samedi 24 juillet 2021

Multiplier les pains, ou l'espérance du presque rien (Marc 6,34-44 § 2 Rois 4,42-44)

Marc 6

34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses. 35 Puis, comme il était déjà tard, ses disciples s'approchèrent de lui pour lui dire: «L'endroit est désert et il est déjà tard. 36 Renvoie-les: qu'ils aillent dans les hameaux et les villages des environs s'acheter de quoi manger.» 37 Mais il leur répondit: «Donnez-leur vous-mêmes à manger.» Ils lui disent: «Nous faut-il aller acheter pour deux cents pièces d'argent de pains et leur donner à manger?» 38 Il leur dit: «Combien avez-vous de pains? Allez voir!» Ayant vérifié, ils disent: «Cinq, et deux poissons.» 39 Et il leur commanda d'installer tout le monde par groupes sur l'herbe verte. 40 Ils s'étendirent par rangées de cent et de cinquante. 41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et levant son regard vers le ciel, il prononça la bénédiction, rompit les pains et il les donnait aux disciples pour qu'ils les offrent aux gens. Il partagea aussi les deux poissons entre tous. 42 Ils mangèrent tous et furent rassasiés. 43 Et l'on emporta les morceaux, qui remplissaient douze paniers, et aussi ce qui restait des poissons. 44 Ceux qui avaient mangé les pains étaient cinq mille hommes. 

2 Rois 4

42 Un homme vint de Baal-Shalisha et apporta à l'homme de Dieu du pain de prémices: vingt pains d'orge et de blé nouveau dans un sac. Elisée dit: «Distribue-les aux gens et qu'ils mangent!»  43 Son serviteur répondit: «Comment pourrais-je en distribuer à cent personnes?» Il dit: «Distribue-les aux gens et qu'ils mangent! Ainsi parle le SEIGNEUR: ‹On mangera et il y aura des restes.› »  44 Le serviteur fit la distribution en présence des gens; ils mangèrent et il y eut des restes selon la parole du SEIGNEUR.

Prédication

            Comme vous l’avez entendu, Élisée, un jour multiplia des pains. Ces pains venaient d’un endroit que nous ne savons pas localiser, mais son nom est assez facile à comprendre, il signifie Trois-Baal, ou Trois fois Baal. Que ce nom de lieu porte le nom de Baal indique d’emblée que l’homme aux pains venait de l’étranger, ou, plus probablement, que le culte de l’Éternel ne s’était pas imposé partout en Israël. Les cultes cananéens anciens y ont toujours plus ou moins subsisté, avec plus ou moins d’influence, selon les lieux, et selon les souverains ; selon les souverains aussi et leur politique étrangère, des cultes étrangers ont pu aussi apparaître en Israël. Trois-Baal est sans doute une sorte de nom générique des lieux d’absolues corruption et perdition. Pourtant, un homme sort de ce lieu, décidé à obéir au commandement de l’offrande des prémices à l’Éternel, cet homme est le premier personnage de cette histoire en trois versets. Ce que fait cet homme signifie que même dans des lieux totalement corrompus, il demeure un tout petit nombre de personnes, ici un seul homme, pour être fidèle à l’Éternel.

            Et c’est ainsi que des pains – les premiers pains de la saison – furent apportés à l’homme de Dieu. Il y avait 20 pains d’orge et de blé nouveau, et il y avait 100 personnes. Dans le calcul que nous faisons pour savoir comment partager équitablement ces pains, nous ne devons pas oublier que les pains de ces pays-là ne sont pas nos bons gros pain dodus et rebondis, mais plutôt des sortes de galettes… et que partagés chacun en cinq morceaux, ça ne fait pas vraiment grand-chose pour chacun. Mais la satiété n’est pas ce qui intéresse l’auteur de ces versets ; il est indiqué que les gens qui étaient assemblés autour de la maison de l’homme de Dieu mangèrent et qu’il y eut des restes. Ce qui intéresse notre auteur, c’est les restes

            Plus encore que les restes… il n’est pas écrit qu’il y eut des restes, il n’est pas écrit qu’il y eut du pain dans les paniers et dans les sacs. Il est écrit qu’il resta – un verbe – et non pas des restes. Rester est donc un verbe. Et avec rester qui est un verbe, ce ne sont plus des morceaux de pain qui restent, mais des hommes. Alors, lorsque des hommes restent – dans le sens de ce texte – qu’est-ce que cela signifie ?

