dimanche 31 mai 2020

Pentecôte. Quels sont ces liens qui nous unissent ?

Avec mes excuses pour ce léger retard, voici le texte biblique et la prédication du récent dimanche de Pentecôte.
Luc 2 
1  Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2  Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3  alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4  Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6  A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
7  Déconcertés, émerveillés, ils disaient: "Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8  Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9  Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10  de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Egypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11  tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu."
12  Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: "Qu'est-ce que cela veut dire?"
13  D'autres s'esclaffaient: "Ils sont pleins de vin doux."
14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël :
« 17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes; 18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes. 19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée. 20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux. 21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. »
 22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,
 23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;
 24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.
(…) 36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
37 Le cœur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»
 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.
 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»
Prédication
               Durant ces dernières semaines, tout en méditant sur l’évangile de Jean, nous nous sommes demandé ce qu’allait devenir la communauté des disciples du Fils, une fois qu’il serait définitivement retourné auprès du Père. De plus, aggravation possible de cette première question, nous nous sommes demandés ce qu’il adviendrait lorsqu’aurait soufflé sur ces disciples la puissance promise de l’Esprit. Lorsque chacun a tout Dieu en soi, l’existence d’une communauté est-elle seulement envisageable ? La réponse de l’évangile de Jean est positive, sous réserve d’obéissance à un unique commandement, donné à tous par le Fils : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Et l’on sait, à lire la fin de l’évangile de Jean ainsi que les trois petites épîtres, combien la chose fut difficile... L’amour, donc, telle est la réponse de la tradition de Jean.
Mais la réponse de Jean n’est pas la seule réponse biblique possible. Et nous voilà, une semaine plus tard, avec la même question : qu’en sera-t-il du devenir de la communauté des disciples du Seigneur, une fois celui-ci retourné au ciel ? Nous avons lu, selon l’usage, de larges extraits du 2ème chapitre des Actes des Apôtres, tradition de Luc.
La réponse à la question posée va tenir assez simplement dans un série de 5 nombres : 1, 12, 120, 3000, infini.

La fête des moissons, l’un des trois pèlerinages annuels du Judaïsme du temps de Jésus, rassemblait énormément de monde à Jérusalem. Des gens venus des quatre coins de l’empire romain et aussi des quatre coins de l’empire parthe, se rassemblaient à cette occasion. Juifs de l’étranger, bien entendu, mais pas seulement. Se rassemblaient aussi quantité de gens étrangers qui s’étaient trouvé suffisamment d’affinités avec les Juifs et leur Dieu pour adopter leurs croyances, leurs cérémonies, et une certaine manière de vivre la foi en Dieu. En période de pèlerinage, toutes les langues de la terre connue sont parlées à Jérusalem, et tous les peuples et ethnies s’y côtoient. L’auteur des Actes de Apôtres, Luc, fait le catalogue de ces gens, qu’il démultiplie en mentionnant les langues les plus communes, celles que tout le monde parle, et en mentionnant aussi des dialectes, des langues rares, voire la langue intime de chacun, celle que personne ne sait traduire. Et Luc finit par cette expression : « …aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Ainsi donc et selon Luc, le devenir de la communauté est assuré par l’appel même de Dieu, sans limitation de lieu, de nombre et de temps… Dans la communauté croyante selon Luc, on ne choisit pas ses petits amis, mais on accueille fraternellement ceux que le Seigneur appelle. Qu’il plaise à Dieu d’en appeler une infinité.
Mais cette future communauté croyante infiniment nombreuse a une histoire. Cette histoire commence avec un certain nombre, ce nombre est de 3000, les 3000 premiers convertis, et baptisés, de la première prédication chrétienne. Nous allons donc bien repérer maintenant que la communauté que Luc envisage est une communauté  de convertis et de baptisés. Il est même à repérer, en Actes 2, que c’est dans un certain ordre que les choses doivent se dérouler : prédication, conversion, baptême, réception du Saint Esprit.
De 3000, passons à 120, effectif de ceux qui se tenaient ensemble à prier depuis l’Ascension du Ressuscité, et qui firent les premiers à avoir reçu, à Pentecôte, le Saint Esprit. Ces gens sont ceux qui ont célébré les merveilles de Dieu dans toutes les langues, dialectes et idiomes de la terre. Il y a là une sorte de premier noyau mystique de la communauté.
De 120, passons à 12 : ceux qui ont connu et suivi Jésus Christ. Et qui, de ce fait, seront de leur vivant les responsables exclusifs de l’intégrité de la prédication chrétienne.
Puis de 12, nous arrivons à 1, et ce 1, c’est Pierre. Comme nous lisons : « Alors, Pierre s’étant levé d’entre les 12, il les interpella… ». Et Pierre y va de moult impératifs : sachez que… entendez bien que… convertissez-vous… soyez baptisés… Mais ensuite il laisse là les impératifs, parce que Dieu répand son Saint Esprit, quand il veut, et sur qui il veut… Pierre apparaît donc comme celui qui sait, qui enseigne, et qui ordonne.

A partir de ce 1, nous repensons aux 12, aux 120, aux 3000, et à l’infini. Ce qui nous permet de visualiser une belle pyramide.
Et nous revenons à la question que nous nous sommes posée ces dernières semaines : qu’en sera-t-il du devenir de la communauté des disciples du Seigneur, une fois celui-ci retourné au ciel ?
Vous vous souvenez que, selon Jean, le devenir de la communauté était une communauté d’égaux rassemblés par le lien de l’amour. Et bien la communauté selon Luc est une communauté pyramidale dont les membres sont rassemblés par des liens de type hiérarchiques : l’autorité de Pierre, l’enseignement des Apôtres, le rituel reçu – ici, le baptême.

Amour, ou hiérarchie. Amour n’est pas un tout gentil mot. C’est, selon Jean, un engagement que seul le Christ aura su prendre et tenir dans le don de toute sa vie et de toute sa personne. Hiérarchie, ça n’est pas forcément un vilain mot. Mais nous savons ce qu’en ont pensé et dit nos chers Réformateurs, au 16ème siècle, et avec quels effets.
Ces mots ne décrivent pas ce que devrait être, aujourd’hui, la communauté chrétienne. Ils le décrivent d’autant moins pour nous qui ne croyons pas que le Christ a voulu que son Église fût structurée de telle manière ou de telle autre manière.
Ces mots sont là pour que, si nous le voulons, nous nous interrogions sur les liens qui nous unissent. Mais deux mots, c’est bien trop peu de nuances. C’est pourquoi ces mots seront repris, discutés, malaxés par Jean, et par Luc. Chez Luc, dans les Actes des Apôtres, toutes les structures et autres règles que Pierre et les Apôtres tâcheront de mettre en œuvre seront toujours débordées, par la créativité des hommes et la prodigalité divine. Et Jean n’est pas en reste qui affirme, dès le début de son évangile, que l’Esprit souffle où il veut.
Alors, quels sont ces liens qui nous unissent ? C’est sur cette question que nous laissons notre méditation de Pentecôte. La fête d’un événement tout plein de paroles, ce qu’est la fête de Pentecôte, peut bien donner lieu à une prédication s’achevant dans le silence. Amen

mercredi 27 mai 2020

Lettre pastorale du 27 mai 2020. Nous rendons grâce à Dieu

            Pour la première fois depuis plusieurs mois, nous sommes autorisés à célébrer publiquement notre culte à Dieu. Ce sera dimanche prochain, et ce sera le culte de Pentecôte. Un certain nombre de contraintes pèseront encore sur notre rassemblement et donc aussi sur nos personnes, mais nous pourrons ensemble prier, méditer et chanter. Nous en rendons grâce à Dieu. 
          Il nous est simple, à ce sujet, de rendre grâce à Dieu. En le faisant, nous obéissons partiellement à une triple invitation jadis adressée par Paul aux Thessaloniciens : « Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse, en toutes choses rendez grâce, car telle est la volonté de Dieu en Jésus Christ pour vous. » (1 Thessalonicien 5,16-17). 

