dimanche 31 décembre 2017

Soumission

Etre soumis à quelqu'un : lui obéir en toutes choses. On peut aussi dire "se soumettre à quelqu'un".
Soumettre quelqu'un : l'amener à vous obéir en toutes choses.

Synonymes : dompter, assujettir, asservir...

Se soumettre à Dieu : Dieu est le maître.
Se soumettre Dieu : se rendre maître de Dieu.


Un Dieu insoumis
Raphaël PICON
Genève, Labor et Fides, 2017


                        Le titre de cet ouvrage posthume de Raphaël Picon (1968 – 2016) pourrait faire penser qu’il est question d’y exposer l’une des perfections divines : l’insoumission. Pas besoin d’un ouvrage de théologie pour cela. Et d’ailleurs toute entreprise visant à établir l’insoumission de Dieu comme l’une de ses perfections se contredirait jusque dans ses prémisses. Que Dieu ne se laisse pas soumettre est une idée fort ancienne, très tôt recueillie par les auteurs bibliques. Que les humains ne cessent de tenter de se soumettre Dieu est une idée tout aussi ancienne et très bien documentée. Quant à ce qu’ils sont capables d’accomplir une fois qu’ils se sont soumis Dieu, pas besoin de le décrire. Un Dieu insoumis a une double portée, c’est un ouvrage confessant, presqu’autant qu’une déclaration d’amour, et c’est en même temps un manuel d’autocritique destiné aux théologiens. Comme Raphaël Picon avait, en 2001, publié Tous théologiens, on comprendra que ce nouvel opus sera utile à chacune et à chacun. Ou du moins à celles et ceux qui voudront s’interroger eux-mêmes sur l’usage qu’ils font du mot Dieu. L’intérêt essentiel est que Dieu n’est pas ici une entité abstraite ou un signifiant parmi bien d’autres. Il est ainsi envisagé, parce qu’il faut penser et critiquer, mais il ne cesse jamais d’être, en même temps, un Dieu personnel, un Dieu en qui l’on peut croire. La tension qui en résulte, aggravée par la structure fragmentaire de l’ouvrage, est d’ailleurs extrême. C’est une ligne de crête qui est suivie, sans chuter, ni d’un côté, ni de l’autre. Ces cinquante éditoriaux parus dans Evangile et liberté et maintenant rassemblés en un petit volume méritent donc une lecture très sérieuse et qui sera d’un grand profit. On n’y trouvera nulle contestation superflue du geste religieux, mais le constat toujours à renouveler que le geste religieux est par nature conservateur et qu’il est donc nécessaire de lui opposer « une exigence d’imagination et de créativité. » Exigence tenue, et invitation à laquelle il faut répondre.


Meilleurs vœux à mes chers lecteurs !

dimanche 10 décembre 2017

Sur la consolation (Esaïe 40,1-11)



