samedi 26 novembre 2022

Premier dimanche de l'Avent 2022 (Matthieu 24,37-44)

Matthieu 24

37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme;

 38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,

 39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.

 40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est pris, l'autre laissé;

 41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une est prise, l'autre laissée.

 42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.

 43 Vous le savez: si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.

 44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.

Prédication : premier dimanche de l’Avent 2022

            Et voici que revient le temps de l’Avent, et pour parler de ce temps, l’on évoque Noé, l’épître aux Romains, et Ésaïe, tous des textes qui évoquent de grands chambardements – étranges – étranges dont il est difficile de dire s’ils sont finalement des fins ou des commencements.

            Pourquoi ces textes ? Pourquoi ces textes, chacun dans son site et dans son temps propres ? Et pourquoi ces textes quatre semaines avant Noël ? L’Avent revient chaque année, c’est du temps cyclique, le premier dimanche de l’Avent 2023 sera le 3 décembre. Mais avec – et pendant – ce temps, il se passera un temps linéaire, un jour passera après un autre jour, et jusqu’à la fin, ou du moins jusqu’à une fin. Cette fin n’est pas la même suivant les auteurs. La fin de l’humanité selon la Genèse (Noé) n’est pas la fin selon Ésaïe – la fin de l’humanité est un accomplissement positif – la fin selon la Genèse ; Noé est sa famille vont seuls survivre au Déluge, ce qui est un recommencement, mais le reste de l’humanité disparaît dévoré par les eaux… et l’humanité qui surgit des fils de Noé sera une humanité confuse et pécheresse sur laquelle Dieu se penchera, pour dire que l’homme est mauvais, mais que Lui, Dieu, n’en veut pas d’autre… Le récit du Déluge pourrait être le support unique de notre méditation du premier dimanche de l’Avent.

            Mais, avec Matthieu, Jésus qui parle à ses disciples – et Paul qui parle aux Romains – nous sommes invités à réfléchir en quelque manière à la première personne du singulier. Réfléchir à la première personne du singulier, mais sur quoi ?

Et bien sur cette fin, qui est peut-être un commencement, et sur la préparation (et je crois que, déjà, l’année dernière, j’ai évoqué pour vous un vieux cantique, que j’ai appris au début des années 70, « Jésus revient, Alléluia… Seras-tu prêt quand il viendra, Alléluia, Alléluia ? … »

            L’affirmation première est donc – si l’on ne fait pas attention – que Jésus va revenir, et que son retour sera précédé de signes considérables et qu’au sujet de ces signes, la question posée à chacune et chacun est : seras-« tu » prêt ? Et l’on entend alors que, au moment où nous parlons, « tu » n’es pas prêt, « tu » n’es pas prête. En avançant encore un peu dans le chant, on chantera « si tu es prêt il te prendra », sans qu’une strophe où une autre n’ait suggéré ce qu’il faudrait faire, ou ce qu’il aurait fallu faire, pour être prêt le moment venu. Si tu es prêt… mais que faire, comment faire, pour être prêt ? Et si je ne suis pas prêt maintenant, le serai-je jamais ? Ainsi envisagé, ce cantique, même s’il vous fait chanter force Alleluia peut laisser dans son sillage une sorte de parfum amer.

            Nous pouvons revenir à ceci : Jésus revient, Alleluia… Bien sûr, cela peut signifier qu’il est en train de revenir, ce que nous avons déjà envisagé. Mais cela peut signifier aussi qu’il est déjà là. Et la suite du cantique va se constituer ainsi : il est là, le reconnais-tu, maintenant ?

 

            Alors voici le premier dimanche de l’Avent, quatre semaines avant Noël et quelqu’un dit, avec audace, Il est là. Ce doit être une affirmation très belle, pleine de confiance, pleine peut-être aussi d’un enthousiasme sacré, d’une jubilation.

            Mais cette même affirmation, « Il est là », peut faire penser à Jacob (Genèse 28) et au rêve qu’il fait, à Beth El – maison Dieu – une échelle qui touche le ciel, et des anges qui montent et qui descendent… L’affirmation « Il est là » nous fait penser à ce que Jacob dit lorsqu’il se réveille, « Ouh là là, Dieu est dans ce saint lieu, et moi je ne le sais pas. » Ce saint lieu, c’est trois cailloux posés par terre au milieu de nulle part, avec l’affirmation, par un homme, que Dieu y est, et que lui, l’homme, il ne sait pas, ne peut, ou ne veut, pas le savoir. Et nous revoilà, Jacob, ou n’importe quel autre, est-il prêt lorsque Dieu est là ? Est-il prêt à voir Dieu au milieu de nulle part avec trois cailloux ? Avec le même vocabulaire, mais transporté au Temple de Jérusalem, ne serait-il pas prêt à voir Dieu, et joyeux, voire tout plein d’orgueil ? Dieu, ou Jésus, à quoi reconnaît-on lorsqu’il est là ?

