dimanche 23 septembre 2018

La Passion du Fils de l'homme (Marc 9,30-37)


Marc 9
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu'on le sache.
31 Car il enseignait ses disciples et leur disait: «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.»
32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l'interroger.
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait: «De quoi discutiez-vous en chemin?»
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s'étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s'assit et il appela les Douze; il leur dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.»
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir embrassé, il leur dit:
37 «Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé.»

Prédication
            Dans l’évangile de Marc, par trois fois, Jésus annonce sa Passion à ses disciples. L’annonce que nous avons ici est la seconde des trois. «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.»

            Tout de suite, faisons une pause ; et demandons-nous pourquoi nous considérons que ces quelques mots de Jésus sont une annonce de sa Passion ? La question vous semble absurde ? Mais elle ne l’est pas. Enfin… que cette question soit ou ne soit pas absurde, essayons de répondre.
            1. Les éditeurs de Bibles proposent, presque unanimement, une certaine interprétation de cette phrase. Nous considérons ainsi que c’est une annonce de la Passion parce que nos Bibles nous le suggèrent. Au dessus de Marc 8.31, de Marc 9.31 et de Marc 10.32, il est écrit, par les éditeurs de la Bible, que Jésus annonce sa Passion et sa Résurrection. Or ni le mot Passion ni le mot Résurrection ne figurent dans la phrase que prononce Jésus.
            Il faut se méfier un peu des éditeurs de Bibles et des intertitres par lesquels ils rompent la continuité du texte. Ces intertitres, souvent, dispensent le lecteur de réfléchir. Et c’est bien dommage.
            2. Mais alors, vous considérez que Jésus annonce sa Passion et sa Résurrection parce que, tout de même, lorsque dans la bouche de Jésus apparaît  que le Fils de l’homme va être livré, mis à mort et qu’il ressuscitera trois jours plus tard, c’est indéniablement le vocabulaire de la Passion et de la Résurrection.
            Certes, mais est-ce bien certain ? Est-ce qu’en interprétant ainsi la phrase que Jésus prononce on n’est pas en train de mettre un peu la fin avant le commencement, de faire valoir une fine connaissance de l’Evangile, et de l’opposer à l’ignorance, ou l’incompréhension des disciples de Jésus… comme si nous étions mieux informé, ou plus malins qu’eux ? Comme si, nous, nous comprenions ce que Jésus leur dit – ou cherche à leur dire.

            Avez-vous considéré un jour que, lorsque Jésus parle ainsi du  Fils de l’homme, il annonce que sa passion a déjà commencé et qu’elle est en quelque manière sans fin ?

            Revenons à cette phrase, traduction œcuménique de la Bible : « Le Fils de l'homme va être livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera. » Et puisque nous en sommes à nous méfier de tout, méfions-nous aussi du traducteur. Voici un mot à mot : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des humains, et ils le tueront, et, ayant été tué, trois jours après, il se relèvera. »
            Bien entendu, maintenant, vous pouvez aussi vous méfier du traducteur. Mais avant que vous vous méfiiez trop, demandons-nous ce que ce mot à mot peut apporter à notre réflexion.
1. Le Fils de l’homme est livré aux mains des humains (verbe à l’indicatif présent passif). Ce n’est pas dans le futur seulement qu’il le sera. Lorsque Jésus parle à ses disciples, il est déjà livré aux mains des humains, et donc livré aussi, voire même premièrement, à ses disciples, mais il est aussi livré aux foules, et livré aussi à ses détracteurs ; le Fils de l’homme – Jésus lui-même, Fils de Dieu – est encore livré aux lecteurs de l’Evangile. Il est livré à l’humanité. Il est livré à tous, c'est-à-dire que tous font et vont faire de lui exactement ce qu’ils veulent.
2. Et ce qu’ils font et vont faire, c’est le tuer. Et ils le tueront. Ceux qui le tueront ne sont pas seulement ces méchantes personnes qui ourdiront un procès inique contre Jésus et le feront exécuter sur l’autel de la paix romaine et sur l’autel de l’institution du Temple de Jérusalem. Non, ils le tueront, tous. Même les disciples de Jésus, même les lecteurs de l’évangile de Marc, ils tuent et vont tuer le Fils de l’homme. C’est une annonce prophétique.
3. Et, trois jours après il se relèvera. Vous savez bien qu’en langue grecque il n’y a pas de verbe qui signifie ressusciter ; le verbe ressusciter est une invention des traducteurs latins. Marc utilise le verbe ‘se relever’. En utilisant ce verbe, il nous rend le service de ne pas nous imposer l’idée qu’après ces premières relevailles, le Fils de l’homme ne peut plus jamais être tué. Ce qu’il nous suggère, c’est qu’autant de fois que le Fils de l’homme est tué par les humains, autant de fois, trois jours après, il se relève.

