mardi 31 mars 2020

Lettre pastorale du 1er avril 2020 - Sur l'espérance



Lettre pastorale : sur l’espérance

70 ans ! A ceux de ses compatriotes qui avaient été exilés et confinés en Babylonie, le prophète Jérémie (Jérémie 29) annonça, par courrier postal, qu’il leur faudrait patienter 70 ans avant de pouvoir espérer revenir vers la terre de leurs ancêtres. Une durée considérablement longue, trop longue, une durée sans doute désespérante.  « Qui d’entre nous, dans 70 ans, sera encore là et en état de supporter le voyage retour ? »
Pour occuper ces 70 années, Jérémie  leur recommanda de vivre, de persister à vivre là où les hasards de la vie les avaient placés. Et s’agissant de vivre, il leur recommanda les deux choses en lesquelles l’humanité entière se retrouve : produire leur nourriture et engendrer des enfants.
Voici donc que Jérémie, l’un des plus grand prophètes de l’histoire, donne à ceux qui sont siens des conseils de pur bon sens, conseils pour le quotidien, conseils dans lesquels Dieu n’a finalement rien à voir.  Car Jérémie ne donne aucune recommandation, ni aucun conseil de piété. Forme, sens, et périodicité du culte, tout est oublié. Forme et fréquence de la prière domestique, néant. Seule recommandation concernant la piété : prier pour la paix, la santé, le salut et la prospérité (en un seul mot : shalom) de Babylone et des Babyloniens. Cette seule recommandation frise le blasphème, car ce shalom, don de Dieu seul, comment pourrait-il être donné à l’ennemi babylonien plutôt qu’aux enfants d’Israël ?
Les exilés ont dû être profondément déçus, voire furieux, de recevoir cette lettre. Car ils appartenaient à l’élite de la société judéenne. Ils avaient un Pays, une Ville, un Temple, ils étaient propriétaires terriens, ils avaient des palais, de la fortune et des esclaves… Ils rêvent de retrouver la jouissance de tout ce qu’on leur a pris, et ce Jérémie vient au nom de Dieu leur prescrire de se mettre au jardinage ? Certainement pas ! Alors, qu’allaient-ils faire ? Se tourner vers un autre prophète, qui leur annoncerait, évidemment de la part de Dieu, ce qu’ils voulaient entendre ? Se trouver un autre Dieu ? Se perdre dans d’interminables discussions sur les causes et les fins de leur exil ? Et se demander pendant combien d’années encore ?

Et l’espérance, alors ? Dans sa lettre, Jérémie parle d’espérance. Il ne parle même que d’espérance.
Jérémie parle d’espérance en commençant par les inciter à sortir de leur sidération. En dépit du choc de la défaite, de l’épreuve de la déportation, et des doutes qui y sont liés, Jérémie affirme que Dieu parle, Dieu s’adresse encore à eux en tant que Dieu de combat, Dieu ne les a donc pas abandonnés. Espérer, c’est donc, envers et contre tout, se relever.
Jérémie parle d’espérance parce qu’il ne les laisse pas ses lecteurs se faire d’illusions ni sur la durée ni sur la dureté de l’exil. Oui, 70 ans ! Oui, comme une durée symbolique, et non pas comme une durée calendaire. La condition des enfants d’Israël, la condition même du croyant, est de n’être qu’un exilé, dont la patrie est la prière et la demeure la foi. Espérer, c’est donc aussi être lucide.
Jérémie parle d’espérance parce qu’il leur indique des tâches très concrètes, indispensables à leur survie : cultiver, enfanter. Car la génération suivante, et celle aussi qui la suivra, ne se lèveront pas toutes seules. Espérer, c’est donc enfin choisir de vivre et de faire vivre.

            Chères sœurs, chers frères, Jérémie le prophète a bien écrit pour nous. Qu’il s’agisse d’une défaite militaire ou d’une épidémie, qu’il s’agisse d’exil ou de confinement, qu’il s’agisse d’ennemis ou d’un virus, l’espérance est toujours la même : se relever et tenir debout, perdre ses illusions et progresser en lucidité, choisir concrètement de vivre. Notre espérance, c’est ce que nous faisons.

            Pasteur Jean DIETZ, 1er avril 2020
Je suis confiné, tout comme vous. Mais le partage de belles photos ignore le confinement.


samedi 28 mars 2020

Pourquoi le mal ? (Jean 11) Culte du 29 mars 2020, EPUdF Vincennes-Montreuil

Jean 11
1 Un homme tomba malade, c’était Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe.
4 Dès qu'il l'apprit, Jésus dit: «Cette maladie n'aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu: c’est afin que, par elle, le Fils de Dieu soit glorifié.»
5 Or Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare.
6 Cependant, alors qu'il savait Lazare malade, il demeura deux jours encore à l'endroit où il se trouvait.
7 Après quoi seulement, il dit aux disciples: «Retournons en Judée.»
(…)
11 Jésus dit : «Notre ami Lazare s'est endormi, mais je vais aller le réveiller.»
12 Les disciples lui dirent donc: «Seigneur, s'il s'est endormi, il sera sauvé.»
13 En fait, Jésus avait voulu parler de la mort de Lazare, alors qu'ils se figuraient, eux, qu'il parlait de l'assoupissement du sommeil.
14 Jésus leur dit alors ouvertement: «Lazare est mort,
15 et je suis heureux pour vous de n'avoir pas été là, afin que vous croyiez. Mais allons à lui!»
17 À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau; il y était depuis quatre jours déjà.
18 Comme Béthanie est distante de Jérusalem d'environ quinze stades,
19 beaucoup de Juifs étaient venus chez Marthe et Marie pour les consoler au sujet de leur frère.
20 Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie était assise dans la maison.
21 Marthe dit à Jésus: «Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.»
23 Jésus lui dit: «Ton frère ressuscitera.»
24 - «Je sais, répondit-elle, qu'il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour.»
25 Jésus lui dit: «Je suis la résurrection et la vie: celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra; 26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?»
27 - «Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde.»