            Et bien, il y a toute une série de dimanche, toute une série de textes et de sermons qui s’achèvent dans une sorte d’apothéose qu’on nomme  fête du Christ Roi, ou encore fête du Christ Roi de l’Univers. Et c’est comme si la flèche du temps – linéaire – avait atteint son but. C’est Jésus qui, ayant revêtu la toute puissance divine, l’emporte, définitivement. Ou encore c’est le plein accomplissement de l’Exode, lorsque s’effondrent les murailles de Jéricho (Josué 6), ou encore la Divine présence qui revient d’exil pour habiter le Temple restauré… Ce sont des triomphes, et il est aisé  de reconnaître là Dieu, et de reconnaître Jésus s’il s’agit de Lui. Mais est-ce lui, serons-nous prêts à le reconnaître, du point de vue par exemple des habitants de Jéricho, massacrés jusqu’au dernier, ou encore du point de vue de ceux qui seront les laissés pour compte du jugement dernier ? « Deux hommes seront aux champs, l’un sera pris et l’autre laissé » Pourquoi lui, et pas l’autre ? Pourquoi lui, et pas moi ?

            Christ Roi de l’Univers, chacun est, tous sont, prêts à le reconnaitre, évidemment, mais ça n’est pas si simple, parce que même si quelqu’un affirme  que tel est Dieu, le monde est aussi tel qu’il est. Il y a de la beauté. Et il y a – entre autres drames – celui des guerres en cours avec leur cortège infernal de dommages collatéraux. Les Christ en gloire serait-il là-dedans ? Seras-tu prêt à dire que c’est ainsi qu’il vient et que c’est ainsi que tu le reconnais ? Le dire sera, par rapport au Christ, descendre déjà d’un cran. Et ça va descendre d’un cran supplémentaire. Parler des dommages collatéraux d’une guerre, c’est encore parler avec des mots un peu abstraits. Mais il y a des corps déchirés, et il y a des gens aussi que le fer et le feu ont épargnés, mais qui ont tout vu, tout entendu, et dont la vie sera un enfer parce qu’ils ne trouveront plus jamais le sommeil… Seras-tu prêt ? Le reconnaîtras-tu, le Christ ?

            Il ne s’agit pas d’un grand consolateur que chacun veut rencontrer, mais du mal, du ravage lui-même. Et la descente continue. Elle doit continuer, car ces gens ont des noms que nous nous pouvons connaître. Cette descente doit continuer aussi parce que, parmi ces gens, sous les bombes, et en Judée occupée, il y en a qui sont en train de mettre au monde la prochaine génération. Et comment cela se passe-t-il ? Des enfants, des rien du tout. Cela se passe comme ça, avec une mortalité infantile considérable, et comme si ça ne suffisait pas, des massacres viennent compléter ce menu des horreurs (Matthieu 2). Seras-tu prêt pour que tout en bas, un enfant totalement anonyme et incroyablement faible, le Très Bas (Christian Bobin), survive, et soit reconnu juste dans sa survie – et rien d’autre – comme espérance pour l’humanité ?

            Du triomphe cosmique à la fragilité absolue d’un nouveau-né anonyme sur un terrain de guerre, peut-on descendre encore plus bas ? Nous pouvons toujours recueillir un plus affreux récit. Nous le savons mais ça n’est pas pour cela que nous méditons. Le temps cyclique passe par un certain point bas, c’est entendu, et dépouille le croyant de certitudes superflues.

            C’est de là ensuite que vient et revient la vie, dans la révolte et dans les larmes peut-être. Mais c’est la vie.


mercredi 23 novembre 2022

Christ Roi (Luc 23, 32-43)


 A la demande de plusieurs, nous ajoutons à notre liste de sermons celui donné par A. Walter le 20 novembre dernier. Merci à lui.

Luc 23

 32 On en conduisait aussi d'autres, deux malfaiteurs, pour les exécuter avec lui.

 33 Arrivés au lieu dit «le Crâne», ils l'y crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l'un à droite, et l'autre à gauche.

 34 Jésus disait: «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font.» Et, pour partager ses vêtements, ils tirèrent au sort.

 35 Le peuple restait là à regarder; les chefs, eux, ricanaient; ils disaient: «Il en a sauvé d'autres. Qu'il se sauve lui-même s'il est le Messie de Dieu, l'Élu!»

 36 Les soldats aussi se moquèrent de lui: s'approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent:

 37 «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.»

 38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui: «C'est le roi des Juifs.»

