frères saluent les frères d'origine païenne qui se trouvent à Antioche, en Syrie et en Cilicie.

 24 Nous avons appris que certains des nôtres étaient allés vous troubler et bouleverser vos esprits par leurs propos; ils n'en étaient pas chargés.

 25 Nous avons décidé unanimement de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos chers Barnabas et Paul,

 26 des hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.

 27 Nous vous envoyons donc Judas et Silas pour vous communiquer de vive voix les mêmes directives.

 28 L'Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables:

 29 vous abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de l'immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. Adieu!»

Prédication

            Si vous n’êtes pas circoncis selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés.

            Le lecteur va bien entendu se demander de quoi il s’agit d’être sauvé. Et il ne trouvera guère de réponse (ni ici, ni ailleurs dans les Actes), ce qui peut signifier que la réponse allait de soi, non seulement pour ceux qui enseignaient la nécessité de la circoncision, mais aussi pour ceux qui enseignaient qu’elle n’était pas nécessaire. Sauvé, mais de quoi ? Sauvé de tout péril dans cette vie ? Non. Les humains savent depuis toujours que les rites même les plus éprouvés ne confèrent aucune protection  sérieuse contre toutes sortes de malheurs. Sauvé, pour bénéficier du sort le meilleur dans l’au-delà ? Ce sont des choses qu’on entend dire, mais elles sont, de par leur nature, assez difficilement vérifiables.

            Mais il devait y avoir quelque chose d’évident, voire capital, pour les uns comme pour les autres, peut-être la même chose pour les uns comme pour les autres, qui fit que la discussion s’envenima.

            Mais quoi ?

 

            Tout au début, c’est une affaire religieuse. C’est l’ancienne religion des enfants d’Israël qui, suite à la prédication de Jésus de Nazareth, était sortie du cadre des synagogues et du Temple, et s’était grande ouverte aux païens. Cette ouverture à vrai dire avait commencé, pour ce qu’on sait, commencé depuis assez longtemps et l’on pouvait rencontrer des convertis au judaïsme, c'est-à-dire des païens convertis observants. Étaient-ils, ces gens-là, refoulés sur le seuil des lieux de culte ? Et bien, s’agissant de jeunes groupes rassemblés à Antioche au nom de Jésus Christ et ayant vécu l’expérience de Pentecôte, il semble que la question de la circoncision n’ait pas été porteuse d’un enjeu particulier. Jusqu’au moment où…

            Pourquoi un conflit éclate-t-il, et pourquoi des discussions assez graves ont-elles lieu ? Pourquoi Paul et Barnabas d’un côté, et les prédicateurs de la circoncision de l’autre côté, ne parvenaient-ils pas à s’entendre ? Question d’influence et de domination sur les personnes… ça n’est pas glorieux, mais c’est le plus facile à imaginer. Soyons un peu naïfs en espérant que la raison peut tout régler. Et supposons qu’il y a, tant chez Paul que chez les circonciseurs, une sorte de fond impensé.

            Au fond, Paul et Barnabas sont des enthousiastes. Ils voient bien que Dieu s’en est allé se trouver des enfants parmi les païens, ils voient bien que Dieu a grandement béni les nouvelles communautés qui ne cessent de croitre et de se répandre, ils voient bien qu’à ces païens Dieu donne le Saint Esprit tout comme aux Fils d’Israël. Partout où ils passent, Paul et Barnabas rapportent ces faits, et le témoignage qu’ils donnent ne fait que contribuer à la croissance de l’ensemble. Et tout se passe très bien, à cause de l’enthousiasme, bien sûr, mais aussi parce que ces communautés sont homogènes – elles sont sans doute des groupes très bigarrés, mais l’enthousiasme les homogénéise. Dans cet enthousiasme, ou oublie, on ne pense pas, que ce Dieu a un langage plus élaboré que les balbutiement des gens émus, que ce Dieu a une histoire et que cette histoire va, fatalement, à un moment où à un autre, venir faire valoir ses droits. Là sont les limites de l’enthousiasme… et là aussi est le fond impensé de Paul et de Barnabas.