28 Là-dessus, elle partit appeler sa soeur Marie et lui dit tout bas: «Le Maître est là et il t'appelle.»
32 Lorsque Marie parvint à l'endroit où se trouvait Jésus, dès qu'elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit: «Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.»
33 Lorsqu'il les vit se lamenter, elle et les Juifs qui l'accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla.
(…) il s'en fut au tombeau; c'était une grotte dont une pierre recouvrait l'entrée.
39 Jésus dit alors: «Enlevez cette pierre.» Marthe, la soeur du défunt, lui dit: «Seigneur, il doit déjà sentir... Il y a en effet quatre jours...»
40 Mais Jésus lui répondit: «Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?»
41 On ôta donc la pierre. Alors, Jésus leva les yeux et dit: «Père, je te rends grâce de ce que tu m'as exaucé.
42 Certes, je savais bien que tu m'exauces toujours, mais j'ai parlé à cause de cette foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé.»
43 Ayant ainsi parlé, il cria d'une voix forte: «Lazare, sors!»
44 Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachés par des bandes, et le visage enveloppé d'un linge. Jésus dit aux gens: «Déliez-le et laissez-le aller!»
Prédication
            Nous ouvrons notre méditation avec la question : « Pourquoi ? » Pourquoi la maladie, la mort, et la résurrection de Lazare ? Les quelques versets que nous venons de lire nous proposent une réponse : (1) …afin que vous croyiez (Jésus parle directement à ses disciples)(v.15) et (2) …afin qu’ils croient (Jésus prie le Père, devant la foule qui est venue au tombeau de Lazare – Jésus parle ainsi à la foule)(v.42).

Mais voilà, nous ne sommes ni les premiers disciples de Jésus, ni un témoin dans la foule. Nous n’avons rien vu de tout cela.
Pour nous, lecteurs de l’évangile, il y a deux phrases vraiment importantes.
(1) « Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru » (20,29) et
(2) « Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre. 31 Ceux-ci l'ont été afin que vous croyiez… » (Jean 20,30-31).

Telle est notre situation, la situation des lecteurs. L’ère des miracles de Jésus se termine à l’Ascension. L’ère des disciples de Jésus et des foules, qui ont vu Jésus agir, se termine lorsque cette génération-là, ayant pris de l’âge, disparaît. Aux lecteurs que nous sommes, il reste l’évangile de Jean pour tâcher d’apprendre à croire, et pour répondre – peut-être – à la question « Pourquoi ? »
Bien sûr, ça n’est pas seulement aujourd’hui, avec l’épidémie en cours, que la question « Pourquoi ? » se pose. Cette question se pose chaque fois que la mort frappe. Aujourd’hui, elle rode, partout, et nous ne pouvons pas l’ignorer. Mais il y a autre chose, ces temps-ci, que la mort qui frappe. « Pourquoi ? »

Nous trouvons dans la Bible quantité de réponses possibles à cette question. Ces réponses peuvent être classées en trois groupes.
(1) « Pourquoi ? » Parce que, dans un passé, proche ou lointain, se trouvent les bonnes raisons que Dieu a de punir. En ce moment on entend dire que c’est la nature qui punit l’humanité, parce que l’humanité l’exploite sans limites, sans jamais lui laisser son année de repos préconisée par la Bible…
(2) Pourquoi ? Parce que la catastrophe en cours le signe de l’imminence d’une fin des temps… 
(3) Pourquoi ? Il y a une troisième sorte de réponse à la question « Pourquoi ? ». Cette réponse est extrêmement présente dans l’évangile de Jean. Voici quelques échantillons de cette réponse :
« …afin qu’ils croient » (Jean 11,15) ;
« …afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jean 11,42) ;
« …afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jean 20,31).

            Partons de la formulation la plus longue : « …afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, en croyant, vous ayez la vie en son nom ». Dans cette formulation, croire apparaît lié à un énoncé de la foi (Jésus est le Christ, le Fils de Dieu), énoncé lié lui-même à une de conséquence (vous ayez la vie en son nom).
            Est-ce que la conséquence de croire est de ne jamais mourir ? Nous ne pouvons pas affirmer qu’en ce temps d’épidémie – ni d’ailleurs en n’importe quel temps – ceux qui meurent meurent parce qu’ils n’ont pas cru que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. Nous ne pouvons pas l’affirmer parce que nous ne savons pas ce qui est dans le cœur des humains. Nous ne pouvons pas l’affirmer parce que certains des meilleurs d’entre nous meurent.
Nous affirmons plutôt que mourir n’est pas une punition divine, que vivre n’est pas une récompense divine. Pour répondre à la question « Pourquoi ? » Nous cherchons autre chose que des raisons et des buts. Les raisons et les buts, ainsi que les punitions et les récompenses, ne nous intéressent pas. Croire n’est pas une médaille magique qui nous protégerait des maléfices, croire n’est pas un pari gagné dont le prix serait la vie éternelle.
            Croire que « Jésus est le Christ, le Fils de Dieu », c’est faire sienne une autre affirmation essentielle de l’évangile de Jean : « …et le Verbe s’est fait chair » (Jean 1,14). « …le Verbe s’est fait chair » est, si l’on veut, un énoncé théologique, mais c’est aussi – d’une manière plus essentielle encore que théologique – l’énoncé d’un engagement pratique, celui de Dieu envers le monde, un engagement dont le verbe aimer dit toute la profondeur (Jean 3).
            Croire, c’est donc ainsi, et d’abord, l’engagement concret, intégral, sans réserve ni reprise, pris par le Verbe – par Dieu lui-même – en faveur de l’humanité.
Croire, c’est ensuite l’engagement concret, intégral, sans réserve ni reprise, pris par Jésus envers ses contemporains.
Croire, c’est enfin l’engagement concret, intégral, sans réserve ni reprise, qu’un être humain peut prendre envers certains de ses semblables.