Qu’est-ce à dire que tout cela ? Le Fils de l’homme vit, parle, enseigne, guérit, nourrit…. Et en cela le Fils de l’homme est toujours livré aux mains des humains. Son enseignement les ravit, mais son enseignement aussi les trouble, les interpelle, les met en cause ; et tellement radicalement que, toujours, ils finissent par le tuer. Mais toujours aussi, trois jours plus tard – un certain temps – le Fils de l’homme se relève. Et avec lui se relèvent et ressurgissent l’interpellation des humains, la mise en question des humains, et l’espérance des humains, tous les humains, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, et tous ceux qui viendront. Tous, invités à prendre un même chemin, celui de l’apprentissage de la foi (Luther), ou celui de la sainteté (Calvin), qui sont un seul et même chemin.

Est-ce que les humains veulent de tout cela ?
1. Oui… Quelques-uns en tout cas ont répondu à l’appel et ils ont suivi celui qui les a appelés. Que dire de plus sur ce oui initial ? Le cœur humain n’est pas forcément mauvais, il peut ressentir l’appel du Fils de l’homme, et concevoir l’idée de le suivre, d’apprendre de lui…
2. Mais, lorsque les humains doivent comprendre que leur maître n’est pas un maître ordinaire, que le Fils de l’homme est – parce qu’il est Fils de l’homme – livré aux mains des humains, lorsqu’ils doivent comprendre quelle consécration va être la leur et quel abîme les sépare de cette consécration, alors, le oui se fait fragile, et, parfois, le oui se transforme en non. Et la preuve évidente de ce non, c’est que chaque fois que Jésus annonce sa passion, non pas celle de la semaine sainte, mais sa « passion de chaque jour » (Marc 8, 9 et 10) les disciples réagissent à cette annonce par de violentes réactions de déni : Pierre le réprimande, les disciples se querellent sur qui est le plus grand, Jacques et Jean demandent une faveur spéciale… Ce sont des réactions de déni devant une vérité qui déchire : le oui de leur réponse à l’appel de Jésus ne résiste pas à la tension des plus grands engagements. Tout comme ce oui ne résistera pas lorsque Judas ira trahir Jésus, tout comme le oui ne tiendra pas à Gethsémanée, ne résistera pas lorsque Pierre sera interpellé, et ne résistera pas lorsque les femmes, au matin de Pâques, ayant vu et entendu l’ange, prennent la fuite et ne disent jamais rien à personne. Le oui alors devient non. Marc est-il pessimiste ? Son évangile est-il l’évangile de la fin de l’Evangile ?
3. La vérité que Jésus Christ Fils de Dieu énonce est une vérité qui déchire : le oui devient non. Mais cette vérité n’est pas toute entière dite en disant que le oui devient non. Le non, que devient-il ? Il n’y a pas que le Fils de l’homme qui se relève après avoir été mis à mort. Se relèvent aussi les disciples de Jésus. La fin la plus ancienne de l’évangile de Marc ne nous dit pas lesquels, mais il est certain qu’il y en a. L’existence même du texte de l’évangile de Marc est le signe que, pour certains disciples, qui sont des humains, pour certains humains, le non devient oui. Cette vérité qui déchire est soudainement reçue. Le rejet devient accueil. Et alors on reprend la lecture, et on s’engage de nouveau. C’est une suite, un nouveau commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu. Amen

dimanche 16 septembre 2018

La Tentation et les signes du ciel (Marc 8,11-12)

(1) Signes du ciel, voix du ciel, autant de périphrases pour ne pas dire Dieu, pour ne pas prononcer le nom imprononçable, le nom qu'on ne doit pas prononcer pour rien. La liste Dimanche et fêtes poursuit à grands pas sa traversée de l'évangile de Marc. Et je poursuis ma propre traversée, à pas plus mesurés.
(2) J'enjambe cependant le second récit de multiplication des pains et quelques autres actes de puissance. Jusqu'à arriver à ceci, dont je vous donne deux traductions :

Marc 8

11 Les Pharisiens vinrent et se mirent à discuter avec Jésus; pour lui tendre un piège, ils lui demandent un signe qui vienne du ciel.
12 Poussant un profond soupir, Jésus dit: «Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe? En vérité, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette génération.»


11 Les Pharisiens vinrent et se mirent à discuter avec Jésus pour demander, tout spécialement de lui, un signe venant du ciel ; pour le tenter.
12 Poussant un profond soupir, Jésus dit: «Pourquoi cette engeance demande-t-elle un signe? En vérité, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette engeance.»
Prédication
            Laissez-moi vous raconter une histoire de Rabbins. Je vous la raconte à peu près telle qu’Elie Wiesel l’a rapportée dans ses Célébrations talmudiques.