 

            Et pendant ce temps, les tenants de la circoncision, et, autant le dire tout de suite, tenants de toute la Loi de Moïse, dont manifestement certains se sont donnés à Christ et ont reçu l’Esprit Saint, pensent que cette foi nouvelle est certes un nouveau rameau de l’arbre généalogique des enfants d’Israël, mais qu’en tant que ce nouveau rameau de cet arbre-là, il ne peut ni ne doit se dispenser d’observer la loi de Moïse, circoncision, bien entendu, et tout le reste des commandements, écrits et oraux. Observance sans dérogation possible, il en va du salut et, pour une fois, nous allons dire ce qu’il en est de ce salut : c’est un salut qui est lié à une notion d’ordre, l’ordre divin de la création tel que révélé dans la Loi, la Loi enseignant aussi comment habiter cette création, c'est-à-dire le mode d’emploi de la vie. Et l’on comprend assez aisément l’importance de cela : il en va de la vie, et il en va de Dieu (c’est la même chose), et il en va de l’humanité de chaque homme. Mais – et c’est là le fond impensé des tenants de la circoncision : si Dieu a pris la liberté de se révéler aux païens, et s’il lui a plu de leur donner son Esprit Saint, esprit par nature remuant et créatif, est-ce pour qu’ils (les païens) en viennent à la froide et méthodique pureté de l’observance de toute la Loi ?

 

            En tout cas, deux grandes tendances se font face, et s’affrontent, à Antioche, et à Jérusalem. La rupture est-elle inévitable ? La discussion, en tout cas, est une discussion au sommet : Paul, Pierre, Jacques, plus des « fidèles issus du pharisaïsme », soutenant qu’il faut circoncire les païens et leur prescrire d’observer la loi de Moïse. Pensons ici que tous sont bien juifs et que même si, comme Paul, ils s’octroient avec la loi des libertés considérables, ils connaissent parfaitement l’origine de cette loi et l’histoire de l’observance de cette loi. Ils savent sans doute que la rigidité des opinions en présence peut conduire au schisme.

            C’est Pierre qui va, ici, être particulièrement inspiré, et qui va faire une œuvre réellement pastorale. Il écoute, certainement, tout ce qui se dit, mais il a surtout une intuition d’une profondeur et d’une honnêteté considérables. Au lieu d’utiliser son intelligence pour récuser la tradition des autres, c’est sa propre tradition qu’il interroge. Écoutez bien : « 10 pourquoi tenter Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter ? ». Pierre est grand lorsqu’il affirme cela. Il interroge sa tradition, on ne peut plus profondément. Il le fait sans fanfaronnade, il le fait avec l’honnêteté du pécheur vraiment repentant, en mettant au tout premier plan la grâce du Seigneur Jésus, unique grâce qui sauve, les Juifs comme les païens. Grâce qui sauve, elle sauve de ce qu’on appelle tenter Dieu, c'est-à-dire faire peser sur les épaules d’autrui, et au nom de Dieu, toutes sortes obligations, religieuses, alimentaires, en prétendant que le salut est acquis à ceux qui les observeront… Non, dit Pierre en substance, on peut décider d’observer ceci ou cela, on peut même se l’imposer, mais on ne devra jamais l’imposer à qui que ce soit, et surtout pas dans la perspective du salut.

            De ce moment où Pierre est grand, retenons que chacun peut – et peut-être doit – examiner ses propres orientations religieuses à l’aune de la liberté conquise en Dieu par Jésus Christ.

 

            Et qu’advint-il ensuite ? Ces gens qui avaient prêché à Antioche aux chrétiens d’origine païenne qu’ils devaient être circoncis, que devinrent-ils ? Et ceux qui, à Jérusalem, étaient d’origine pharisienne, que devinrent-ils ? Nous ne le savons pas. Nous savons que tous ces groupes aux complexes racines hébraïques étaient prompts à s’enflammer, et prompts à se diviser. Mais nous ne savons pas si, à Jérusalem, et à Antioche, des gens qui observaient la loi de Moïse et d’autres qui ne l’observaient pas auront su vivre en sœurs et frères dans une unique et essentielle adoration de Jésus Christ, et dans une unique action de grâce pour la grâce faite par Dieu en Jésus Christ. Nous ne le savons pas. Le livre des Actes des Apôtres ne nous dit pas tout.

            Mais il nous dit, au moins, comment examiner notre propre tradition pour que nous puissions vivre et témoigner de ce que nous avons reçu, par grâce. Amen


samedi 14 mai 2022

Gloire de l'homme, gloire de Dieu (Jean 13,31-35 ; Apocalypse 21,1-5)

Jean 13

31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui;

 32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le glorifiera.

