samedi 27 décembre 2014

Noël 2014

Voici quelques méditations et prières, ainsi que la prédication du culte de Noël que j'ai célébré cette année. A mes lecteurs, un peu tardivement, il est vrai, je souhaite un joyeux Noël, et une heureuse fin d'année.

Que le Seigneur nous bénisse et nous garde

______________________________

Attendre.

Qu’attendent-ils, ceux qui regardent la pluie tomber, bien au sec dans leurs maisons ?
Qu’attendent-ils, ceux qui attendent qu’une main anonyme leur donne une petite pièce ?
Qu’attendent-ils, les enfants, le matin – ou le soir – de Noël ?
Et les bergers du Sahel qui, pendant trois ans, ne voient pas tomber la pluie ?
Qu’attendent-ils, ceux que les dictatures enferment dans les camps ?
Dans une prison, oublié, un détenu attend comme chaque jour le passage d’un rat qui est, depuis longtemps, son seul compagnon et avec lequel il partage quelques miettes de pain.

Les fils d’Israël, pendant leur long exil, qu’attendaient-ils ?

Qu’attendent-ils, ce matin, les assiégés de Kobané ?
Et ceux qui étaient traqués dans les marais du Rwanda ?

Sur le bord du chemin, nu, blessé et en plein soleil, un homme attaqué par des brigands attend du secours.

Untel attend un emploi, tel autre une promotion, tel autre encore attend, tranquillement, sa mise à le retraire et un autre, anxieusement, son licenciement.

Cette jeune femme attend le retour de son mari qui est soldat.

Un insomniaque attend le petit matin et Marie attend un enfant.

Ils attendent.
Attendre : se tenir en un lieu où quelqu’un doit venir, une chose arriver ou se produire, et y rester jusqu’à cet événement.
Combien de temps avant l’arrivée du bonheur, de la liberté, ou du Messie ?
Comment se manifestera-t-il ? Alors, qu’attendre ?

Attendre, parfois même s’il n’y a peut-être rien à attendre.

Et toi, qu’est-ce que tu attends ?

CHANT 351 D’un arbre séculaire

Lecture biblique : Luc 2
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l'époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s'appelle Bethléem en Judée, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.

CHANT 542-1 Ils ont marché au pas des siècles

6 Or, pendant qu'ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva;
7 elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d'hôtes.

CHANT 542-3 « Ils sont venus les mains ouvertes… »

8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d'une grande crainte.
 10 L'ange leur dit: «Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple:
 11 Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur;
 12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.»
 13 Tout à coup il y eut avec l'ange l'armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait:
 14 «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés.»

CHANT 359 1-2 Ô  peuple fidèle

 15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: «Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.»
 16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
 17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
 18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.
 19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.
 20 Puis les bergers s'en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

Prière
Mon Dieu, j’attends.
J’attends un Sauveur qui est le Christ Seigneur.
Qu’est-ce que j’attends ? Le Christ Seigneur sera puissant et fort, il plaidera pour moi, il agira pour moi, je l’attends.
Il me guérira lorsque je serai malade, me consolera lorsque je serai triste et me nourrira lorsque j’aurai faim, je l’attends.
Il me libérera lorsque je serai détenu, je l’attends.
Et je trouve qu’il met beaucoup, beaucoup de temps à arriver.
Seigneur, je t’attends !
Tarderas-tu ?

J’attends un Sauveur qui est le Christ Seigneur,
Et voici le signe qui m’est donné : un enfant couché dans une mangeoire.
Mais, mon Dieu, que peut donc faire pour moi un enfant couché dans une mangeoire ?
Un enfant couché dans une mangeoire, comment pourrais-je l’attendre car comment ferait-il quelque chose pour moi ? Il est petit et faible, il attend tout…

Mon Dieu, est-ce cela que tu veux me dire ?
Le Sauveur qui est le Christ Seigneur ne peut rien, rien sans la foi de ceux qui croient en lui, rien sans les actes de ceux qui agissent pour lui.
C’est cela, je crois, que tu veux me dire.

Je t’en prie, Seigneur, permets-moi de l’entendre et de ne jamais l’oublier.
Amen

CHANT 359 3 « Esprits de lumière… »

Lecture biblique : Jean 1
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tout près de Dieu, et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement tout près de Dieu.
3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui.

4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue.

6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas connu.
11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli.
12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné la possibilité de devenir enfants de Dieu.
13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire, celle de l’unique Fils du Père, plein de grâce et de vérité.

15 Jean lui rend témoignage et proclame: «Voici celui dont j'ai dit: après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.»

16 Ainsi, de sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.
17 C’est que la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité fut par Jésus Christ.
18 Personne n'a jamais contemplé Dieu ; Dieu unique Fils, étant dans le sein du Père, nous l’a fait connaître.

SILENCE

Prédication
            De quoi parle le commencement de l’évangile de Jean ?
Il y a des phrases extrêmement abstraites, qui semblent nous dévoiler le plus intime de l’intimité de Dieu, Père et Fils, avant même la création du monde. Il y a aussi d’autres phrases qui semblent nous dévoiler les secrets de la création. Et alors, l’évangile de Jean fait de ses lecteurs des initiés aux plus grands mystères de Dieu.
Et puis, tout à coup, il se trouve que la révélation de ces grands mystères de Dieu est articulée à l’histoire de l’humanité. Une histoire de grands personnages – donc une grande histoire – celle de Moïse, de Jean – celui qui baptisait – de Jésus Christ. Alors le récit semble un peu moins abstrait. Les grands mystères de Dieu se tissent avec l’existence de grands personnages, et l’évangile de Jean fait de ses lecteurs des savants.
Mais dès lors qu’à ces grands mystères on associe des noms de grands personnages, ces grands mystères deviennent moins grands, un petit peu plus concrets. Ils peuvent être associés à des paroles qu’on se répète et à des actes qu’on se raconte. Jean rend témoignage… La Loi est donnée par Moïse… Mais il ne faut pas être bien savant pour être capable de raconter.
Et ainsi l’évangile de Jean franchit une autre étape, lorsqu’il fait apparaître le monde, les anonymes contemporains de Jésus Christ. Ceux qui ont vu et entendu, et alors l’objectif de l’évangile devient tout à fait concret. Car si certains n’ont pas accueilli Jésus Christ, d’autre l’ont reçu. Et cela, entre contemporains, est tout à fait concret. Accueillir et recevoir, cela se passe d’être humain à être humain, n’a rien de particulièrement mystérieux ni d’abstrait. Au fond, pour les contemporains de Jésus Christ, pour ceux qui ont croisé son chemin, l’accueillir revenait à laisser s’approcher un homme qui mettait de la lumière dans les recoins inaccessibles des maisons et des pensées, un homme qui savait voir la vérité du cœur d’un être humain, et devant qui il était, à quelque moment, impossible de se mentir. Certain des contemporains de Jésus ont voulu de cette rencontre ; d’autres n’en ont pas voulu.
Et l’évangile de Jean franchit une autre étape, lorsqu’il dit « de sa plénitude, nous avons reçu, et grâce sur grâce », ou encore « le Fils nous l’a fait connaître ». Qui sont les gens concernés par le « nous » ? Et voici que sont convoqués les lecteurs de l’évangile de Jean. Ceux d’hier, les premiers pour lesquels il a été écrit. Et puis, tous les suivants… et jusqu’à nous.
Il nous l’a fait connaître… Est-ce à dire que, nous, lecteurs de l’évangile de Jean, nous sommes savants de l’histoire des grands hommes et initiés aux profonds mystères de Dieu ? Non. Tel n’est pas l’objectif de l’évangile de Jean. Les textes de la même époque qui ont un objectif initiatique sont totalement abscons et ne font pas l’effort considérable que fait l’évangile de Jean pour ancrer dans le concret, dans la pratique, dans l’engagement… ce qu’il en est de la connaissance de Dieu. A contraire des textes initiatiques, l’essentiel de l’évangile de Jean se dit ainsi : « le Verbe s’est fait chair. »
Il nous l’a fait connaître. C’est dire que l’expérience de la rencontre et de la vérité n’est pas une expérience seulement réservée aux contemporains de Jésus Christ. Sa possibilité concerne chaque lecteur. Mais chaque lecteur la désire-t-il ? Elle n’est, à ce qu’il semble, chose simple pour personne. Car s’il s’agit de « devenir enfants de Dieu », d’un « Dieu que nul n’a jamais vu », s’il s’agit de recevoir « grâce sur grâce », qui le voudra ? Qui voudra de quelque chose de si précaire, de si peu reluisant ? Et qui acceptera, dans cette perspective, de se défaire de tout ce par quoi l’on brille, tout ce par quoi l’on peut faire le malin ou le beau, tout ce par quoi l’on s’assure reconnaissance et position ? La question est éternelle et doit être toujours reprise.
Hier comme aujourd’hui, à ceux qui lisent, écoutent, acceptent la vérité et croient, il est donné possibilité de devenir enfant de Dieu.