            Rester, par exemple, c’est continuer à vivre selon le commandement même si vous êtes seul parmi vos contemporains à le faire. Rester, c’est demeurer plein d’espérance et fidèlement proche du lieu où la Divine Parole s’est fait entendre. Rester, c’est partager ce qui est reçu en don… Et rester c’est rechercher ces dons dont l’abondance est directement liée au partage qu’on en fait...

            Et c’est ainsi que le reste engendre le reste dans cette petite histoire en 3 versets, c’est ainsi que rester appelle à rester… 

            Ce récit de multiplication des pains a dû inspirer les auteurs des évangiles, Marc le premier. Et le récit de Marc est vraiment très proche, presque décalqué sur celui de 2 Rois. Anonymat du donneur, puissance de l’homme de Dieu – avec ou sans invocation, question de style ou d’époque – totale disproportion entre la nourriture disponible et l’effectif des convives, et restes dans les deux cas. Comme nous l’avons dit déjà, le reste engendre le reste, et rester appelle à rester.

            Mais il y a tout de même des différences notables, que nous allons tâcher de repérer et de commenter.

            Dans l’évangile de Marc, c’est une foule qui est rassemblée. Le mot utilisé pour parler de cette foule est chargé d’une menace de chaos ; d’une menace de violence, les foules étant versatiles. D’autant que cette foule-là est composée de gens qui sont « comme des brebis sans bergers ». C’est même une très grande foule, 5000, autant dire infini – vous voyez des silhouettes jusqu’à l’horizon.

            Et cette foule se rassemble quelque part, un lieu sans nom qui n’est la maison de personne. Manière de signifier que c’est partout que cela se passe, ou que cela peut se passer.

            Les pains et les poissons viennent de nulle part. Il est clair que quelqu’un les a achetés, mais ils sont simplement là, quelque part dans le paquetage de tel ou tel disciple. Ce qui nous suggèrera que le reste initial de ce qui est donné peut venir de partout. Et plus encore, si peu que quelqu’un ait, et qu’il aurait fait projet de donner, ou pas, cela peut servir à l’édification temporaire d’une communauté. Mais on retiendra surtout que ce presque rien, voire ce rien initial qui peut jaillir de partout, permet en tout lieu à toute espérance communautaire de prendre au moins temporairement une consistance fraternelle concrète.

            En somme donc, avec le presque rien des restes initiaux, et avec le quasi infini de la foule, l’évangile de Marc dit l’universelle possibilité d’une communauté fraternelle féconde... sous réserve que cette communauté soit conduite par un berger.

            Nous n’avons pas parlé beaucoup de l’Homme de Dieu Élisée, ni du Berger Jésus.           

            D’abord, nous n’allons pas faire la moue devant cet incroyable catéchisme et repas que la providence ordonne par Élisée et par Jésus. Bénis soient-ils, et heureux sommes-nous !

            Mais ni Élisée ni Jésus ne vont être présents en permanence pour éviter aux serviteurs et aux disciples toutes sortes de dérapages ; ils ne seront pas toujours là non plus pour multiplier les pains afin de nourrir la terre entière.   

            Alors une fois que les repas spirituels qui nous ont été donnés nous auront rassurés et instruits, nous ne serons pas tout à fait impuissants ni démunis devant certains fléaux. L’espérance au nom de l’Éternel par laquelle nous sommes nourris nourrit notre espérance, et appelle notre engagement : il faut savoir être celui qui n’apporte que quelques miettes.

            Nombreux étaient les convives de la multiplication des pains, et ils n’avaient rien apporté. Trois étaient les femmes au tombeau qui n’apportèrent rien au témoignage de la résurrection, puisqu’elles se turent à jamais. Et c’est à partir de ce rien-là, apporté par on ne sait qui, que fut prêchée, Dieu voulant, l’espérance qui nous nourrit encore aujourd’hui. De ce reste nous vivons, et de ce reste nous restons.