 33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs: ‹Là où je vais, vous ne pouvez venir›, à vous aussi maintenant je le dis.

 34 «Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

 35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l'amour que vous aurez les uns pour les autres.»

Apocalypse 21

1 Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus.

 2 Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, comme une épouse qui s'est parée pour son époux.

 3 Et j'entendis, venant du trône, une voix forte qui disait: Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux.

 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.

 5 Et celui qui siège sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles. Puis il dit: Écris: Ces paroles sont certaines et véridiques.

Prédication : 

            Gloire. Il nous est proposé de lire quelques versets de l’Apocalypse de Jean, versets ou commence ce que nous pourrions appeler la révélation finale. La Jérusalem nouvelle descend du ciel, toutes choses sont faites nouvelles…

            En fait les versets qui nous sont proposés sont extraordinairement sobres pour être des versets de ce dernier épisode de l’Apocalypse. Quelques lignes plus loin, il y a un véritable déluge de superlatifs, de l’or, et autres métaux, extraordinairement brillant partout, ainsi que des pierres précieuses partout aussi, et un plan architectural extrêmement maîtrisé. Rien n’est trop beau semble-t-il pour décrire cette cité, et la gloire de cette cité.

            N’avançons pas trop vite, revenons d’abord à ce qui s’accomplit : toutes choses sont faites nouvelles. Mais que signifie cela, toutes choses sont faites nouvelles ? Toutes choses, les pires, les mauvaises, les bonnes et les meilleures. Si toutes choses sont faites nouvelles, même les meilleures choses sont faites nouvelles. Et là, nous hésitons… pour deux raisons : nous ne sommes pas certains d’être compétents en matière de détermination du meilleur, et nous ne sommes pas capables de parler du meilleur renouvelé : nous n’avons juste pas le vocabulaire nécessaire. Nous hésitons donc sur ces versets.

            Mais celui qui parle, lui, le voyant de Patmos, comment fait-il pour parler de ce grand renouvellement ? Il se réclame de visions particulières, et il reprend à son propre compte les grands récits merveilleux que son époque, et l’époque précédente, avaient produits, et il les transforme. Il ne s’agit d’ailleurs pas de transformations considérables. La lumière éblouissante, les chasses gigantesques en métaux précieux polis, les pierres précieuses de toutes sortes : « 18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d'or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce: le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d'émeraude, 20 le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste. 21 Les douze portes étaient douze perles; » Tout cela peut être indéfiniment reconduit, les seules transformations notables tiennent au nom de Dieu et au nom de son Fils, lumières intrinsèques – comment en serait-il autrement – qui évoquent, qui représentent la gloire de Dieu.

            Alors, cette ancienne et merveilleuse évocation, cette soupe précieuse cent fois déjà révélée, est-elle la seule manière possible de parler du grand renouvellement de toutes choses ? Évoquer le triomphe du Dieu fort et de son Fils, est-ce la seule manière d’apporter le réconfort et la tranquillité des fidèles qui, si nous lisons bien le début de l’Apocalypse, avaient été persécutés en raison de leur foi ? Cette vision finale de la gloire divine et de la gloire des serviteurs de Dieu, est-le la seule possible ?

 

            Les spécialistes du Nouveau Testament pensent que l’évangile de Jean, les trois petites épîtres de Jean et l’Apocalypse sont d’une même école, si ce n’est pas d’une même plume. Ce qui saute aux yeux du lecteur, c’est qu’ils sont au moins d’une même langue. Peut-être pas frères, mais au moins proches cousins, leurs réflexions s’interpellent, et parfois se complètent.

            L’évangile de Jean a, lui aussi, réfléchi sur la gloire. Parole de Jésus : « Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : "Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui…" » Judas sort. C’est juste après que Jésus l’ait désigné comme celui qui va trahir, et qu’il lui ait recommandé de ne pas tarder à accomplir cette trahison. Et si nous lisons bien – peut-être avons-nous peur de lire, mais c’est pourtant ce qui est écrit – le Fils de l’homme a été glorifié en cette trahison, et Dieu tout autant glorifié par le Fils de l’homme. Nous pensons à Dieu et au Fils de l’homme tels que nous les avons évoqués dans le début de notre méditation, grandeur non mesurable, puissance inépuisable, et nous nous demandons comment cette glorification est possible, et comment elle est même concevable.