« Pourquoi ? » Telle était la question posée à notre actualité au commencement de notre méditation.
La réponse à cette question, c’est l’acte de celui qui, constatant la détresse de son semblable, se met à son service. En le soignant – telle est la vocation et la mission de certains – mais aussi en prenant fraternellement des nouvelles, en partageant aussi loin que possible la foi qui est la nôtre, en proposant quelques services, en respectant au mieux les consignes de confinement, en ne colportant rien qui ne soit vérité…
Puisse-t-il en être ainsi dans notre communauté et dans le monde. Amen

Prière (Merci à Murielle ANDRÉ)
Seigneur,
Je voudrais savoir.

Et je voudrais surtout savoir mieux que les autres.

Je voudrais pouvoir clore le bec de tout le monde, et devant mon auditoire soudain devenu silencieux et recueilli, décrypter derrière le mal, le malheur et l’adversité, le pourquoi du comment. Pouvoir ainsi, en toute connaissance de cause, accuser ta Volonté, le Ciel, la Nature, et les errements des hommes.

Mais je ne sais pas. Et je ne saurai jamais. Et c’est mieux ainsi car je ne suis pas Toi.

Garde-moi de cette tentation de profiter de la dureté des temps et du funeste sort qui frappe aujourd’hui pour régler mes comptes avec mes ennemis, qui ne pensent pas comme moi, ne vivent pas comme moi, ne croient pas comme moi.

Permets - moi de ne pas dire trop de bêtises et de vivre ce temps, sans que la question du pourquoi ne prenne trop de place et m’empêche de faire ce qui doit être fait au service concret de mes semblables.

Fais-moi trouver des paroles qui apaisent et non qui accusent, des paroles qui soutiennent et non qui angoissent, des gestes qui aident et non qui abandonnent.

Je te le demande pour moi-même et pour nous tous, au nom de ton Fils, notre Seigneur Jésus – Christ, qui devant la misère de chaque homme qu’il a rencontré, n’a pas raisonné mais agi, n’a pas discouru mais guéri, n’a pas pourfendu mais consolé.

Amen.


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Prochain post, mercredi 1er avril

mercredi 25 mars 2020

Lettre pastorale du 25 mars 2020 - Reconnaissance


 
Lettre pastorale : à celles et ceux à qui nous devons tant !

à Vincennes, Chères sœurs, chers frères, en Christ.

Épidémie, confinement, contamination, la maladie qui rode et rodant avec elle, peut-être la mort… Qu’avons-nous fait, nous, pour mériter tout cela ? Gardons-nous de réponses trop rapides.

« Et Dieu endurcit le cœur de Pharaon » Cette phrase ne cesse d’être répétée pendant toute l’histoire des dix plaies que Dieu infligea à l’Égypte, dont le Pharaon refusait de libérer  ses esclaves hébreux. Pharaon décide… et l’Égypte entière souffre. L’Égyptien de base souffre, lui qui n’a rien décidé du tout.
Qui frappe l’Égypte ? C’est Dieu. Et qui endurcit le cœur de Pharaon ? C’est Dieu. Si Dieu a déjà décidé de frapper, qu’a-t-il besoin de se donner une justification ? Pourquoi tant de souffrance ? Qu’il les fasse sortir, ce peuple, ses enfants, et qu’on n’en parle plus ! Que pouvons-nous dire de tout cela ?
Ceux qui ont écrit ce texte avaient pour principe de voir la main de Dieu partout. Ils avaient aussi pour idée que si un roi venait à mal agir, son peuple tout entier en subirait les conséquences. Ils avaient l’idée qu’un être humain appartient à son peuple et non pas à lui-même. Et que chacun peut donc être puni, Dieu le voulant, pour des fautes commises par un autre que lui-même. Le principe de voir la main de Dieu partout a aussi d’autres corollaires, dont celui d’être au bénéfice d’actes commis par un autre que soi. L’on est libéré d’Égypte, ou d’ailleurs, par la main de Dieu, du fait d’actes qui ne sont pas les nôtres.

Quelles relations les Hébreux esclaves en Égypte avaient-ils avec Dieu ? Soyons clairs… ils n’en avaient pas, ils n’en avaient plus, ils avaient oublié. Esclaves, ils gémissaient, mais ne criaient pas vers Dieu. Leur libération tient ainsi à Dieu, totalement, exclusivement. Ils n’y sont absolument pour rien. Ça leur arrive, comme ça, Dieu voulant : providence.
Mais pourquoi, devant cette providence, l’auteur de l’Exode n’interrogerait-il pas aussi les cœurs des Hébreux, comme il l’a fait pour le cœur de Pharaon ?

Nous ne lisons jamais que Dieu endurcit le cœur des Hébreux. Et pourtant, le lecteur de l’Exode sait que le cœur des Hébreux est, lui aussi, un cœur dur. Il sait combien de fois ce peuple en marche vers sa terre promise défiera et parfois même reniera Dieu son libérateur. Le lecteur de l’Exode sait aussi comment ce peuple libéré aura l’audace de réclamer son eau, sa viande, son pain, comme si cela était son dû. Et parfois même que Dieu endurcit le cœur des Hébreux. Étrange Dieu pour d’étranges croyants.
Révélation de Dieu dans la Bible… Révélation aussi de la dureté des cœurs des humains. Dieu les endurcit-il ? On le lit. On lit aussi que certains ont la nuque raide. On y lit enfin que des cœurs endurcis peuvent, un jour, devenir des cœurs de chair.

Épidémie, confinement, contamination… Qu’avons-nous fait, nous, pour que nous arrive tout cela ? Rien. Que le temps présent soit pour les humains le temps d’apprendre ce que leur situation doit – en bien – au labeur d’autrui, un temps pour apprendre la reconnaissance, un temps pour que des cœurs endurcis deviennent des cœurs de chair.  Nous croyons ce devenir possible.

