dimanche 29 août 2021

Croire et pratiquer (Deutéronome 4,1-8 & Jacques 1,17-27)

Deutéronome 4,1-8 TOB-1988 (le SEIGNEUR traduit les quatre lettres du nom de Dieu)

1 Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique: ainsi vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays que vous donne le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères. 2 Vous n'ajouterez rien aux paroles des commandements que je vous donne, et vous n'y enlèverez rien, afin de garder les commandements du SEIGNEUR votre Dieu que je vous donne. 3 Vous avez vu de vos yeux ce que le SEIGNEUR a fait à Baal-Péor; tous ceux qui avaient suivi le Baal de Péor, le SEIGNEUR ton Dieu les a exterminés du milieu de toi, 4 tandis que vous, les partisans du SEIGNEUR votre Dieu, vous êtes tous en vie aujourd'hui.

5 Voyez, je vous apprends les lois et les coutumes, comme le SEIGNEUR mon Dieu me l'a ordonné, pour que vous les mettiez en pratique quand vous serez dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession; 6 vous les garderez, vous les mettrez en pratique: c'est ce qui vous rendra sages et intelligents aux yeux des peuples qui entendront toutes ces lois; ils diront: «Cette grande nation ne peut être qu'un peuple sage et intelligent!» 7 En effet, quelle grande nation a des dieux qui s'approchent d'elle comme le SEIGNEUR notre Dieu le fait chaque fois que nous l'appelons? 8 Et quelle grande nation a des lois et des coutumes aussi justes que toute cette Loi (Torah) que je vous donne aujourd'hui?

Jacques 1,17-27DRB-1885

17 tout ce qui nous est donné de bon et tout don parfait descendent d'en haut, du Père des lumières, en qui il n'y a pas de variation ou d'ombre de changement. 18 De sa propre volonté, il nous a engendrés par la parole de la vérité, pour que nous soyons une sorte de prémices de ses créatures. 19 Ainsi, mes frères bien-aimés, que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère; 20 car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu. 21 C'est pourquoi, rejetant toute saleté et tout débordement de malice, recevez avec douceur la parole implantée, qui a la puissance de sauver vos âmes. 22 Et mettez la parole en pratique, et ne l'écoutez pas seulement, vous séduisant vous-mêmes. 23 Car si quelqu'un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui observe sa face naturelle dans un miroir; 24 puis s’étant observé lui-même et s'en est allé, et aussitôt il a oublié ce qu’il était. 25 Mais celui qui aura plongé le regard de près dans la loi parfaite, celle de la liberté, et qui aura persévéré, n'étant pas un auditeur oublieux, mais un faiseur d'œuvre, celui-là sera bienheureux dans ce qu’il fera26 Si quelqu'un pense être pratiquant et qu'il ne0 tienne pas sa langue en bride, et trompe son cœur, la pratique religieuse de cet homme est vaine27 La pratique pure et sans tache devant Dieu le Père, est celle-ci : visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction, et se conserver pur du monde.

Prédication : 

            Au début de cette prédication, relisons deux des versets que nous avons lus déjà. Dans l’épître de Jacques : « La religion pure et sans tache devant Dieu le Père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse; se garder du monde pour ne pas se salir (Jacques 1:27TOB/JD). Et dans le Deutéronome : « 7 En effet, quelle grande nation a des dieux qui s'approchent d'elle comme le Seigneur notre Dieu le fait chaque fois que nous l'appelons ? » (Deutéronome 4:7TOB).

             Qu’est-ce à dire ? On dirait que le Seigneur s’approche à l’appel de son peuple, et qu’il n’y a qu’à l’appeler pour qu’il vienne, ce dont les dieux des autres nations sont totalement incapables.