            Nous faisons retour sur un passé récent ; notre première lettre pastorale date du 18 mars, il y a deux mois et deux semaines. Y a-t-il, dans cette période longue de deux mois et deux semaines, matière à réjouissance ? Nous pouvons bien entendu dresser toutes sortes de bilans, bilans de mortalité et de surmortalité, bilans sociaux et économiques, bilans de notre vie paroissiale, bilan du nombre de nos sœurs et frères disparus, bilan du nombre des naissances – car des enfants sont nés pendant le confinement… et nous demander si, devant ces bilans, nous pouvons nous réjouir ou pleurer, rendre grâce ou déplorer. 

            Mais ça n’est pas ce que Paul recommande aux Thessaloniciens dans sa triple invitation. Il commande de se réjouir toujours, sans examiner quoi que ce soit, sans choisir. Mais comment le pourrions-nous ? Comment pouvons-nous tout accueillir dans cette paisible récollection de soi qu’est la joie ? Bien des choses nous troublent et mettent en péril l’unité et la paix intérieures que nous avons tant de mal à trouver. La première invitation de Paul demeure comme un impossible objectif, mais nous pouvons aussi la recevoir une exhortation à laquelle est associé le moyen de la prière. Priez sans cesse, c’est la deuxième invitation de Paul. Et nous allons prier Dieu qu’il veuille bien nous venir en aide, nous qui sommes en quête de paix parce que nous sommes en quête de joie, et qu’il veuille bien éclairer de sa lumière notre intelligence et notre raison. Mais peut-on prier sans cesse ? Si l’on entend par prière ce que nous vivons au cours de nos offices, cela semble délicat. Peut-être y aurait-il, dans la profondeur et le secret de nos personnes, une instance, une voix, qui jamais n’arrêterait de s’adresser à son créateur. Peut-être aussi est prière tout acte fraternel et bienveillant accompli d’une manière intègre, sans se désunir. Peut-être que, sur l’horizon de toute notre vie, il n’y aurait que la prière. Alors celui qui croit pourrait entendre enfin la troisième invitation de Paul et, en toutes choses, rendre grâce à Dieu. 

            Longue est la vie, difficile parfois – nous ne pouvons feindre de l’ignorer – et parfois merveilleuse, mais faite aussi d’une suite de moments ordinaires. Puissions-nous, au moins pour ces moments-ci, que nous accomplissons presque sans y réfléchir, laisser l’action de grâce, le remerciement, la reconnaissance, tenir toute sa place. Et, de là, peut-être s’étendre à tout le reste.


dimanche 24 mai 2020

L'unité de la communauté (Jean 17,1-11) Trois jours après l'Ascension

Introduction

Il y a trois jours, nous fêtions l’Ascension, point final de la présence du Ressuscité parmi les vivants. Jésus parti, il n’est plus en mesure de transmettre son message de vive voix. Et commence alors pour les croyants le temps de l’héritage. Le testament est là, offert à tous. Et en l’absence désormais définitive du testateur, chacun des héritiers pourra y puiser librement.
Que feront-ils, les uns, et les autres ? Que mettront-ils en avant ? Que considéreront-ils comme essentiel, comme dernier mot du message du Christ ?
Il est clair que les uns et les autres, à commencer d’ailleurs par Paul, puis par les auteurs des évangiles, ne considéreront pas le même point d’enseignement comme essentiel du message. Nous pourrions consacrer d’intéressants temps d’étude à explorer ces points essentiels, ceux des livres bibliques, ceux des Églises, et les nôtres…
Aujourd’hui, nous sommes invités à lire dans l’évangile de Jean, le chapitre  17, versets 1 à 11. Dans le déroulement de l’évangile de Jean, c’est un texte de la Passion, et même le dernier texte avant l’arrestation de Jésus. Jésus y est physiquement présent : c’est lui qui parle. Mais en même temps, il déclare qu’il n’est désormais plus dans le monde. Cette situation particulière a dû intéresser ceux qui ont créé la liste des lectures que nous suivons, et qui s’appelle Dimanches et fêtes. Pourquoi suivons-nous cette liste ? Et quel en est le point essentiel ?
C’est dans un souci œcuménique que nous suivons cette liste. Elle fut d’abord – en latin – l’Ordo Lectionum Missæ, ordre dans lequel sont lus, sur un cycle de 3 ans, les textes bibliques de la messe dominicale. Cette liste est donc d’abord catholique romaine. Mais, en 1969, elle est adoptée aussi par la plus grande partie des protestants luthériens et réformés historiques.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent certainement de la fin des années 60, et des années 70, lorsque, certaines frontières étaient tombées, et une fois clos le Concile Vatican II (8 décembre 1965), protestants et catholiques se sont découverts et aimés… L’adoption œcuménique du lectionnaire Dimanche et fêtes date de ce moment-là…
Héritiers du Christ, tous ensemble, unis… protestants et catholiques se sont appropriés conjointement cette partie de l’héritage du Christ, avec une perspective et un fin mot : unité.
Et c’est ainsi que nous sommes en train de lire, entre Ascension et Pentecôte, c'est-à-dire entre le départ définitif de Jésus Christ et l’advenue du Saint Esprit, un texte du Jeudi Saint dans lequel, à la fin, le Fils lui-même prie le Père pour l’unité des disciples...
Lecture biblique :

1 Après avoir (ainsi) parlé à tous ses disciples réunis pour la dernière fois avant sa mort,

Jésus leva les yeux au ciel et dit: «Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t'ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 «J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils connaissent maintenant que tout ce que tu m'as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m'as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé.
9 Je prie pour eux; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés: ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j'ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous sommes un.
Prédication :
Nous voyons trois raisons pour lesquelles Jésus prie ainsi le Père :