            « Dans la célèbre Académie de Yavné, un débat violent sur un point de droit plutôt compliqué opposa Rabbi Eliézer à ses collègues. Il s’agissait d’un fourneau en grès spécial (…) dont on se demandait s’il fallait le considérer pur ou impur. Rabbi Eliézer ne voyait pas de raison de douter de sa pureté. Quant aux autres sages, ils invoquèrent toutes les raisons du monde pour le déclarer impur. Seul contre tous, Rabbi Eliézer défendit sa position avec acharnement et fermeté. En vain : imperturbables, ses adversaires refusèrent en bloc de changer d’avis. Ayant épuisé les arguments rationnels, Rabbi Eliézer se tourna vers le surnaturel et s’écria : « Si la Loi est telle que je la conçois, que ce caroubier nous en fournisse la preuve ! » Et l’arbre, brusquement déraciné, se déplaça de deux cents mètres. Nullement impressionnés, les Sages répondirent : « Le comportement d’un végétal ne constitue guère une preuve. – Si la Loi me donne raison, dit Rabbi Eliezer, que cette rivière en fasse la preuve ! » Et la rivière se mit à couler à l’envers. Toujours inébranlables, les Sages dirent : « Une rivière ne prouve rien. » Alors Rabbi Eliézer déclara : « Si j’ai raison, que les murs de cette maison d’étude le confirment ! » Et les murs se mirent à s’incliner ; ils allaient s’écrouler, mais Rabbi Yeoshoua réprimanda les murs eux-mêmes : « Si ceux qui étudient la Loi se disputent sur son interprétation, cela ne vous regarde pas ! » Par respect pour Rabbi Yeoshoua, les murs ne s’effondrèrent pas ; mais par respect pour Rabbi Eliézer ils ne se redressèrent pas. Ils restèrent inclinés mais debout. Excédé, Rabbi Eliézer s’exclama : « Si la Loi est conforme à mes vues, que le ciel le proclame ! » Et une voix se fit entendre du ciel : « Qu’avez-vous donc à tourmenter Rabbi Eliézer ? Ne savez-vous donc pas que, dans un débat sur l’interprétation de la Loi, sa décision prime toutes les autres ? » Là-dessus, Rabbi Yeoshoua tonna : « La Loi n’est pas au ciel, nous enseigne la Bible. Qu’est-ce que la Bible veut nous enseigner par là ? » Rabbi Yrmia répondit : « Cela veut dire qu’il ne nous incombe plus d’écouter les voix du ciel, mais de suivre la majorité. Et la majorité est contre Rabbi Eliézer. »
            Pourquoi cette histoire ? Elle illustre à quel point il est facile d’instrumentaliser Dieu, et combien il est difficile de résister à la tentation de l’instrumentaliser. Les plus grands peuvent faillir. C’est pour lutter contre ce risque que de la tradition orale on est passé à la tradition écrite. Ainsi la lecture collective suivie d’un vote a pris plus de poids que la parole personnelle d’un seul expert. Cela n’est pas sans inconvénients : les majorités écrasantes ne défendent pas toujours un point de vue raisonnable… Et puis le texte lui aussi peut être instrumentalisé. Mais chacun peut revenir au texte.  

Rabbi Eliézer fut disqualifié à la suite de cette affaire, et l’on proposa même qu’il fût excommunié. Pour quelle faute ? Certainement pas la faute d’avoir été minoritaire. La très grande faute de Rabbi Eliézer a été de profiter de son statut d’immense autorité pour ordonner au ciel lui-même de défendre son point de vue personnel. A quelle tentation Rabbi Eliezer a-t-il succombé ? La plus grande, la plus grave de toutes… Se mettre à la place de Dieu, se faire Dieu, tout seul, seul sans personne, seul sans la reconnaissance de personne, sans la contestation de personne...

            Il est d’ailleurs bien étonnant que le ciel se laisse faire par Rabbi Eliézer. Le ciel – Dieu – se laisse faire, au point qu’il faut que Rabbi Yeoshoua et Rabbi Yrmia interviennent pour que les choses rentrent dans l’ordre, Dieu à la place de Dieu, et l’homme à la place de l’homme. Le ciel se laisse parfois faire, mais nous ne commentons pas cela aujourd’hui. Ce sera l’objet d’un autre sermon, peut-être.