Pasteur Jean DIETZ
25 mars 2020
Nous sommes aussi présents sur YouTube pour le culte dominical







samedi 21 mars 2020

En esprit et en vérité (Jean 4,16-26) Dieu cherche des adorateurs...

En ces temps de pandémie et de confinement, voici, comme les autres semaines, un texte biblique et une prédication, mais comme nous ne nous serons pas vu pour le culte dominical, comme nous n'aurons pas pu partager la prière, voici aussi le texte d'une prière liée aux circonstances et que chacun pourra reprendre pour son propre compte.

C'est le même texte et le même contexte que la semaine dernière, la rencontre, improbable mais avérée dans l’Évangile de Jean, entre le Juif Jésus et une femme samaritaine certainement de piètre réputation dans son propre village...
 

Jean 4
16 Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari et reviens ici.»
17 La femme lui répondit: «Je n'ai pas de mari.» Jésus lui dit: «Tu dis bien: ‹Je n'ai pas de mari›;
18 tu en as eu cinq et l'homme que tu as maintenant n'est pas ton mari. En cela tu as dit vrai.»
19 - «Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer.»
21 Jésus lui dit: «Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité.»
25 La femme lui dit: «Je sais qu'un Messie doit venir - celui qu'on appelle Christ. Lorsqu'il viendra, il nous annoncera toutes choses.
26 Jésus lui dit: «Je le suis, moi qui te parle.»
Dieu le Père, encore enfant, et déjà à la recherche d'adorateurs pour l'adorer en esprit et en vérité


Prédication :
            Commençons par un retour en arrière, un retour d’une semaine, puisque dimanche dernier – après avoir lu le même texte de l’évangile de Jean, nous avons tâché de comprendre ce que Jésus voulait dire lorsqu’il utilisait l’expression Adorer le Père en esprit et en vérité. Celui qui adore le Père en esprit et en vérité éprouve tout à la fois l’invincible liberté de ceux que l’esprit féconde et la condition tragique de l’impuissante chair.
            Dieu cherche donc des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité. Le Père cherche… Il s’efforce de découvrir, quelque part, chez les Juifs et chez les Samaritains, puis dans l’humanité tout entière, cette certaine sorte d’adorateurs. Peut-être y en a-t-il, quelque part ; peut-être n’y en a-t-il pas. La recherche que Dieu mène pourrait bien durer l’éternité entière.
           
Nous pourrions poursuivre presque indéfiniment cette réflexion, qui, finalement, ne porte pas seulement sur l’humanité, mais qui porte aussi sur le Père et, partant de là, sur Dieu. Peut-il être le sujet du verbe chercher ? N’est-il pas, le Père, Dieu, le Verbe ? Comment en tant que tel pourrait-il être ignorant de ce qu’il en est de ses créatures ? On ne nous a pas appris ça... Et d’ailleurs, l’idée que le Père – que Dieu cherche – a du paraître assez scandaleuse à certains de nos grands anciens, tellement scandaleuse que la fin du verset que nous méditons maintenant est simplement biffée dans certains des manuscrits les plus anciens de l’évangile de Jean, ce qui donne : « 23 Mais l'heure vient, et déjà elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » Avec cette coupure, plus question de cette recherche menée par Dieu sur l’humanité. Ce qui reste alors, ce sont des êtres humains qui savent que l’heure est venue, d’une part, qui savent, d’autre part, qui sont les vrais adorateurs – en général eux-mêmes – et qui savent enfin comment l’on doit adorer – ce que, bien évidemment, ils font.
            Remarquons à cette enseigne qu’en évacuant la question théologique on évacue aussi la question anthropologique. Disons-le tout net, et sans nuances : la pensée de Dieu qui sait tout est une pensée de l’homme qui sait tout, et la pensée de l’homme qui sait tout est une pensée de l’homme qui peut tout – surtout lorsqu’il s’agit d’imposer à ses semblables sa propre image de Dieu, et sa propre image de l’homme.
En pensant à certains adorateurs de Dieu...
            Le Père – Dieu – cherche donc des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité. Contrairement à bien des paraboles – peut-être contrairement à toutes les paraboles – il cherche quelque chose dont l’existence est pour le moins incertaine, et il cherche cette chose dans un périmètre élargi à l’échelle de l’humanité. Il cherche !
            Que le Père cherche est une affirmation audacieuse de Jésus. Comment Jésus peut-il se permettre une affirmation d’une telle audace ? Il le peut… il le peut selon l’évangile de Jean, parce que l’affirmation théologique centrale de l’évangile de Jean est ceci : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jean 1,14). Certains traduisent « La parole est devenue un homme » (cette traduction est un peu restrictive – nous le verrons – même si elle nous permet de nous tourner d’abord vers Jésus). Jésus peut affirmer, audacieusement, que le Père – Dieu – cherche parmi les humains telle sorte d’adorateurs, parce que telle est son expérience personnelle, parce que telle est son épreuve : l’épreuve d’un être humain – épreuve de la chair – qui cherche, et qui ne sait même pas si, pendant tout le temps de sa vie, il va trouver ce qu’il a entrepris de chercher. Et pourtant, il va chercher, sans relâche, et jusqu’à la mort.
            Lorsque Jésus meurt, il meurt en tant que Fils, en tant qu’il est un avec le Père. Et ce qui meurt alors, ce qui consent à mourir de cette mort-là, c’est Dieu lui-même en tant qu’il pouvait s’imposer plutôt que se proposer, Dieu qui pouvait forcer les humains plutôt que les chercher. Et ce qui reste ? Reste ce reste de Dieu qui se propose, qui s’offre, qui cherche, qui attend… en un seul verbe, il reste Dieu qui aime. Il reste Dieu qui aime avec toute la faiblesse et dans toute l’impuissance du véritable amour.
            Et l’être humain ? Nous revenons une fois encore au verset que nous méditons. Cette réflexion menée sur Dieu, menée par un être humain, ne transforme-t-elle pas aussi celui qui l’entreprend ? De ces adorateurs en esprit et en vérité, Jésus ne dit-il pas que l’heure vient de leur manifestation, et que cette heure est déjà venue ? Des adorateurs en esprit et en vérité, il y en a, dès le moment où émerge cette affirmation de Jésus. Et s’il y en a, c’est que la chair en est capable. Tout à fait capable par elle-même ?
            Nous pouvons l’affirmer. Mais sans oublier jamais que l’être humain qui, à la suite du Fils, se place sur le chemin de la véritable adoration en esprit et en vérité… cet être humain ne fera jamais valoir pour lui-même son adoration ni son chemin. Il en sera de lui ce qu’il en est – comme nous l’avons proposé – de Dieu.