(1) Première raison pour laquelle Jésus prie : tout a été dit. Jésus a dit tout ce qu’il avait à dire. Plus fortement même, il a dit tout ce qui pouvait être dit, c'est-à-dire tout ce que, depuis avant même l’aube des temps, il avait entendu du Père. Et bien, maintenant, tout cela, les disciples le connaissent. Ils ont donc une connaissance immense, à la fois haute et profonde, de ce qu’il en est du Fils et de ce qui en est aussi du Père. Nous pouvons nous réjouir de cela, et nous pouvons, peut-être aussi, en lisant l’évangile de Jean, partager au moins quelques mots de cette connaissance.
Mais – parce qu’il y a un mais – nous ne savons pas ce que, individuellement, les disciples vont faire de cette connaissance. La question de ce que les gens font de la connaissance qu’ils ont en matière divine a été posée, longtemps avant l’évangile de Jean, par le prophète Jérémie. Cette connaissance, individuellement, ils la mettent en avant, et se disent, à tout propos, l’un à l’autre : « Connaissez le Seigneur ! » (Jérémie 31,34), sous entendu, "je connais le Seigneur, moi, plus et mieux que vous, et je vais vous apprendre ; soumettez-vous donc etc." Les autres, en face, en ont autant à dire, mais pas la même chose, et c’est le clash…
La première raison donc pour laquelle Jésus prie le Père pour ses disciples, c’est qu’il a un doute, une réserve… sur ce que ses disciples, sur ce que les humains, vont faire de la connaissance qu’ils ont de Dieu. Et lorsque Jésus affirme que « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu », le risque pris est considérable d’avoir en ces disciples et autres humains de prétentieuses personnes se figurant compétentes au regard de l’éternité, non seulement pour mettre en avant leur personne et leur Dieu, mais aussi pour récuser absolument tous les autres…

(2) Deuxième raison pour laquelle Jésus prie : Jésus n’est déjà plus là, comme il le dit dans sa prière. Il n’est plus dans le monde. Même s’il est encore physiquement avec ses disciples, et il le sera jusqu’à son arrestation, il n’est déjà plus là : il n’a plus rien à leur dire qu’il ne leur ait déjà dit.
Jésus n’étant plus là, que vont faire les disciples ? C’est que Jésus était là, parfois pour les enseigner et les servir, mais, aussi, parfois pour les redresser et les reprendre. Que va-t-il donc arriver, désormais, alors que, leur maitre n’étant plus dans le monde, les disciples, eux, y restent, au sens propre, comme au sens figuré ?
Nous retrouvons ici quelque chose qui ressemble à notre première raison. Les disciples ont-ils été transformés par ce qu’ils ont cru, auquel cas s’édifiera entre eux et par eux une communauté humaine renouvelée, fraternelle, ayant le souci de servir plutôt que celui de commander ? Ou bien, ces choses entendues de la bouche du maître ne sont elles qu’un beau vernis posé sur de grossiers appétits de pouvoir ?

(3) Troisième raison pour laquelle Jésus prie : la proximité de la Pentecôte. Pentecôte est seulement dans huit jours… mais il est inutile de faire comme si la Pentecôte n’était pas déjà advenue, inutile de feindre d’ignorer que l’onction d’Esprit Saint est un puissant principe individualisant, une puissante force qui peut disloquer la vie communautaire ; et de cela, nous avons une description consternante dans la première épître de Paul aux Corinthiens. L’évangile de Jean connaît bien cela lui aussi, qui, de par la bouche de Jésus lui-même, affirme « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit. » (Jean 3,8).
L’onction de l’Esprit, qui n’est absolument pas chose rare ni réservée à certains, revient à avoir tout Dieu en soi, union de Dieu et du croyant. L’être humain ainsi promu, de cette puissance, que fera-t-il ? La communauté des disciples et autres premiers témoins va-t-elle être proprement atomisée par cet événement ? Ou bien va-t-elle connaître, dans son existence humaine, la même unité que celle du Père et du Fils ?
La semaine prochaine, en nous intéressant à Pentecôte selon le récit qui en est fait dans les Actes des Apôtres, nous verrons quelle proposition – pour ne pas dire solution – est apportée face à risque de dislocation de l’assemblée. Pour l’heure, ce que nous voyons, c’est que Jésus prie le Père. Jésus sera-t-il exaucé ?

Plusieurs réponses sont possibles… d’abord, nous pouvons lire la fin de l’évangile de Jean ainsi que les trois petites épîtres de Jean.
Mais avant même de le faire, nous pouvons nous dire que si Jésus prie ainsi le Père, c’est que, certainement, pour les humains, l’unité ne doit pas aller de soi.
En même temps, nous pouvons considérer que même cette prière fait partie de l’unité du Père et du Fils, qu’elle fait partie de la nature même de cette d’unité. Et comme cette unité est aussi celle du Fils et des disciples, cette prière, qui est adressée à Dieu, est en même temps adressé par chaque fidèle à tous les autres fidèles. Et en cela, elle est à elle-même son propre exaucement.
Prions donc, mes chers amis, sœurs et frères, pour notre propre unité. Amen





mercredi 20 mai 2020

Lettre pastorale du 20 mai. Apprendre à croire

ÉGLISE PROTESTANTE UNIE VINCENNES-MONTREUIL

LETTRE PASTORALE DU 20 MAI 2020

Apprendre à croire

              Il y a de nombreux récits de voyage dans la Bible. Certains de ces récits sont incroyablement longs, comme celui de l’exode d’Israël hors d’Égypte : 4 livres bibliques. Nous avons tous en mémoire certains éléments de ce récit. Depuis le buisson ardent (Exode 3) jusqu’au franchissement du Jourdain (Josué 1), c’est l’histoire d’un dramatique apprentissage de la foi. Le peuple qui finalement pénétra dans la terre promise n’était pas celui qui avait été libéré (Nombres 13 et 14) quarante années plus tôt : faute de vouloir avancer en ayant foi en Dieu, la première génération de l’exode périt. Seuls leurs descendants, nés libres dans le désert, dans la foi en Dieu, entamèrent, et jamais n’achevèrent, la conquête de Canaan. 

           Ce sont de terribles histoires que ces histoires de migrations de peuples. Les migrants finissent toujours par arriver dans un pays évidemment déjà peuplé. "C’est la terre de mes ancêtres !", "C’est la terre que Dieu nous a promise !", "C’est chez moi depuis toujours !". Et ce sont les mêmes questions qui reviennent, inlassablement : le partage de la terre, le partage de l’origine, le partage des lieux de culte, la reconnaissance d’autrui comme frère… L’apprentissage de la foi, en somme, dont fait partie l’apprentissage de la vie ensemble, semble courir sur des siècles. Et l’être humain n’a presque rien appris, il semble même n’avoir jamais rien appris.

              Il y a, quelque part dans la Bible, un autre récit de l’exode d’Israël hors d’Égypte, un récit qui est d’une concision remarquable puisqu’il se déroule tout entier en une seule phrase, et en moins d’un verset : « Mais par un prophète le Seigneur a fait monter Israël hors d'Égypte » (Osée 12,14). On ne lit pas fréquemment le prophète Osée ; on lit plus souvent la Genèse, où le voyage d’Abram (qui ne s’appelle pas encore Abraham) est raconté lui aussi en moins d’un verset : « … Ils sortirent pour aller vers le pays de Canaan. Ils arrivèrent au pays de Canaan » (Genèse 12,5). Autre concision remarquable.