            Comme cela arrive souvent dans l’évangile de Jean, il peut être intéressant de revenir au tout début de l’évangile, son premier chapitre – son prologue – et, dans ce prologue, à une affirmation décisive, le verbe s’est fait chair (1.14). Certains proposent de traduire Dieu s’est fait homme, ou encore il est devenu un homme. Cet homme, c’est Jésus Christ.

            Quand donc s’est-il fait homme ? N’ayant pas de récit de nativité dans l’évangile de Jean, nous pouvons dire qu’il s’est fait homme, d’un coup d’un seul, ou progressivement, avant le commencement du récit. Mais nous ne pouvons pas trop spéculer sur ce qui n’est pas écrit… et nous dirons que se faire homme, apprendre à être chair, c’est une tâche dont la durée est la durée de l’évangile, allant crescendo jusqu’à la fin… quelle fin ? Et que cette tâche passe par le moment où Jésus accepte d’être trahi.

              L’évangile selon Jean passe nécessairement par la trahison. Seule la chair peut être aussi radicalement trahie que le sera Jésus. Et elle peut être radicalement trahie parce qu’elle est radicalement donnée. L’incarnation de Dieu et sa donation aux humains sont une seule et même chose – une seule et même expérience. Et au point culminant de cette expérience, il y a la trahison, dont la possibilité est le signe de la donation de Dieu à la chair, et dont l’accomplissement jusqu’à la croix est le signe de l’amour de Dieu (don de Dieu – c’est la même chose) pour la chair, pour les humains.

            Et c’est pour cette raison aussi qu’il parle ici d’amour. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Et c’est pour cette raison que Jésus parle ici de gloire.

 

            Ce qui fait que nous avons deux fois parlé de gloire. Une fois de la gloire extrêmement élevée, brillante, merveilleuse qui, de très haut et de très loin dans le futur surplombe l’humanité ; inatteignable sauf par vision divine, puis surtout par le génie flamboyant des écrivains biblique. Et une fois d’une gloire que nous qualifierons d’éthique, la gloire du Fils de l’homme, qui est gloire de Dieu, étant de s’engager absolument, éperdument, dans l’humanité et pour l’humanité, au risque d’être trahi par ses semblables, risque avéré, nous le savons, dans l’évangile.

            Autant la première gloire est la gloire d’un Dieu fort et lointain, autant la seconde gloire est la gloire d’un Dieu tout proche, et faible.

           

            Est-ce la même gloire ? Le soleil étincelant de la Jérusalem nouvelle est-il aussi le coucher de soleil lamentable sur le Golgotha du Vendredi Saint ? C’est la même gloire en ses variations les plus extrêmes. La même gloire, celle de Dieu, celle des hommes.

samedi 7 mai 2022

Guerre entre adorateurs de Dieu (Jean 10,27-30 et Actes 13,14-52) La substance et la violence

Jean 10 

27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.

 28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.

 29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.

 30 Moi et le Père nous sommes un.»

 

Actes 13 :

14 Quant à eux, quittant Pergé, ils poursuivirent leur route et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent dans la synagogue et s'assirent.

 15 Après la lecture de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur firent dire: «Frères, si vous avez quelques mots d'exhortation à adresser au peuple, prenez la parole!»

 16 Paul alors se leva, fit signe de la main et dit: «Israélites, et vous qui craignez Dieu, écoutez-moi.

 17 Le Dieu de notre peuple d'Israël a choisi nos pères. Il a fait grandir le peuple pendant son séjour au pays d'Égypte; puis, à la force du bras, il les en a fait sortir;

 18 pendant quarante ans environ, il les a nourris au désert;

 19 ensuite, après avoir exterminé sept nations au pays de Canaan, il a distribué leur territoire en héritage:

 20 tout cela a duré quatre cent cinquante ans environ. Après quoi, il leur a donné des juges jusqu'au prophète Samuel.

 21 Ils ont alors réclamé un roi, et Dieu leur a donné Saül, fils de Kis, membre de la tribu de Benjamin, qui régna quarante ans.