            A la fin donc, il ne reste que l’amour. La fin n'est peut-être pas accessible, mais le chemin est tracé devant tous. Amen


Prière, en ces temps de pandémie et de confinement :


-        La voisine de la maison d’en face a ouvert sa fenêtre. On ne la connaît pas bien. Elle a proposé de faire les courses. Pour le cas où.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.
-        Le téléphone a sonné. C’est un ami. Il n’a rien à raconter. Rien à demander. Il appelle juste pour dire son amitié.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de temps.
-        La cantine a fermé. Tous les emplois ne peuvent pas se faire en télétravail. Qu’est-ce qu’on va manger ce midi ? Il y a cette collègue qui a apporté un repas froid. Pour 3.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.
Docteur, il l’est depuis peu. Il est jeune et déjà surchargé. Il parle, trouve les mots du réconfort et prend sur son temps pour expliquer et rassurer.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de temps.
-        L’employée de la maison de retraite a fini par décrocher. Excusez-nous. On a beaucoup à faire. Est-ce que ça va ma maman ? Oui, Madame, ça va aller. Soyez tranquille ; on s’occupe bien d’elle.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de temps.
-        Zut la priorité à droite. L’automobiliste s’est arrêté. Il a fait un gentil signe de la main. A un autre moment, il aurait klaxonné ou hurlé des noms d’oiseaux.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de temps.

Pour cette voisine, cet ami, ce médecin, cette collègue, cette employée, cet inconnu, pour tous ceux là, Seigneur, je te prie.
            Pour celui aussi qui a peur, colporte ignorance et bêtise, choisit le pour soi plutôt que le pour autrui, pour celui là que je suis parfois, Seigneur, je te prie.
En ces jours si lourds, donne nous un esprit de sagesse, dirige et sanctifie chacun d’entre nous dans ses actions, fais nous garder, en pensée, en parole et par action, la promesse éternelle de ton Fils, notre Seigneur, mort et ressuscité. Amen
                      
Que le Seigneur vous bénisse et vous garde

        

mardi 17 mars 2020

Lettre pastorale du 18 - 20 mars 2020 (le confinement et ses exigences)


Chères sœurs, chers frères, en Christ

         Le confinement décidé par le Président de la République Française, en ramenant à son minimum notre liberté de circuler, nous impose de ne pas nous rencontrer pour nos cultes dominicaux, études bibliques, catéchisme, atelier du samedi... Il nous est ainsi fait obligation de suspendre pour un temps notre vie ecclésiastique – du moins sa partie publique. Pour autant, la vie spirituelle ne s’arrête pas, ni celle qui nous est personnelle, ni celle de notre Église. Nous demeurons et demeurerons constants et unis dans la prière, constants et unis dans la méditation, et soucieux les uns des autres.
            Nous aurons aussi une pensée pour celles et ceux qui rendent possible, par leur engagement professionnel, cette mise à l’abri du plus grand nombre. Nous penserons aussi à celles et ceux qui accompagnent, soulagent et soignent celles et ceux que la maladie frappe.
              La vie de notre Église se poursuit donc.

            Si vous n’avez pas pu, ou pas voulu, vous rendre au culte du dimanche 15 mars, le sermon prêché ce jour-là a été mis en ligne et augmenté d’une réflexion sur l’évangile de Jean et le concret de la foi. Pour tous les dimanches qui viennent, même si le culte public ne peut avoir lieu, un texte de sermon sera mis à votre disposition. Vous êtes déjà sur le bon site, n'hésitez pas à vous reconnecter dans les jours qui viennent.

            La vie matérielle de notre Église ne s’arrête pas non plus. Avec la mise à l’arrêt de notre vie cultuelle publique, c’est aussi une part d’offrande qui cesse de parvenir à notre Trésorier… Lorsque nous pourrons revenir au culte, il faudra ne pas oublier les offrandes liturgiques qui n’auront pas pu avoir lieu et les compenser par un effort particulier. Mais peut-être aussi ce temps est-il l’occasion pour vous de contribuer, en ligne, à la vie financière de l’Église. Rendez-vous donc à l’adresse ci-dessous, et laissez-vous guider. L’argent que vous offrirez ainsi reviendra intégralement à notre paroisse et donnera lieu aux mêmes avantages fiscaux que vos autres dons nominatifs.

https://www.eglise-protestante-unie.fr/vincennes-montreuil-p71320

            Dimanche dernier (15 mars), j’ai prêché sur l’expression en esprit et en vérité, une expression que l’on trouve dans le 4ème chapitre de l’évangile de Jean. La signification qui vous a été proposée est appropriée à notre situation présente : la liberté et la créativité propres aux humains, qui sont bien présentes et honorées dans notre société, viennent buter sur le tragique de l’existence et faire l’expérience de leur impuissance.
            Que faire alors dans cette situation ? Porter les uns sur les autres un regard soupçonneux ? En venir aux mains pour des produits d’hygiène élémentaire ? Plutôt continuer de vivre, en société comme dans l’Église, en esprit et en vérité.

            En vue du prochain dimanche, un texte est déjà en préparation : Dieu cherche des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité.