MUSIQUE

CHANT 352 O nuit bienveillante 

dimanche 14 décembre 2014

Quelques petits pas vers celui qui vient (Jean 1,6-8 et Jean 1,19-29) avec le Baptiste

Jean 1
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
 7 Il vint en témoin, afin qu’il témoignât de la lumière, afin que tous croient par lui.
 8 Il n'était pas, celui-là, la lumière, mais (il fut afin qu’il) témoignât de  la lumière.
(...)
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Juifs envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question: «Qui es-tu?»
20 Il affirma – il ne nia pas – il affirma : « Je ne suis pas le Messie. »
21 Et ils lui demandèrent: «Qui es-tu? Es-tu Elie?» Il répondit: «Je ne le suis pas.» - «Es-tu le Prophète?» Il répondit: «Non.»
22 Ils lui dirent alors: «Qui es-tu?... que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés! Que dis-tu de toi-même?»
23 Il affirma: «Je suis une voix qui crie dans le désert: ‹Aplanissez le chemin du Seigneur›, comme l'a dit le prophète Esaïe.»

24 Or parmi ceux qui avaient été envoyés il y avait des Pharisiens.
25 Ils continuèrent à l'interroger en disant: «Si tu n'es ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu?»
26 Jean leur répondit: «Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas;
27 il vient après (et derrière) moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale.»
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.

Prédication : 
            En ce troisième dimanche de l’Avent, nous rencontrons de nouveau Jean le Baptiste. C’est un personnage qui apparaît dans les quatre évangiles. Mais il serait plus juste de dire que quatre personnages apparaissent, chacun dans l’un des quatre évangiles, qui portent tous le même nom. Chacun de ces personnages apparaît, apparemment, pour annoncer celui qui doit venir après lui, c'est-à-dire Christ, le Messie. Mais en deçà des apparences, en deçà de l’histoire racontée, chaque figure du Baptiste apparaît comme une condition particulière de possibilité de rencontre du Christ. Oui, chaque évangile est particulier, chaque évangile trace son propre chemin vers le Christ.
C’est maintenant le chemin – un petit bout du chemin – de l’évangile de Jean que nous parcourons. C'est-à-dire que nous allons nous en tenir aux versets que nous venons de lire et, s’il faut aller chercher d’autres versets, ce sera seulement dans l’évangile de Jean.
            Or donc, il y eut un homme, envoyé de Dieu, envoyé pour témoigner de la lumière, afin que par lui, les hommes croient. Croient quoi ? Afin que, par lui, les hommes croient, c'est-à-dire, dans l’évangile de Jean, qu’ils soient dans une disposition d’esprit particulière, et que nous allons préciser chemin faisant.

            Cet homme, le Baptiste, avait semble-t-il suffisamment de succès pour qu’on vînt, depuis la capitale, pour enquêter sur lui. C’est que, hier comme aujourd’hui, les puissants s’intéressent à ceux qui, sortant pour ainsi dire de nulle part, emportent l’adhésion de foules petites ou grandes. On se méfie de possibles concurrents. Bref, on vient enquêter sur le Baptiste. Nous suivons l’une après l’autre les étapes de l’enquête. Première question : « Qui es-tu ? » Première réponse : « Je ne suis pas le Messie. » Seconde question : « Elie ? » Pas d’avantage. Troisième question : « Le Prophète ? » Pas plus. Ces trois questions correspondent à trois figures de l’attente.

En commençant par la plus grande, la plus haute, d’abord, le Messie, qui changerait tout, les cieux et la terre, le commencement et la fin ; le Messie, figure la plus haute, la plus attendue, ou plutôt la plus espérée, la plus lointaine et la plus étrangère aussi ; la figure de la plus grande attente, de la plus grande crainte et de la plus grande espérance… Et non, le Baptiste n’est pas le Messie, il le confesse positivement.
Alors, les enquêteurs mettent la barre un peu plus bas : « Es-tu Elie ? » Elie, c’est une très haute figure, celui qui fit et défit les rois, tant les rois d’Israël que des rois étrangers, et qui, surtout, fut projeté au ciel sans jamais mourir, de sorte qu’il peut toujours revenir, à n’importe quel instant. Elie, c’est moins que le Messie, mais ça n’est pas rien tout de même, parce que, justement, ça pourrait défaire tel et tel roi et rétablir Israël dans une certaine vieille grandeur. Mais le Baptiste confesse positivement qu’il n’est pas Elie.
Alors, l’enquête met la barre encore un peu plus bas : « Le Prophète ? » Ce n’est pas rien non plus, le Prophète. C’est une voix, assez reconnaissable, qui interpelle puissamment ses contemporains, qui leur rappelle énergiquement l’Alliance et les exigences de la miséricorde de Dieu. Mais le Baptiste confesse positivement encore qu’il n’est pas le Prophète.

S’il n’est ni le Messie, ni Elie, ni le Prophète, qu’est-donc alors le Baptiste, celui qui témoigne de la lumière ? La barre est au plus bas. Et l’on sent bien que l’enquête officielle va conclure que le Baptiste n’est rien, rien parce que rien de reconnu, ni rien de connu, ni rien d’espéré ; le Baptiste, avec son message, n’est rien, rien parce qu’on ne peut l’associer à aucune figure religieuse cataloguée, à aucune sommité célèbre, ni à aucun imaginaire bien reçu.
Et ce rien – ce presque rien, ce pas grand-chose – le Baptiste l’assume, parfaitement : Je suis une voix qui crie… Non pas La Voix, comme le rendent immodestement les traducteurs, mais juste une voix qui crie : « Dans le désert, aplanissez le chemin du Seigneur. » Cette voix crie que la Lumière est à attendre et à observer dans le presque rien de la monotonie apparente des jours, que la rencontre de la Lumière est promise sur les lieux où personne apparemment ne va. Cette voix crie que la plus fiable des espérances est la plus banale des quotidiennetés, pourvu qu’on s’y prépare, pourvu qu’on abaisse – en matière d’espérance – le niveau de ses exigences au niveau de l’inexhaustible et imprévisible réalité. Pourvu qu’on apprenne, qu’on consente à apprendre, que le désert n’est jamais désert, et qu’un paysage toujours identiquement recommencé n’est pas dépourvu de chemin à parcourir, alors la promesse ne saura jamais faillir et la Lumière ne saura jamais manquer de jaillir.