              Ainsi pour un même voyage, il y a parfois deux récits. Récit infiniment long, récit infiniment court… Comme si, pour certains personnages, évoqués par certains auteurs, la foi en Dieu allait de soi, qu’elle était donnée, une, entière, indestructible et parfaite dès le premier instant et pour toujours. Et que, pour d’autres auteurs, passé le premier moment de l’appel de Dieu, la foi humaine se perdait en hésitations, atermoiements, rebuffades, voire révoltes ouvertes, avant de, peut-être, se retrouver, de se transmettre, pour un nouveau commencement.

          Nous ne pouvons pas évoquer plusieurs sortes d’auteurs sans évoquer en même temps plusieurs sortes de croyants. Quelle sorte de croyants sommes-nous ? Quelle sorte de croyants aurons-nous été pendant cette période de pandémie ? Ou dans nos vies… Une foi entière et inébranlable ? Une foi hésitante ? Une foi pleine de révolte ? Il n’est évidemment pas question d’émettre une préférence ni d’établir un classement.

              Il s’agit juste de se replacer personnellement devant Dieu. Le théologien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) avait été questionné un jour de sa jeunesse sur ce qu’il souhaitait pour la suite et le reste de sa propre vie. Il répondit ceci : « J’aimerais apprendre à croire. » Nous faisons nôtre ce souhait.


Pasteur Jean DIETZ, 20 mai 2020

JEUDI 21 : fête de l’Ascension, vidéo exceptionnelle sur notre chaîne :
https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q


Culte dominical : dimanche 24 sur votre chaîne habituelle (ci-dessus)


Offrande en ligne : https://www.eglise-protestante-unie.fr/vincennes-montreuil-p71320/don



dimanche 17 mai 2020

Seigneur accorde-moi d'aimer (Jean 14,11-21)


Jean
11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.
12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père.

13 Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, de sorte que le Père soit glorifié dans le Fils.
14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.

15 «Si vous m'aimez, vous observerez mes commandements;
16 moi, je prierai le Père: il vous donnera un autre ami-défenseur-consolateur qui restera avec vous pour toujours.
17 C'est lui l'esprit de vérité, celui que le monde ne peut accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous.
19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous.
21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime: or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui.»
Prédication


     Christ est présent dans la vie des gens et dans la vie des communautés, disions-nous récemment. Voici justement que nos versets d’aujourd’hui conjuguent les verbes alternativement, au singulier et au pluriel. Tantôt Jésus s’adresse à la communauté de ses disciples, et tantôt il s’adresse comme personnellement à chacun de ses disciples.
La semaine dernière, nous repérions que, dans le discours de Jésus, il y a des éléments mystiques, et des éléments éthiques. Il semble bien que les éléments mystiques, tout ce qui porte sur le Père, sur le Fils, et maintenant aussi sur le défenseur l’esprit de vérité, sont adressés au collectif, à la communauté, comme s’ils relevaient de la foi de l’Église. Ou encore comme s’ils réclamaient une forme particulière d’adhésion, une forme dans laquelle l’individu s’estompe – nous ne pouvons pas dire s’efface – s’incline – nous ne pouvons pas dire se soumet… devant une vérité qu’il reçoit, qu’il explore, mais qui est et demeure toujours infiniment plus que ce qu’une pensée croyante peut approcher et s’approprier.
Ces « je vous dis… » qui sortent là de la bouche de Jésus évoquent certaines confessions de foi – peu fréquentes en protestantisme réformé – entièrement composées en « nous… ». Et il est vrai que notre protestantisme (réformé, français…) a souvent d’avantage insisté sur une réception et une adhésion personnelles, et laissé un peu de côté cette dimension pourtant importante, celle de l’appartenir. On dit rarement, chez nous, « j’appartiens à l’Église protestante unie de France », on dit plutôt « Je suis protestant… »
Nous constatons donc que la théologie propre à l’évangile de Jean s’adresse à la communauté avant de s’adresser à la personne.
Nous avons d’ailleurs ici sous nos yeux une belle synthèse de cette théologie particulière de l’évangile de Jean. Nous avons le Père, et le Fils, le Fils dans le Père et le Père dans le Fils, l’unité donc du Père et du Fils. Mais il apparaît quelque-chose d’autre, de nouveau dans le paysage de cet évangile, l’ami-défenseur-consolateur ; Jésus déclare tout de go à ses disciples que cet ami-défenseur-consolateur est en eux. On peut bien entendu voir dans ces trois réalités une sorte de trinité, l’ami-défenseur-consolateur étant assimilé à l’Esprit de vérité. Mais trois, c’est trop peu pour l’évangile de Jean dans sa dimension mystique. Car Jésus rajoute un membre à cette trinité, un membre dont nous avons déjà parlé, et qui se dit « vous… » : « Je suis en mon Père, (…) vous êtes en moi et moi en vous ».
Dans l’évangile de Jean le 3 se fait 4. Et, si l’on veut insister sur l’importance du 4ème, sur l’importance du « vous » de la communauté, on pourra aller jusqu’à dire que, si le « vous » vient à manquer, c’est tout l’édifice qui s’écroule et que Dieu lui-même devient comme un grand vide, peut-être même une imposture.
Nous venons donc de parler abondamment du « vous », de la mystique, de la communauté humaine et de la communauté divine.
Or, en revenant au texte, nous remarquons que, lorsqu’il s’agit de l’éthique, c'est-à-dire d’œuvrer, ça n’est plus le collectif que Jésus interpelle, mais l’individu. Lisons seulement, « celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes… » et encore « Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime… ».
Ceci nous indique que, dans l’évangile de Jean, le passage au concret, l’incarnation en somme de la confession de foi de l’Église, relève exclusivement de l’être humain, d’un être humain, de chacun de ces êtres humains qui forment ensemble la communauté.

            La communauté confesse collectivement sa foi. En même temps, le concret de la foi, œuvrer, cela relève de la responsabilité personnelle de chaque membre de la communauté. C’est ce que nous avons compris des quelques versets que nous méditons.

            Il y a un autre moment de la vie de la communauté qui est évoqué dans les versets d’aujourd’hui, c’est la prière.
Et elle est évoquée en nous, sans aucune restriction de demande, et sans aucune limite thématique. La communauté peut tout demander à Jésus : « Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. » (Jean 14,14). Le côté absolu de cette promesse appelle bien entendu un chant de gratitude. Cependant, nous connaissons – je connais – des communautés qui ont unanimement prié pour la guérison d’un être particulièrement cher et fragile… et cet être est pourtant mort. Est-ce parce que la prière n’était pas unanime, ou encore est-ce que cette prière n’était pas au nom du Fils ? Nous pouvons, chacun peut, s’interroger sur le sens de l’inexaucement de sa prière. Chacun peut dans la foi, dans la prière et dans l’étude, interroger le Fils et les textes bibliques, sur le sens de l’exaucement et de l’inexaucement de la prière de demande.