          Chères sœurs, chers frères, tout en partageant avec vous le souci et l’espérance, je veux partager ma joie. Je suis depuis dix jours maintenant l’heureux grand-père d’un petit Pierre-Alexandre Dietz, premier de mes petits enfants, né à Vienne, en Autriche.


               Que le Seigneur vous bénisse et vous garde.


Pasteur Jean DIETZ
Eglise protestante Unie de France
Vincennes - Montreuil

dimanche 15 mars 2020

En esprit et en vérité. En somme, concrètement (Jean 4,16-26)

 

L’évangile de Jean, ça commence très haut, très loin, très fort : « Au commencement était le Verbe » (Le Verbe, ou la Parole, peu importe, car ce qui compte, c’est au commencement, au début et au principe de toute chose). Mais les commencements, et celui-là est un commencement comme un autre, finissent dès qu’ils ont commencé. Autrement dit, le commencement importe assez peu. Ce qui va compter par-dessus tout dans l’évangile de Jean, c’est que le verbe s’est fait chair (Jean 1,14). D’aucuns traduisent par « la Parole est devenue un homme » ; pourquoi pas… manière de dire qu’en un homme et un homme seulement, par un homme et un homme seulement, Jésus Christ, le Verbe a pu être fait chair, c'est-à-dire concrétude, pratique, humanité. Et que conséquemment, le Verbe a cessé d’être très haut, très loin et très fort. Dieu n’a jamais été moins Dieu qu’en Jésus Christ. Et ce que nous apprenons dans l’évangile de Jean superlativement, c’est que les humains n’ont pas du tout, mais alors pas du tout du tout, envie d’un Dieu qui ne soit pas Dieu mais qui soit homme, parole et agir humains. Les humains ont envie d’un Dieu qui soit Dieu  pour être Dieu avec lui, et même, d’ailleurs, le plus souvent pour être Dieu à la place de Dieu.
Et il semble finalement que l’évangile de Jean est le texte d’un ou plusieurs auteurs qui ont pris conscience – pour y avoir assisté, peut-être pour en être rescapés – que penser être ou avoir été initié à des mystères  supérieurs, à l’ultime connaissance de Dieu, de sa nature et de son dessein, est une pensée toxique. Une telle pensée intoxique la conscience de soi en la faisant se boursoufler, en la faisant se complaire en elle-même. Une pensée qui intoxique aussi les relations entre les humains.
Dans ce sens, et face à cette menace, l’évangile de Jean est le plus concret des quatre évangiles. Pas un mot, pas un phrase, qui n’appelle la question : « Concrètement, que signifie cela ? », et qui, le plus souvent, n’apporte une réponse concrète.
Adorer Dieu en esprit et en vérité (Jean 4). Qu’est-ce que ça signifie ? Nous le développons ci-dessous, dans un sermon. Après ce sermon vient un post scriptum, sur une actualité ecclésiastique récemment vécue.
Jean 4 :

16 Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari et reviens ici.»
17 La femme lui répondit: «Je n'ai pas de mari.» Jésus lui dit: «Tu dis bien: ‹Je n'ai pas de mari›;
18 tu en as eu cinq et l'homme que tu as maintenant n'est pas ton mari. En cela tu as dit vrai.»
19 - «Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer.»
21 Jésus lui dit: «Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité.»
25 La femme lui dit: «Je sais qu'un Messie doit venir - celui qu'on appelle Christ. Lorsqu'il viendra, il nous annoncera toutes choses.
26 Jésus lui dit: «Je le suis, moi qui te parle.» 
Prédication :

            Pour des raisons que nous n’allons pas évoquer ce matin, Jésus dut quitter la Judée et se retirer en Galilée. Le trajet qu’il avait à faire passait nécessairement par la Samarie. Les Juifs (qu’ils soient Galiléens ou Judéens), regardaient les Samaritains comme des relapses et des impurs. Nous n’allons pas raconter ce matin non plus l’histoire du schisme samaritain.
            Il nous suffit de repérer que, sans doute très tôt dans la toute jeune histoire des communautés chrétiennes, une mission d’évangélisation a été diligentée en Samarie, ce que nous retrouvons dans le texte que nous lisons : Jésus lui-même y est allé, et il est à l’origine des premières conversions de Samaritains.
            Et puis, le fait que le titre de Sauveur du monde lui soit donné en Samarie va très bien avec l’idée d’une mission assumée, jusqu’au bout du monde – évidemment – sachant que le bout du monde, pour certains, ça ne va même pas jusqu’au village d’à-côté.

            De quelle manière ces cousins, ces frères ennemis, que sont les Juifs et les Samaritains… de quelle manière peuvent-ils être au bénéfice du même salut, prêché par le même homme, reconnu comme Christ par les uns comme par les autres ? Interroger la manière, c’est interroger les formes du culte et, parmi les formes du culte, en particulier, le lieu où ce culte se pratique. Jérusalem, où il y a le Temple, ou Mont Garizim, où il y a un autre Temple ? Le culte à celui qui est l’unique Sauveur du monde doit-il être célébré en un unique lieu et d’une manière unique ? Si la question se posait avec une telle acuité entre ces plus proches voisins qu’étaient les Juifs et les Samaritains, nous pouvons imaginer ce qui allait se produire lorsque des ethnies, des sensibilités et des langues, des histoires, et des contextes… différents allaient se tourner vers un unique Messie...