Ce blog, par lequel vous sont offertes les versions texte de sermons prononcer par ailleurs, va prendre un peu de repos. Nous nous retrouverons à partir du 5 septembre. Merci de votre compréhension et de votre fidélité.

samedi 17 juillet 2021

Choisir un berger sans se méprendre (Marc 6:30-34, avec Jérémie 23:1-6)

 Jérémie 23

1 Malheur! Des pasteurs qui laissent dépérir à l'abandon le troupeau de mon pâturage - oracle du SEIGNEUR! 2 Eh bien! ainsi parle le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, au sujet des pasteurs qui font paître mon peuple: C'est vous qui avez laissé à l'abandon mon troupeau, l'avez dispersé; vous ne vous en êtes pas occupés. Or moi, je vais m'occuper de vous en punissant vos agissements pervers - oracle du SEIGNEUR . 3 Moi, je rassemble ceux qui restent de mon troupeau, de tous les pays où je les ai dispersés, et je les ramène dans leurs enclos où ils proliféreront abondamment. 4 J'établirai sur eux des pasteurs qui les feront paître; ils n'auront plus peur, ils ne seront plus accablés, plus aucun d'eux ne manquera à l'appel - oracle du SEIGNEUR. 5 Des jours viennent - oracle du SEIGNEUR - , où je susciterai pour David un rejeton légitime: Un roi règne avec compétence, il défend le droit et la justice dans le pays. 6 En son temps, Juda est sauvée, Israël habite en sécurité. Voici le nom dont on le nomme: «Le SEIGNEUR, c'est lui notre justice.»

Marc 6

30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné. 31 Il leur dit: «Vous autres, venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu.» Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n'avaient pas même le temps de manger. 32 Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l'écart. 33 Les gens les virent s'éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux. 34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.

Prédication

            Jérémie, six siècles avant Jésus Christ, s’exprima, comme nous l’avons lu, avec une certaine violence contre les bergers – les pasteurs – du peuple de Dieu. Motif de cette violence verbale ? Un ennemi surpuissant est aux portes du pays. Que faire ? Se soumettre, payer le tribut et vivre, ou bien lever des armées, conclure des alliances et repousser cet ennemi ? En cas de défaite militaire, mise à sac, massacre, et déportation. Chaque option avait ses partisans, chaque groupe de partisans avait son, ou ses prophètes, c'est-à-dire ses pasteurs, et chacun de ces pasteurs prêchait la victoire pour son propre camp.

            Jérémie était  initialement partisan de la négociation avec l’envahisseur et du paiement du tribut. Il ne fut pas entendu sur ce point ; il dut inventer une autre voie et devint un prophète de l’exil. Nous pouvons appeler Jérémie le pasteur de l’exil. Parole de Dieu par la bouche de Jérémie le prophète : « J’établirai sur eux des pasteurs qui les feront paître, ils n’auront plus peur, ils ne seront plus accablés, plus aucun d’eux ne manquera à l’appel. »

 

            Six siècles plus tard, la question des pasteurs ou bergers se pose aux descendants des Hébreux. Et donc, après la lecture de  quelques versets de l’évangile de Marc, il vient plusieurs questions.

            Jésus, à quoi a-t-il distingué que les gens qui composaient cette foule étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger ?

            Jésus, ayant fait ce premier constat, qu’a-t-il enseigné à ces gens ?

            La semaine dernière déjà, s’agissant de l’envoi en mission des Douze, nous avions vu qu’envoyés par Jésus pour une mission de guérison, ils s’étaient aussi essayé à l’enseignement. Mais quel enseignement, nous ne l’avons pas su. Cette semaine, les apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportent tout ce qu’ils ont fait et tout ce qu’ils ont enseigné, sans qu’on sache quoi. On se dit peut-être que tant que le maître est là l’enseignement des disciples est peu important. Pourtant, l’enseignement du maître ne doit pas être si important : on ne nous en dit rien. Et pourquoi ?

            Plus loin, dans l’évangile de Marc, l’enseignement de Jésus sera transcrit. Il sera transcrit par exemple lorsqu’il s’agira d’enseigner ce que sera le sort du Fils de l’Homme, sa Passion. Son enseignement sera aussi transcrit pendant les derniers jours de sa vie, lorsqu’il enseignera dans le Temple, en lien encore avec la Passion. Et il semble alors que les enseignements de Jésus retenus par Marc soient, d’une manière délibérée, les enseignements en lien direct avec la Passion. Et, conséquemment, tout enseignement qui n’est pas en lien direct avec la Passion est laissé de côté par Marc.

            Laissé de côté, cela ne signifie pas que Jésus n’a pas enseigné sur quantité de choses, cela signifie que Marc, l’auteur du premier évangile, a considéré que le seul enseignement de Jésus, ou le seul message de l’évangile est celui de la Passion de Jésus, c'est-à-dire son engagement extrême, ultime, accepté jusqu’à la mort et dans l’ignorance même de la résurrection.