            Revenons à l’évangile de Marc dans lequel il y a plus d’une voix céleste. Lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils, le bien-aimé, en qui j’ai trouvé toute ma joie. » Et ça continue ainsi : «  12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert. 13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. »
L’identité de Jésus est dévoilée par le ciel lui-même. Personne n’a ordonné à cette voix de parler. Mais que se passe-t-il ? Vient la tentation, le désert, tentation dont l’objet est très explicitement décrit : Jésus était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. Jésus, Christ, Fils de Dieu, tout seul, pénard, tranquille, ne manque de rien… Le Fils de Dieu est aux abonnés absents. N’aurait-il pas cédé à la même tentation que Rabbi Eliézer ? Se faire Dieu tout seul, sans l’appui de personne, sans l’opposition de personne, sans faire l’expérience de l’humanité, en se coupant d’elle ? Peut-être bien. Et nous, nous disons : « Qu’avons à faire d’une voix du ciel qui désigne le Fils de Dieu si ce Fils de Dieu n’y est pour personne ? » 

            Passés 40 jours, et après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée et il commence son ministère de prédication et de guérison… Au cours duquel la tentation reviendra vers lui.
La tentation revient lorsque les Pharisiens demandent à Jésus qu’il produise, tout de suite et là devant eux, un signe du ciel. Et à cet instant, Jésus se trouve exactement dans la situation de Rabbi Eliézer. S’il prouve à l’instant sa puissance en convainquant le ciel, il se place au-dessus du ciel, il se place au-dessus de Dieu. Et alors pour ses adversaires, il est un blasphémateur. Mais s’il refuse, ou échoue, il est alors un imposteur, ou un incapable. Vous avez bien lu qu’après un profond soupir, le soupir d’un homme de bien désespéré par la profondeur de la bêtise humaine, Jésus refuse simplement de rentrer dans ce jeu...

            La messianité de Jésus Christ Fils de Dieu ne tient pas aux voix du ciel prononcées lors de son baptême et lors de la transfiguration ; sa messianité ne tient pas aux actes de puissance et autres miracles qu’il accomplit ; elle ne tient pas non plus à ses enseignements extraordinaires et souvent énigmatiques… Oui, Jésus fait tout cela, mais la messianité de Jésus tient, d’une manière essentielle, à sa résistance à la tentation. Jésus résiste à la tentation dans l’extrait que nous avons lu, mais il résiste aussi à la tentation lorsqu’il sort de son bienheureux séjour au désert pour se lier avec ses semblables, et pour épouser la condition des humains.
On sait jusqu’à quelle extrémité tragique Jésus épousera la condition humaine. On sait jusqu’à quel point ira son engagement ! Nul ne peut être plus engagé envers ses semblables. Il s’engage en guérissant, en enseignant, en nourrissant… Autant d’actes de puissance dans lesquels il se livre à l’humanité. Et il se donne aussi totalement en se donnant à manger et à boire. Lorsque, ayant été mangé et bu, c'est-à-dire consommé, ses disciples le trahiront, Jésus ira jusqu’au bout, jusqu’à la pire extrémité de l’expérience humaine, la croix.
            Mais rien de tout cela n’est destiné à prouver qu’il est Christ. Jésus ne cherche aucunement à prouver qu’il est Christ… Et s’il est bien Christ Fils de Dieu, c’est seulement parce qu’il est reconnu comme tel par ces humains avec qui il s’est si profondément, si totalement, lié… et dont certains, disciples attitrés ou purs anonymes se sont aussi lié à Lui.
            Pour eux – mais pour eux seulement – tous les actes de puissance de Jésus peuvent être autant de signes du ciel, signes qu’ils n’ont pas exigés, mais qui leur ont été simplement donnés, et qu’ils ont non moins simplement reçus. Les signes du ciel n’arrivent qu’à ceux qui ne les réclament pas, ne les attendent pas, et ne les accaparent pas. Ils ne sont pas la récompense de la foi, pas la condition de la foi, ni le remède du doute. Dans l’évangile de Marc, où croire, où vivre l’évangile, c’est se lier à ses semblables, les signes du ciel ne viennent d’ailleurs ni avant qu’on croie, ni après qu’on aura cru, mais ils sont le regard de la foi. La foi grandit. Les signes du ciel sont là.
            Et même lorsque les signes du ciel lui ont été donnés, celui qui croit continue de chanter et de prier : « Ouvre mes yeux, Seigneur, aux merveilles de ton amour. »

dimanche 9 septembre 2018

Changer le coeur de l'homme - deuxième partie (Marc 7,24-31)

Marc 7
14 Puis, appelant de nouveau la foule, il leur disait: «Écoutez-moi tous et comprenez.
15 Il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur.»
17 Lorsqu'il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogeaient sur cette parabole.
18 Il leur dit: «Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne savez-vous pas que rien de ce qui pénètre de l'extérieur dans l'homme ne peut le rendre impur,
19 puisque cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s'en va dans la fosse?» Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
20 Il disait: «Ce qui sort de l'homme, c'est cela qui rend l'homme impur.
21 En effet, c'est de l'intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres,
22 adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison.
23 Tout ce mal sort de l'intérieur et rend l'homme impur.»

