samedi 27 août 2022

Jésus, de l'obligation à la liberté (Luc 14,1-14)

Nous revoici, cette semaine seulement à l'écrit.
Les vidéos seront de retour la semaine prochaine.
Merci pour votre patience.

Luc 14

1 Or Jésus était entré dans la maison d'un chef des Pharisiens un jour de sabbat pour y prendre un repas; ils l'observaient,

 2 et justement un hydropique se trouvait devant lui.

 3 Jésus prit la parole et dit aux légistes et aux Pharisiens: «Est-il permis ou non de guérir un malade le jour du sabbat?»

 4 Mais ils gardèrent le silence. Alors Jésus, prenant le malade, le guérit et le renvoya.

 5 Puis il leur dit: «Lequel d'entre vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne le hissera pas aussitôt, en plein jour de sabbat?»

 6 Et ils ne purent rien répondre à cela.

 7 Jésus dit aux invités une parabole, parce qu'il remarquait qu'ils choisissaient les premières places; il leur dit:

 8 «Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, de peur qu'on ait invité quelqu'un de plus important que toi,

 9 et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire: ‹Cède-lui la place›; alors tu irais tout confus prendre la dernière place.

 10 Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise: ‹Mon ami, avance plus haut.› Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi.

 11 Car tout homme qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé.»

 12 Il dit aussi à celui qui l'avait invité: «Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, sinon eux aussi t'inviteront en retour, et cela te sera rendu.

 13 Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles,

 14 et tu seras heureux parce qu'ils n'ont pas de quoi te rendre: en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes.»

Prédication : 

            Épier. Jésus entra un jour de sabbat dans la maison d’un chef des Pharisiens pour prendre un repas, et on l’épiait. Épier, cela signifie observer les paroles, faits et gestes des gens, en prêtant attention uniquement à ce qu’ils devraient faire et ne font pas, à ce qu’ils ne devraient pas faire et que pourtant il font, tout cela dans le but de leur nuire.

            Nous savons que, s’agissant de Jésus et des Pharisiens, et un jour de sabbat, ce à quoi les gens vont s’intéresser, c’est le respect du sabbat. Il y a là un interdit essentiel pour les Pharisiens : ne rien faire ce jour-là. Mais ne rien faire, cela inclut-il guérir ? Mais s’il y a une urgence vitale pour un enfant ? Et s’il y a une urgence vitale pour une vache ? C’est l’intransigeance des Pharisiens contre la générosité audacieuse de Jésus…

            Il se trouve là un hydropique, un homme au corps tout enflé de fluides, fait unique dans toute la Bible, que Jésus, jour de sabbat, va guérir. Et ça n’est certainement pas par hasard que le malade de ce jour-là est un hydropique, tout gonflé, tout enflé… comme le seraient, au sens figuré, les Pharisiens, enflés, gonflés, affligés d’enflure, certains de leur considérable importance et de son bien fondé.

            Si Jésus guérit ce pauvre homme, y a-t-il quelque chose qui pourrait guérir les Pharisiens de la maladie grave de leur propre importance ? Jésus le pourrait-il ?

            La réponse, réponse de notre foi, réponse pour notre temps, est positive… elle ne peut être que positive. Mais pouvons-nous donner une méthode, ou une recette ?

           

            Épier, c’est le verbe que nous venons de méditer… si nous épions quelqu’un, c’est que nous considérons qu’il nous doit quelque chose ; Jésus doit aux Pharisiens, nous le repérons bien, de respecter le sabbat selon ce qu’ils – les Pharisiens – en disent… et le sabbat est pour eux un catalogue d’obligations.

            Face à ce catalogue d’obligations Jésus propose une parabole. Nous allons suggérer tout de suite que si notre méditation de cette parabole oppose à un catalogue d’obligations un autre catalogue d’obligations, nous aurons échoué…

            En face du verbe épier, Jésus propose le verbe inviter : inviter apparaît dix fois en sept versets.