Tel fut le témoignage que le Baptiste rendit à la Lumière… et la conclusion de l’enquête dût, sur ce coup, être que ce Baptiste n’était pas grand-chose, juste un bruit, juste une voix.
Mais alors pourquoi baptisait-il ? Pourquoi donc baptises-tu, toi qui n’est rien, ni personne, lui demande-t-on ? Et le Baptiste, dans les versets que nous lisons, de se dérober, apparemment. Apparemment seulement, parce que pour qui réfléchit un peu, cette réponse était une critique virulente de la pratique religieuse ordinaire, canonique, reçue et obligatoire. « Pourquoi baptises-tu, toi qui n’es rien ? », c’est la question qu’on lui pose. Et sa réponse résonne ainsi : « Et vous, qui sacrifiez, qui célébrez… que croyez-vous que vous êtes ? Vous qui affirmez que c’est comme vous le voulez et pas autrement que la Lumière se manifestera, quel témoignage apportez-vous ? Vous qui pensez qu’a part vous et autrement que vous nul n’est aimé de Dieu et illuminé par lui, pour qui vous prenez-vous ? »
En substance, ce que le Baptiste répond, c’est que ceux qui savent sous quelle forme et de la part de qui l’on doit entendre la Parole de Dieu ne l’entendront jamais de qui que ce soit. Ce que le Baptiste a répondu a dû profondément déplaire à l’enquête…

Peut-être même que ce que le Baptiste a répondu ne nous plaît guère non plus. Et pourtant… que sont nos prières, nos cultes, nos Temples et nos usages, que sont nos connaissances, même bibliques ? Qu’est tout cela, et que sommes-nous nous-mêmes à la mesure de la grandeur de Dieu et de l’histoire de l’humanité ? Peu de chose, et sans doute moins encore que le Baptiste. Pourtant, tout autant que le Baptiste nous pouvons apprendre et comprendre l’espérance, la plus belle, la plus profonde, celle du quotidien, de l’ordinaire, du presque rien, et affirmer à sa suite que, déjà, dans cette simplicité, toute la fidélité de Dieu est inscrite.

« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas… », dit le Baptiste. Oui, il est là, déjà, au milieu de nous, que nous ne connaissons pas… et la seule tâche que nous ayons à accomplir est celle d’apprendre la simplicité, d’apprendre à le voir et à l’accueillir.

mardi 9 décembre 2014

le socle permanent de la Bonne Nouvelle (Marc 1,1-7)

Marc 1
1 Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu:
2 Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe : « Voici, j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ton chemin. 3 Une voix crie : «  Dans le désert,  préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ! »

4 Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés.
5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
6 Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
7 Il proclamait : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint. »



Esaïe 40
1 Réconfortez, réconfortez mon peuple, dit votre Dieu,
2 parlez au cœur de Jérusalem et proclamez à son adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu'elle a reçu de la main du SEIGNEUR deux fois le prix de toutes ses fautes.

3 Une voix proclame : « Dans le désert dégagez un chemin pour le SEIGNEUR, nivelez dans la steppe une chaussée pour notre Dieu. 4 Que tout vallon soit relevé, que toute montagne et toute colline soient rabaissées, que l'éperon devienne une plaine et les mamelons, une trouée ! 5 Alors la gloire du SEIGNEUR sera dévoilée et tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »

6 Une voix dit : « Proclame ! », l'autre dit : « Que proclamerai-je ? » - « Tous les êtres de chair sont de l'herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs :
7 l'herbe sèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR vient sur elles en rafale. Oui, le peuple, c'est de l'herbe : 8 l'herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours ! »
(…)
12 Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer, dans son empan toisé les cieux, tassé dans un boisseau l'argile de la terre, pesé les montagnes sur une bascule et les collines sur une balance ?

Méditation :
            En renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc le renvoie à une époque où les fils d’Israël peinent sous domination Babylonienne. Le dieu dont il faut alors préparer les chemins et rendre droits les sentiers est le dieu Mardouk, probablement, le grand dieu de Babylone. Et voici comment on procède pour préparer les chemins de ce dieu : une fois par an, sa colossale statue est extraite du temple et processionnée autour de la ville. Des esclaves, c'est-à-dire des ennemis vaincus, doivent d’abord aménager un beau chemin pour la procession de cette statue ; ils doivent éventrer des collines, combler des ravins, et, le jour de la procession, ils doivent se charger pour de vrai de la statue du dieu de leurs dominateurs, donc se charger aussi symboliquement de ce dieu qui a vaincu leur dieu. La métaphore politique et théologique est suffisamment évidente pour que nous ne nous y attardions pas.

            Le peuple hébreu, fidèle à son Dieu, s’est sans doute interrogé pendant l’exil, et après l’exil, sur la signification de tout cela. Il mettra ainsi dans la bouche du prophète Esaïe, ainsi que dans son cœur, l’idée que son Dieu, qu’il avait déjà réussi à penser comme un, est l’unique Dieu – raison pour laquelle on ne devra plus du tout prononcer son nom… De cette unicité, nous avons ici la trace puisque quelques-uns des versets que nous avons lus font de lui le créateur et l’ordonnateur de toutes choses – un peu comme on peut le lire dans certains Psaumes ou dans la fin du livre de Job – ordonnateur en particulier de cette domination sous laquelle le peuple hébreu a été, et ordonnateur de la fin de cette domination.
            Ceci étant dit, l’idée de ce Dieu un et unique porte encore en elle les marques de son histoire. Parmi ces marques, justement, le souvenir de ces processions pénibles et humiliantes. Souvenir que l’on peut ainsi énoncer, sous la forme d’une question : pourquoi avons-nous dû être chargés du dieu des autres ? Cette question, exprimée à la voix passive, peut aussi être exprimée à la voix active : pourquoi charge-t-on les autres avec notre propre dieu ?

Et nul doute que, très tôt chez les Hébreux, certains se sont réclamés de l’idée de l’unicité de dieu pour imposer leurs vues et leurs usages à toutes sortes de gens,  pendant que d’autres, se souvenant de l’exil, ont préféré une manière plus douce, laissant le choix à chaque personne de se mettre, ou non, sous le joug de dieu. Ceux qui furent un jour dominés doivent-ils, un autre jour, devenir dominateurs ?

            En renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc l’évangéliste pose d’emblée à son lecteur ces mêmes genres de question. Quel dieu portes-tu si péniblement, qui n’est pas celui que tu as choisi ? Quel dieu fais-tu porter à ton semblable, que sans toi il ne choisirait pas ?
            Ce qui est clair, pour Marc, c’est que Jean-Baptiste ne se prêche pas lui-même. Il ne fait ni temple ni école. C’est une sorte de héraut et de champion de la grâce et de la liberté. Ascète solitaire, adepte de l’extrême frugalité, il ne fait peser sur personne le poids de ses propres choix. A quoi il faut ajouter qu’il en annonce un autre – nous savons que cet autre est Jésus Christ – qui, lui-même, ne s’annoncera pas tant lui-même qu’il baptisera d’Esprit Saint, comme nous l’avons lu.
            Or, ce baptême d’Esprit Saint n’est aucunement codifié dans la suite de l’évangile de Marc (les grandes codifications de la présence de l’Esprit Saint figurent en Actes, ou dans les Corinthiens). Qu’est-ce à dire ? Nul doute qu’il ne soit en action lorsque Jésus agit. Et bien, puisqu’il l’est, nous ne pouvons pas le voir autrement que comme nous venons de tenter de le penser. L’Esprit Saint est en action lorsque l’être humain cesse de peiner sous le joug de dieux qui ne sont pas ceux de son choix (guérisons et enseignements de Jésus iront largement dans ce sens). L’Esprit Saint est en action aussi lorsque l’être humain se refuse à charger autrui du joug de dieux qui ne sont pas ceux de son choix et l’en libère, ou au moins lui propose d’en être libéré.

            Ces deux perspectives de l’action humaine, libérer d’une part et se refuser à asservir d’autre part, constituent une sorte de socle permanent de la Bonne Nouvelle.

dimanche 30 novembre 2014

Veillez ! Le tragique et la joie (Marc 13,33-37)

Marc 13
22 De faux messies et de faux prophètes se lèveront et feront des signes et des prodiges pour égarer, si possible, même les élus.
23 Vous donc, prenez garde, je vous ai prévenus de tout.
24 «Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus,
25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26 Alors on verra le Fils de l'homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire.
27 Alors il enverra les anges et, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel, il rassemblera ses élus.
28 «Comprenez cette comparaison empruntée au figuier: dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche.
29 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes.
30 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive.
31 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
32 Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père.
33 «Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment.
34 C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller.
35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin,
36 de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.
37 Ce que je vous dis, je le dis à tous: veillez.»