            Et dans cette perspective, nous pouvons penser que même si Jésus a effectivement enseigné quelque part dans les commencements de l’évangile de Marc, ce qui a été dit aura, pour Marc, été sans importance au regard des choix de vie que Jésus aura effectués.

            En somme, le message de Jésus, son Évangile, n’a pas besoin d’un enseignement magistral et rationnel, mais il a besoin d’un engagement conséquent, pour ne pas dire d’un engagement absolu, celui de la Passion, celui de la Croix.

            (J’ai presque envie d’ajouter qu’il n’existe pas de rationalité évangélique, mais que c’est une phrase bien trop rationnelle pour être dire comme en catimini pendant une prédication… ça serait malhonnête.)

            Ceci étant dit, nous pouvons revenir à notre texte du jour et aux questions qu’il pose. Ces gens, venus en foule…  ont très profondément ému Jésus, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger.

            Nous avons une description de la formation de cette foule. Jésus et ses disciples sont vus, reconnus alors qu’ils partent en barque, quelques-uns dans la foule connaissant le littoral devinent la destination de la barque et de là, la nouvelle circule à une vitesse considérable, puis les gens accourent et s’entassent. Cela évoque la description que Zola donne des bousculades de clientèle féminine dans les grands magasins – Au bonheur des dames. Cela a dû évoquer à Marc les mouvements de panique et d’entassement qui peuvent s’emparer de troupeaux d’ovins, et parfois les conduire nulle part, à leur perte… faute de bon berger.

            Ces gens donc, sont comme des brebis sans berger, compressés, sans rien à boire ni à manger, 5000 hommes. Bien sûr, la rumeur annonce qu’un homme aux pouvoirs considérables va passer par là, ce qui justifie peut-être le déplacement. Mais n’oublions pas que les lecteurs que nous sommes sont infiniment mieux renseignés que la foule. Se risque-t-on ainsi sur la foi d’une rumeur ? Et même si, dans notre récit, nous pensons que tous ces gens savent qui est le Monsieur, il n’en reste pas moins que se déplacer ainsi en foule sur un on-dit ressemble bien au comportement des brebis lorsqu’elles sont sans berger.

            Que ces gens fassent ce voyage – course et bousculade – pour Jésus nous suggère qu’ils peuvent faire ce même voyage pour n’importe qui d’autre et sur la foi de n’importe quelle autre rumeur, et c’est cela qui émeut profondément Jésus.

 

            C’est cela qui nous met sur la voie (une voie possible) de ce qui fut enseigné par Jésus ce jour-là, à ces gens-là. Ce jour-là, Jésus leur enseigna ce qu’il faut savoir pour ne pas se tromper lorsqu’on se choisit un berger.

            Une fois encore, les mots que Jésus a employés dans cet enseignement ne nous ont pas été transmis. Mais nous pouvons, une fois encore, simplement, faire référence à ce qu’il avait dit à ses disciples lorsqu’il les envoya en mission.

            Un berger digne de ce nom ne vous convoque pas en foule dans des lieux déserts, il vient vers vous là où vous vivez, et là il s’adresse à chacun. Un berger vient et s’en va, mais ne s’invite nulle part. Il ne réclame rien à personne. Tout ce qu’il donne, il le donne gratuitement. Aucune hospitalité ne lui est due, ni aucun salaire.

            Et puisque la carrière d’un tel berger est une carrière nomade, son enseignement doit, rapidement, rendre celui qui écoute capable de comprendre à qui il a affaire, et capable ainsi de choisir qui il veut suivre.

            Situation étrange toutefois, puisque nous avons parlé de brebis : la brebis pourra-t-elle jamais accéder à la sagesse nécessaire à ce choix ? Certains bergers diront qu’une brebis est une brebis et reste toujours une brebis, et que pour la durée entière de sa vie elle doit être guidée par un berger qu’elle ne choisit pas et que ce berger sait précisément ce qui est bon pour elle.