            Pour tâcher de comprendre toutes ensemble ces répétitions, considérons un invité qui, sûr de sa propre importance, s’installe au premier rang. Or – point de vue de l’invitant – un autre est plus important que le premier… le premier est renvoyé au dernier rang, honte publique sur lui. Tellement que lui, et évidemment tous les autres, s’installeront désormais toujours au dernier rang afin d’être distingués par un appel de l’invitant… Se bousculer ainsi  pour être au dernier rang, ou se bousculer pour être au premier rang, quelle différence ? Aucune ? Et pourtant, d’une manière très claire, Jésus annonce « … au contraire, va te mettre à la dernière place, afin qu’à son arrivée, celui qui t’a invité te dise : "Mon ami, avance plus haut" alors ce sera pour toi un honneur… » Mais cette chose-là, ce afin que, est-ce que  ça marche à tous les coups ? Cette ruse, aller sciemment se mettre au fond dans le but d’être spécialement distingué, est-ce que ça fonctionne ? Si cela fonctionnait, l’enseignement de Jésus sur ce sujet serait à peine une sagesse, et pas du tout une parabole. Or, il est bien écrit que c’en est une. Et nous devons abandonner cette idée d’un placement rusé qui fait qu’on vous distingue...

 

            Nous l’avons déjà suggéré, se mettre au premier rang, ou se mettre au dernier rang, si c’est en ne changeant rien à la disposition du cœur, c’est exactement la même chose, et cette chose, nous l’avons devinée dès le début, c’est l’hydropisie de la foi,  c’est l’enflure de la personne. Peut-on quelque chose contre cela ?

            Peut-être, disons-nous maintenant, mais nous le disons prudemment, car il ne s’agirait pas qu’en affichant une compétence en matière de dégonflage des gens atteints d’enflure, nous ne nous enflions nous-mêmes. Lisons plutôt…

            Dix répétitions de inviter, et ces répétitions sont accompagnées d’un autre verbe, le verbe rendre, un verbe rendre particulier qui signifie rendre la pareille, rendre la pareille, pas moins, et pas autrement. Nous pouvons traduire cela en disant que Jésus, en entrant un jour de sabbat dans la maison d’un chef des Pharisiens, accepte une invitation qu’il doit rendre immédiatement en n’étant pas moins observant que celui qui le reçoit… et Jésus ne rend pas cette invitation, nous l’avons bien compris. Mais il y a aussi la dimension sociale de ces invitations, familiales ou pas, qu’on accepte et qu’il faut rendre ; revient à mon souvenir une discussion, s’agissant justement d’une invitation, au sujet de laquelle il avait été dit : « On ne va pas accepter, parce qu’on ne pourra jamais rendre… » Les liens contractés avec telle ou telle invitation, les obligations de rendre, entre proches voisins, et entre proches parents, étaient si fortes déjà au temps dont parle Luc que, pour mettre en question ces liens, Jésus suggère à ceux qui lancent des invitations de n’inviter que des gens dont la pauvreté est si avérée qu’elle barre à tout jamais toute perspective de rendre… comme il est écrit, si tu invites ainsi, « cela te sera rendu à la résurrection des justes ».

            Autrement dit celui qui, à la suite de Jésus Christ et dans la foi chrétienne, lance telle ou telle invitation, une invitation qui peut être un repas, qui peut-être aussi une invitation liturgique, une invitation à l’étude, et même une invitation à la promenade… le fait dans une double perspective, les invités ne sont pas solvables (c'est-à-dire qu’ils ne sont pas méritants), et tout peut arriver par eux (ils sont aussi imprévisibles que le Messie), ce qui est l’heureuse et joyeuse perspective de la vie, même si – il le faut bien le reconnaître – une vie menée ainsi n’est pas toujours de tout repos.

             

            Est-ce que nous voulons de cette vie ? Le tableau de cette vie est un tableau difficile. D’un côté, l’obligation qu’on se donne à soi-même, soit disant au nom de Dieu, et qu’on projette avec suffisance sur autrui, de l’autre côté une liberté si extraordinairement complète qu’elle est vertigineuse. Le facile, et le difficile. L’arrogance quelque part, et quelque part aussi le don pur et la pure espérance.

            Où que nous soyons, Lui, il nous invite. Il nous est peut-être difficile de discerner quelle est cette invitation, ce qu’elle attend, ou ce qu’elle exige. L’invitation de notre Seigneur est une véritable invitation. Elle est posée là comme une sorte de balise sur un chemin. Elle est d’une infinie patience. Et elle laisse  parfaitement libre. Elle invite à la liberté. Amen