Marc 14
1 La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer.
2 Ils disaient en effet: «Pas en pleine fête, de peur qu'il n'y ait des troubles dans le peuple.»
3 Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu'il était à table, une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête.
4 Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation: «À quoi bon perdre ainsi ce parfum?


Prédication :
            « Veillez ! », tel est l’impératif qui vient clore cette première partie de l’évangile de Marc. Juste avant cet impératif, il y a des textes qui parlent d’apocalypse, de fin des temps et, juste après, il y a la Passion. Quant à nous, nous en sommes au premier dimanche de l’Avent. « Veillez ! », c’est ce que commande Jésus. Nous allons nous demander sur quoi porte cet impératif.
Tout d’abord, nous remontons un peu le fil du texte. Nous trouvons toute une série d’enseignements, avec des listes de signes de la fin des temps. Faux messies, faux prophètes, catastrophes naturelles… Est-ce que l’impératif de veiller porte sur ces signes ? Le bon sens nous dit que ces signes sont plus ou moins fréquents mais récurrents dans l’histoire de l’humanité. En plus, même si ces signes semblent indiquer la proximité de la fin, Jésus précise que « ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. » Autrement dit, même le savoir du Fils sur les signes des temps est un savoir qui ne sait pas. Cela bien évidemment ne dispense personne d’être attentif aux signes des temps et d’agir où il le peut. Mais cela signale en même temps que l’impératif de veiller ne porte pas réellement sur eux. Veiller ne peut pas être une surveillance compétente au titre d’un savoir. Ce doit être tout autre chose, une activité peut-être, une disposition d’esprit sans doute, qui peut bien laisser de côté les signes de la fin.

            Revenons au texte. « Veillez ! », c’est l’impératif qui clôt la première partie de l’évangile de Marc. Lorsque nous continuons la lecture, nous nous trouvons à lire la Passion de Jésus Christ, qui va être trahi, livré, abandonné, jugé puis mis à mort. L’impératif de veiller porte aussi sur la Passion de Jésus Christ. Qui va veiller sur sa Passion ? Déjà, dans le fil du récit, lorsque par trois fois Jésus annonce sa Passion, il rencontre le déni de ses disciples. Et lorsqu’elle advient, ses disciples, invités à veiller au jardin de Gethsémanée ne sauront que s’endormir. Ils ne sauront que céder à la tentation de se mettre au repos lorsque le chemin du maître sera devenu pour eux trop aride, trop risqué. Ils ne sauront que s’absenter lorsque la fin sera connue.
           
            Pourtant, l’impératif de veiller est là, comme un commandement directement donné par Jésus Christ. C’est un commandement auquel aucun des disciples ne semble vraiment pressé obéir… Ce commandement interroge l’engagement des disciples dans des circonstances extrêmes, lorsqu’ils ne comprennent pas ce qui se joue, lorsqu’ils ne veulent pas de ce qui est pourtant inévitable, ou encore lorsqu’ils  ne peuvent rien contre ce qui est inéluctable. Et bien le commandement de veiller interroge la profondeur et le sérieux de l’engagement des disciples envers leur maître. Et lorsque les circonstances de la vie vont décider de la mort du maître, le commandement de veiller interroge les disciples sur le sens de leur vie. 

Et ça n’est pas tout. Revenons encore au texte. Ainsi parle Jésus : « Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez ! » Marc l’évangéliste, le plus ancien des évangélistes, place ce commandement au milieu, voire même au cœur de son évangile. Ainsi les lecteurs et auditeurs de l’évangile se voient-ils destinataires d’un commandement nouveau : « Veillez ! ». Ce commandement les interpelle dans trois types de circonstances extrêmes de la vie : lorsqu’ils ne comprennent plus rien à ce qui se passe, lorsqu’ils ne veulent pas de ce qui est inévitable, lorsqu’ils ne peuvent rien contre ce qui est inéluctable. Il restera alors à veiller.
Mais obéir au commandement de veiller n’interviendra qu’après qu’on aura obéi à tous les autres commandements. Nul ne saurait veiller tant qu’il lui est possible d’agir. Le veilleur n’est pas un voyeur. Le voyeur n’agit en rien et jouit solitairement de la fin ; le veilleur cesse à la fin d’agir et s’ouvre dans sa veille à un possible commencement.
Ajoutons que notre Seigneur est bon de nous avoir donné ce commandement, parce qu’il donne réellement quelque chose à faire quand il n’y a plus rien à faire. Veillez, ordonne le Seigneur. Cela ne change rien à la suite de la vie de ce sur quoi vous veillez ; cela est le signe que vous n’êtes pas indifférents à cette vie, que vous participez encore à elle.
Veiller, c’est affirmer silencieusement, fut-ce impuissant face à la mort, que le dernier acte n’est jamais déjà joué, qu’un premier acte est toujours encore à venir.

Ayant maintenant médité sur le commandement de veiller qui est au cœur de l’évangile de Marc, nous pouvons nous demander quel sens a cette méditation le premier dimanche de l’Avent.
Il y aura encore trois dimanches et, ensuite, ça sera Noël. Nous fêterons la naissance de Jésus. Nous allons la fêter, c’est certain, et c’est une joie de la fêter. Mais puisque le commandement de veiller marque cette année l’entrée dans l’Avent, nous ne pouvons pas nous contenter de préparer cette fête comme si nous savions ce que nous fêtons. Nous ne le savons pas. Et même si nous savons quelle importance a l’histoire de cette naissance précise dans l’histoire de l’humanité, nous ne savons pas encore quelle importance elle doit prendre dans chacune de nos vies. Nous ne le saurons que lorsque nos vies s’achèveront. Nous allons donc fêter joyeusement ce que nous ne savons pas. Ce qui ajoute une dimension joyeuse à la dimension jusqu’ici tragique de la veille.


« Veillez ! », nous commande notre Seigneur. Et dans le temps de l’Avent, dans l’attente d’un Noël, et bien au-delà, cela nous apprend que le plus beau, nous ne savons pas quoi, mais le plus beau, reste à venir.

dimanche 23 novembre 2014

le prix de ce qu'on ajoute à la grâce (Juges 11,29-39)

Juges 11
29 L'esprit du SEIGNEUR fut sur Jephté. Jephté passa par le Galaad et Manassé, puis par Miçpé-de-Galaad, et de Miçpé-de-Galaad il franchit la frontière des fils d'Ammon.
30 Jephté fit un voeu au SEIGNEUR et dit: «Si tu me donnes pour de vrai les fils d'Ammon,
31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les fils d'Ammon, celui-là sera au SEIGNEUR, et je l'offrirai en holocauste. »
32 Jephté franchit la frontière des fils d'Ammon pour leur faire la guerre et le SEIGNEUR les lui donna.
33 Il les battit depuis Aroër jusqu'à proximité de Minnith, soit vingt villes, et jusqu'à Avel-Keramim. Ce fut une très grande défaite ; ainsi les fils d'Ammon furent abaissés devant les fils d'Israël.
34 Tandis que Jephté revenait vers sa maison à Miçpa, voici que sa fille sortit à sa rencontre, dansant et jouant du tambourin. Elle était son unique enfant: il n'avait en dehors d'elle ni fils, ni fille.
35 Dès qu'il la vit, il déchira ses vêtements et dit : « Ah ! ma fille, tu me plonges dans le désespoir ; tu es de ceux qui m'apportent le malheur; et moi j'ai trop parlé devant le SEIGNEUR et je ne puis revenir en arrière.»
36 Et elle lui dit : « Mon père, tu as trop parlé devant le SEIGNEUR ; traite-moi selon la parole sortie de ta bouche puisque le SEIGNEUR a tiré vengeance de tes ennemis, les fils d'Ammon. »
37 Puis elle dit à son père : « Que ceci me soit accordé: laisse-moi seule pendant deux mois pour que j'aille errer dans les montagnes et pleurer sur ma virginité, moi et mes compagnes. »
38 Il lui dit : « Va », et il la laissa partir deux mois ; elle s'en alla, elle et ses compagnes, et elle pleura sur sa virginité dans les montagnes.