            La réponse de Jean l’évangéliste, réponse de Jésus à la Samaritaine… là où il faut, dans l’ancien testament, des dizaines de chapitres pour mettre en place le culte unifié d’un pourtant très petit peuple, il faut à peine plus de trois mots à Jésus – miracle de concision : en esprit et en vérité.
            Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Pour illustrer "en esprit", voici un verset de l’évangile de Jean : « L’esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’esprit » (Jean 3,8). Il y a là un principe d’inspiration, qui est aussi un principe de liberté, une liberté qui ne cherche pas nécessairement à rendre compte d’elle-même. S’agissant du culte, cela va signifier que tout n’est pas, tout ne doit pas être, par nécessité, figé et démontrable.
Pour illustrer "en vérité", et toujours dans l’évangile de Jean, pensons à l’échange dramatique entre Jésus et Pilate : Pilate lui dit : " Donc tu es roi ? " Jésus répondit : " Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. " Pilate lui dit : Qu 'est-ce que la vérité ? Après avoir dit cela, Pilate sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui (Jean 18,37-38). S’agissant encore du culte, dire qu’il a lieu "en vérité" indique la condition tragique de ceux qui prient, c'est-à-dire tout à la fois leur engagement et leur impuissance. Pilate ne trouve aucun crime en Jésus – et comment trouverait-on un seul crime en celui qui est le Verbe fait chair ? – et pourtant, il va non pas mourir – ce qui est notre lot à tous – mais il va être traité comme le dernier des derniers des malfaiteurs…

Ainsi en est-il du culte en esprit et en vérité : il éprouve tout à la fois l’invincible liberté de ceux que l’esprit féconde et la condition tragique de l’impuissante chair.
           Est-ce bien ainsi que nous tâchons de rendre notre culte à Dieu ? C’est une question critique… Oui ? Et bien nous pouvons reconnaître en d’autres des sœurs et des frères, même s’ils prient tout autrement que nous, même si la forme de leur prière nous est totalement incompréhensible, et même s’ils ne prient pas…
            Amen
Post scriptum


L’histoire récente de notre Église (Vincennes, mais au-delà de Vincennes des situations similaires se sont produites aussi) est constituée de bonnes et de moins bonnes nouvelles, de nouvelles joyeuses et de tristes nouvelles. Certains de nôtres nous sont enlevés par la mort, quand certains aussi des nôtres mettent des enfants au monde.
Parmi ceux qui meurent, il en est avec lesquels nous avons vécu d’importantes expériences de croyants, des expériences bénies et fécondes, au-delà de ce que nous aurions pu imaginer, et dans un engagement de concret de nos forces. C’est à ce genre d’expériences que nous pouvons donner le nom d’adoration en esprit. Mais lorsque quelqu’un meurt, il appartient à sa famille de décider s’il y aura, ou pas, des funérailles ecclésiastiques. Certaines familles donc, font appel à nous, et d’autres pas. Nous ne sommes personne pour imposer qu’il y ait un service religieux. Telle est notre position, telle est la vérité, telle est notre impuissance. Adorer Dieu en se sachant ainsi impuissant, c’est l’adorer en vérité.
Adorer Dieu en esprit et en vérité, telle est la perspective de toute vie chrétienne. C’est une perspective tout à fait concrète.

dimanche 8 mars 2020

Brève rencontre au bord de la piscine (Jean 5,1-9)

Une très très improbable rencontre...

Jean 5,1-9
1 Après cela, il y eut une fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem.
2 Or, à Jérusalem, près de la porte des brebis, il y a une piscine qui s'appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques.
3 Sous ces portiques étaient couchés en grand nombre des malades, des aveugles, des boiteux, des paralytiques, qui attendaient le mouvement de l'eau;
4 car un ange descendait de temps en temps dans la piscine, et agitait l'eau; et celui qui y descendait le premier après que l'eau avait été agitée était guéri, quelle que fût sa maladie.
5 Là se trouvait un homme malade depuis trente -huit ans.
6 Jésus, l 'ayant vu couché, et sachant qu 'il était malade depuis longtemps, lui dit: Veux-tu être guéri ?
7 Le malade lui répondit: Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine quand l'eau est agitée, et, pendant que j'y vais, un autre descend avant moi.
8 Lève-toi, lui dit Jésus, prends ton lit, et marche.
9 Aussitôt cet homme fut guéri; il prit son lit, et marcha.
Prédication :
            Comment allons-nous comprendre ce texte ? Premièrement nous allons nous réjouir de ce que cet homme, après une longue vie de handicap et d’infirmité, après aussi une brève rencontre avec Jésus, soit reparti debout sur ses deux jambes et, pour le dire tout simplement, guéri. Si nous ne sommes pas capables de nous réjouir de cela, nous pouvons cesser de lire – et d’écouter – tourner la page et passer à autre chose.
            Mais comme nous avons choisi de rester encore un peu de temps liés à ce texte, nous allons en approfondir la composition et l’interprétation, car il y a là plus qu’un récit de guérison. Il y a aussi une méditation profonde sur la maladie, le handicap, la faiblesse, une méditation sur le ministère d’accompagnement du handicap, une méditation sur l’action de Dieu.
            Nous allons donner deux lectures de ce texte.

            Première lecture. Il y a cette piscine, et, autour de la piscine, toute une foule d’infirmes de toutes sortes, ainsi que tous ceux qui les accompagnent. Ils attendent. Qu’attendent-ils ? Que l’ange du Seigneur descende et que l’eau se mette à bouillonner. Alors ils sont tous là, comme des coureurs dans les starting-blocks. Ils attendent le top départ, la descente de l’ange du Seigneur, les premières ondelettes à la surface de l’eau. Et lorsque cela arrive, c’est la bousculade, la ruée vers l’eau. Ils savent tous bien que le premier dans l’eau sera guéri. Entre les malades, c’est chacun pour soi, et entre les accompagnants des malades, c’est aussi chacun pour soi.
Et voilà ! Il y en a un qui ressort guéri, on repêche les autres, et l’attente recommence. Il en est un au moins pour lequel l’attente dure depuis 38 ans ; 38, ça n’est même pas le chiffre symbolique 40 ; c'est-à-dire que cet  homme est bien là depuis 38 ans. Et plus le temps passe, moins il a de chances d’être guéri ; couché sur son grabat il est de plus en plus faible, et aucun accompagnant, aucun aumônier, ne reste présent à côté d’un malheureux pendant une aussi longue durée.
            Il y a quelque chose de profondément grotesque dans la description de la piscine de Bethesda. D’abord son côté cour des miracles, ensuite le sprint des handicapés vers la piscine, puis la récupération dans l’eau de ceux qui n’ont pas été guéris. Ajoutons à cela que seuls les plus récemment arrivés ont des chances de s’en sortir : plus rapides que les autres... A moins que les places en bordure de piscine soient chèrement défendues par ceux qui les occupent. Ajoutons encore que tous étant tendus vers l’apparition de petites vaguelettes, il doit arriver des moments de confusion où tous se jettent à l’eau alors qu’il ne s’agit que d’une petite brise et que l’ange du Seigneur est resté là-haut...