Dans l’évangile de Jean, que peut bien signifier "Si vous demandez quelque chose en mon nom" ? Cela signifie que la communauté se réunit dans la mémoire et la connaissance de la vie de Jésus de Nazareth telle que la raconte l’évangile de Jean, et aussi dans la mémoire et la connaissance du premier chapitre – du prologue donc – de ce récit, et encore dans la mémoire et la connaissance du grand discours d’adieu de Jésus aux siens. Bien entendu, la communauté ne relit pas tout l’évangile chaque fois qu’elle se réunit. Mais chaque fois qu’elle se réunit, elle tâche de se redire ce résumé.
Et quel résumé peut-elle se donner ? Cela tourne autour d’un verbe, le verbe aimer. Dans l’évangile de Jean, la vie communautaire et la vie personnelle du croyant se pensent, se vivent et s’évaluent dans une méditation du verbe aimer. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, ce commandement est énoncé deux fois par Jésus, au 13ème et au 15ème chapitre de Jean. Nous, qui sommes lecteurs de cet évangile ainsi que des trois petites épîtres de Jean, nous savons que, dès l’origine, le compte n’y était pas.
Et nous devinons que s’il n’y était pas dans la communauté, c’est qu’il n’y était pas non plus dans les individus… Même après que le Ressuscité, le soir de la résurrection, leur eût donné l’Esprit, le compte n’y était toujours pas.

C’est avec ce constat que nous en revenons à la prière, collective, et individuelle. Si Jésus de Nazareth est le nom de quelque chose, c’est le nom de l’amour. S’il s’agit de prier, de lui demander quelque chose en son nom, il ne peut s’agir que d’amour.
Cette demande concerne la communauté toute entière ; elle prendra toute sa portée par l’engagement de chacune et de chacun. Qu’il en soit ainsi. Amen




mercredi 13 mai 2020

Lettre pastorale du 13 mai 2020. Pour ne pas oublier




Pour ne pas oublier

Lorsque David fut devenu vieux, il ne quittait plus son palais. Le grand roi qu’il était ne guerroyait plus, d’autres le faisaient en son nom et pour lui. Il vint à David l’idée de recenser tout son peuple. Le récit de ce recensement, et de ce qui s’ensuivit, figure en 2 Samuel 24 et en 1 Chroniques 21. A l’origine de cette idée, Dieu lui-même, ou Satan, cela dépend des auteurs. N’imaginez pas que furent comptés femmes, enfants et vieillards. Seuls les hommes en âge de tirer l’épée furent dénombrés. Les deux récits convergent vers des chiffres astronomiques, centaines de milliers, au-delà même du million !
Ces résultats sont historiquement invraisemblables, mais ils ont une valeur symbolique. La richesse et la prospérité du royaume étaient considérables. Si considérable qu’un dénombrement était évidemment inutile. Et quand bien même il eût fallu lever une armée, David ne pouvait pas ignorer que Dieu lui avait donné la victoire, alors qu’il était tout seul face à un certain Goliath, géant philistin…
Lorsque David fut devenu vieux, il eut un moment de faiblesse qui lui fit oublier Dieu, qui lui fit perdre la foi. David oublia donc que le trône sur lequel il était assis n’était pas le trône de David mais le trône de Dieu, que le peuple n’était pas les sujets de David mais le peuple de Dieu, et que les guerres qu’il avait menées n’étaient pas guerres de David, mais les guerres de Dieu. En affirmant  cela, nous ne légitimons en aucun cas ce que furent évidemment ces guerres ; conquêtes territoriales durables ou razzias saisonnières, elles furent, comme toutes les guerres, boucheries et atrocités. En affirmant tout cela, nous méditons sur ce que David oublia.
Petit pâtre qu’il était, insignifiant, anonyme, il lui arriva de devenir un grand roi et il oublia qu’il n’était qu’un petit pâtre. Il oublia, petit pâtre armé de sa fronde, que même si le frondeur est adroit, c’est Dieu qui dirige la pierre. David oublia la reconnaissance, tout comme il l’avait oubliée lorsqu’il ordonna le rapt de Bethsabée, femme d’Uri le Hittite. . .  David donc oublia le merci de chaque jour, pour vouloir posséder encore plus. Et il oublia aussi ce sentiment, qu’on a parfois appelé soumission, qui fait qu’on se tourne vers Dieu, même dans des situations difficiles, même lorsque le vent nous est contraire, en le priant ainsi : "Que ta volonté s’accomplisse…".
David oublia. Et pouvons-nous nous souvenir ? Insistons : puis-je me souvenir ? de ce que Dieu a fait pour moi ? ou, à défaut, de ce que je dois, profondément, réellement… à autrui ? La période que nous vivons est propice à un exercice si l’on veut quotidien. Il existe une longue chaîne humaine à laquelle j’ai dû, à laquelle je dois, d’être en vie aujourd’hui, d’être nourri, d’avoir appris à lire, d’avoir connu le Christ vivant, d’avoir rencontré des professeurs qui furent de bons maître, d’avoir été guidé sûrement dans le choix d’un métier… et vous compléterez, vous compléterez à l’infini. Mais cet exercice quotidien n’est pas la seule occasion de se souvenir. Lorsque nous célébrons le culte, lorsque nous étudions les Saintes Écritures, lorsque nous célébrons la Sainte Cène,  lorsque nous prions, nous nous souvenons. Nous nous souvenons des hauts faits de Dieu, et aussi, et surtout, de ceux qui, parmi nos semblables, les auront fait advenir.
Par l’étude, par la méditation, et par la prière, seuls, et en communauté, nous tâchons de ne pas oublier. Et c’est ainsi que notre vie peut s’orienter vers la reconnaissance, pour ce qui fut, et pour ce qui sera.

Pasteur Jean DIETZ, 13 mai 2020





dimanche 10 mai 2020

Chemin, vérité et vie (Jean 14,1-12) Le confinement, et après ?