39 À la fin des deux mois elle revint chez son père, et il accomplit sur elle le vœu qu'il avait prononcé.

Prédication
L’Esprit du Seigneur fut sur Jephté, lisons-nous au commencement des versets que nous avons lus. L’Esprit du Seigneur fut sur celui que le Seigneur choisit ; qu’y avait-il de plus à souhaiter ? Et que souhaiter de plus, pour soi-même, que l’Esprit du Seigneur soit sur soi ?

Il faut nous rappeler qui est Jephté. Jephté, c’est un bâtard, le fils d’une prostituée. Et ses frères, les légitimes, l’ont chassé pour qu’il n’hérite pas avec eux. Alors Jephté s’est installé ailleurs, et a vécu de rapines, c'est-à-dire, faute de vivre de ce qu’il avait reçu par grâce, il a vécu de ce dont il pouvait s’emparer lui-même.
            Quant à ses frères, ils ont servi d’autres dieux que le Seigneur, c'est-à-dire qu’ils se sont prosterné devant tel dieu parce qu’ils avaient tel besoin. Et puis lorsqu’ils avaient un autre besoin, ou un autre intérêt, ils changeaient de dieu. Et puis lorsqu’ils ont eu épuisé les dieux qu’ils avaient à leur disposition, mais qu’ils avaient encore un besoin, celui de libérer de leurs ennemis, ils se sont tournés vers le Seigneur, qu’ils ont servi comme tout autre dieu. C’est que l’invocation du nom du Seigneur ne suffit pas à faire la différence entre les idolâtres et les autres… encore faut-il assumer cette invocation en agissant de manière appropriée et conséquente… Invoquer le nom du Seigneur et refuser de marcher par la foi, c’est idolâtrie.
Or, aucun des fils légitimes n’acceptait de se lever et d’aller combattre. C'est-à-dire que les frères de Jephté certes invoquaient le nom du Seigneur, mais aucun d’entre eux ne voulait de la grâce du Seigneur, aucun d’entre eux ne voulait marcher par la foi. Ils allèrent chercher le bâtard. Et le bâtard, Jephté, vit sans doute là le moyen d’une revanche, ou au moins le moyen de revenir. Lisons plutôt : « 8 Les anciens du Galaad dirent à Jephté : « Si maintenant nous sommes revenus vers toi, c'est pour que tu reviennes avec nous, que tu combattes les fils d'Ammon et que tu sois notre prince, celui de tous les habitants du Galaad.» 9 Jephté dit aux anciens du Galaad : « Si vous me faites revenir pour combattre les fils d'Ammon et que le Seigneur les livre devant moi, alors c'est moi qui serai votre prince. »

         Repérons bien comment ils se parlent : ils se parlent en « si… alors… ». Le propre des idolâtres, c’est qu’ils parlent en « si… alors… », tant à leurs semblables qu’à leurs dieux, et qu’ils font ainsi peser le poids de leurs engagements sur leurs semblables et sur leurs dieux. D’un idolâtre on n’est jamais que l’objet du désir, l’esclave, ou le déchet. Et il n’y a là ni grâce, ni foi.

        Les fils légitimes et le bâtard concluent leur marché et, après qu’une ambassade auprès des ennemis ait échoué, ce fut la guerre. Comme nous l’avons lu, l’Esprit du Seigneur fut sur Jephté. Jephté n’est pas David… et le Seigneur reste libre toujours d’envoyer son Esprit sur qui il veut, même sur un bâtard, même sur un idolâtre… Prenons au pied de la lettre cette expression : l’Esprit du Seigneur fut sur Jephté, Jephté part donc à la bataille avec sur lui l’Esprit du Seigneur. De quoi d’autre aurait-il besoin ? Que faut-il de plus que l’Esprit du Seigneur pour aller à la bataille ? La grâce que le Seigneur fait à Jephté ne lui suffit-elle pas ? Et ne lui suffit-il pas, à Jephté, de marcher par la  foi ? Non.

          Jephté, même ayant sur lui l’Esprit du Seigneur, même porté par la grâce du Seigneur, demeure ce qu’il est, un homme qui dit « si… alors… ». Et viennent ces phrases terribles : « Si tu me donnes pour de vrai les fils d'Ammon, 31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les fils d'Ammon, celui-là sera au Seigneur, et je l'offrirai en holocauste. » L’engagement de Jephté au service du Seigneur comporte un arrêt de mort pour tel de ses semblables. Pourquoi ?

Grâce lui est faite, mais Jephté ne marche pas par la foi. Il en rajoute à la grâce comme si tout n’était pas grâce lorsque Dieu vous choisit. Et qui paye alors le prix le plus fort ? Pas Jephté, pour qui le prix de ce qu’il ajoute à la grâce est déjà terrifiant. La fille de Jephté paye de sa vie le prix de la condition que son père a ajoutée à la seule grâce du Seigneur. Ce qu’on ajoute à la grâce est à payer d’un prix inutile… et, le plus souvent, c’est à autrui qu’on fait payer le prix le plus fort.

Si bien que, pour finir, la leçon de l’histoire de Jephté, c’est qu’il n’y a pas d’autre légitimité que celle de la grâce, pas d’autre voie vivifiante que celle de la foi : croire, un point c’est tout, marcher par la foi, sans condition aucune, sans rien faire peser sur aucun de nos semblables. Car, si le Seigneur nous fait grâce, pourquoi ne ferait-il pas grâce à d’autres que nous ? 


dimanche 16 novembre 2014

Ce qu'on a fait de tant de grâces... (Matthieu 25,13-30) Pour la mémoire de Peter Kassig


"I guess I am just a hopeless romantic, and I am an idealist, and I believe in hopeless causes."

Pour la mémoire de Peter Kassig et des 18 soldats irakiens assassinés mais dont les noms nous sont inconnus.


Matthieu 25
14 «En effet, il en va (du Royaume des cieux) comme d'un homme qui, partant en voyage, appela ses esclaves et leur donna ses biens.
 15 À l'un il donna cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités; puis il partit. Aussitôt
 16 celui aux cinq talents s'en alla travailler et en gagna cinq autres.
 17 De même celui des deux talents en gagna deux autres.
 18 Mais celui à un (talent) s'en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l'argent de son maître.
 19 Longtemps après, le maître de ces esclaves revient, et il discute avec eux.
 20 Celui aux les cinq talents s'avança et en apporte cinq autres, en disant: ‹Maître, tu m'avais donné cinq talents; voici cinq autres talents que j'ai gagnés.›
 21 Son maître lui dit: ‹C'est bien, esclave bon et confiant, tu as été confiant sur peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; viens te réjouir avec ton maître.›
 22 Celui des deux talents s'avança à son tour et dit: ‹Maître, tu m'avais donné deux talents; voici deux autres talents que j'ai gagnés.›
 23 Son maître lui dit: ‹C'est bien, esclave bon et confiant, tu as été confiant sur peu de choses, sur beaucoup je t'établirai; viens te réjouir avec ton maître.›
 24 S'avançant à son tour, celui à un talent dit: ‹Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n'as pas semé, tu ramasses où tu n'as pas répandu ;
 25 par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ce qui est à toi.›
 26 Mais son maître lui répondit: ‹Mauvais esclave, timoré ! Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé et que je ramasse où je n'ai rien répandu.
 27 Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers : à mon retour, j'aurais recouvré ce qui est à moi, avec un intérêt.
 28 Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents.
 29 Car à tout homme qui a, l'on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré.
 30 Quant à cet esclave inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.›

On pourra lire, tout à la suite, les versets suivants, même s'ils sont rappelés au début de la prédication...