            D’autres bergers diront qu’une brebis peut apprendre, devenir suffisamment intelligente pour mener sa propre vie, que si elle choisit un berger, ce ne peut pas être pour parcourir un chemin plus sûr mais un chemin plus beau. Un chemin dont le parcours n’a pas besoin d’être vérifié, ni conforme à telle ordonnance, ni même conforme aux Saintes Écritures, car ce chemin s’invente et doit être découvert chaque jour. Cette existence porte un nom qui n’est pas un nom agricole. Cette existence s’appelle vivre par la foi. Nous sommes appelés à cette existence. Amen


samedi 10 juillet 2021

Le groupe ou l'individu ? La doctrine ou la parole ? (Ephésiens 1,3-14 et Marc 6,7-13)

 

Éphésiens 1

3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ: Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ. 4 Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l'amour. 5 Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ; ainsi l'a voulu sa bienveillance 6 à la louange de sa gloire, et de la grâce dont il nous a comblés en son Bien-aimé: 7 en lui, par son sang, nous sommes délivrés, en lui, nos fautes sont pardonnées, selon la richesse de sa grâce. 8 Dieu nous l'a prodiguée, nous ouvrant à toute sagesse et intelligence. 9 Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même 10 pour mener les temps à leur accomplissement: réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. 11 En lui aussi, nous avons reçu notre part: suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés 12 pour être à la louange de sa gloire ceux qui ont d'avance espéré dans le Christ. 13 En lui, encore, vous avez entendu la parole de vérité, l'Évangile qui vous sauve. En lui, encore, vous avez cru et vous avez été marqués du sceau de l'Esprit promis, l'Esprit Saint, 14 acompte de notre héritage jusqu'à la délivrance finale où nous en prendrons possession, à la louange de sa gloire.

Marc 6

7 Il fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs. 8 Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton: pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture, 9 mais pour chaussures des sandales, «et ne mettez pas deux tuniques». 10 Il leur disait: «Si, quelque part, vous entrez dans une maison, demeurez-y jusqu'à ce que vous quittiez l'endroit. 11 Si une localité ne vous accueille pas et si l'on ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds: ils auront là un témoignage.» 12 Ils partirent et ils proclamèrent qu'il fallait se convertir. 13 Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d'huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient.

Prédication

            Panorama complet de l’Univers avec l’Église au milieu, panorama éternel de l’histoire de l’humanité, avec les membres de l’Église, au milieu, prédestinés, distingués entre tous depuis les origines. Nous avons, avec ces quelques versets de l’épître aux Éphésiens, de quoi nourrir et justifier toute une conception de l’Église. S’il nous prend de vouloir nourrir et justifier bibliquement l’histoire, la structure et le fonctionnement de l’Église qui est la nôtre, nous avons ici tout ce qu’il faut, toute la doctrine qu’il faut.

            Et c’est avec un aplomb considérable que ces choses sont affirmées : choisis, prédestinés avant la fondation du monde, saints et irréprochables sous son regard, connaissant le mystère de sa volonté… L’auteur de l’épître aux Éphésiens y va tout de même assez fort dans le registre de la certitude et de la doctrine. Mais l’Église est-elle fille de la doctrine ?

            Les experts en Nouveau Testament nous disent que l’Épître aux Éphésiens date de 60 ou 61 après Jésus Christ. Et voici que nous sommes en face de divers textes : une génération après la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, des textes de doctrine – Éphésiens comme nous l’avons lu – affirmatifs, massifs, etc., sont déjà produits, et sans doute bien diffusés, alors que les évangiles – de fait Marc le premier – n’existent pas encore. Il faudrait bien entendu considérer que ces deux textes, Marc et Éphésiens, n’ont pas été produits aux mêmes endroits, Rome, ou l’Asie Mineure, mais, dès leur époque, il y a entre eux un contraste considérable, contraste qui sera conservé par leur admission dans le Nouveau Testament. Contraste que nous pouvons résumer en une question assez simple : la fin de l’histoire, l’achèvement du plan de Dieu, est-ce l’advenue de l’Église, ou est-ce l’émergence d’une humanité nouvelle, composée d’humains renouvelés par l’audition et la méditation de la parole de Jésus Christ ? (pour le dire avec des gros mots, l’achèvement du plan de Dieu est-il ontologique et groupal, ou bien éthique et individuel ?).

            Nous avons déjà évoqué la réponse que semble apporter l’épitre aux Éphésiens. Qu’en est-il de l’évangile de Marc ?

         Jésus envoya les Douze, deux par deux, en mission, « leur donnant autorité sur les esprits impurs ». La mission des Douze était ainsi une mission de guérison. Ce qui est de nature à nous surprendre.

            Dans les chapitres précédents de Marc, lorsque Jésus accomplit une guérison, il recommande clairement qu’on n’en parle pas. 