            Les Hébreux ont-ils cru cela ? Ceux qui ont écrit le Deutéronome ont-ils cru cela ? Après avoir subi les foudres de l’empire Assyrien (722 av. JC.) et la perte de plusieurs des tribus d’Israël, après avoir subi les foudres de l’empire Babylonien, la destruction de la ville et du Temple, plus la déportation (585 av. J.C.)… les Hébreux pouvaient-ils croire qu’il suffit d’appeler le Seigneur pour qu’il se manifeste ? Pouvaient-ils croire cela ?

            Nous arrêtons là cette énumération historique, puisqu’elle mentionne les catastrophes majeures dont les auteurs du Deutéronome – pas seulement du Deutéronome – ont eu à répondre lorsqu’ils ont construit leur doctrine et composé leurs livres… et à ces premières catastrophes majeures il convient d’ajouter toutes les autres catastrophes, ces catastrophes individuelles, domestiques, auxquelles chaque être humain, tôt ou tard, doit faire face… sans oublier LA catastrophe, la Shoah, dans laquelle les enfants d’Israël furent anéantis par millions et à laquelle pour toujours il nous faut faire face.

            Croyaient-ils vraiment cela, les auteurs anciens, qu’on appelle le Seigneur et qu’alors le Seigneur s’approche ?

            Et avec cela croyaient-ils aussi que la conservation scrupuleuse et littérale des commandements et coutumes, ainsi que leur minutieuse mise en pratique, seraient de nature à faire d’eux les propriétaires invincibles et perpétuels de la terre de Canaan, exemptés de toute souffrance, de tout mal ?

            Ont-ils cru cela ? Nous pouvons nous poser cette question… le texte nous y conduit.

             En affirmant – si nous lisons bien – que le Seigneur s’approche chaque fois qu’il est appelé par ses fidèles, nous nous contraignons à nous demander ce qu’il fait le reste du temps, lorsqu’il n’est pas appelé. Lorsqu’il n’est pas appelé, où est-il ? Lorsqu’il n’est pas appelé, que fait-il ? Et nous sentons bien que le Seigneur, s’il ne répond qu’à l’appel de ses fidèles, n’est pas vraiment différent qualitativement des dieux des autres nations… Il est alors juste un dieu lointain.

            Bien sûr, certains nous diront qu’ils ont appelé et que Dieu, muet jusque là, leur a soudainement et enfin répondu. D’autres aussi verront en tel ou tel événement important l’action du Seigneur s’étant approché. Il y a peu à dire là-dessus : Alléluia. Peu à dire, mais il y a à se demander si, quand le Seigneur s’approche pour certains, pourquoi il ne s’approche pas pour les autres ? Le verset que nous avons lu ne suggère que des réponses qui accablent d’avantage encore ceux pour qui le Seigneur ne s’est pas manifesté : ils n’auront pas prié suffisamment, ou avec trop peu de ferveur, ou pas de la bonne manière, ou ils n’auront pas su ouvrir leurs yeux, et leurs cœurs, devant l’immanquable approche du Seigneur qui pourtant s’approche…

             Doit-on ainsi charger toujours d’avantage les épaules et les consciences de ceux qui peinent, de ceux qui souffrent ?

            Nous ne pouvons guère aller plus loin avec ce verset, du moins tel qu’il était jusqu’ici traduit : « …quelle grande nation a des dieux qui s'approchent d'elle comme le Seigneur notre Dieu le fait chaque fois que nous l'appelons ? »

             Alors voici d’autres pistes, esquissées avec le même texte en langue hébraïque, mais autrement traduit : « Car quelle est la grande nation qui ait Dieu près d'elle, comme le Seigneur, notre Dieu, est près de nous, dans tout ce pour quoi nous l'invoquons (Darby) »

            Ici la qualité du Seigneur est d’être proche. Il n’est pas plus ou moins proche. Il n’opère pas de va-et-vient qui seraient en lien avec la dévotion de ses fidèles. Proche, c’est ce qu’il est.

