samedi 12 juillet 2025

Qu'est-il écrit ? (Luc 10,25-37) Comment lis-tu ?

 

Luc 10

25 Et voici qu'un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve: «Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle?»

 26 Jésus lui dit: «Dans la Loi qu'est-il écrit? Comment lis-tu?»

 27 Il lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.»

 28 Jésus lui dit: «Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie.»

 29 Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus: «Et qui est mon prochain?»

 30 Jésus reprit: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à moitié mort.

 31 Il se trouva qu'un prêtre descendait par ce chemin; il vit l'homme et passa à bonne distance.

 32 Un lévite de même arriva en ce lieu; il vit l'homme et passa à bonne distance.

 33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l'homme: il le vit et fut pris de pitié.

 34 Il s'approcha, banda ses plaies en y versant de l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.

 35 Le lendemain, tirant deux pièces d'argent, il les donna à l'aubergiste et lui dit: ‹Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c'est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.›

 36 Lequel des trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme qui était tombé sur les bandits?»

 37 Le légiste répondit: «C'est celui qui a fait preuve de bonté envers lui.» Jésus lui dit: «Va et, toi aussi, fais de même.»

Prédication

              L’un de ces derniers dimanches, nous avons lu déjà quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de Luc. Nous avons parlé de 72 disciples envoyés par Jésus en mission de par le vaste monde, avec un double mot d’ordre : prêcher et guérir, ou, pour le dire autrement : dire et faire. A leur retour de mission, ces disciples étaient dans la joie. «Seigneur, disent-ils, même les démons nous sont soumis en ton nom.» Sur quoi leur joie porte-t-elle ? L’objet de leur joie, c’est plutôt qu’ils ont fait… Jésus leur répond de se réjouir essentiellement de ce que leurs noms ont été écrits dans les cieux. Écrits dans les cieux, mais par qui, et surtout, pour quelles raisons leurs noms auraient-ils été écrits dans les cieux ? En raison de ce qu’ils ont fait ? Ce que Jésus leur suggère, n’est-ce pas de se réjouir du dire, plutôt que du faire ?

           

« Que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? » C’est, toujours dans le 10ème chapitre de Luc, la même question qui revient. Non pas dans la bouche d’un disciple, mais dans la bouche d’un maître de la Loi, qui s’adresse à Jésus. Vous connaissez la réponse de Jésus : « Va et, toi aussi, fais de même. », c'est-à-dire, en trois points, (1) sois reconnaissant envers ceux, même anonymes, qui, un jour, t’ont secouru, (2) ne choisis jamais ceux que tu dois secourir, secours-les seulement, et (3) l’action diaconale est  prioritaire sur l’action cultuelle…

           

Si le légiste avait l’idée que sous ces trois conditions, il hériterait de la vie éternelle, Jésus lui dirait ce qu’il a dit déjà aux 72 : s’agissant de noms inscrits dans les cieux, ou de vie éternelle, ou de salut… quel que soit le nom qu’on donne à ça, il ne s’agit jamais de faire, car il n’y a aucun ‘faire’ personnel qui puisse garantir une divine rétribution.

            Or cela, le maître de la Loi le sait bien. Et il le dit même très précisément. Il le dit de deux manières. (1) En appelant Jésus ‘didas-kalos’, en gros maître de bonté. (2) En utilisant le verbe hériter : « Maître de Vie, que ferai-je pour hériter de la vie éternelle ? » Et bien, nul n’a jamais choisi ceux dont il hérite ; en étymologie grecque, hériter ‘klèro-noméo’ signifie le hasard fait loi.

Ce thème est bien plus qu’une passe d’armes entre un maître de la Loi  et un maître de bonté. Ce thème est familier aux protestants. Il porte même un nom latin – sola gratia – et a ses champions, Paul, Saint Augustin, Martin Luther…       Pour rester fidèle à l’esprit de la grâce qui souffla et souffle encore, nous devons apprendre et toujours réapprendre que ni la prédication de la grâce seule, ni la foi en la grâce seule, ni l’anathème jeté sur Pélage et sur ses continuateurs, ne sont des œuvres méritoires…

            Et le légiste, maître de la Loi, le sait parfaitement ; il sait parfaitement, en tant que maître de la Loi, que c’est la divine grâce qui sauve et qu’elle n’a besoin de personne pour sauver... C’est parce qu’il le sait parfaitement que la question qu’il pose à Jésus est plus qu’une simple mise à l’épreuve. C’est une tentation, la troisième tentation selon Luc (Luc 4,9-12), celle de faire de Dieu l’obligé des hommes à cause des Écritures.