Esaïe 40
1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu,
2 parlez au cœur de Jérusalem et proclamez à son adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu'elle a reçu de la main du SEIGNEUR deux fois le prix de toutes ses fautes.
3 Une voix proclame: «Dans le désert dégagez un chemin pour le SEIGNEUR, nivelez dans la steppe une chaussée pour notre Dieu.
4 Que tout vallon soit relevé, que toute montagne et toute colline soient rabaissées, que l'éperon devienne une plaine et les mamelons, une trouée!
5 Alors la gloire du SEIGNEUR sera dévoilée et tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du SEIGNEUR a parlé.»
6 Une voix dit: «Proclame!», l'autre dit: «Que proclamerai-je?» - «Tous les êtres de chair sont de l'herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs:
7 l'herbe sèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR vient sur elles en rafale. Oui, le peuple, c'est de l'herbe:
8 l'herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours!»
9 Quant à toi, Sur une haute montagne, monte, Sion, messagère d’une bonne nouvelle, élève avec énergie ta voix, Jérusalem, messagère d’une bonne nouvelle, élève-la, ne crains pas, dis aux villes de Juda: «Voici votre Dieu,
10 voici le Seigneur DIEU! Avec vigueur il vient, et son bras lui assurera la souveraineté; voici avec lui son travail, et devant lui son œuvre.
11 Comme un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble; il porte sur son sein les agnelets, procure de la fraîcheur aux brebis qui allaitent.»
Prédication : 
            Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ! Ces mots ouvrent une grande section du prophète Esaïe – 15 chapitres – qu’on appelle justement « le livre de la consolation ». Mais consoler, qu’est-ce que cela signifie ?
            Une petite recherche lexicale va nous rappeler que consoler Job, l’homme sur qui le sort s’était acharné, qui avait tout perdu, tout sauf la vie… consoler Job était l’objectif que s’étaient donné ses amis. Job a-t-il été consolé par ses amis ? Non. Cependant à la fin de l’histoire, Job est consolé : il retrouve le goût de vivre. Mais cela ne nous dit pas ce que c’est que la consolation. Retrouver le goût de vivre en est seulement la suite. Nous laissons Job, mais juste un instant. C’est qu’il y a un autre épisode important de la Bible dans lequel apparaît le mot traduit par consolation : le Déluge. Dieu, constatant que le mal s’est emparé de la création tout entière, création qu’il avait vouée à la bonté, décide de la détruite tout entière. Si vous traduisez aussi littéralement Genèse 6,6 que Esaïe 40,1, cela donnera que « Dieu se consola d’avoir créé… ». Le non sens est seulement apparent : consoler – le verbe hébreu traduit en Esaïe 40 par consoler – désigne un changement radical de point de vue accompagné par un changement radical dans la vie. Ainsi Dieu détruit-il ce qu’il a créé (le Déluge) ; ainsi Job reprend-il concrètement goût à la vie.
            Et voici que l’impératif se fait entendre : Consolez, consolez mon peuple ! Un consolateur se lève… plein de compassion et de bonne volonté. Mais, très vite, le consolateur va se poser deux questions. Comment faire ? Est-ce que ça va marcher ? Et bien notre texte propose 4 réponses à la question comment faire… quant à savoir si ça va marcher…

             Première réponse à la question comment faire : « 2 parlez au cœur de Jérusalem et proclamez à son adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu'elle a reçu de la main du SEIGNEUR deux fois le prix de toutes ses fautes. »
            Cette première réponse établit des liens entre le passé et la situation présente. La situation présente est le résultat d’une décision divine, liée à de mauvaises manières d’agir dans le passé. En somme, si le malheur vous frappe, c’est que Dieu l’a voulu et s’il l’a voulu, c’est que vous avez mal agi – vous ou vos ancêtres – et mérité une punition. Cependant, ça y est, c’est fini…
            Est-ce que ça marche ? Est-ce de nature à apporter la consolation ? Ou n’est-ce pas plutôt de nature à rajouter de la souffrance à la souffrance ? Est-ce vraiment Dieu qui suggère au consolateur de dire des choses pareilles ? Est-ce qu’une certaine forme de religiosité imprègne le cœur du peuple qui fait que lui rappeler une sorte de responsabilité historique serait de nature à le consoler… et si ce n’est pas à le consoler, à le faire réagir par un vigoureux « Non ! » ou à aggraver son désespoir ?
            En tout cas, ça n’a pas dû bien marcher, parce qu’après cette première réponse, il en vient une deuxième.
            Deuxième réponse à la question comment faire : « 3 Une voix proclame: «Dans le désert dégagez un chemin pour le SEIGNEUR, nivelez dans la steppe une chaussée pour notre Dieu. 4 Que tout vallon soit relevé, que toute montagne et toute colline soient rabaissées, que l'éperon devienne une plaine et les mamelons, une trouée! 5 Alors la gloire du SEIGNEUR sera dévoilée et tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du SEIGNEUR a parlé.»
            Cette deuxième réponse – toujours sous la forme d’une proclamation – lie la consolation et l’activité. La douleur et la tristesse vous écrasent ? Activez-vous, prenez la pelle et la pioche, épuisez-vous à telle tâche et ça ira mieux… voire beaucoup beaucoup mieux, à la fin. Prendre sur soi serait la voie de la consolation ? Ou encore, pour changer de regard sur la vie, changez le paysage… Oui, il est vrai, parfois, l’activité qu’on se donne, comme ranger un désordre ménager, peut conduire à un peu d’ordre aussi dans les idées. Mais d’une part, on est parfois tellement à bout de forces qu’on n’en a même pas la force, et d’autre part on ne voit pas nécessairement que cela change du tout au tout le rapport à la vie.
            Prendre sur soi et bouger, est-ce que ça marche ? Est-ce que ça console ? 