Prédication :
            Concernant le Royaume des cieux, l’enseignement que Jésus donne ne s’arrête pas à cette fort triste histoire, puisque, toujours au sujet du jour du Fils de l’homme, c'est-à-dire toujours au sujet de la fin des temps et du jugement dernier, il enchaîne avec le fait que les justes hériteront du royaume préparé pour eux dès avant la fondation du monde. Et ces justes découvriront leur propre justice seulement le jour du jugement. Ils en découvriront le caractère fortuit, gratuit et minuscule… « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire? » Et le Seigneur répond : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ! »
            Laissons en réserve pour l’instant le caractère finalement fortuit, gratuit et minuscule de la justice qui justifie, et méditons sur l’histoire de ces esclaves qui, au départ de leur maître, virent soudain entre leurs mains des sommes d’argent tout à fait colossales, eux qui n’étaient que des esclaves, sans fortune ni rétribution aucune, qui firent de cela ce qu’ils purent... et que se passa-t-il, lorsque le maître, incidemment, revint ?

            Cette histoire n’est pas une histoire simple… elle n’est pas simple comme une histoire de d’actionnaire et de gestionnaires, elle n’est pas si simple qu’une histoire de boutique et de profit.
C’est que, pour commencer, certains traducteurs suggèrent que le maître confia ses biens, remit telle et telle somme, que les esclaves s’en allèrent commercer et qu’il allait falloir rendre des comptes. C’est une traduction possible. Mais d’autres traducteurs orientent l’affaire tout à fait différemment. Le maître transmit ses biens, les donna donc dans une perspective tout à fait définitive et s’en alla, pour toujours. Et donner, c’est donner ! Et à qui l’on donne pour de vrai on ne demande jamais de comptes. On se dit alors qu’un esclave s’étant vu donner de telles sommes par son maître sur le départ pour toujours, devrait agir en homme libre… Alors, celui qui avait reçu cinq talents s’en alla travailler. Et lorsqu’incidemment le maître revint, il s’entretint simplement avec ces hommes, comme on se raconte, lorsqu’on ne s’est pas vu depuis longtemps... Et ces hommes de lui raconter.
En lisant donc finement plusieurs traductions, nous pouvons émettre un doute quant à l’aspect nécessairement marchand de cette histoire.
Nous pouvons aussi émettre un doute sur l’aspect marchand de cette histoire parce qu’il s’agit finalement d’une histoire d’Evangile, de miséricorde, de royaume, de grâce divine, toutes affaires fort belles qu’il advient qu’on reçoive sans les avoir autrement méritées, et qu’il ne sied pas de considérer comme un fonds de commerce.
Et pour nourrir encore ce doute, nous ajoutons que, lecteurs de l’Evangile de Matthieu, nous savons que le bilan final de Jésus lui-même est commercialement désastreux : il finit sur la croix, sans fortune, seul, sans disciples, avec seulement quelques proches, impuissants et effarés.

Nous pouvons donc écarter l’aspect marchand de cette histoire, écarter l’idée que le Royaume des cieux, ou l’Evangile, serait une sorte de capital qu’il s’agirait de faire fructifier pour le profit d’un actionnaire gourmand. Ecartons résolument cette perspective.

Pourtant, nous n’en avons pas fini. Car si l’on écarte l’aspect marchand de ce texte, il reste que ces esclaves à qui rien n’était dû reçurent un jour par pure grâce quelque chose de colossal, et qu’il arriva, plus tard, qu’ils eurent l’occasion de s’interroger sur ce qu’ils en avaient fait. Alors, la question qui se pose au lecteur de ce texte est donc tout à fait simple : qu’as-tu fait de ce que tu as reçu par pure grâce ?
Qu’avons-nous fait de l’Evangile ? Bien entendu, nous pourrions nous demander si nous l’avons fait connaître et combien d’âmes nous avons amenées à Christ. Mais avons-nous en l’espèce des obligations de résultat ? Nous pouvons seulement nous demander quand et à qui nous avons parlé de notre espérance et de notre foi. Ce ne sont pas là des questions tout à fait simples, mais nous pouvons toujours nous les poser. Nous pouvons toujours nous tenir prêts à nous expliquer sur ce que nous professons. Mais le texte biblique, Jésus lui-même, nous invite plutôt à nous poser des questions beaucoup plus simples encore, autour des réalités toutes simples de la vie : la faim, la soif, le fait d’être étranger, d’être nu, ou malade, d’être empêché d’aller et venir. Et l’Evangile dont Jésus parle à ce moment-là devient tout simple puisqu’il rappelle qu’on a été nourri, abreuvé, accueilli, vêtu, soigné et visité, et qu’on y était pour rien, qu’on ne le méritait pas, qu’on n’était pas en mesure de le réclamer, et pourtant quelqu’un a pris soin de nous, comme ça, par pure grâce. Jésus alors interroge en demandant : de cette grâce, de ces simples grâces, qu’avez-vous donc fait ?
Alors, bien entendu, le verre d’eau qu’on a bu ne peut pas être rendu avec intérêts à celui qui nous l’avait donné. Par contre, le verre d’eau qu’ensuite on offre vient s’additionner à celui qu’on avait reçu. Cela fait deux verres d’eau là où il n’y en avait qu’un, tout comme cela fit dix talents là où il n’y avait que cinq talents ; mais comme il s’agit de verres d’eau, on n’y pense même pas, et l’on ne pense même pas qu’offrir un verre d’eau mérite quoi que ce soit.
Pourtant, de cette manière, le Royaume des cieux résulte du banal, du commun, du minuscule, de l’insignifiant qu’on partage, qu’on transmet sans même y penser. Ainsi aussi celui qui n’a apparemment rien à donner n’est pourtant pas pauvre, parce qu’un sourire, ce presque rien qu’est un sourire donné, contribue tout autant au Royaume des cieux que les plus grands et impossibles engagements.

            Quelle est donc finalement la perspective ouverte par l’histoire des talents ? Seuls se perdent ceux qui ont pensé que, s’agissant du Royaume des cieux, il n’est dû qu’à ceux qui rendent à leur maître un compte d’exploitation positif. Pour tous les autres, le simple et insouciant travail du partage des simples dons de la vie suffit à faire de vous le plus riche des humains. Et l’on peut bien alors imaginer qu’un des esclaves de la parabole des talents revienne les mains vides, humblement, tout tremblant, riche seulement du partage qu’il aurait fait des richesses qui lui avaient été données ; et il serait accueilli joyeusement par son maître. Accueilli joyeusement par son maître parce que, tout comme les deux autres, il aurait agi sans rien dissimuler de la grâce, et dans une confiance qui permet de risquer de tout perdre, une confiance qui permet surtout de tout recevoir.

dimanche 2 novembre 2014

Le grand commandement dans la Loi... (Matthieu 22,34-40)

Matthieu 22
34 Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent.
35 Et l'un d'eux, un légiste, lui demanda pour le tenter :
36 «Maître, quel est le grand commandement dans la Loi?»
37 Jésus lui déclara: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.
38 C'est là le grand, le premier commandement.
39 Un second est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 A ces deux commandements est suspendue toute la Loi, et les Prophètes.»

Prédication :
                «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. 38 C'est là le grand, le premier commandement. 39 Un second est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40 A ces deux commandements est suspendue toute la Loi, et les Prophètes. » Et que se passa-t-il une fois que Jésus eut donné cette magistrale réponse ? Rien, rien du moins qui fût directement lié à ce qui était en débat, le grand commandement de la Loi. Le petit fragment de récit s’arrête… C’était une tentation, piège et mise à l’épreuve, et Jésus ne s’est pas laissé prendre.
            Reste au lecteur à s’interroger. Le texte parle d’une tentation. En quoi la question posée était-elle une tentation ?