            Pour préciser ce qu’est cette proximité nous pouvons proposer une confession de foi, très simple : « Rien de ce qui m’arrive n’est étranger à Dieu ». Une confession qu’il est possible de retrouver dans certains cantiques un peu anciens, comme Prends ma main dans la tienne (Alléluia, 47/14 ; un texte de 1908) : « Que ta main me dispense joie ou douleur, Paisible en ta présence, garde mon cœur. » Et encore dans ce qu’une très vieille paroissienne, terriblement éprouvée par la vie, m’avait une fois confié : « Sa main s’est trop souvent appesantie sur moi, mais je n’ai jamais douté de son amour. »

            Celui qui dit ainsi que le Seigneur est proche, n’énonce pas quelque chose qui porte sur le Seigneur. Il essaie de dire comment il voit sa vie, comment il voit la vie, commet il vit sa vie. Il essaie de dire qu’il essaie de recevoir sa vie en s’ouvrant de tout son cœur à ce qui advient, à ce réel qui inévitablement et toujours s’impose, et se moque des savoirs des humains ainsi que de leur piété.

            A cette tentative d’ouverture toujours recommencée, le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), devenu chrétien en 1929, au milieu de sa vie, avait donné le nom d’invocation (un recueil de ses articles et travaux a paru en 1940 sous le titre Du refus à l’invocation).

 

            « …le Seigneur, notre Dieu, est près de nous, dans tout ce pour quoi nous l'invoquons. »

            Invoquer Dieu, c’est – nous venons de le dire – se mettre en quête d’ouverture à la vie. Cette quête a besoin de moyens. Nous pouvons chercher, et trouver dans les œuvres de culture – pas nécessairement religieuses – de quoi nourrir et former cette ouverture. Nous pouvons aussi penser que les études bibliques, ateliers de réflexion, partages de toutes sortes sont aussi une forme de l’invocation.

            Nous pourrons aussi considérer que, de son ouverture à sa clôture, le culte est tout entier invocation. Dans les parties liturgiques, et dans les chants, il reprend après eux les chemins frayés par nos ancêtres ; dans la prédication, il essaie d’ébaucher un chemin peut-être aujourd’hui praticable ; et dans la Sainte Cène il y a le mystère de l’existence et de la simple possibilité de ces chemins.

            En tout cela, le Seigneur qui est proche – c’est sa qualité essentielle – se manifeste, non pas parce que nous l’invoquons afin qu’il vienne – en réalité il est toujours déjà là parce que sa qualité essentielle est qu’il est proche : il se manifeste parce que ses invocateurs le manifestent, il se manifeste parce que nous le manifestons.

             Cette question de l’invocation des fidèles et de la manifestation du Seigneur traverse presque toute la Bible. Nous la retrouvons notamment dans l’épitre de Jacques.

            Dans ces débuts de l’ère chrétienne, les gens se sont interrogés, se sont affrontés, au sujet de ce qu’il convenait de faire et de dire en religion. Et cela a dû être difficile, parfois brutal… Au point que certains auteurs ont suggéré que tous ces débats, toutes ces réflexions, étaient du temps perdu, du temps en moins pour soulager la misère. Alors, en ce temps-là, Jacques, l’auteur de l’épître, proposa qu’on tourne le dos aux passions du monde, et le débat religieux fait parfois partie de ces passions du monde. Voici ce que Jacques propose : « Le service religieux pur et sans tache devant Dieu le Père, est celui-ci : de visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction, de se conserver pur du monde. »

            Et voici que la diaconie serait l’ultime forme possible de l’invocation, en laquelle le Seigneur proche serait manifesté par ceux qui l’invoquent de cette manière toute pratique.

             Nous avons à ce point évoqué bien des manières de parler du Seigneur tout proche, et bien des manières de le manifester. Nous n’allons exclure aucune de ces manières. Qui serions-nous d’ailleurs pour le faire ?

            Le Seigneur est proche. Amen