        S’il en était ainsi, si l’on ne parlait jamais des guérisons accomplies par Jésus, le monde transformé par Lui, c'est-à-dire le monde de l’accomplissement de la volonté de Dieu serait un monde d’individus mystérieusement guéris qui ne parleraient jamais à personne de l’aventure de leur guérison. Mais nous ne pouvons pas imaginer un tel monde. En l’imaginant, en l’évoquant, même à demi-mot, nous faisons déjà entorse à ce qu’il doit être. Et puis les gens voient toujours ce qui est arrivé, ils en parlent aussi, et ils parlent aussi de celui par qui c’est arrivé. La renommée du guérisseur – puisqu’ici nous parlons d’un messie guérisseur, se répand ainsi, et Jésus en a fait l’expérience. Il n’a pas pour autant totalement arrêté de guérir.

            Nous pensons que la messianité de Jésus ne serait pas grand-chose s’il n’était qu’un guérisseur. Mais pourtant, il a tout de même envoyé les Douze pour une mission qu’il voulait être une mission de guérison seulement. Cette mission, les Douze l'accomplissent avec un certain succès : "ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient" (Marc 6:13).

            Mission accomplie, donc, mais reste cette interrogation : en faisant des Douze des guérisseurs, que veut faire Jésus, que veut-il faire d’eux ?

            Nous pouvons imaginer que jadis comme aujourd’hui, les gens étaient inquiets pour eux-mêmes et pour les leurs, que la santé n’avait pas de prix, que les missions itinérantes de guérison étaient fréquentes et que leurs services étaient coûteux. Or, en face d’une telle réalité, Jésus envoie des guérisseurs avec ce qui ressemble à une éthique du guérisseur : être pauvre, opérer gratuitement, et laisser les gens libres de vous recevoir, ou de ne pas vous recevoir. C’est intéressant de repérer tout cela. Peut-être d’ailleurs y a-t-il, dans l’intention de Jésus que cette éthique compte au moins autant que la guérison elle-même, si ce n’est plus. La mission de guérison menée par les Douze, qui semble être efficace, doit générer d’elle-même tout ce qu’il faut de tentations pour éprouver une éthique de la gratuité. Alors, Jésus, que veut-il faire des Douze ? Des guérisseurs ? Peut-être, mais peut-être pas ; il veut faire d’eux des hommes habités par un profond esprit de générosité et de gratuité.

            Mais continuons car il y a plus. Car l’obéissance des Douze à l’ordre de Jésus est une obéissance très partielle. Envoyés pour guérir leurs contemporains, ils les guérissent. Mais ils ne se contentent pas de cela. Nous lisons, qu’après avoir reçu leurs ordres de missions, "ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir". Cette prédication de conversion vient même dans le texte (v.13) avant la prédication de guérison (v.14), et surtout elle ne leur a pas été commandée par Jésus. Pourquoi les Douze agissent-ils ainsi ?

            Pour essayer de répondre, souvenons-nous de l’histoire de la guérison d’un paralytique que ses porteurs avaient amené devant Jésus en démontant la toiture d’une maison (Marc 2). Voyant la foi des porteurs, Jésus dit au paralytique « Mon Fils, tes péchés sont pardonnés ». Et voyant la rogne des spectateurs, Jésus leur demanda « Qu’y a-t-il de plus facile de dire au paralysé… ? » Nous revenons à la mission des Douze avec cette question : « Qu’y a-t-il de plus facile à dire vos contemporains ? Convertissez-vous, ou soyez guéris des maladies qui vous tourmentent ?

            Les disciples donc vont au-delà de l’ordre de mission que Jésus leur a donné. Et si nous lisons bien, la prédication de conversion vient avant la prédication de guérison. Qu’y a-t-il de plus facile ? La guérison vérifiable, ou la conversion invérifiable ? La guérison qui va émerveiller et convaincre plein de monde d’adhérer à votre mouvement, ou la conversion qui, souvent discrète, laisse seul celui qui en est saisi et qui la choisit ?

            Comme à l’appui de cette polarité aperçue tout à l’heure, on nous rapporte que ceux qui furent guéris par les prières et les onctions des Douze furent nombreux. Mais de ceux qui furent convertis par leur prédication, nous ne savons rien.