24 Parti de là, Jésus se rendit dans le territoire de Tyr. Il entra dans une maison et il ne voulait pas qu'on le sache, mais il ne put rester ignoré.
25 Tout de suite, une femme dont la fille avait un esprit impur entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds.
26 Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance. Elle demandait à Jésus de chasser le démon hors de sa fille.
27 Jésus lui disait: «Laisse d'abord les enfants se rassasier, car ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens.»
28 Elle lui répondit: «C'est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent des miettes des enfants.»
29 Il lui dit: «À cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille.»
30 Elle retourna chez elle et trouva l'enfant étendue sur le lit: le démon l'avait quittée.
31 Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.
Intense réflexion !
Prédication
            C’est ce qui sort du cœur de l’homme – et la liste est longue – qui rend l’homme impur. Nous avons médité ces versets la semaine dernière. Et nous nous sommes quittés sur l’affirmation, que l’intérieur du cœur de l’homme peut être purifié  pourvu que l’homme persiste dans la prière, la liturgie, dans l’étude et la méditation de la Bible.
            On n’a pourtant pas fait le tour de la question avec cette réponse simple et d’ailleurs peu construite. Alors, peut-on aller plus loin ? Oui. Car dans les versets qui suivent, des choses vont sortir du cœur d’une femme païenne, et aussi du cœur de Jésus. Pur, ou impur ?

            Commençons par la femme païenne, qui se jette aux pieds de Jésus, et lui demande de chasser le démon hors de sa fille. Son comportement relève-t-il d’un des points de la liste dressée par Jésus ? (v.21 et 22) Ayant pris le temps de relire cette liste, nous finissons par estimer que non, non d’autant plus que ce qu’elle demande n’est même pas pour elle-même mais pour un tiers, sa fille. Ce qui nous invite à considérer que le cœur de cette femme est pur.
Le cœur d’une femme païenne est pur. Les bons chrétiens que nous sommes ont l’habitude de considérer que l’humanité est indivisible. Il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs, etc. Alors nous ne sommes pas trop étonnés. Mais nous ne devons pas aller trop vite en besogne : cette femme est païenne, et Jésus est Juif… disons plutôt qu’il est Galiléen. Nous nous souvenons que les Juifs étaient fort divisés entre eux au temps où Jésus prêcha… Les Judéens – habitants de la Judée – et plus encore les Jérusalémites, avaient une très haute opinion d’eux-mêmes et regardaient à peu près tout le monde de haut, avec mépris, même les Galiléens, et évidemment les païens. Pour un Judéen, un païen ne peut certainement pas être pur. Qu’en est-il pour un Galiléen ?
            Retour au texte qui nous renseigne sur le point de vue de Jésus, qui est Galiléen. « Laisse en premier se rassasier les enfants, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Qu’est-ce que cela signifie ? Des commentateurs font valoir que la prédication de Jésus, l’annonce et la réalité du salut sont destinées en premier au Peuple Elu, puis, plus tard, ou en second, aux païens, au reste de l’humanité. C’est pour cela que Jésus dit « Laisse en premier… » Mais cela est discutable, parce qu’il faudrait être en mesure de préciser à partir de quel moment le « en premier » est terminé et le « en second » commence. On pense bien entendu à la Passion de Jésus, comprise comme un rejet massif de Jésus par son peuple, rejet ouvrant grand les portes du salut à tout le monde païen. Mais là aussi c’est discutable, parce que la prédication de Jésus a toujours été publique, entendue par toutes sortes de gens, dont certainement des païens ; c’est aussi discutable parce que la notion de Peuple Elu n’est pas vraiment présente dans l’évangile de Marc, et est de toute manière vague, vu l’état de morcellement de la population palestinienne ‘adoratrice de Iahvé’ à l’époque évangélique. Nous risquons toujours d’introduire dans le texte des notions qui ne s’y trouvent pas. Et il ne faut pas que nous nous trompions : ce n’est pas le catéchisme qui permet de comprendre la Bible, mais la Bible qui est toujours critique du catéchisme.
            Aussi bien nous faut-il serrer le texte de près, et nous demander ce que signifie le refus de Jésus, et s’il ne ressort pas d’un des éléments de la liste dressée aux versets 21 et 22. Qu’y a-t-il dans le cœur de Jésus ? Qu’est-ce qu’il en sort lorsqu’il répond à la femme syro-phénicienne ? 