 

            Nous pourrions en rester là. Mais il se trouve qu’une certaine double question est dans la bouche de Jésus, posée par lui au maître de la Loi, posée aussi aux autres auditeurs, posée aux lecteurs. « Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Autre traduction : « Dans la Loi, qu’a-t-il été écrit ? Comment l’accomplis-tu ? » Cette double question, nous n’allons pas l’éluder, car c’est Jésus lui-même qui la pose. Et dans notre réponse, nous n’allons pas nier non plus qu’il y ait quelque chose à faire, car c’est lui-même qui le dit : « Fais cela et tu vivras. »

            D’abord la double question. Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Ou qu’a-t-il été écrit ? C’est écrit aujourd’hui, ça a été écrit, hier, et même avant-hier. Déjà au temps de Jésus, et même bien longtemps auparavant, déjà au temps de Luc, il y a des textes canoniques, sacrés, inamovibles. Très bien, canoniques, sacrés, inamovibles… pour qui ? Pour les Juifs ? Le prêtre et le lévite de la parabole sont des Juifs. Et pour les Samaritains, pour le Samaritain de la parabole, y a-t-il aussi un texte canonique, sacré et inamovible ? C’est que les Samaritains adorent aussi le dieu IHVH, ils lui rendent un culte sacrificiel – sur le mont Garizim – et ils sont lecteurs de leur texte canonique, sacrée, inamovible… Les Samaritains ont cinq livres, Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. On appelle ces cinq livres le Pentateuque samaritain. Des différences avec le texte des Juif ? Une différence, assez notable : les dix commandements du texte samaritain comportent une mention particulière sur le lieu du culte : mont Garizim. Mais pour tout le reste… Autrement dit, le prêtre et le lévite d’un côté, et le Samaritain, de l’autre côté, dans la parabole, sont lecteurs du même texte !

Qu’est-il donc écrit, qu’a-t-il été écrit, jadis et pour toujours ? Pour tous les trois, la même chose ! Comment ont-ils lu, qu’ont-ils fait ? Inutile de le redire. Et surtout n’avançons pas qu’en raison de son acte, le Samaritain connaîtra dans les cieux un sort meilleur que celui des deux autres. Repérons plutôt que ces deux hommes qui redescendent de Jérusalem – après leur temps de service au Temple – ont une foi qui est toute de répétition rituelle, que leur compréhension des Écritures ne laisse subsister aucun espace d’interprétation, aucun espace d’improvisation, ni aucune initiative devant l’urgence d’une situation, devant l’imprévu, devant un drame ; ils ne peuvent pas s’approcher du blessé, ils ne peuvent pas devenir le prochain de cet homme.

Quant au Samaritain, lecteur du même texte, il dispose d’un espace de compréhension des Écritures suffisamment ouvert pour accomplir quelque chose, au présent, dans le présent d’une situation particulière ; il accomplit une action appropriée, anonyme, conséquente, et sans mesure. Le Samaritain sauve une vie, il rend un être humain à la vie. C’est une bonne action, au sens biblique, dans le sens où « Dieu vit que cela était bon », cadeau de la vie, de la part de la vie, et pour la vie. C’est « choisis la vie afin que tu vives… » (Deutéronome 30,19) Juifs et Samaritains lisent ici exactement le même texte, et c’est le même texte que nous lisons nous aussi…

 

Fais cela et tu vivras, commandement et promesse de Jésus. Tu vivras, en plénitude de vie et donc sans te préoccuper de l’inscription de ton nom dans les cieux, ni d’une rétribution post mortem. La vie en plénitude se suffit à elle-même.