 

            Et bien, à ce moment de l’évangile de Marc, il semble que ce soit le collectif qui l’emporte. De nombreuses personnes sont guéries et, quelques versets plus loin, dans le même chapitre, de nombreuses personnes seront nourries. Mais cela n’est pas du fait d’une doctrine, ou d’un catéchisme, comme nous l’avons vu dans les Éphésiens, ça n’est pas du fait d’un texte normatif, d’un texte reçu, mais d’une parole particulière adressée à chacun – et dont d’ailleurs l’évangile de Marc ne conserve aucune trace.

            De ce qu’ont dit les Douze, nous ne savons rien. De ce que Jésus à enseigné à la foule avant de la nourrir (Marc 6,34), nous ne savons rien. Ce qui fait que, librement, nous pouvons interroger nos âmes sur ce que leur suggèrent la prédication de conversion des Douze, et la multiplication des pains, librement aussi interroger l’épitre aux Éphésiens et sa haute théologie, avec tel et tel texte, la vie et le témoignage que nous entendons donner.    


        

samedi 3 juillet 2021

Devenir un simple prédicateur (Marc 6,1-6)

Marc 6

1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.

2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d'étonnement, de nombreux auditeurs disaient: «D'où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains?  3 N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous?» Et il était pour eux une occasion de chute.  4 Jésus leur disait: «Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison.» 5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.

 6 Et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas. Il parcourait les villages des environs en enseignant.

Prédication

L’évangile qui était, la semaine dernière, proposé à notre lecture et à notre méditation rapportait deux miracles, la résurrection de la fille d’un notable, et le soulagement instantanée d’une femme qui souffrait depuis douze années d’une pénible perte de sang. La femme avait été guérie juste en touchant le manteau de Jésus. Quant à la jeune fille, Jésus l’avait simplement prise par la main en lui disant de se lever.

            Lorsque vos effets personnels deviennent surpuissants et que la plus banale de vos paroles peut réveiller les morts, plus rien ne devrait jamais vous résister.

            Or, Jésus partit de là et se rendit dans sa patrie, c'est-à-dire dans le village où avaient vécu ses pères (Nazareth peut-être), et où vivaient ses collatéraux, village où il était connu, comme nous l’avons lu. Il n’accomplit là que quelques guérisons de routine en imposant les mains, mais s’agissant de manifestations de la divine puissance, de miracles, Jésus ne pouvait rien faire.

            Et nous voici un peu étonnés, car cette impuissance de Jésus signifie qu’il existe sous le ciel quelque chose de plus puissant que la divine puissance, quelque chose qui peut faire que le Fils de Dieu lui-même devienne impuissant. Qu’est-ce à dire ?

            En ce lieu, Jésus est connu. Il est le charpentier, fils d’untel, frère de tels autres. En somme on sait d’où il vient. Mais on ne sait pas d’où lui vient sa sagesse, d’où lui vient la puissance qui s’exerce par ses mains... Jésus est, pour eux, occasion de chute. C’est comme si toute la connaissance disons généalogique qu’on a de lui devait impérativement conduire à ce que son présent et son futur soient connus également. Charpentier, fils et petit-fils de charpentier et assurément père de charpentier. Et tout cela habite pour toujours le paysage très régulier d’une existence villageoise. Alors bien entendu, il peut y avoir des charpentiers instruits, voire des charpentiers rabbins – charpentier, à cette époque, c’est un artisan, c’est notable, ça peut avoir des employés et du temps pour soi. Mais lorsque le charpentier commence à dire, et commence à faire, des choses extraordinaires, dont nul ne sait comment il les fait et d’où il les tient, ça étonne, ça crispe même.

            Il était pour eux occasion de chute. Ce qui signifie qu’ils étaient là, les collatéraux, les cohabitants, scotchés, comme on dit aujourd’hui, mais à comprendre en mauvaise part, c'est-à-dire avec une assez certaine nuance de méfiance, voire de défiance, voire même de rejet. De tout cela Jésus va prendre acte, en rappelant l’adage selon lequel "un prophète n’est méprisé que dans sa patrie…"