            Ici, nous marquons une pause, le consolateur aussi marque une pause. Ça n’a pas marché. Il n’a pas provoqué ce changement qu’il espère. Il commence même à douter de lui-même… Il faut dire que les lieux communs, les bonnes raisons, n’ont pas réussi à provoquer ce changement radical de point de vue. Les bons conseils sont inopérants. Les bonnes raisons d’être consolé ne consolent en général pas.
            Changement donc de perspective pour le consolateur. Une voix lui dit, « N’explique pas, imbécile, proclame ! » N’explique pas, imbécile, c’est moi qui le rajoute… Et imbécile n’est pas une insulte. Le consolateur est comme un imbécile : la situation que l’autre vit, il ne peut la comprendre, et toutes les ressources de sa propre intelligence sont inopérantes. La parole de consolation n’a rien à voir avec les bonnes raisons et les hautes pensées. Si elle vient, elle vient comme une proclamation qui traverse le consolateur, qui concerne le consolateur, et qui, d’une certaine manière, l’anéantit.
A ce moment donc, le consolateur est impuissant, et son vis-à-vis toujours inconsolé. Proclame, lui dit alors la voix. Et le consolateur, qui a déjà dit bien des choses – sous le nom de proclamation – ne sait évidemment plus que proclamer ! Et donc dit : « Que proclamerais-je ? » Et oui… que proclamerais-je lorsque je n’ai rien à proclamer ?
           
            Troisième réponse à la question comment faire : « «Tous les êtres de chair sont de l'herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs: 7 l'herbe sèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR vient sur elles en rafale. Oui, le peuple, c'est de l'herbe: 8 l'herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours!»
            Dans cette troisième réponse, il y a quelque chose très important qui apparaît. Tous les êtres de chair sont de l’herbe… De ce point de vue, le consolateur n’est clairement pas plus avancé que l’éprouvé ; le consolateur n’est pas – mais pas du tout – pas du tout du tout – celui qui sait, et surplombe, ou précède celui qui est éprouvé. Ils sont, l’un et l’autre, d’une même chair, d’une même fragilité devant le souffle tempétueux de la vie et de Dieu, mais aussi d’une même promesse. Quelle est cette promesse ? La parole de notre Dieu subsistera toujours ; elle s’est levée, se lève et se lèvera tant que durera l’Alliance, justement comme on se lève apaisé après la bénédiction d’un bon sommeil.
            Est-ce que cela apporte la consolation ? Je ne sais pas ; prétendre le savoir serait revenir en arrière dans notre méditation. Mais ce qui importe, maintenant, c’est que, consolateur et éprouvés, ils avancent ensemble. Avançons !
              Quatrième réponse à la question comment faire : « 9 Sur une haute montagne, monte, Sion, messagère d’une bonne nouvelle, élève avec énergie ta voix, Jérusalem, messagère d’une bonne nouvelle, élève-la, ne crains pas, dis aux villes de Juda: «Voici votre Dieu,10 voici le Seigneur DIEU! Avec vigueur il vient, et son bras lui assurera la souveraineté; voici avec lui son travail, et devant lui son œuvre. 11 Comme un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble; il porte sur son sein les agnelets, procure de la fraîcheur aux brebis qui allaitent.»
            Maintenant, le consolateur et l’éprouvé avancent ensemble, et le consolateur, peut proclamer sa foi qui peut, parce qu’ils marchent ensemble, peut-être, devenir leur foi commune. C’est emprunt de douceur, et ces images de bergers s’occupant tendrement de bêtes fragiles sont d’une grande beauté… mais le plus important n’est pas cela. Le plus important est de bien entendre que le Seigneur vient, qu’il a œuvré déjà, et qu’il œuvre, qu’il œuvre avant même que les éprouvés le sachent : devant lui est son œuvre.
            Cela est-il, finalement, de nature à apporter la consolation ? Ce texte ne dit pas combien de temps il faut marcher avec des éprouvés…