Quel chemin sommes-nous en train de suivre ? Que restera-t-il de cette expérience ? L’esprit d’engagement, qui a mobilisé et discipliné tant de monde, va-t-il s’étioler ? Nous aurons bien assez tôt si nous avons durablement changé, ou si, à la fin de toutes ces semaines, nous allons réclamer notre dû. Quelles seront nos œuvres, une fois notre confinement terminé ? Quel chemin allons-nous suivre ?
Jean 14
1 «Que votre cœur ne se trouble pas: vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2 Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures: sinon vous aurais-je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez?
3 Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.
4 Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin.»
5 Thomas lui dit: «Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin?»
6 Jésus lui dit: «Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n'est par moi.
7 Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu.»
8 Philippe lui dit: «Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit.»
9 Jésus lui dit: «Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m'as pas reconnu! Celui qui m'a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu: ‹Montre-nous le Père›?
10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même! Au contraire, c'est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.
11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.
12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père.
Prédication
Je me souviens d’un groupe de chanteurs et musiciens, plutôt connu dans les milieux de jeunesse que j’ai fréquentés vers le milieu des années 70, Les témoins, et d’un de leurs chants, évidemment accompagné à la guitare, « Né de la poussière… » dont voici le refrain : « Il est le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au père que par lui ». Ce refrain nous rappelle évidemment un verset que nous venons de lire.
Il y a bien un glissement entre ce que Jésus déclare à Thomas et ce que la chanson affirme. « Je suis le chemin…nul ne vient au Père que par moi » déclare Jésus, Il est le chemin…nul ne vient au père que par lui, proclame la chanson. Mais je ne crois pas aujourd’hui que ce soit si grave, ni d’ailleurs le plus important. C’est que tout verset biblique peut bien être repris à son compte par un lecteur qui en fait un énoncé de sa foi personnelle. Tout verset biblique peut aussi être repris par une Église qui en fait un morceau de son credo. Il y a dans toujours dans ce processus un certain travail de réécriture. De l’autorité des Saintes Écritures à l’autorité de la personne, il n’y a qu’un pas que certains franchiront. L’autoproclamation est à la fois la plus grande tentation et le péché préféré des chrétiens… peut-être même des humains. Mieux vaut se souvenir qu’en matière de foi, la lecture intelligente des Saintes Écritures accompagnée par le témoignage intérieur du Saint Esprit, l’emporte en autorité sur les traditions humaines. Mieux vaut aussi se souvenir que celui qui obtient des Saintes Écritures la certitude que son chemin est le seul bon chemin veut faire son salut par ses œuvres plutôt que vivre par la foi.

Pour nous autres, maintenant, nous pouvons, et c’est assez simple, expliquer ce que signifient les mots chemin, vérité, et vie lorsqu’il s’agit de Jésus dans l’évangile de Jean. Chemin : intéressez-vous dans le récit au parcours de Jésus, aux déplacements de sa personne, le récit de son incarnation dans le prologue (Jean 1) et ses voyages, de Cana à Jérusalem. Vérité : intéressez-vous aussi aux discours et polémiques de Jésus, aux déplacements de sens qu’il ne cesse de proposer. Vie : intéressez-vous aux miracles qu’il accomplit, à l’intensité qu’il met dans tout ce qu’il fait et dit, à sa manière de se consacrer, jusqu’à la croix, sans réserve ni retour, à ceux qu’il rencontre et choisit.
Nous avons en cela, dans l’évangile de Jean, le chemin, la vérité, et la vie d’un homme, Jésus, de Nazareth, en Galilée. Et où tout cela le mène-t-il ? A la croix. Mais en cela va-t-il au père ?
Voici une question intéressante, une question que je ne me suis pas posée, lorsque je chantais Il est le chemin etc. en m’accompagnant de la guitare. Aller au Père, qu’est-ce que cela signifie ? Nous recevons parfois des faire part de décès qui sont ainsi rédigés : « Untel a rejoint la maison du père ». Est-ce que rejoindre la maison du père, aller au père, en somme, cela signifie mourir ? Lorsque Jésus – nous avons lu ce verset aussi – déclare « celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père », est-ce que cela signifie qu’il faut que Jésus meure, disparaisse, aille au Père, pour que d’autres se mettent enfin, après leur deuil fait, à œuvrer ? Pourtant, est-ce seulement dans la perspective de la mort, en somme dans la perspective d’une fin prochaine, qu’on peut parler d’aller au père ?

Tout en parlant de fin, et ayant la chance de méditer ce texte dans sa langue d’origine, il me vient l’idée que la formulation que nous avons en Jean 14:6, aller au père, est la même que celle que nous avons en Jean 1:1, au commencement était le verbe, et le verbe était tourné vers Dieu, et le verbe était Dieu. Ce qui donnerait, pour ce que nous méditons aujourd’hui, nul ne se tourne vers le père que par moi. Jésus serait donc pour ses disciples, et pour les lecteurs de l’évangile de Jean, celui vers qui se tourner, celui dans les traces duquel mettre ses pas, pour se tourner vers le Père. Notre réflexion sur les mots chemin, vérité et vie nous instruit sur la signification, en terme d’engagement, de l’expression être tourné vers le Père : tout donner, toujours, et pour rien.
C’est déjà un peu plus clair, mais il est possible d’aller encore un peu plus loin. Car la tournure grecque utilisée en Jean 14:6 et en Jean 1:1 a encore une autre signification. C’est un petit mot grec de quatre lettres qui signifie être infiniment proche l’un de l’autre, dans une relation dynamique, sans pour autant se confondre. C’est beaucoup pour un petit mot de quatre lettres, mais cela explique clairement pourquoi Jésus peut dire à Thomas, celui qui m’a vu a vu le Père, et pourquoi aussi il peut dire que c’est par lui, à travers lui, avec lui, que l’on peut s’approcher ainsi du Père. Se tenir ainsi proche de Jésus, dans une relation dynamique, c’est se tenir aussi proche du Père. Cette expérience put certainement être désirée et vécue par certains des disciples de Jésus.

Oui, et tant mieux pour les disciples : il y a des choses intenses et belles dans les récits bibliques. Mais il y a une distance – peut-être même un abîme – entre eux et nous. Tout ce que nous venons de méditer serre le texte d’assez près. Comment les expériences qui nous sont rapportées dans la Bible peuvent-elles rejoindre et informer nos propres expériences ? Il existe deux ancrages, deux liens entre le texte et le lecteur. Un ancrage mystique, et un ancrage éthique.
Lorsque nous méditons ce texte, une certaine proposition nous est faite, l’ébauche d’une précieuse chaîne : Dieu, Jésus, Philippe. La proposition qui est faite, très clairement, tient dans cette phrase de Jésus : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m'as pas reconnu ! Celui qui m'a vu a vu le Père. » Philippe est celui des disciples qui, s’adressant à Nathanaël (Jean 1:45), l’invite à devenir disciple. Ce que nous appelons l’élément mystique, c’est cette proposition qui est faite à chaque lecteur, à chaque auditeur, de se joindre en esprit à cette chaîne de disciples et d’entrer ainsi transitivement dans cette relation dynamique à Dieu.
La proposition éthique est plus simple à comprendre. Ayant lu le récit de l’évangile, ayant connu la manière dont Jésus s’est consacré à ses frères et sœurs en humanité, ayant saisi comment il fut pour ses contemporains chemin, vérité, et vie, c’est, avec simplicité, choisir de vivre, à mesure humaine, ainsi que Lui a vécu. Qui s’approche ainsi des humains s’approche ainsi de Dieu.
Ajoutons donc, pour finir, que, dans l’esprit de l’évangile de Jean, l’ancrage mystique (l’unité du Père et du Fils) et l’ancrage éthique (l’incarnation) ne sont pas séparables.
Vivons ainsi qu’ont vécu les disciples de notre Maître, qui est chemin, vérité, et vie. Amen 
Prière
Au nom du Père, je te prie pour les autorités publiques de notre pays et celles du monde entier.
Affermis et soutiens les gouvernants qui cherchent à gouverner avec droiture. Corrige ceux qui peinent ou se refusent à le faire.
A tous, donne un peu de ta sagesse.