 39 L'un des malfaiteurs crucifiés l'insultait: «N'es-tu pas le Messie? Sauve-toi toi-même et nous aussi!»

 40 Mais l'autre le reprit en disant: «Tu n'as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine!

 41 Pour nous, c'est juste: nous recevons ce que nos actes ont mérité; mais lui n'a rien fait de mal.»

 42 Et il disait: «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi.»

 43 Jésus lui répondit: «En vérité, je te le dis, aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis.»

Prédication 

C’est donc la fête du Christ Roi de l’univers et pourtant l’évangile du jour (Lc 23, 32-43) nous montre Jésus crucifié, donc victime d’un affreux supplice et tout proche de la mort. Comment prétendre que le Christ est roi dans de telles conditions ?

Certes, au-dessus de lui sur la croix il y a une inscription « celui-ci est le roi des Juifs » mais c’est par pure dérision.

Jésus inverse totalement les perspectives : « Les rois des nations commandent en maîtres (...) Pour vous, qu’il n’en soit pas ainsi ; au contraire, que le plus grand d’entre vous se comporte comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert » dit-il dans l’évangile de Luc (Lc 22, 25-26) mais on retrouve ce thème partout dans les évangiles. Avec le Christ, le concept de royauté change de sens.

Les quatre évangélistes Matthieu, Marc, Luc et Jean nous rapportent de façon assez semblable ces derniers instants de la vie de Jésus. Et pourtant chacun d’entre eux, selon son projet narratif et théologique, met l’accent sur des points différents.

Les quatre évangélistes s’accordent pour dire que Jésus a été crucifié entre deux malfaiteurs.

Dans les trois évangiles synoptiques, Jésus est mis par trois fois au défi de se sauver ou d’appeler Dieu son Père pour le sauver. Ce défi est lancé par les passants (Mt et Mc), les chefs des prêtres (Mt, Mc, Lc), les soldats (Lc), les malfaiteurs crucifiés (Mt, Mc, Lc). Cela fait écho aux trois tentations que Jésus a éprouvées au désert au début de son ministère de la part du diable (Lc 4, 3 et s.). Jésus rejette toutes ces tentations mais l’évangile dit « le diable s’éloigna de lui jusqu’à une autre occasion » (Lc 4, 13). Sur la croix, le diable, par l’intermédiaire des passants, des chefs des prêtres, des soldats, des malfaiteurs, trouve une nouvelle occasion mais, à nouveau, Jésus ne cédera pas à la tentation.

On dit à Jésus : « sauve-toi toi même ». La grande tentation pour chacun d’entre nous est aussi de vivre sans Dieu au cœur de notre vie et de ne compter que sur nous-mêmes. Et de croire qu'on peut se sauver par soi-même.

En rassemblant les quatre évangiles, on compte sept dernières paroles du Christ sur la croix, sept paroles qui ont été mises en musique entre autres par les compositeurs Schütz, Pergolèse, Haydn, Gounod, César Franck.

L’ordre chronologique le plus vraisemblable de ces 7 dernières paroles est celui-ci :

1. « Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) ;

2. « En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis », adressée au « bon larron » crucifié avec Jésus (Lc 23, 43) – ces deux premières paroles sont dans le texte du jour ;

3. A sa mère, « Mère, voici ton fils,» en parlant du disciple qu’il aimait, et au disciple : « Voici ta mère » (Jn 19, 26-27) ;

4. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », (Mt 27, 46 et Mc 15, 34) ;

5. « J’ai soif » (Jn 19, 28) ;

6. « Tout est achevé » (Jn 19, 30) ;

7. « Père je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23, 46).

Donc le Christ pardonne (à ses bourreaux), a pitié (du larron), protège (sa mère), doute, a soif, s’abandonne et s’offre.

Plus exactement, dans la première parole, qui n’est rapportée que par Luc, Jésus ne dit pas « je vous pardonne » mais demande à son Père « pardonne-leur », peut-être parce qu’il ne se sent pas en mesure de le faire, du fait de la souffrance qu’il éprouve. Ce pardon concerne sans doute non seulement les soldats qui l’ont crucifié mais aussi ceux qui l’ont condamné.

Le pardon pour ses bourreaux consonne avec l’éthique d’amour des ennemis que Jésus a enseigné pendant son ministère (Lc 6, 27-28). Etienne, le premier martyr chrétien, adressera la même demande dans le livre des Actes des Apôtres rédigé également par Luc (Ac 7, 60).

 Jésus dit « Ils ne savent pas ce qu’ils font », c’est-à-dire ils ne savent pas qu’ils crucifient le Messie.

La deuxième parole, qui n’est également rapportée que par Luc, est le dialogue entre Jésus et les deux brigands crucifiés avec lui. Chez Matthieu et Marc, il est seulement dit que ces deux brigands l’insultaient et Jean ne dit rien à leur sujet.