            Parfois – et parfois au bout d’un temps assez long après une catastrophe – le regard porté sur la vie vient à changer, et les éprouvés retrouvent un certain goût de vivre. La blessure demeure, ou une cicatrice, et la vie est là. Comment cela a-t-il eu lieu ? Nous n’entrons pas dans l’intimité des gens pour le savoir. Dieu le sait et, le consolateur, c’est lui.

            Amen  
- Snoopy, j'ai passé une mauvaise semaine...
- Qu'est-ce qu'on peut dire, quand tout semble sans espoir ?
- SMAK !!
- Trop bon conseil !

dimanche 3 décembre 2017

C'est Toi qui nous façonnes (Esaïe 63,16-64,7)

Marc 13 «Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller.  Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin, de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir. Ce que je vous dis, je le dis à tous: veillez.»
Esaïe
6316 C'est que notre Père, c'est toi! Abraham en effet ne nous connaît pas, Israël ne nous reconnaît pas non plus; c'est toi, SEIGNEUR, qui es notre Père, notre Rédempteur depuis toujours, c'est là ton nom.
17 Pourquoi nous fais-tu errer, SEIGNEUR, loin de tes chemins, et endurcis-tu nos coeurs qui sont loin de te craindre? Reviens, pour la cause de tes serviteurs, des tribus de ton patrimoine.
18 C'est pour peu de temps que ton peuple saint est entré dans son héritage; nos agresseurs l'ont écrasé, ton sanctuaire!
19 Et depuis longtemps nous sommes ceux sur qui tu n'exerces plus ta souveraineté, ceux sur qui ton nom n'est plus appelé. Ah! si tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient secouées devant toi,

641 tel un feu qui brûle des taillis, tel un feu qui fait bouillonner des eaux, pour faire connaître ton nom à tes adversaires; les nations seraient commotionnées devant toi,
2 si tu faisais des choses terrifiantes, que nous n'attendons pas: tu descendrais, les montagnes seraient secouées devant toi.
3 Jamais on n'a entendu, jamais on n'a ouï dire, jamais l'oeil n'a vu qu'un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui.
4 Tu surprends celui qui se réjouit de pratiquer la justice, ceux qui sur tes chemins se souviennent de toi. Te voilà irrité, car nous avons dévié; c'est sur ces chemins d'autrefois que nous serons sauvés.
5 Tous, nous avons été comme l'impur, et tous nos actes de justice, comme les linges répugnants; tous, nous nous sommes fanés comme la feuille, et nos perversités, comme le vent, nous emportent.
6 Nul n'en appelle à ton nom, nul ne se réveille pour t'en saisir, car tu nous as caché ton visage, tu as laissé notre perversité nous prendre en main pour faire de nous des dissolus.
7 Cependant, SEIGNEUR, notre Père c'est toi; c'est nous l'argile, c'est toi qui nous façonnes, tous nous sommes l'ouvrage de ta main.
Prédication :
Commençons notre méditation avec le dernier verset que nous avons lu dans le prophète Esaïe : « Et pourtant, Seigneur, notre Père c'est toi ; c'est nous l'argile, c'est toi qui nous façonnes, tous, nous sommes l'ouvrage de ta main. » C’est une belle affirmation que bien des croyants sont prêts à ratifier. Mais, tout de même, cette affirmation appelle une question : comment le Seigneur façonne-t-il ?
Nous tâchons de répondre à cette question juste en lisant le texte. Nous voyons que ces gens dont le prophète se fait le porte-voix sont ignorés ou méprisés, que leur sanctuaire a été détruits, qu’ils errent, abandonnés des hommes et de Dieu… ils vont d’épreuve en épreuve. Si c’est ainsi que le Seigneur façonne, cela revient à énoncer qu’il façonne en imposant aux siens toutes sortes d’épreuves, en restant silencieux lorsqu’ils crient, et plus encore, en attendant qu’ils s’accusent de fautes, dont ils doivent reconnaître qu’ils sont incapables de se purifier...
Est-ce ainsi que le Seigneur Dieu façonne ? Le prophète Esaïe est affirmatif. Pouvez-vous l’être autant que lui ? Et bien, vous le pouvez. Je ne dis pas que vous le devez, mais vous le pouvez, Bible en main, en vous réclamant, justement, par exemple, du prophète Esaïe. Mais, tout de même, il semble que ce Seigneur Dieu soit un rien sadique, et même pervers.
Si c’est ainsi que Dieu façonne, cela conduit plutôt à ne pas croire en Dieu, et, sans doute, un jour, à le rejeter.