Nous l’avons dit tout à l’heure : les Judéens regardent de haut les Galiléens. Tout peuple regarde toujours de haut ses proches voisins, et cela prend souvent les traits bien connus d’histoires drôles pas toujours de très bon goût. Longevernes et Velrans, Wallons et Flamands, Parisiens et provinciaux, Français et Belges, Anglais et Irlandais... Et plus on est proches voisins, voire proches cousins, plus le mauvais goût s’impose. Le mépris ordinaire, même coiffé d’histoires drôles, reste bien du mépris. Les Judéens regardent de haut les Galiléens. Et les Galiléens, qui se sentent aussi Fils d’Israël, regardent de haut les païens. Ainsi, lorsque Jésus parle de petits chiens à la femme, ce n’est pas pour l’honorer. C’est d’ailleurs un choix de traducteur que de parler de petits chiens. Cela nous fait penser aux petits des chiens, aux chiots, avec leurs grosses papattes et leur équilibre précaire, qui sont tout mignons… et cela nous évite de penser à des chiens tout court, efflanqués, sales et galeux. Cette femme est regardée de haut par un Galiléen, ce Galiléen la traite de chienne et la renvoie en somme d’un coup de pied.
Revenons avec cela à la liste des « intentions mauvaises » (v.21 et 22). Nous nous arrêtons sur « vanité ». Traduire est toujours délicat… mieux que vanité, nous pourrions dire orgueil, ou dédain, ou mépris. Et voici que, face à une femme païenne, notre Galiléen, Jésus, apparaît bouffi d’orgueil et méprisant. Cela, qui est dans son cœur, sortant de l’intérieur de lui, le rend impur. 

Jésus, impur ? Scandale pour bien des commentateurs. Comment Jésus Christ Fils de Dieu pourrait-il être impur ? Audace ! Blasphème ! Le Fils de Dieu ne peut pas être impur ! Certes, mais une fois encore, ce n’est pas le catéchisme – Jésus est sans péché, il ne peut pas être impur, etc. – qui explique la Bible, mais la Bible qui critique le catéchisme.  
Il appartient au génie de Marc – premier auteur d’un évangile et écrivain très audacieux – de mettre en question certaines idées probablement reçues déjà de son temps. Et pour nous, nous n’allons pas conclure que oui, Jésus est impur, tout comme nous n’allons pas conclure, que oui, il est pur. Un moment de notre lecture ne suffit pas à caractériser un homme, et moins encore un Dieu. Et puis notre question n’est pas là – la question n’est pas là. Avancer que le cœur de Jésus est porteur d’« intentions mauvaises », est une étape nécessaire pour poser la question qui nous intéresse depuis deux semaines : le cœur d’un homme peut-il être purifié, un homme peut-il changer ? »
Nous avons suggéré, il y a une semaine, qu’en persistant dans la prière, dans la liturgie, dans l’étude et la méditation de la Bible, un homme peut changer, purifier son cœur. Nous l’avons suggéré, et nous persistons. Mais, dans le texte de cette semaine, il y a plus.

Il y a la répartie de la femme syro-phénicienne, que voici dans sa version la plus percutante : « Les chiens, sous la table, mangent une part des miettes des enfants. »  La femme ne dit ni oui, ni mais, elle réplique. Elle met en avant ce que tout le monde observe, ce que tout le monde sait : les chiens sont sous la table, tout le temps, et des miettes tombent de dessus la table, tout le temps aussi, quand ce ne sont pas les enfants qui, délibérément, tendent sous la table une part aux chiens. Ce qui signifie qu’il n’y a aucune priorité pour personne. L’annonce du salut par le ministère de Jésus est donc, selon Marc, d’emblée adressée tant aux païens qu’aux Juifs ; et les païens sont, dans cet épisode, plus réceptifs que les Juifs au ministère de Jésus.
Mais ce n’est pas fini. Jésus est touché – disons-le – en plein cœur par la phrase de la femme. Immédiatement, il intervient en faveur de la fille de cette femme. Ce qui indique que son cœur a changé, qu’il a été purifié.
Un cœur donc peut changer, en presque un instant. Un homme peut être touché au cœur, et être purifié, sous l’effet de la parole d’un autre être humain – ici sous l’effet de la parole d’une femme païenne. En un instant… ou en un temps plus long.
Et c’est ici que le texte interroge son lecteur : qui regardes-tu de haut ? Accepteras-tu d’être touché par l’un ou l’une de ceux-là que tu regardes de haut ? Te laisseras-tu écorcher par la parole ? Entreprendras-tu ce travail de purification ?