Comme souvent dans l’évangile de Luc, on trouve deux personnages opposés, ici un bon et un mauvais larron, avant il y a eu Marthe et Marie, le fils prodigue et son frère aîné, Lazare et l’homme riche, le pharisien et le collecteur d’impôts, Zacharie le père de Jean-Baptiste et Marie la mère de Jésus … Deux personnages opposés ou peut-être les deux visages d’une même personne, une personne divisée comme nous le sommes tous.

Jésus dit aussi : "un sera pris et un autre laissé!" (Lc 17, 34).

Le mauvais larron n’était peut être pas si mauvais. Il dit à Jésus « sauve-toi toi-même et nous avec toi », il pense donc à ses deux compagnons d’infortune. Mais il désespère de la miséricorde divine, qu’il méprise volontairement.  

Le bon larron, dit « souviens-toi de moi quand tu viendras pour être roi ». Il ne parle donc que de lui mais ne demande même pas à être sauvé. Il accepte son sort et pense qu’il est mérité, au contraire de celui de Jésus, injustement condamné. Sans doute, le bon larron a-t-il été retourné par le pardon de Jésus.

La grâce de Dieu opère une œuvre merveilleuse dans son cœur.

Souvent dans les évangiles et notamment dans celui de Luc, la foi se manifeste chez les personnes les plus inattendues, ainsi un officier romain dont le serviteur était malade (Lc 7, 6-9), la femme qui lava les pieds de Jésus avec ses larmes (Lc 7, 36) ou encore Zachée le collecteur d’impôts (Lc 19 1-10).

La réponse de Jésus au bon larron est : « aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

Le mot « paradis » est extrêmement rare dans le Nouveau Testament. Paul l’utilise une fois pour parler de sa vision sur le chemin de Damas (2 Cor 12, 3-4) et on le trouve aussi une fois dans l’Apocalypse (Ap 2, 7). Dans les évangiles c’est la seule fois où le mot est utilisé et c’est lorsque Jésus est sur la croix.

De même, le mot « aujourd’hui » est peu utilisé, notamment par Luc. L’aujourd’hui du salut renvoie à la prédication de Jésus à Nazareth au tout début de son ministère (Lc 4, 21).

Jésus prodigue le pardon d’emblée en déclarant au pécheur repenti crucifié à ses côtés qu’aujourd’hui même il sera avec lui au paradis. Il met en acte ce pardon comme il l’a toujours fait – entier, immédiat, sans conditions, fondé sur la foi et l’humilité qui saisissent toute personne mue par une conversion sincère. « Ta foi t’a sauvé, va en paix » a-t-il souvent dit au cours de ses rencontres avec des repentants. La conversion vaut au pécheur la rémission de ses péchés.

Et Luc dit par ailleurs : « il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repend que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentance » (Lc 15, 7). 

Mais que signifie que le Christ est mort pour nos péchés ? Et en quoi la mort du Christ sur la croix peut-elle nous sauver ?

L’interprétation de Saint Anselme de Cantorbéry au Moyen Age était que le Christ se donnait sa vie à Dieu pour racheter les fautes que nous avions commises envers celui-ci. Mais l’Ancien Testament le dit, Dieu ne veut pas de sacrifices, et certainement pas de sacrifices humains.

Or sur la croix, Jésus renverse l’image religieuse d’un Dieu violent qui est à l’image de la violence qui nous habite et que les hommes projettent parfois sur une figure divine.

 

Désormais, on ne peut plus dire que c’est Dieu qui frappe, on ne peut plus se servir de Dieu pour juger, haïr, exclure, blesser ou tuer parce que, en Jésus, c’est, au contraire, Dieu qui, sur la croix, se laisse juger, haïr, rejeter et tuer.

 

Dans les évangiles de Luc et Jean, Jésus paraît maître de son destin, il paraît assumer son sort sans faiblir ni douter. La dernière parole de Jésus, « Père entre tes mains je remets mon esprit », issue de l’évangile de Luc, est toute de confiance. On la trouve dans le Psaume 31. Chez Matthieu et Marc, sa dernière parole, sa seule parole sur la croix est « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » On pourrait croire que Jésus est en proie lui-même au péché qu’il est venu combattre, le plus grand péché, qui est celui de l’incrédulité.

Mais ces paroles de Jésus sont le début du Psaume 22, dans lequel on retrouve des détails du récit de la passion notamment le partage des vêtements de Jésus par les soldats, qui est finalement un Psaume de confiance. Jésus se tourne tout de même vers Dieu, il nous désigne encore la Bonne Nouvelle pour que nous en vivions.