            Tout d’abord, tâchons de comprendre ce que signifie la question posée. Qu’est-ce que le grand commandement ? Le grand commandement, c’est celui auquel sont référés tous les autres commandements et à l’aune duquel s’évaluent toutes les interprétations et toutes les mises en œuvres de tous les autres commandements. Toute la Loi et les prophètes sont, comme on l’a lu, suspendus au grand commandement ; cela signifie tout clairement que sans le grand commandement, toute la parole, toute la pratique religieuse est vaine, morte, tombe et se décompose comme une feuille à l’automne…
            Quel est donc le grand commandement dans la Loi ? La Loi, la Loi juive, n’est pas composée seulement des cinq premiers livres de la Bible que nous connaissons, mais aussi en ce temps-là des milliers de commentaires canoniques, qui se transmettent oralement de maître à disciples, et qui sont autant d’interprétations et d’interprétations d’interprétations, une somme qui représente imprimée plus d’une dizaine de gros volumes. Quel est le grand commandement dans tout cela, demande-t-on à Jésus ?

            La question posée à Jésus est une tentation. Souvenons-nous du 4ème chapitre de Matthieu. « Jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre. » La tentation, c’était proposer de choisir le verset particulier qui répond adéquatement au problème posé…
            Quel est le grand commandement ? On attend un verset et c’est une tentation, un piège, parce que répondre par un verset revient à choisir, à se choisir un verset biblique précis pour une application religieuse précise, dans le but d’obtenir un effet précis. Ce genre de choix est typiquement un choix idolâtre. Et puis choisir un verset revient aussi à délaisser tous les autres, tous les autres que l’Esprit et nos Pères ont jugé bon de nous transmettre ; délaisser, même momentanément, ou abaisser tous les autres commandements, c’est une définition du reniement. Quel est le grand commandement ? La question posée est donc une double tentation, tentation certes du pouvoir, mais au prix de l’idolâtrie et du reniement.
Et puis, pour s’interroger plus simplement, pourquoi un commandement serait-il grand plutôt qu’un autre ? Imaginez la scène : le spécialiste des Saintes Ecritures interroge, Jésus répond, et le spécialiste objecte, et Jésus objecte au spécialiste ; on imagine une discussion d’une durée considérable, insupportable pour ceux qui, pendant ce temps, voudraient juste un sourire ou un peu de considération…
Vous voyez donc que la question posée, celle du grand commandement, est une tentation, dans le sens où elle est un piège : on tombe dedans et l’on ne s’en sort plus…

La question posée, celle du grand commandement, est aussi une tentation dans le sens où elle est une épreuve, une épreuve de la cohérence de la vie de Jésus, une épreuve de la cohérence même de l’évangile de Matthieu, avant d’être, nous y viendrons, une épreuve de la cohérence de la vie du disciple, et du lecteur.
Jésus, dans le 5ème chapitre de Matthieu, déclare qu’il est venu non pas pour abolir, mais pour accomplir. Dans le même chapitre il déclare que pas un i ni un point sur un i ne doit être omis dans la pratique quotidienne de la Loi. Comment donc Jésus serait-il cohérent avec lui-même s’il déclarait que tel commandement, choisi dans la Loi, est le grand commandement ?

Ceci étant dit, la tentation est là : «  Quel est le grand commandement dans la Loi ? »  Et il s’agit d’y faire face : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée, 38 c'est là le grand, le premier commandement, 39 un second est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Nous n’avons aucune hésitation à avoir : c’est bien dans la Loi que tout cela se trouve, et cela fait bien un seul commandement, sous la forme de deux impératifs, qui sont déclarés semblables. Est-ce pourtant dans la Loi qu’on trouve que ces deux impératifs sont semblables ? Oui, si l’on veut bien ne pas limiter la Loi à des collections juridiques, oui, si l’on veut bien la lire en tant que totalité, oui, si l’on prendre en considération aussi les grands récits. L’impératif de l’amour du prochain, semblable à l’impératif de l’amour de Dieu, apparaît par exemple avec une force considérable lorsque Moïse, après l’épisode du veau d’or, intercède pour le peuple, par amour pour le peuple et apaise Dieu, par amour de Dieu, alors que Dieu est au paroxysme de la colère (Exode 32). Le grand commandement dans la Loi existe donc bien, avec ses deux impératifs semblables, aimer Dieu, aimer le prochain.
Mais aimer, qu’est-ce que cela signifie ? Nous sommes au Proche-Orient, et, en culture hébraïque. Ceci pour dire qu’aimer n’est pas un sentiment – pas seulement, et peut-être même pas du tout. Un vassal doit aimer son suzerain, pas en sentiments, mais en pratique. Et Jésus, avec son premier impératif d’aimer, parle d’aimer totalement : tout le cœur (c'est-à-dire les sentiments), toute l’âme (ce qu’on a de vivant, la force vitale qui nous habite), toute la pensée (ce qu’on a d’intelligence et de raison). Alors, aimer Dieu, totalement ? Chacun doit méditer pour lui-même. Est-ce ainsi que j’aime Dieu, totalement : raison, intelligence, forces et sentiments tout entiers consacrés à Lui ? Amour impossible ? Non… amour possible pour certains croyants sincères, nous pouvons même imaginer de braves Pharisiens aimant réellement ainsi Dieu. Mais il faut rajouter qu’il est assez facile de choisir Dieu, mais qu’on ne vit pas tout seul, ni par soi-même. Il y a le prochain… Le prochain, l’autre être humain, le différent, hasard de la vie, pas toujours un cadeau… le prochain, on ne le choisit pas.
Alors, aimer le prochain ? En plus d’aimer Dieu, aimer le prochain, du même amour pourtant tout entier déjà dévoué à Dieu. Aimer le prochain, et comme toi-même, avec autant de considération, d’indulgence, de complaisance pour lui que pour toi-même… ce prochain, pas un cadeau tout le temps, et qu’on ne choisit pas. Que chacun, une fois encore, médite sur son amour du prochain. C’est bien cet amour du prochain, d’un prochain qui peut être un malade, un enfant, un disciple, mais aussi un traitre, un juge, une foule en délire, un bourreau… c’est bien cet amour du prochain qui conduira Jésus à se donner et à souffrir sa passion.

Ainsi, le grand commandement, avec ses deux impératifs identiques, aimer totalement Dieu et aimer le prochain comme soi-même, est là, devant les ennemis  et les amis de Jésus (qui est ami, qui est ennemi ? où sont les gens sincères, ou sont les hypocrites ?). Le grand commandement est devant les lecteurs d’aujourd’hui. Et on est tout petit devant le grand commandement. Tout petit… très petit. Peut-être idolâtre, peut-être apostat. Mais, dans la Loi et les Prophètes, il n’y a pas que le grand commandement. Il y a aussi l’inépuisable miséricorde, le signe sur le front de Caïn, l’attente de la fin de l’exil, et l’espérance…
Aimes-tu, interroge le grand commandement ? Qu’il me soit donné d’aimer, et puisses-tu, mon Dieu, toi qui sais toutes choses, me venir en aide. Amen

dimanche 19 octobre 2014

A César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Matthieu 22,15-22)

Matthieu 22
15 Alors les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples, avec les Hérodiens, pour lui dire: «Maître, nous savons que tu es vrai, droit et honnête, et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition ni du faciès des gens.
17 Dis-nous donc ton avis: Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César?»
18 Mais Jésus, s'apercevant de leur malice, dit: «Hypocrites! Pourquoi me tendez-vous un piège?
19 Montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut.» Ils lui présentèrent une pièce d'argent.
20 Il leur dit: «Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles?»
21 Ils répondent: «De César.» Alors il leur dit: «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.»
22 À ces mots, ils furent stupéfaits et, le laissant, ils s'en allèrent.