 22 Après l'avoir déposé, Dieu leur a suscité David comme roi. C'est à lui qu'il a rendu ce témoignage: ‹J'ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon coeur, qui accomplira toutes mes volontés.›

 23 C'est de sa descendance que Dieu, selon sa promesse, a fait sortir Jésus, le Sauveur d'Israël.

 24 Précédant sa venue, Jean avait déjà proclamé un baptême de conversion pour tout le peuple d'Israël

 25 et, alors qu'il terminait sa course, il disait: ‹Que supposez-vous que je suis? Je ne le suis pas! Mais voici que vient après moi quelqu'un dont je ne suis pas digne de délier les sandales.›

 26 «Frères, que vous soyez des fils de la race d'Abraham ou de ceux, parmi vous, qui craignent Dieu, c'est à nous que cette parole de salut a été envoyée.

 27 La population de Jérusalem et ses chefs ont méconnu Jésus; et, en le condamnant, ils ont accompli les paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat.

 28 Sans avoir trouvé aucune raison de le mettre à mort, ils ont demandé à Pilate de le faire périr

 29 et, une fois qu'ils ont eu accompli tout ce qui était écrit à son sujet, ils l'ont descendu du bois et déposé dans un tombeau.

 30 Mais Dieu l'a ressuscité des morts,

 31 et il est apparu pendant plusieurs jours à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, eux qui sont maintenant ses témoins devant le peuple.

 32 «Nous aussi, nous vous annonçons cette bonne nouvelle: la promesse faite aux pères,

 33 Dieu l'a pleinement accomplie à l'égard de nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus, comme il est écrit au psaume second: Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.

 34 «Que Dieu l'ait ressuscité des morts, sans retour possible à la décomposition, c'est bien ce qu'il avait déclaré: Je vous donnerai les saintes, les véritables réalités de David.

 35 «C'est pourquoi, il dit aussi dans un autre passage: Tu ne laisseras pas ton Saint connaître la décomposition.

 36 «Or David, après avoir servi, en son temps, le dessein de Dieu, s'est endormi, a été mis auprès de ses pères et il a connu la décomposition.

 37 Mais celui que Dieu a ressuscité n'a pas connu la décomposition.

 38 Sachez-le donc, frères, c'est grâce à lui que vous vient l'annonce du pardon des péchés, et cette justification que vous n'avez pas pu trouver dans la loi de Moïse,

 39 c'est en lui qu'elle est pleinement accordée à tout homme qui croit.

 40 «Prenez donc garde d'être atteints par cette parole des prophètes:

 41 Regardez, vous les arrogants, soyez frappés de stupeur et disparaissez! Je vais en effet, de votre vivant, accomplir une oeuvre, une oeuvre que vous ne croiriez pas si quelqu'un vous la racontait.»

 42 À leur sortie, on pria instamment Paul et Barnabas de reparler du même sujet le sabbat suivant.

 43 Quand l'assemblée se fut dispersée, un bon nombre de Juifs et de prosélytes adorateurs accompagnèrent Paul et Barnabas qui, dans leurs entretiens avec eux, les engageaient à rester attachés à la grâce de Dieu.

 44 Le sabbat venu, presque toute la ville s'était rassemblée pour écouter la parole du Seigneur.

 45 À la vue de cette foule, les Juifs furent pris de fureur, et c'était des injures qu'ils opposaient aux paroles de Paul.

 46 Paul et Barnabas eurent alors la hardiesse de déclarer: «C'est à vous d'abord que devait être adressée la parole de Dieu! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens.

 47 Car tel est bien l'ordre que nous tenons du Seigneur: Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre.»

 48 À ces mots, les païens, tout joyeux, glorifiaient la parole du Seigneur, et tous ceux qui se trouvaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants.

 49 La parole du Seigneur gagnait toute la contrée.

 50 Mais les Juifs jetèrent l'agitation parmi les femmes de haut rang qui adoraient Dieu ainsi que parmi les notables de la ville; ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas et les chassèrent de leur territoire.

 51 Ceux-ci, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, gagnèrent Iconium;

 52 quant aux disciples, ils restaient remplis de joie et d'Esprit Saint.

Prédication

            Une très longue !lecture dans le 13ème chapitre des Actes des Apôtres (une lecture exceptionnellement longue nous est proposée, un peu comme si une leçon unique et très importante était à retenir, qui serait attachée à un chapitre, et non, comme d’habitude attachée à un seul verset… mais, quelle leçon ?)