Et la Bonne Nouvelle, c’est que la valeur ultime de la vie, c’est d’être accueilli et reconnu par quelqu’un qui ne tient pas compte de ce que nous sommes au regard des autres comme à nos propres yeux. C’est cela ce que Jésus a fait pour nous sur la croix.

Tout ce qui nous est arrivé de plus beau dans notre vie a toujours eu avant tout le caractère du don, de la rencontre, de l’immérité. La grâce de Dieu est ainsi, offerte, inattendue, injustifiée, à condition de la recevoir les mains vides en s’y abandonnant avec confiance et en y répondant par notre foi, comme le fit Abraham, comme le fait le bon larron à l’instant ultime de sa vie

Dieu attend de nous une réceptivité active, la confession de nos fautes et la foi en la grâce qu’il nous prodigue.

Le bon larron a compris que la mort n’aura pas le dernier mot, il a encore la force de vie qui vient maintenir vivante « la petite flamme espérance » pour reprendre le mot de Charles Péguy.

Le mauvais larron attend tout mais n’espère rien. Le bon larron n’attend rien mais espère tout.

La foi, l’espérance et l’amour, les trois vertus théologales chantées par Paul dans la 1ère épitre aux Corinthiens, au chapitre 13, celles qui ne passeront jamais. La foi qui donne l’espérance, l’espérance qui ouvre sur l’amour et l’amour qui transforme notre vie en vie éternelle, car l’amour est éternel et son message demeure. C’est cela notre Dieu.

Amen !

samedi 12 novembre 2022

Pour une invincible espérance (Luc 21,5-19)

 Luc 21

5 Comme quelques-uns parlaient du temple, de son ornementation de belles pierres et d'ex-voto, Jésus dit:

 6 «Ce que vous contemplez, des jours vont venir où il n'en restera pas pierre sur pierre: tout sera détruit.»

 7 Ils lui demandèrent: «Maître, quand donc cela arrivera-t-il, et quel sera le signe que cela va avoir lieu?»

 8 Il dit: «Prenez garde à ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront en prenant mon nom; ils diront: ‹C'est moi› et ‹Le moment est arrivé›; ne les suivez pas.

 9 Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne soyez pas effrayés. Car il faut que cela arrive d'abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin.»

 10 Alors il leur dit: «On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume.

 11 Il y aura de grands tremblements de terre et en divers endroits des pestes et des famines, des faits terrifiants venant du ciel et de grands signes.

 12 «Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et on vous persécutera; on vous livrera aux synagogues, on vous mettra en prison; on vous traînera devant des rois et des gouverneurs à cause de mon nom.

 13 Cela vous donnera une occasion de témoignage.

 14 Mettez-vous en tête que vous n'avez pas à préparer votre défense.

 15 Car, moi, je vous donnerai un langage et une sagesse que ne pourra contrarier ni contredire aucun de ceux qui seront contre vous.

 16 Vous serez livrés même par vos pères et mères, par vos frères, vos parents et vos amis, et ils feront condamner à mort plusieurs d'entre vous.

 17 Vous serez haïs de tous à cause de mon nom;

 18 mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.

 19 C'est par votre persévérance que vous gagnerez la vie.

Prédication

            Souvenons-nous, il y a une semaine, parmi les textes biblique que nous avons lus, un grand moment merveilleux. Trois jeunes hébreux exilés en Babylonie refusent avec obstination de s’incliner devant une statue de roi. Ils sont donc condamnés à être jetés dans une fournaise. Ils sont jetés dans la fournaise mais l’ange du Seigneur vient et les protège. Ils sont sauvés, sortent du feu sans une brûlure, et son élevés par le roi à une dignité considérable. Fin de l’épisode merveilleux, de cet épisode-là en tout cas. Dans le même livre, il existe un autre épisode assez fameux. Daniel, qui prie Dieu alors que cela est interdit par le roi, se voit démasqué, et condamné à être jeté dans une fosse pleine de lions… et que croyez-vous que les lions firent ? Il y a aussi, dans le livre de la Genèse, Joseph, 11ème fils de Jacob, qui contre son grès se retrouve projeté en Égypte, où la puissance de Dieu fait qu’il accomplit une merveilleuse carrière. Et puis, il y a Esther, un de ces livres si étranges que, faisant partie de la Bible, on n’y parle même pas de Dieu.

            Dieu ou pas Dieu, ces livres ont bien des choses en commun. Parmi ces points communs, il y a une providence. Ces exilés sont pour la plupart pieux, tous droits et honnêtes, soucieux, toujours, du souverain qui règne. Dieu les protège et les bénit. Et ils réussissent. On rassemble parfois ces textes sous une même appellation : roman du Juif de l’étranger. C’est que, oui, ils ont tout du roman, et même du roman merveilleux. Ils portent un message : le Juif qui réside à l’étranger, et qui demeure fidèle à Dieu, réussit dans tout ce qu’il entreprend, même s’il était au départ un vaincu, et un déporté.