Prédication : 
        Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, cette locution est devenue proverbiale. Par exemple, elle a été reçue comme un principe de laïcité ; l’Etat (César) n’a pas de rôle déterminant à jouer dans la relation à Dieu. Cette locution a été reçue aussi comme principe d’obéissance absolue aux autorités ; on doit se soumettre à César, sans que notre soumission à Dieu, notre pratique religieuse, interfère en aucune manière. Mais tout autant, elle peut être reçue comme principe de défiance des autorités ; si l’on pose que ce qui revient à Dieu doit l’emporter sur ce qui revient à l’Etat. Et enfin, pourvu qu’on ait l’idée d’un être humain âme et corps, comme principe d’indifférence à l’égard du monde, le corps n’est rien, parce que l’essentiel, l’âme, est en Dieu… ou le contraire
            En tout cela nous reconnaissons que c’est une locution proverbiale assez bien réussie. On peut en faire bien des choses. Et surtout, chacun peut tenter de la comprendre. Qu’allons-nous en faire, nous, aujourd’hui ? Choisir entre les interprétations qui ont été déjà données ? En proposer une autre.

Repartons de la première question posée. Cette question qui est posée d’une manière perverse, flatteries à l’appui et en interrogeant sur le mode de la permission (est-il permis…) alors que le tribut s’impose comme un devoir. Prenons donc la question concrètement tout comme elle se présente : « Doit-on… » Doit-on, oui ou non, payer le tribut, demandent à Jésus des Pharisiens et des Hérodiens ? S’il répond oui, Jésus est disqualifié par les Pharisiens en tant qu’apostat, puisqu’il touche quelque chose à l’effigie de César qui est dit-on un faux dieu… S’il répond non, il est disqualifié par les Hérodiens comme séditieux, puisqu’il s’oppose à l’occupant romain.
C’est un piège dont, vous le savez, Jésus va se sortir avec brio, dans le récit. Mais en répondant comme il a répondu, qu’a-t-il voulu dire ? Et Matthieu, l’évangéliste, qu’a-t-il voulu dire à ses lecteurs ?

Pour le peuple de la Palestine occupée, la paix romaine se maintient en payant le tribut à César, un tribut que chaque habitant de l’Empire doit payer. Alors oui, dira le petit peuple, il faut payer le tribut, sinon, c’est la répression, et les Romains étaient extrêmement brutaux.
Oui, il faut payer le tribut, dit aussi celui qui est du parti du roi Hérode, et qui fait fortune sur le dos du peuple. Mais ça n’est pas le même oui. C’est un oui d’opportunisme, un oui dont le peuple paye le prix le plus fort, le prix de la misère et de la brutalité.
Cela vous fait deux réponses identiques pour une seule question. Mais ces deux réponses diffèrent considérablement. Le prix du oui des Hérodiens n’est pas payé par les Hérodiens, mais par le petit peuple. Dans notre texte donc, ce qui caractérise l’attitude des Hérodiens, c’est qu’ils reportent sur autrui le poids de leur compromission avec Rome.
Et comprenez bien que les Pharisiens sont, en cette matière, semblables aux Hérodiens. Certes, les Pharisiens, pour des raisons religieuses, entendent bien ne pas payer le tribut. Or, ils y sont assujettis comme tous les autres Palestiniens de l’époque. Et bien ils se débrouillent pour charger autrui de le payer pour eux ; ils se débrouillent pour organiser leur vies, et surtout la vie de leurs disciples, pour que leurs disciples se chargent de payer à leur place, de circuler à leur place, de commercer à leur place, et, vous le voyez bien dans le texte, ils chargent même leurs disciples de discuter à leur place. Les choix de vie des Pharisiens, sont en fait assumés par leurs disciples. Alors oui, les Pharisiens se conforment à tout ce qui est exigé par la Loi juive, mais qui paye le prix de cette conformité ? Les autres.
Doit-on payer le tribut à César ? Chaque fois qu’une question importante est posée ainsi, dans le but de piéger, de disqualifier, et chaque fois que celui qui la pose attend une réponse en terme de devoir, et de oui ou non, cela signale que le poids de la réponse sera porté par autrui…
Mais pourquoi donc autrui devrait-il porter le poids des choix d’un autre ? Et pourquoi donc autrui devrait-il assumer les choix d’un autre en matière de religion ? Lorsque les questions sont posées ainsi, en termes de « devoir », de « on » et de « oui ou non », c’est que cœur est trop petit…
Quel exemple prendrai-je pour que tout soit bien clair ? Doit-on, oui ou non, être baptisé pour être accueilli à la Sainte Cène ? Doit-on être, oui ou non, être un mâle de l’espèce humaine pour être pasteur ? Doit-on, oui ou non, être hétérosexuel et civilement marié pour être béni ? Vous pouvez sortir tous les versets bibliques que vous voulez. Là n’est pas la question. La question est celle d’un choix que l’un fait et qu’il entend imposer à tous les autres. La question est celle d’une décision que l’un prend et dont il fait peser le poids sur d’autres que lui-même. Jésus traitera d’hypocrites, quelques versets plus loin, tous ceux qui procèdent ainsi.

Cependant, il y a bien un César, c'est-à-dire un ensemble de règles que chacun respecte. Il y a des questions que la vie nous pose, pose à chacun, et pour lesquelles c’est assez simplement qu’on peut répondre par oui ou non. Rendre à César ce qui est à César, c’est, pour ces questions simples, répondre ce qui doit simplement être répondu. Et il en va avec ces questions, de la simple possibilité d’une vie commune. Pour expliquer ceci, un exemple. On doit rouler du côté gauche de la route en Grande Bretagne ; c’est rendre à César ce qui est à César que de le faire, et on doit le faire, on, tout le monde. Sauf dans certaines circonstances particulières, urgentes… nous allons y venir.
Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est tout autre chose. Lorsqu’il s’agit de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, il n’y a pas de « on », pas de « on doit » et pas de « oui ou non » ! Lorsqu’il s’agit de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, il y a l’engagement d’une personne, qui dit « je », qui, à un moment donné, fait le choix qu’elle fait, choix dont personne d’autre qu’elle ne portera le poids. Pour poursuivre mon exemple britannique et routier. Entre le landau qui se trouve soudain côté gauche de la route en Grande Bretagne, la Mini Cooper qui vient en face, côté droit de la route et le platane qui est au bord de la route, choisir le platane… Ainsi, rendre à Dieu ce qui est à Dieu n’est jamais affaire de règlements ni de convenances, mais seulement affaire de circonstances, de décision personnelle, d’amour du prochain et de responsabilité.
           
Frères et sœurs, lorsque Jésus invite ses détracteurs à rendre à César ce qui est à César ET à Dieu ce qui est à Dieu, c’est nous qui sommes invités. Invités à ne pas faire de nos choix personnels des absolus pour tous, nous transformerions alors Dieu en César. Invités aussi à ne pas transformer en absolu ce qui n’est qu’un usage ou une idée reçue, nous transformerions alors César en Dieu.
Nous devons habiter l’ordinaire pour ce qu’il est, ordinaire qui nous permet de vivre ensemble. Rendre donc à César ce qui est à César. Nous devons aussi habiter l’extraordinaire, le mystérieux, ce qui nous intrigue, étonne, non pas par attirance ou fascination, mais parce que la vie est aussi extraordinaire et étonnante ; choisir donc le l’habiter telle qu’elle s’offre parfois, c’est rendre à Dieu ce qui est à Dieu.

J’espère, je crois, que nous pouvons vraiment et concrètement rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Le monde en sera bien plus beau, l’Eglise en sera bien plus belle, et nos visages bien plus joyeux encore. «Maître, nous savons que tu es vrai, droit et honnête, et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition ni du faciès des gens. » Puissions-nous vivre  comme notre maître. Que Dieu nous soit en aide.