Mais n’avons-nous pas cependant parlé trop vite ? En posant la question : est-ce ainsi que Dieu façonne, n’avons-nous pas cherché à énoncer un savoir sur Dieu, alors que le prophète, au nom du groupe qu’il représente, entreprend de parler à Dieu ? Ces gens, justement, auquel le prophète s’adresse, dans la situation qui est la leur, pourraient bien être tentés de tout envoyer balader – à commencer par Dieu. Mais quel serait le Dieu qu’ils enverraient balader ? Ils seraient tentés d’envoyer balader un Dieu dont on dit justement que c’est ainsi qu’il façonne, en vous imposant toutes sortes de malheurs. Ils pourraient même être tentés d’envoyer balader, avec leur Dieu, ceux qui parlent ainsi de Dieu. Et ils feraient bien !
Avant d’agir peut-être comme eux, repérons – et respectons – que le prophète Esaïe ne parle pas de Dieu comme on peut parler de Dieu au café du commerce. Il est toujours très facile de parler de Dieu, de dire des choses sur Dieu.  Ce n’est pas ce que fait le prophète Esaïe. Il parle à Dieu, au nom du groupe auquel il appartient, dans la situation de vie qui est la leur.
Pour être le plus clair possible, en matière de foi en Dieu, il ne s’agit jamais de dire que Dieu est ceci ou cela, qu’il est Père, ou mère, ou quoi que ce soit d’autre, jamais. En matière de foi en Dieu, il s’agit, dans toute situation de vie, de dire « Notre Père, c’est toi », de le dire envers et contre tout, non pas en parlant de Dieu, mais en parlant à Dieu… envers et contre tout, c'est-à-dire, comme le fait Esaïe, oser peut-être demander : « Pourquoi nous fais-tu errer ? » ; et, à l’extrême, comme le fait le Psaume 22, ou le Christ en croix, la foi en Dieu s’exprime lorsque jaillit ce cri, vers Dieu, mais surtout vers un ciel désespérément muet : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Vous le savez bien, nous le savons bien tous, et parfois nous savons bien l’oublier : la question de Dieu, la question de la foi en Dieu, la question de la foi, ne se pose réellement que lorsque quelqu’un, s’adressant à Dieu, crie « Ah, si le ciel se déchirait… », et que le ciel ne se déchire pas, que ni Dieu ni personne ne répond. C’est ainsi que nous devons comprendre ce que dit le prophète : « Jamais on n'a entendu, jamais on n'a ouï dire, jamais l'oeil n'a vu qu'un dieu, toi excepté, agisse pour qui attend après lui » (Esaïe 64,3). Prenons ici le texte tel qu’il est. Jamais on n’a entendu dire, jamais on n’a vu un Dieu qui en fasse aussi peu pour son peuple qui souffre et qui attend. Dieu n’agit pas ! C’est le motif du texte, justement, l’inaction de Dieu dans le sens où l’on aimerait bien que Dieu agisse, dans le sens où l’on aimerait bien que son action ait des raisons et des buts qui nous soient compréhensibles et favorables. Or le prophète Esaïe affirme que non, et même, il affirme que tant qu’il s’agit de raisons et de but, il ne s’agit pas de foi en Dieu. Et surtout, surtout, n’allez pas conclure de cela, comme pour rattraper Dieu, que c’est dans sa faiblesse que Dieu est puissant, que c’est dans son silence qu’il parle, ou que c’est dans son inaction qu’il agit. Ces genres d’affirmation ne font qu’augmenter la jouissance de ceux qui les énoncent, et qu’aggraver la souffrance de ceux qui les entendent.