            C’est une promesse. Mais comment accueillir cette promesse ? Peut-être qu’il ne faut pas attendre de cette promesse un exaucement littéral. Car cela pourrait avoir pour conséquence un possible et grave développement de la culpabilité : si cette réussite n’arrive pas, ce doit être de ta faute. Alors peut-être vaut-il mieux penser que le roman merveilleux du juif de l’étranger est un langage de l’espérance, une exhortation à la fidélité à Dieu…

 

            Toute cette méditation après l’un des textes de la semaine dernière (Daniel 3), et nous allons poursuivre, avec l’un des textes d’évangile qui parlent de la fin, fin des temps, pour certains textes, fin de Jérusalem, pour d’autres textes.

            Nous lisons aujourd’hui Luc 21, et nous savons que les évangiles ont tous intégré des textes sur la fin, et même plusieurs textes sur la fin. Luc, dès son 17ème chapitre : « 34 Je vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit: l'un sera pris, et l'autre laissé. 35 Deux femmes seront en train de moudre ensemble: l'une sera prise, et l'autre laissée. » Il parle là de la fin de la fin, c'est-à-dire du grand tri final que Dieu opérera selon sa divine justice. La fin de la fin, parce qu’avant, autre chose se passe, que nous avons lu. C’est l’énumération de tous les malheurs possibles. Et pas seulement les belles pierres du beau Temple. Il ne suffit pas de donner à penser à la chute de Jérusalem, qui doit venir, et qui est peut-être bien déjà venue lorsqu’est écrit l’évangile de Luc. Ces pierres – celles du Temple, celles de la ville – sont infiniment plus que des pierres. Elles sont tout un programme et un projet religieux, elles sont l’écrin dans lequel Dieu demeure, elles sont aussi une histoire, écrite et orale. Et elles ne sont plus. Et elles, qui représentaient l’histoire et l’ordre de Dieu, seront dès lors et toujours un tas, des gravats, un chaos.

            Et ce qui suit, l’énumération qui est faite, après les pierres, ce sont les gens, les humains. Le chaos des pierres et le chaos des gens, c’est toujours le chaos. Et ce chaos humain détruit toutes les structures sociales, familles, et communautés religieuses.

            Et ça n’est pas comme si une puissance étrangère venait, vainquait, asservissait et déportait – ce qui est le champ pour nous connu de l’espérance du juif de l’étranger. Avec le texte que nous méditons, ça se passe pour ainsi dire sur place, c’est domestique. C’est une sorte de chaos qui, dans son développement ultime, ne laisse plus que des individus esseulés. Chacun ne compte que pour lui-même, chacun ne compte que sur lui-même. Peut-être de courts arrangements d’intérêts peuvent-ils être temporairement passés, mais pour un temps très court. Chacun pour soi… et c’est de ce reste du monde, c’est du chaos que parle Jésus…

            Avons-nous connu un tel chaos ? Les Européens que nous sommes doivent faire mémoire de la catastrophe qui eut lieu entre 1933 et 1945. Les plus anciens parmi nous ont pu être témoins de certaines horreurs, de l’arbitraire de l’occupation et de la violence des camps. Mais pour ceux qui sont plus jeunes ? Ils n’auront connu ni l’occupation ni la déportation… Nous n’avons pas non plus connu les martyrs des chrétiens des premiers siècles – n’est pas Sainte Blandine qui veut. Nous avons été épargnés par ces malheurs… mais il peut arriver que la vie soit ravagée, pour diverses raisons, au point qu’on se sente abandonné, désespérément seul, et moqué par nos plus ou moins proches, en raison parfois de la foi (même une ironie ordinaire peut meurtrir). Jésus a-t-il ici quelque chose à dire, qui ressemblerait à de l’espérance ?

 

            Jésus a quelque chose à dire, et que nous avons lu : C’est par votre persévérance que vous gagnerez la vie. C’est la proposition de la TOB. Louis Segond propose : par votre persévérance vous sauverez vos âmes.

            Grande diversité de traduction, gros enjeu… C’est que nous parlons d’existences ravagées par le chaos, des existences rendues par le malheur incapables de tout. Va-t-on prêcher l’endurance, ou la persévérance, à ceux qui sont irrémédiablement défaits ? Va-t-on leur dire qu’un salut est possible et qu’il a pour condition leurs efforts ? Et va-t-on, en fait de salut, leur promettre quelque chose dans l’au-delà, pourvu qu’ici-bas ils se soient bien tenus ?