Au nom du Père, je te prie pour les journalistes qui ont une responsabilité dans la formation de l'opinion publique.
Rends les attentifs à leur devoir.
Fais les se soucier de la vérité et non de la polémique.
A tous donne un peu de ton discernement.

Au nom du Père, je te prie pour les soignants.
Soutiens leurs efforts et consolide la sollicitude qu'ils montrent aux malades qui sont dans leurs mains.
A tous donne un peu de ta bonté.

Au nom du Père, je te prie pour tous ceux qui ne peuvent pas encore se réjouir, les pauvres, ceux que je croise et ceux que je ne verrai jamais.
Les prisonniers. Les vieillards. Les isolés.
Les enfants qui n'ont pas de parents ou pas de bons parents.
A tous donne un peu de ta force.

Nous avons tous besoin maintenant d'un courage nouveau pour dépasser l'endroit où nous nous trouvons.
Ne nous laisse pas trop désemparés.
Ne nous laisse pas trop préoccupés de nous-mêmes.
Rends nous sensibles aux besoins de ceux qui sont mis sur notre chemin par
le hasard ou ta sainte volonté.
Fais-nous trouver la parole ou le geste qui apaise, soutient, encourage.

Nous te le demandons au nom de ton fils bien aimé, notre Seigneur Jésus Christ, qui sur les chemins du monde, a parlé sans haine ni crainte et a remis debout les humains qu'il a rencontrés. Amen

mercredi 6 mai 2020

Lettre pastorale du 6 mai 2020. Dieu, où est-il ?


Dieu, où est-il ?

                  Lorsque Jésus mourut, le voile du Lieu Très Saint se déchira en deux, du haut en bas (Marc 15,38). Dieu était chez lui dans ce lieu qu’on appelait tout simplement Le Lieu.
                       Mais Dieu était-il vraiment présent dans ce seul Lieu et nulle part ailleurs ? La question de sa présence dans Le Lieu a longtemps – et peut-être même toujours – agité les esprits. Pendant le temps de l’Exil, lorsque le premier Temple avait été détruit, où Dieu était-il ? La plupart des dignitaires religieux de Jérusalem ayant été déportée en Babylonie, Dieu s’y était-il rendu aussi ? Et avant que l’Arche d’Alliance ne soit déposée dans ce premier Temple, où Dieu habitait-il ? Les écrits de l’Ancien Testament nous font témoins de discussions difficiles à ce sujet, et parfois de condamnations et de ruptures. L’installation exclusive de Dieu au cœur du premier Temple ne s’est pas faite sans querelles ni sans violence.
               Au temps de Jésus, il y avait des synagogues dans tout le pays, tout autour de la Méditerranée, et jusqu’en Babylonie ; Dieu y était-il présent ? Puis, lorsque la destruction du deuxième Temple a eu lieu, en l’an 70 après Jésus Christ, où Dieu est-il passé ?
                      Lorsque Jésus meurt et que le voile du Lieu Très Saint se déchire du haut en bas, c’est l’intimité de Dieu qui est exposée, simultanément en deux lieux : dans le Temple, où plus rien n’est dissimulé, et à la Croix, où tout est exhibé, l’incarnation de Dieu dans sa brutale nudité. Telle est la croix ! L’auteur de l’évangile de Marc a la conviction qu’à partir de la mort de Jésus, Dieu n’est plus à rechercher dans des Lieux Saints ou Très Saints, ni dans aucun lieu de pèlerinages, ni dans aucun lieu de dévotions. Dieu doit être recherché là où Jésus se manifeste. C'est-à-dire là où Jésus souffre et meurt, mais aussi là où Jésus prêche, enseigne, accompagne et soulage la souffrance.
                  La pâte humaine, la vie humaine, le corps humain abîmé, le corps humain dévoué au service de ses semblables, tel devient alors le Temple de Dieu, et telle sera désormais, et pour toujours sa demeure. Cette pensée a connu de multiples expressions. Elle a été mise en musique par Bach, un peu avant la fin de la Passion selon Matthieu : « Purifie-toi, mon cœur. Je veux ensevelir Jésus moi-même. Car il doit, dès maintenant et pour toujours, avoir en moi son doux repos. Monde, va-t-en ! Laisse Jésus entrer ! »

                  Dieu, où est-il ? Nul n’a attendu le commencement de la pandémie de Covid-19 pour se poser la question. Dieu, depuis que nous sommes confinés, depuis que la pandémie s’est installée, n’est pas parti ailleurs. Il est là où il a toujours été. Les lieux où il est présent se sont même multipliés. Il est là où des équipes médicales travaillent d’arrache-pied pour la guérison de leurs semblables. Il est là où le moindre geste est accompli qui soulage, qui aide. J’aime à l’imaginer présent là où l’on tire l’aiguille pour la confection de masques. Là où l’on maintient possible le ravitaillement de la population.
                  Dieu est là aussi où l’on pleure ceux-là qui ne sont plus. Discrète présence divine, et sérieux accompagnement humain se sont unis pour cheminer dans la tristesse, avec les modestes moyens qui sont à notre disposition en ce moment.
                  Lorsque les temps en seront venus, nous pourrons organiser des cérémonies pour dire, une fois encore, notre reconnaissance à Dieu. Il sera temps aussi de revenir à la célébration publique du culte. Mais, pour l’heure, il nous faut encore un peu attendre.

                        Pasteur Jean DIETZ, 6 mai 2020

dimanche 3 mai 2020

Des bergers et des brebis (Jean 10,1-10)


Cela fait déjà assez longtemps que nous ne nous sommes pas rassemblés en peuple – c'est-à-dire physiquement, tous ensemble, pour partager la Parole et le Repas.
Peut-être ressentons-nous comme une absence. La proximité de nos sœurs et de nos frères, le rassemblement du dimanche, seraient-ils une nécessité pour que vive la foi ?
Mais cette absence n’est-elle pas l’occasion d’approfondir notre relation personnelle avec Dieu ?
La foi a, de ce point de vue, deux dimensions au moins : une dimension personnelle et intime, et une dimension collective et communautaire.
Ces deux dimensions sont-elles séparables ? Existent-elles l’une sans l’autre ? Doivent-elles exister uniquement l’une pour l’autre ?
Nous sommes invités ce dimanche à lire quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de Jean.