            Que dire ? Dernier arrivé, premier guéri ? Et cette guérison, plus tu en as besoin et moins elle risque de t’échoir ! Cette forme de piété autour des piscines existe, elle a probablement existé de tous temps. Zola en a donné une description saisissante dans son roman Lourdes (1898).

          Que dire encore ? Au bord des piscines, la prudence pastorale empêche de promettre qu’un miracle aura lieu. Et il peut y avoir là authentique fraternité qui peut être vécue comme une sorte de bain de jouvence. Tant il est vrai que l’efficacité clinique d’une fraternité vécue peut ne rien devoir à une intervention du Très-Haut. 
            Voici une seconde lecture, avec le même point de départ que la première (mais pas exactement la même traduction du texte) : une foule de miséreux, de pauvres gens, est là autour de la piscine. Ce qui les caractérise tous, c’est qu’ils sont "sans-force", incapables de se mouvoir, ou incapable de trouver par eux-mêmes la direction du bord de l’eau : aveugles, estropiés, impotents. Il y a avec ces gens d’autres gens, amis ou famille pour les nourrir, et sans doute aussi des préposés attachés au lieu, et qui, l’un après l’autre, conduisent les "sans-forces" à la piscine et les soulagent par un bain d’eau.
Dans cette autre lecture, l’ange ne descend pas du ciel avec tambour et trompette ; l’ange du ciel est discret, si discret qu’on ne le remarque pas, à peine une imperceptible discrète brise… et juste, de temps en temps, l’un des patients sort guéri de la piscine. Et là ça n’est pas la descente de l’ange qui signale la guérison du premier dans l’eau, mais la guérison d’un patient qui signale que l’ange vient de passer.
Rien de grotesque alors dans cette scène. Juste l’attente, l’infinie patience, et, d’une certaine manière, l’espérance, une forme collective d’espérance, car tous peuvent à égalité attendre une guérison. Et tous ceux qui s’engagent au service de ces pauvres gens peuvent les servir à égalité, sans préférence et sans rien supputer.

Qu’il s’agisse de la première ou de la deuxième lecture, rien ne change semble-t-il lorsque nous poursuivons la lecture : c’est une expérience de fraternité qui commence lorsque Jésus passe par là.
L’homme est là, grabataire, c'est-à-dire incapable de quitter sa couche par ses propres forces. Apprenant que c’est depuis 38 ans, Jésus lui demande… mais qu’est-ce que Jésus lui demande ? La situation n’est-elle pas évidente ? Et que pourrait-il vouloir, cet homme, d’autre qu’être guéri ? « Veux-tu être guéri ? », c’est apparemment ce que Jésus demande à l’homme, interrogeant tout en même temps la volonté et l’état de cet homme. Sauf que ça n’est pas le vocabulaire médical de la guérison que Jésus emploie, mais celui, plus subtil, du rapport personnel à la santé.
Bien entendu, il y a une préférence pour la bonne santé… et la banalité de nos vœux de bonne année le dit bien : « …surtout la santé ! » Mais faute de santé, que dire ? On ne peut pas souhaiter « bonne santé » à quelqu’un qu’on sait malade. On sait que certaines personnes, malades, ont un rapport assez sain à leur propre santé. Alors comment exprime-t-on un rapport sain à une santé chancelante ?
La proposition de Jean l’évangéliste est d’opposer la guérison miraculeuse à la maladie, comme il oppose une sorte de recouvrement à la faiblesse, comme il oppose le debout au couché… Ainsi peut-on dire de certains malades, même très affaiblis, qu’ils sont debout devant la maladie, qu’ils ne se couchent – qu’ils ne s’inclinent pas, qu’ils ne capitulent pas – devant elle.
La question que Jésus pose à l’homme sans forces, grabataire depuis 38 ans est celle-ci : « Veux-tu te redresser ? » Jésus s’adresse ainsi à cet homme comme si cet homme avait capitulé. La réponse de l’homme semble attester cette capitulation, puisqu’il répond qu’il n’a personne pour le jeter dans la piscine au bon moment… mais en même temps qu’il fait cette réponse, l’homme déclare qu’il lui faut un certain temps pour descendre – et l’on entend là par ses propres forces. C’est donc que des forces lui restent.
Et ce que lui suggère Jésus – osons dire tout simplement – mais encore faut-il être capable de le faire à propos, c'est-à-dire, au moins, après avoir bien écouté cet homme et bien entendu ce qu’il dit – Jésus lui suggère que les forces dont il dispose pour aller lui-même dans la piscine peuvent être employées pour se mouvoir… car il, cet homme faible, n’a pas aussi peu de force qu’il semble lui-même le croire.

Alors ? Alors la suite, et le reste, relèvent de ce que nous pouvons appeler un raccourci biblique. Ce qui prend deux-répliques-un-verset dans la Bible et lorsqu’il s’agit de Jésus, peut prendre un peu plus de temps dans la vraie vie.
Ce qui signifie que les témoins – et accompagnateurs – que les croyants sont appelés à être doivent être prêts à œuvrer un certain temps, un très long temps, avant que, l’ange intervenant tout à son heure, ils voient peut-être paraître comme un fruit de leur accompagnement… et encore ce fruit ne sera-t-il pas fruit de leurs œuvres.
Il en est ainsi, disons-le avec joie autant qu’avec patience, de l’action de Dieu dans les vies humaines.
Que le Seigneur nous fasse grâce. Amen