            Rien sur l’au-delà, semble-t-il, dans ce propos de Jésus. Ni rien non plus à faire. Quelle attitude devant et dans le chaos ? La patience… dirons-nous, faute de mieux, faute d’un autre mot que nous n’avons pas ; ni la résignation. Quelle attitude ? Une certaine détente qui n’est attachée à aucune action et qui ne se réclame d’aucune puissance. Et qui peut être ressemble à la patience. Devant et dans le chaos, la patience, qui est la forme la plus subtile, la plus discrète, et finalement la forme la plus invincible de la vie.

            Jésus, semble-t-il, en évoquant la patience, en exhortant peut-être à la patience, vient suggérer ce qui est peut-être le seul chemin en temps de catastrophe. Et il reste à se demander quelle forme concrète cela peut-il prendre. Et bien l’évangile de Luc nous suggère quelque chose. Lorsque Jésus fut mort et enseveli, « 54 C'était un jour de Préparation et le sabbat approchait. 55 Les femmes qui l'avaient accompagné depuis la Galilée suivirent Joseph; elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été placé. 56 Puis elles s'en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. » Devant l’irréparable, devant leur espérance anéantie, « Durant le sabbat, elles observèrent le repos selon le commandement. »  (Luc 23)

            Pensons que nous pouvons, pour notre part, célébrer le culte de l’Eglise Protestante Unie de France, ou ouvrir nos Bibles, ou chanter nos cantiques. Amen

samedi 5 novembre 2022

Considérations évangéliques sur la résurrection (Luc 20,27-38)

Luc 20

27 Alors s'approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu'il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question:

 28 «Maître, Moïse a écrit pour nous: Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu'il épouse la veuve et donne une descendance à son frère.

 29 Or il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans enfant.  30 Le second,

 31 puis le troisième épousèrent la femme, et ainsi tous les sept: ils moururent sans laisser d'enfant.

 32 Finalement la femme mourut aussi.

 33 Eh bien! cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l'ont eue pour femme?»

 34 Jésus leur dit: «Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.

 35 Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari.

 36 C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection.

 37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.

 38 Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui.»

 

39 Quelques scribes, prenant la parole, dirent: «Maître, tu as bien parlé.»

40 Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien.

Prédication : 

            Et nous ajoutons encore deux versets – les deux qui suivent – qui viennent clore une assez longue séquence : 39 Quelques scribes, prenant la parole, dirent: «Maître, tu as bien parlé.» 40 Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien. Plus personne n’ose prendre la parole devant Jésus. Est-ce vraiment une réussite ?

 

            Et voici l’histoire tragique d’une femme qui fut sept fois prise pour femme, par sept frères, et qui fut sept fois veuve, sans que jamais un enfant naquît de ces successives unions.

            Pourquoi cette histoire ? Un rapport avec des situations concrètes ? Peut-être. Même sans atteindre le nombre extravagant et parfait de 7, nous pouvons imaginer que, dans un monde où l’on pouvait mourir jeune, il puisse arriver qu’une femme soit veuve et prise pour femme par un beau-frère – à supposer que la loi de Moïse fût mise en œuvre. Quant à ce qu’il se serait alors passé, en termes de succession sans enfants, nous ne le savons pas. Mais la misère des veuves dans les temps anciens est abondamment documentée. Cette misère fut même l’objet d’une des premières querelles ravageuse dans la première Église chrétienne.

 

            Nous devons plutôt imaginer que, de tout ça, de ce qui se passait parmi les vivants, les vrais veuvages de vraies personnes, les Sadducéens, inventeurs de cette histoire – 7 fois veuve et jamais mère – n’avaient cure. Dans cette petite histoire, ce que représentent ces veuvages successifs en fait de souffrance et d’humiliation pour la femme, n’intéresse pas ces Grands Messieurs Savants. Pourquoi donc cette histoire ? Elle est une expérience de pensée qui a pour but d’établir un résultat logique et surtout très ferme – très ferme du genre qui ferme la bouche à ceux qui sont là. Et ce résultat qu’ils veulent fermement établi est celui-ci : il n’y a pas de résurrection. C'est-à-dire qu’il n’y a d’espérance pour la femme et ses sept maris ni dans ce monde, ni dans l’autre monde – merci pour le service. Et que conséquemment il n’y a d’espérance dans l’autre monde pour personne – merci encore.

            Et nous sommes pleins d’étonnement. Un étonnement momentanément  positif et que nous justifions maintenant. A plusieurs reprises, certaines des traditions des Fils d’Israël nous font voir un salut qui ne peut échoir qu’aux plus saints – entendons les plus respectueux de toute la Loi – pendant que tous les autres, tous ceux qui sont singuliers, voire à peine déviants, sont promis au massacre (Lévitique 20, par exemple). Alors qu’ici, la démonstration de la résurrection aboutit à une certaine égalité : faute que la résurrection soit possible pour certains, il n’y en a finalement pour personne. C’est une sorte d’égalité par le bas qui doit nous donner à réfléchir.