Jean 10
1 «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et ils les emmène dehors.
4 Lorsqu'il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu'elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger; bien plus, elles le fuiront parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers.»
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu'il disait.
7 Jésus reprit: «En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance.
Prédication
            Avant de commenter ces quelques versets, je voudrais en appeler à vos souvenirs de lecture.
Juste avant le chapitre 10 de l’évangile de Jean, il y a le chapitre 9. Et dans ce chapitre 9, il s’agit d’abord d’une guérison, celle d’un aveugle de naissance. « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui, ou ses parents ? » Cette question est posée à Jésus par ses disciples. Mais Jésus ne s’intéresse pas à ce genre de spéculation. Il préfère guérir cet aveugle.
Polémique s’ensuit avec des autorités religieuses, désignées sous le nom de Pharisiens. Voici les derniers versets de ce chapitre 9 : « 39 Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.» 40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi?»  41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure. »
            Polémique sur la cécité, celle des yeux, ou celle de l’intelligence ? Polémique sur la manière de faire le bien ? Polémique sur les prétentions de certains ?  Pourquoi cette polémique ? Parce que la guérison avait eu lieu un jour de sabbat ? Parce que Jésus et ses détracteurs n’étaient pas de la même école ? Parce que Dieu exauçait Jésus bien que Jésus ne respectât pas le sabbat ? Oui… bien sûr, tout cela. Mais il y a plus, et plus grave. Le chapitre 10 de l’évangile de Jean continue clairement le chapitre 9. Nous allons essayer de comprendre ce plus grave : histoire d’aveugles et de brebis, de guides d’aveugles et de bergers, de croyants et de leurs pasteurs...

            Commençons par une question toute simple : l’aveugle, livré à lui-même, où va-t-il, peut-il choisir son chemin ? Cet aveugle ne va nulle part, il prend un chemin sans le choisir, il est livré à la fantaisie de ceux qui acceptent de le guider.
L’aveugle est une sorte de paroissien idéal. Quelle initiative pourrait-il avoir ? Et la brebis, toute seule, où va-t-elle ? Elle ne va nulle part. Elle bêle après son troupeau. Et quand elle le retrouve enfin…
La brebis est un animal qui vit en troupeau, le troupeau avance en cohorte, ou en file indienne. Un animal suit un autre animal, l’animal ne voit du paysage ambiant que l’arrière-train de l’animal qui le précède. La brebis suit, pour le meilleur et pour le pire, toujours sans aucun discernement. La brebis pourrait être une sorte de paroissien, ou de paroissienne idéale, qui discute peu, qui avance sans rechigner, qu’on peut même aller jusqu’à tondre…
Et si par malheur les brebis deviennent trop peu nombreuses, on peut toujours voler celles des autres.
Pauvres bêtes, et pauvres paroissiens s’ils sont ainsi traités.

A ces manières brutales, Jésus oppose une toute autre image, de la brebis, du troupeau, bien entendu, mais aussi une toute autre image du berger – nous relisons les quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de Jean :
  1. Un enclos, une porte ; on ne se déguise pas, on n’escalade pas les murs, on en reste d’abord à des dispositions d’usage ; c’est par ces dispositions d’usage que tout peut commencer ;
  2. Les brebis toutes ensemble forment bien une sorte de communauté, mais chacune est appelée par son propre nom, question de respect de la personne et de son histoire ;
  3. On fait sortir les brebis de l’enclos traditionnel, car ce n’est pas dans les enclos que se trouve la nourriture ; si l’on maintient trop longtemps les brebis dans l’enclos, elles y dépérissent assurément ;
  4. Le berger digne de ce nom, ne se contente pas de les mener dehors et de les garder dans son sillage pour les faire revenir, serviles, toujours aux mêmes endroits ; le berger digne de ce nom apprend au contraire à ses brebis à aller et venir, à examiner, à discerner, à choisir parmi ce qu’elles trouvent et ce qu’on leur propose ; il leur apprend à trouver elles-mêmes de quoi se nourrir ;
  5. Le berger selon le cœur de Jésus prépare toujours l’émancipation de ses propres brebis ; c’est même à cela qu’il consacre le plus clair de son temps.
 
Mais s’agit-il de brebis, ou s’agit-il d’êtres humains ? S’agit-il de l’Église,  des croyants, paroissiens, et fidèles ? Qu’est-ce que leurs bergers espèrent pour elles, et pour eux ? L’aliénation, ou l’émancipation ?
Et que se joue-t-il dans cette parabole d’apparence si simple ? Une affaire de brebis qui ont réellement besoin de bergers, ou une affaire de bergers qui ont désespérément besoin de brebis ?

Avec une audace folle, Jésus – Jean 10,8 – affirme que « tous ceux qui sont venus avant (lui) sont des voleurs et des brigands ». Il défie ainsi l’histoire et les responsables religieux de son temps, il défie aussi – il interroge radicalement – les responsables religieux de tous les temps : bergers, ou brigands, du bétail, ou des êtres humains, aliénation, ou émancipation, servitude, ou responsabilité ?
Avec une audace folle aussi, Jésus affirme que « les brebis ne les ont pas écoutés », qu’elles les ont même fuis. Jésus affirme ainsi qu’il a foi en ceux qui croient. Il affirme qu’une foi vivante sait d’elle-même instinctivement discerner les mauvais bergers des bons bergers, les bons pâturages des mauvais pâturages.

A ceux qui Le suivront, Jésus promet la vie, la vie en abondance. Il leur promet surabondance de vie, une vie toujours risquée, toujours renouvelée, de réflexion, de décision, et d’engagement.
Notre Seigneur Jésus Christ a mené cette vie-là comme personne. Il en a proclamé la nécessité. Il en a connu l’intensité. Il en a célébré la beauté. Il en a payé, délibérément, le prix.
Puissions-nous, brebis que nous sommes, et ayant bien reconnu sa voix, décider de le suivre. Amen
Prière
Seigneur, je ne peux pas oublier l'obscurité et les souffrances de notre temps, les malentendus et les erreurs qui nous font nous tourmenter les uns les autres, les fardeaux et craintes que tant d'humains doivent porter en ce moment dans l’incertitude, et sans beaucoup de repères.

Je me tourne vers toi car je ne veux pas penser ou agir en mouton.

Je te demande de m’aider à réfléchir chaque fois que j’entends ou lis quelque chose, chaque fois que je suis tenté de donner mon avis sur tout et de colporter des propos simplistes ou accusateurs. Donne-moi, donne à tous un peu de ton discernement pour que les paroles que nous prononçons favorisent des échanges respectueux et constructifs.

Je te demande aussi le courage d’intervenir, chaque fois que nécessaire, et même à contre temps si besoin, pour mettre en œuvre concrètement dans l’ordinaire des jours, le commandement de la justice et de la fraternité.

Je ne veux pas penser ou agir en mouton, Seigneur.
Mais je ne suis pas seul au monde et fais partie de la foule de tes créatures.
Aide-moi à respecter le bien commun,
- malgré mon besoin de me défouler, à ne pas faire trop de bruit pour respecter le sommeil de ce voisin qui a besoin de repos,
- malgré ma peur de manquer, à ne pas acheter plus que nécessaire,
- malgré ma peur tout court, à ne pas tyranniser les autres par mes pronostics, mes opinions ou mes certitudes.

Seigneur, je ne veux avoir ni Dieu ni Maître hormis toi Seul.

Fais-moi sentir ta présence et obéir à la seule voix de ton Fils, notre Seigneur Jésus Christ, venu nous offrir la Vie. Amen