La question demeure : est-ce ainsi que le Seigneur façonne ? Après le premier développement de notre méditation, il serait tentant de répondre par la négative. Ce n’est pas ainsi que Dieu façonne… nous n’allons pas répondre ainsi. Ce serait une fois de plus s’exprimer sur Dieu, parler de Dieu, alors qu’il nous faut parler à Dieu, ou encore parler en Dieu. Le prophète Esaïe, qui guide jusqu’ici notre méditation, ne parle pas de Dieu, pas plus que Jésus ne le fait dans l’extrait de Marc que nous avons lu – nous allons venir dans un instant à cet extrait. Alors, puisqu’il faut répondre à cette question qui nous poursuit, nous y répondons, à la suite du prophète Esaïe, par l’affirmative. Oui, c’est ainsi qu’il nous façonne. En substance Esaïe dit ceci : « Cependant, envers et contre tout, contre toutes les images que nous nous faisons de Dieu, contre tout ce qu’on nous dit sur Dieu… Seigneur, notre Père, c’est toi ; c’est nous l’argile – ce n’est pas toi, Dieu, qui est l’argile, c’est nous – et c’est toi qui nous façonnes – ce n’est pas nous qui te façonnons – nous sommes l’ouvrage de ta main – et ce n’est pas toi qui est l’ouvrage de nos mains. » Cette affirmation ne porte pas sur Dieu. Elle est une confession de foi et, en tant que telle, dans une situation de vie particulière, elle est l’affirmation d’une décision de vivre. Une confession de foi, c’est l’expression d’une décision de vivre.
Mais quelle vie ? Quelle vie lorsque vous avez tout perdu, lorsque vos semblables vous ignorent ou vous rejettent, et lorsque le ciel se tait, quelle vie ? Une vie éprouvée, une vie obstinée, une vie communautaire. « Envers et contre tout, notre Père – le mien et le tien – c’est toi, et ce par quoi il te façonne est aussi ce par quoi il me façonne. » Ainsi cette confession foi est-elle  à la fois un cri, et un engagement, l’engagement de se tenir proche, justement, au nom de Dieu et en Dieu, proche de ceux qui, dans des situations parfois épouvantables, choisissent la vie.
Mais quelle vie ? Une vie d’épreuves, de tristesse et de déréliction ? Nous n’avons que notre pauvre foi en Dieu à opposer au silence des plus grandes douleurs. Notre foi, notre espérance et cette injonction : « Restez éveillés ! »
Veillez, dit notre Seigneur Jésus Christ. Et ce n’est pas une menace ; ce ne peut pas en être une, car nul ne sait ni le jour ni l’heure. C’est une promesse. Veillez, ensemble, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre ! Car vous ne savez pas quand le bonheur et la joie vont venir ou revenir, ni même à quoi ils ressembleront lorsqu’ils viendront.


Mais ils viendront. Amen