            Et en même temps, nous avons une autre lecture, exceptionnellement courte, quatre versets de l’évangile de Jean, qui, eux aussi, semblent devoir ne soutenir qu’une seule leçon, que voici, dans la bouche de Jésus : « Moi et le Père, nous sommes un ». Oui, ce pourrait être la leçon à retenir, qui va tellement bien fonder bibliquement ce que la chrétienté confessera dans les siècles qui suivront – et encore maintenant (Père, Fils, une seule nature, voire une seule substance – une actualité récente au sein du catholicisme, qui vient de changer sa traduction du Crédo de Nicée, Le Fils était de même nature que le Père, mais maintenant ils diront que le Fils est consubstantiel au Père…)(mais pourquoi est-il devenu nécessaire que soit réintroduite aujourd’hui la notion de substance dans la liturgie ?).

            L’unité du Père et du Fils, confession qui nous vient de l’évangile de Jean, pourrait assez bien faire affaire avec ce qui nous vient des Actes des Apôtres (13,52), à savoir ce qu’il faut de Saint Esprit pour que le paysage trinitaire soit juste bien en place (Matthieu le fait aussi, dans ses derniers versets). Mais restons à Jean et Actes.

            Ce qui lie donc Actes et Jean, ils ne le savent pas encore, vu qu’ils écrivent chacun dans sa propre tradition. Ce qui les lie finira par se conjoindre dans certains textes anciens, capitaux, par exemple la Confession de foi de Nicée (325, puis Constantinople, 381). Et c’est tellement important que certains iront affirmer que c’est dans les confessions de foi de l’Église ancienne que la plénitude de la révélation advient.

            Manière de chercher à décider, une fois pour toutes peut-être, si l’origine et la norme de la foi doivent être situées dans le témoignage biblique, le témoignage des écritures médité et toujours repris, ou si elles doivent être situées dans les anciennes réflexions, opérations sur le sens et productions de textes de l’Église des premiers temps. Et bien, ces questions sont de précieuses questions, et il y a plusieurs réponses possibles. La énième de ces réponses est celle de Calvin… et nous y viendrons – ou plutôt reviendrons – tout à l’heure.

              

            Nous y reviendrons tout à l’heure, parce que je voudrais partager avec vous une autre leçon, une autre approche. Mais pour ce faire, il nous faut d’abord rajouter quelques versets à l’évangile qui nous est proposé. Reprenons à « Moi et le Père, nous sommes un. » Voici la suite : « 31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. 32 Mais Jésus reprit: "Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?" 33 Les Juifs lui répondirent: "Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu." »… Les précisions que donne alors Jésus se finissent sur un « …le Père est en moi comme je suis dans le Père » qui provoque de nouveau une tentative d’arrestation, mais Jésus parvient à s’éclipser.

            En élargissant ainsi la lecture, nous apprécions que ces deux textes sont liés non pas par la confession de foi qui viendra, mais sont plutôt liés par la violence immédiate. Violence dans les mots, dans les gestes, dans les intentions, la violence est partout et on sent la mort qui rode. Pour quelles raisons cette violence ?

            « Moi, et le Père, nous sommes un », affirme Jésus, et à cause de cette phrase, on veut le mettre à mort, soi-disant parce qu’il se fait Dieu. Pourtant, dans cette phrase, il n’y a rien que Jésus se fasse, et surtout pas un mouvement disons du bas vers le haut par lequel il se hausserait au-dessus de sa condition. La phrase de Jésus est juste déclarative : elle déclare que le Père et Jésus, lui, le Fils, sont un (il n’y a pas 36 manières de le dire), ils sont un et le lieu de cette unité n’est pas le très-haut ou l’au-delà des cieux, mais ici-bas. Le lieu de cette unité est ici-bas, et le lecteur n’a pas de mal à comprendre ici-bas parce que tout l’évangile de Jean s’inscrit dans une perspective définie dès son premier chapitre, du haut vers le bas : « …et le Verbe s’est fait chair. »

            Ainsi lorsque Jésus affirme que « Moi, et le Père, nous sommes un », il affirme qu’il n’y a de Dieu que là où Jésus fait ce que Dieu fait, qu’il n’y a de parole de Dieu que là où Jésus parle. Et comme nous avons choisi depuis longtemps une compréhension très ouverte de « le Verbe s’est fait chair », ce que nous venons de dire ne concerne pas Jésus seul mais chacune, chacun, de ceux qui croient.

            Dans cette perspective, il n’y a pas de Dieu tout puissant dominateur, mais un serviteur, Dieu serviteur, c'est-à-dire que tout ce que Dieu fait est fait par un homme, par des humains, sous les auspices de l’amour (langage de l’évangile de Jean), c’est fait et c’est offert, ça ne s’impose pas de soi… cela s’impose tellement pas de soi que les œuvres de Jésus sont laissées de côté par ses détracteurs, elles n’ont manifestement pas de poids pour ceux que seul intéresse un soi-disant blasphème.