            Nous pourrions dire qu’il n’y a rien d’étonnant. On s’en tient à ce qu’est un village, une communauté humaine stable et d’une dimension qui fait qu’il n’y a pas en son sein d’anonymat possible. Et le résultat est celui que nous avons vu : Jésus ne peut faire là aucun miracle. Et tout serait simple, et bien explicité, s’il s’agissait de toute autre activité… mais là, il s’agit de miracles et de la libre – supposément libre – action puissante de Dieu dont nous pensons généralement qu’elle se passe bien de l’avis préalable, du consentement parlé ou muet, éclairé ou pas, de qui que ce soit. Mais le texte est têtu : Jésus "ne put faire là aucun miracle". Nous ne pouvons pas imaginer qu’il n’y ait pas eu là, dans cette communauté, quelques besoins de miracles. Devons-nous alors considérer que la puissance qui habitait Jésus n’était pas si puissante que cela, et donc réduite à la faiblesse, à néant, par obstruction humaine ? Nous avons en tout cas l’occasion de méditer sur cette puissance qui n’est pas toujours au rendez-vous… puissance bien réelle dans le texte mais à laquelle Jésus tournera le dos dans toute la deuxième partie de l’évangile, puissance qu’il rejettera totalement pendant sa passion… Est-ce déjà ce qui se manifeste dans nos versets d’aujourd’hui ? Peut-être.

            Si nous nous souvenons des deux miracles rapportés à la fin du 5ème chapitre de Marc, ces deux femmes dont nous avons parlé, nous voyons se mettre en place des désirs, des volontés, des chemins, des espérances qui tous convergent vers Jésus, qui aspirent à se tenir proche de lui, au contact de lui. C’est en parcourant ces chemins que les humains se rendent disponible à ce qu’ils espèrent de la part de Jésus. Et pour ceux-là, Jésus n’est pas une occasion de chute, Jésus n’est pas un piège qui immobilise. Mais il est, tout au contraire, et dès avant le miracle, un élan, le commencement d’un chemin. Commencement d’un chemin pour qui ?

            Et bien nous lisons que Jésus "s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas". A cet endroit les traducteurs ne nous aident guère. Car il n’est pas écrit que Jésus s’étonnait ; il est écrit qu’il était stupéfait, tout comme sont stupéfaits ceux qui assistent à un miracle, tout comme sont stupéfaits ceux qui ont été épargnés par la maladie ou le danger imminent, et dont la vie va être transformée à cause de ça. Jésus était stupéfait, et l’objet de sa stupéfaction était l’absence de foi, l’étendue de leur absence de foi. Disons que Jésus sait bien qu’un prophète n’est méprisé que dans sa patrie… mais qu’il ne sait pas à quel point, et c’est avec ses compatriotes qu’il le découvre.

            Et cela tout à la fois le touche, et le manque. Cela le manque parce que, dans cet épisode, aucune violence ne lui sera faite, mais cela le touche au point que sa vie va en être marquée.

            Plusieurs marques, la première, il ne put faire aucun miracle, aucun acte de puissance. Nous nous sommes déjà étonnés que, dans ce texte, l’expression de la puissance divine puisse être limitée par une volonté humaine. C’est même presque choquant et ça sera effectivement choquant pour nous si nous voulons imaginer Dieu tout puissant, et son Messie tout puissant… il y a quantité de matériaux bibliques qui vont dans ce sens. Mais nous devons aussi considérer d’autre matériaux, d’autres versets, qui montrent la faiblesse de Dieu, l’invincible amour de Dieu pour son peuple, amour en lequel il est faible. Ici, Marc 6:5, on nous parle du Dieu faible d’un Messie faible, incapable du moindre acte de puissance, alors que, très peu de temps auparavant, il aurait plutôt été le Messie puissant d’un Dieu Tout Puissant… Alors, bien sûr, un Messie puissant aurait bien pu rétablir sa renommée à la manière du prophète Élie (2Rois1:10), en déchaînant le feu du ciel sur certains de ses compatriotes, jusqu’à ce que les survivants s’inclinent. Mais ça n’est pas le choix que Jésus fait.

            Deuxième marque de cet épisode sur la vie de Jésus : ne pouvant faire aucun miracle, Jésus se convertit. Il se convertit à l’enseignement oral itinérant : il parcourut les villages des environs en enseignant. Jésus se convertit à ce que, dans ce contexte, nous pouvons appeler la discipline de la parole faible.

            Et par contraste avec le personnage qu’il était, surhumain et capable d’actes de puissance, il se convertit ici à la simple humanité.

            Messie de puissance et de miracles, il devient un Messie qui parle. Et, disons-le, c’est tant mieux. Le miracle n’est pas réitérable et n’a qu’un seul auteur. Mais l’enseignement – surtout lorsque l’enseignant est consciemment marqué par la faiblesse – n’est la propriété de personne, peut être médité par chacun, et partagé entre tous. Amen