Nous allons laisser là ces questions. S’agissant de Jésus, la réponse est positive. Et s’agissant de nous ? Puissions-nous répondre. Et puissions-nous, s’il le faut, lentement peut-être, nous laisser transformer. Amen
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu !

dimanche 2 septembre 2018

Changer le cœur de l'homme - première partie (Marc 7,1-23)


Marc 7
1 Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus.
2 Ils voient que certains de ses disciples prennent leurs repas avec des mains impures, c'est-à-dire sans les avoir lavées.
3 En effet, les Pharisiens, comme tous les Juifs, ne mangent pas sans s'être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens; 4 en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions; et il y a beaucoup d'autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés: lavages rituels des coupes, des cruches et des plats.
5 Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus: «Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas conformément à la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures?»
6 Il leur dit: «Esaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, car il est écrit: Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi; 7 c'est en vain qu'ils me rendent un culte car les doctrines qu'ils enseignent ne sont que préceptes d'hommes. 8 Vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes.»
9 Il leur dit: «Vous repoussez bel et bien le commandement de Dieu pour garder votre tradition. 10 Car Moïse a dit: ‹Honore ton père et ta mère›, et encore: ‹Celui qui insulte père ou mère, qu'il soit puni de mort.› 11 Mais vous, vous dites: ‹Si quelqu'un dit à son père ou à sa mère: le secours que tu devais recevoir de moi est qorbân, c'est-à-dire offrande sacrée...›, 12 vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère: 13 vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre.»
14 Puis, appelant de nouveau la foule, il leur disait: «Écoutez-moi tous et comprenez. 15 Il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur.»

17 Lorsqu'il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogeaient sur cette parole énigmatique.
18 Il leur dit: «Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne savez-vous pas que rien de ce qui pénètre de l'extérieur dans l'homme ne peut le rendre impur, 19 puisque cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s'en va dans la fosse?» Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
20 Il dit: «Ce qui sort de l'homme, c'est cela qui rend l'homme impur. 21 En effet, c'est de l'intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres, 22 adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison. 23 Tout ce mal sort de l'intérieur et rend l'homme impur.»


Prédication :
            Pur, ou impur ? Supposons que nous devions aujourd’hui célébrer la Sainte Cène, ou que nous devions partager un repas communautaire, est-ce que la question du pur ou de l’impur se poserait à nous, au point que certains participants s’excluraient du repas, ou excluraient d’autres participants, pour des raisons de pureté, pureté des personnes, pureté de la nourriture, pureté de la vaisselle ? Vous n’imaginez pas que cela se produise entre nous. Nos communautés – protestantes, luthéro-réformées, en France, ont réglé depuis longtemps cette question. Le rituel d’avant manger est réduit : une prière ou un chant, ou rien du tout. Et l’on ne se fait pas de guerre avec ça. La question de la pureté rituelle d’avant manger n’est pas chez nous une question vraiment importante.
            Elle avait, cette question du pur et de l’impur, du temps de Jésus, et du temps de Marc l’évangéliste, une tout autre importance. Un exemple : on ne se lavait pas les mains, et l’on ne purifiait pas les plats de la même manière à Qumran et à Jérusalem. A Qumran, où l’on a retrouvé les manuscrits dits de la Mer Morte, mais aussi un ensemble architectural, il semble même que les rituels de purification aient atteint des sommets de sophistication ; on pense que les immenses bassins de rétention d’eau qu’on y a retrouvés ne servaient qu’à ça. Quant aux usages en Galilée, nous lisons que certains des disciples de Jésus ne se lavaient pas rituellement les mains, ce qui donne à penser que d’autres se les lavaient, et que les uns et les autres, disciples de Jésus, vivaient paisiblement cette diversité de pratique. Mais pour des gens plus observants, scribes Judéens, voir purs Jérusalémites, si un seul ne se lavait pas les mains, tout le groupe  était impur, tous contaminés par un seul.
            Alors, purs, ou impurs ? La question de la pureté a conduit à plusieurs schismes dans le Proche Orient ancien, schisme entre Jérusalem et Qumran, schisme entre Judée et Samarie (affaire de mariages avec des ‘étrangères’) ; très suspecte était aussi, vue de Jérusalem, cette Galilée des nations, où Jésus prêchait, dont le peuplement avait été tout chamboulé par les Assyriens six ou sept siècles plus tôt et qui, zone de passage, avait subi et subissait encore l’occupation et l’influence étrangères.
            Purs, ou impurs ? Ne laissons pas trop vite cette question. De la réponse qu’on lui apporte dépendent les alliances possibles, les soutiens possibles, les mariages possibles, la reconnaissance ou le mépris. Il s’est trouvé des radicaux pour affirmer qu’il y a autant de différence entre le Juif et l’humain qu’entre l’humain et l’animal…
            Le pur ou l’impur, dans notre texte et dans la bouche des Judéens venus se renseigner sur Jésus, n’a pas seulement une portée religieuse ou mystique. Ramené exclusivement à une question d’observance rituelle, il détermine objectivement les limites de la reconnaissance fraternelle. Ainsi, une seule question est posée à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne marchent-ils pas selon la tradition des anciens et prennent-ils leur repas avec des mains impures ? » Et alors, Jésus ne répond pas à cette question. Le ton monte immédiatement. Jésus insulte. C’est la guerre.