            Ils accusent Jésus de blasphème et lorsque Jésus leur fournit de précieuses – et théologiques – explications, ils crient blasphème encore plus fort. En réalité, du blasphème, ils n’ont rien à faire, c’est juste pour éliminer un concurrent, c’est juste un moyen de défendre leur avoir. Car ils ont un Dieu, un Temple, tout un rituel, un grand choix de sacrifices possibles, du pouvoir sur les humains puisqu’ils contrôlent le pardon, et tout un commerce parce que pour les sacrifices, il faut des victimes. Ils ont un Dieu fort, ils captent et monopolisent la force de ce Dieu, et ils savent tout quoi faire… et ils ne veulent certainement pas perdre ça, et ils seront prêts à tout pour ne rien perdre.

            Mais pourquoi chercher précisément à mettre Jésus à mort, et si ça n’est que ça, pourquoi mêler le nom de Dieu à l’affaire ? Ça n’est pas une question d’élimination opportune d’un concurrent. C’est une affaire de jalousie et de haine. Jalousie, parce qu’ils réalisent soudain que Dieu se manifeste et que ça n’est pas par eux qu’il se manifeste. Haine, parce qu’ils s’imaginaient être les seuls par lequel Dieu se manifeste, et qu’ils réalisent qu’il n’en est rien… La jalousie et la haine sont des sentiments violents, qui exigent l’anéantissement de ce qui est leur cause.

 

            Et qu’en est-il de tout cela à Antioche de Pisidie, bien loin de Jérusalem et de son Temple ? Il y a une synagogue, qui accueille une communauté juive, mais qui semble en ce temps là avoir été ouverte aussi à des craignants Dieu, ainsi qu’à des femmes de haut rang. Cette synagogue a aussi des chefs et, selon l’usage, après la lecture de la Loi et des Prophètes, on propose à des hommes de passage de prendre la parole pour quelques mots d’exhortation.

            En fait de quelques mots, Paul leur propose un catéchisme – 26 versets – complet, qui semble être bien accueilli, tellement bien accueilli que Paul et son acolyte Barnabas sont invités à revenir le sabbat suivant. Et c’est là que ça se passe mal… Mais pourquoi ? Presque toute la ville se rassemble, nous dit-on, pour les entendre. Et c’est au vu de ce succès que ça tourne mal. Sans que cela soit une question de contenu du discours. Peut-être que pendant la semaine, les chefs de la synagogue ont médité ce qu’ils avaient entendu, mais c’est seulement peut-être. Leur rage, et leurs insultes, c’est juste une question d’influence, et d’affluence. C’est très basique, voire vulgaire. Ce sont des gens qui – peut-être tout comme au Temple – ont une affaire prospère et n’entendent pas en être défait. Manière pour nous de dire qu’une partie du Judaïsme synagogal de l’époque n’avait pas attendu les apôtres pour s’ouvrir aux nations, aux étrangers, et peut-être aussi, opportunément, à des femmes riches...

            Alors, entre les apôtres et la synagogue d’Antioche de Pisidie, est-ce seulement une question d’effectifs, c'est-à-dire de succès ? N’y a-t-il pas une discussion, n’y a-t-il pas un espace, même très réduit, pour une discussion qui permettrait, peut-être, une conciliation, voire une entente ? Non… c’est le message des apôtres, contre la hargne des gens du cru.

            Ça ne finit pas avec la mort, comme à Jérusalem, mais dans une rupture. La rupture a lieu, elle est consommée lorsqu’ils sont chassés de la ville et du territoire de la ville…

 

            Bien sûr, ils vont aller prêcher ailleurs. Et bien sûr, les nouveaux disciples faits à Antioche resteront « remplis de joie et d’Esprit Saint ». C’est ainsi dans l’histoire des Actes de Apôtres. Nous pouvons évidemment nous réjouir de cette expansion du jeune christianisme. Nous pouvons aussi nous interroger – toujours, aujourd’hui – si autrement est possible, autrement que la haine et la jalousie que nous avons vues se manifester dans les deux lieux que nous venons de visiter.

            Autrement est-il possible ? Et nous dirons – acte de foi – oui.