 

            A réfléchir, mais pas trop longtemps. Car tout ce raisonnement est proposé par les Sadducéens – les maîtres de la perpétuité du culte et des traditions qui vont avec – et que ce raisonnement repose sur un principe, qu’on pourrait nommer principe d’éternité : pourquoi donc faudrait-il une résurrection, se disent les Sadducéens, puisque nous sommes, avec le culte, saint, perpétuel, et tout le reste, déjà maîtres du temps ?

            Principe d’éternité ? Il semble bien que les Sadducéens – au moins les plus radicaux d’entre eux, ont vécu ainsi. Avec un principe – un fantasme – d’éternité,  qui leur aura fait ignorer activement – ignorants de leur ignorance même – ignorer la situation du vrai monde, les rendant rétifs à toute idée et tentative d’adaptation. Lorsque le Temple disparut en 70 après Jésus Christ, ils disparurent avec le Temple.

 

            Avant qu’ils ne disparaissent, Jésus eut affaire à eux. Brève et passionnante rencontre qui commence avec cette petite histoire d’une femme qui fut prise pour femmes successivement par 7 frères, qui tous moururent avant qu’elle aussi ne meure, sans aucune descendance. Et lors de la résurrection, duquel des 7 serait-elle la femme puisque les 7 l’auraient eue pour femme ? Nous connaissons déjà la réponse sadducéenne, qui fait le pari que lors de la résurrection, les structures de la société des ressuscités seront les mêmes que celles du monde présent. Ça n’est pas très étonnant que les sadducéens fassent ce pari : les maîtres de la religion et du temps qu’ils prétendent être ne peuvent rien imaginer, puisqu’ils ont tout sacralisé. A cette sacralisation, et au mépris qu’elle professe à l’encontre des vrais êtres humains Jésus répond.

            A la résurrection, tous les humains ne seront pas dans le même panier. C’est peut-être très troublant pour nous de voir Jésus prévoir un tri entre des gens dignes et des gens indignes, mais c’est ainsi, c’est la pensée de Luc à ce moment de son Évangile (cette pensée a été aussi exprimée sèchement dans le chapitre 17 : Je vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit : l'un sera pris, et l'autre laissé. 35 Deux femmes seront en train de moudre ensemble : l'une sera prise, et l'autre laissée.) Mais dans ce jugement divin, dont les attendus sont toujours méconnus, il faut tâcher de voir la liberté de Dieu et surtout la justice de Dieu, et non pas un stupide arbitraire. Donc,

            …ceux qui ont été jugés dignes… ne prennent ni ne sont pris pour femme ou pour mari. Les structures ordinaires de la famille n’ont plus cours, affirme Jésus, elles ne servent à rien. Car si des couples se forment dans ce monde, c’est justement pour ne pas mourir. Mais si, dans le monde à venir, on ne meurt plus, à quoi bon fabriquer des unions qui ne servent à rien ? Mais alors, ceux qui auront été jugés dignes, qui ne pourront plus mourir et qui seront pareils aux anges, comment vivront-ils, sous quelle loi ? (pour un peu, je ferais de Luc 20,35-36 mes deux versets favoris de toute la Bible…)

            Et nous avons là des propos de Jésus qui sont pleins d’une sorte de tendre malice, d’espérance et de joie. La résurrection dont Jésus parle écarte les grandes illusions politiques et territoriales. Nous pourrions même dire écarte lucidement les idées, les fantasmes, d’un grand recommencement. La résurrection dont Jésus parle regarde derrière, elle regarde dans la mémoire ; elle regarde à Moïse qui regarde à Abraham, Isaac et Jacob, et cela constitue une mémoire vivante – il y a vraiment une manière possible de regarder en arrière de sorte que ça ne soit pas un cimetière mais une maternité, non pas le pays des momies mais la terre des nouveau-nés. Cette manière vivante de regarder en arrière en sorte que cela soit vie, vie et action, tient en trois verbes essentiels, raconter, étudier, célébrer.

 

            En regardant ainsi derrière, énonce Jésus, c’est le maintenant que vous honorez. Et c’est ainsi que vous êtes vivants, avec Dieu et en Dieu, avec tout ceux qui furent, tous ceux qui sont, et tous ceux qui seront.

 

            39 Quelques scribes, prenant la parole, dirent: «Maître, tu as bien parlé.» 40 Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien. Est-ce une réussite de Jésus ? Non. Cela ne correspond pas à une ambition, mais à une nécessité. Il est parfois nécessaire de clouer le bec aux Savants qui Savent, juste pour que de plus petites, plus simples et plus humbles personnes aient juste l’occasion de prendre la parole.