            Nous aurions bien aimé que Jésus réponde courtoisement à une question que nous aurions bien aimé être une question fraternelle, une demande d’éclaircissements, ou de précisions. Nous aimerions bien avoir, de la bouche même de Jésus, des éléments de réponse. Car la question du « Pourquoi faites vous ceci de telle manière ? » ne nous est pas étrangère, et qu’elle peut bien nous être posée à nous aussi. Or, autour de cette question, il y a une guerre à mener. Depuis que l’homme est homme et depuis qu’il invoque Dieu, il y a une question qui se pose : ce qui est sur les lèvres (la manière de confesser le Nom de Dieu et de célébrer Dieu), et ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, sont-ils en correspondance ? Bien entendu, s’il y a un Dieu violent inventé et adoré par des hommes violents, le rituel, la pensée et les actes convergent très aisément. Les récits des guerres de Iahvé, dans notre Bible, relèvent bien de cela. Mais lorsqu’il s’agit d’un Dieu qui cherche son peuple, qui le chérit, qui le secourt, qui lui fait grâce, quelle forme doit prendre l’adoration de ce Dieu, et quelle forme doit prendre la vie de ses adorateurs ?

            On ne devrait pas pouvoir se réclamer de Iahvé et de Moïse son Serviteur et laisser un grand écart entre ce qu’on célèbre et ce qu’on fait. Malheureusement, on le peut… les plus violents des adorateurs de Dieu que nous ayons connus ces dernières décennies se réclamaient bien du Très Miséricordieux, et de grands prédateurs sexuels aussi ont prospéré jusqu’à aujourd’hui dans des institutions se réclamant de Jésus Christ. Les prophètes qualifient d’égarement, de sottise, voire de monstruosité toute adoration menée sous ces auspices.
            La question soulevée n’est pas simplement se laver rituellement les mains ou ne pas se les laver. Ce n’est pas non plus peut-on manger de tout, ou pas. La question est : « Quel profit attend-on de sa propre pratique et de la pratique dont on fait promotion ? » Un profit de pureté, le texte tourne tout autour de cette notion, dont nous avons sous les yeux une version très dégradée : être pur, pour les détracteurs de Jésus, c’est être différent et séparé du reste du monde, en étant en plus bien entre soi entre gens biens semblables, vivant d’une unique manière le même rituel, en profitant largement des bénéfices pas seulement financiers du culte… Et il y a là-dessous une définition objective et exclusive de la pureté ; elle ne concerne que les apparences, et laisse totalement de côté les autres et le cœur.
            Ce qui est très étonnant ici, c’est que lorsque Jésus commence à avancer sa propre définition de la pureté, même ses propres disciples ne la saisissent pas. Or, il n’y a aucune différence profonde entre ceux qui se reconnaissent entre eux parce qu’ils se lavent les mains, ceux qui se reconnaissent entre eux parce qu’ils ne se lavent pas les mains, et ceux qui se reconnaissent entre eux à ce qu’ils se lavent ou ne se lavent pas les mains. Bien plus, tout signe religieux par lequel on se donne raison, par lequel on se distingue, par lequel on se sépare de ses semblables et avec lequel on les regarde de haut mérite l’invective prophétique de Jésus : « Hypocrites ! » Rien de ce qui entre dans l’homme, rien de ce que fait l’homme en matière de rituel, ne peut le rendre impur, nous l’avons lu, et seulement ce qui sort du cœur de l’homme peut le rendre impur, délibération mauvaises présidant à des actes mauvais. La liste de ces actes est longue, et tous ont en commun que celui qui les pense et les commet fait plus cas de lui-même que de son prochain, prochain pour lequel il n’a aucune considération, prochain qui n’est pas son prochain, mais juste un esclave, voire une proie. Des horreurs sortent alors du cœur de l’homme et sont mises en pratique.

            Ce qui nous mène à une ultime question : l’homme peut-il purifier l’intérieur de son propre cœur ? La question est ancienne, et elle est toujours d’actualité. Nous verrons la semaine prochaine qu’elle concerne Jésus lui-même. Autant qu’elle nous concerne nous.
L’homme peut-il purifier l’intérieur de son propre cœur ? Avec l’aide de Dieu, je pense que oui, je crois que oui. Persister dans la prière, dans la liturgie, dans l’étude et la méditation de la Bible… peut y contribuer. Je crois que c’est le chemin d’une vie et que, sur ce chemin, Dieu nous demeure toujours en aide. Amen