Revenons, une dernière fois, à cette inépuisable parabole. Le prêtre et le lévite reviennent du Temple et rentrent chez eux : ils se déplacent en somme entre deux espaces de propriété, entre chez soi et chez soi. Le Samaritain est en voyage, plus qu’en voyage, car il est prêt à une action bonne, il est en pèlerinage, prêt à la rencontre d’un homme, à la rencontre de Dieu non pas cette fois-là, mais chaque fois.

Pèlerin bon courage

Ton chant brave l’orage

Mon Dieu plus près de Toi

Plus près de Toi Amen

samedi 5 juillet 2025

Il y eut 72 apôtres (Luc 10, 1-12 & 17-20)

Luc 10

1 Après cela, le Seigneur désigna soixante-douze autres disciples et les envoya deux par deux devant lui dans toute ville et localité où il devait aller lui-même.

 2 Il leur dit: «La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson.

 3 Allez! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.

 4 N'emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales, et n'échangez de salutations avec personne en chemin.

 5 «Dans quelque maison que vous entriez, dites d'abord: ‹Paix à cette maison.›

 6 Et s'il s'y trouve un homme de paix, votre paix ira reposer sur lui; sinon, elle reviendra sur vous.

 7 Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant ce qu'on vous donnera, car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.

 8 «Dans quelque ville que vous entriez et où l'on vous accueillera, mangez ce qu'on vous offrira.

 9 Guérissez les malades qui s'y trouveront, et dites-leur: ‹Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous.›

 10 Mais dans quelque ville que vous entriez et où l'on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites:

 11 ‹Même la poussière de votre ville qui s'est collée à nos pieds, nous l'essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le: le Règne de Dieu est arrivé.›

 12 «Je vous le déclare: Ce jour-là, Sodome sera traitée avec moins de rigueur que cette ville-là.

Prédication :

L’évangile de Luc, lorsqu’on l’associe avec le livre des Actes des Apôtres, constitue un récit unique qui commence avant même la naissance de Jésus de Nazareth, et qui finit lorsque son message commence à être proclamé à toutes les nations.

            Il nous faut ici entendre par nations tous ceux qui ne sont pas Juifs, ceux qui ne parlent pas araméen, tous ceux qui parlent la langue commune de l’époque, le grec, mais l’on sait que bien des efforts de traduction des textes seront très tôt accomplis pour que le message soit rendu compréhensible, en arménien par exemple, ou en éthiopien, ou en syriaque, ou encore en latin…

            Avant cet effort de traduction, il y a un effort de mission qui semble avoir été accompli par les Apôtres eux-mêmes… on connait les voyages de Pierre, on subodore les voyages de Philippe (Liban, Éthiopie, les deux en même temps…), on nous dit que la première communauté fut dispersée après une persécution, les chrétiens de Judée devenant missionnaire, contraints et forcés ; et on ne peut pas ignorer les voyages de Paul, qui ne fait pas partie du collège des Apôtres, entendons par là le collège des Douze, ceux qui ont effectivement connu Jésus de son vivant. A part Pierre et Philippe, deux sur douze, qu’ont fait les Apôtres ? Voyager ? Évangéliser ? S’installer plutôt en communauté, ou en école, en se donnant pour tâche d’élaborer et de maintenir le bon message, la bonne doctrine ? Disons voyager, au trois-fois- quatre coins du monde, chacun dans une direction propre.

             Il y a un livre de la Bible qui s’appelle justement Actes des Apôtres, et qu’il soit dans nos Bibles juste après les quatre évangiles doit nous donner à penser que, très tôt dans l’histoire de la chrétienté (occidentale), il a été tenu pour acquis que l’origine de l’évangile (les textes, la doctrine, l’histoire…) était apostolique. Et que les évangiles aient pour titres les noms de quatre Apôtres vient évidemment à l’appui de cette idée. Mais est-ce aussi simple ?

            L’origine apostolique de l’Évangile est une idée intéressante. Mais cette idée ne dispense pas d’une question simple : les Apôtres, lorsqu’ils ont voyagé et prêché l’évangile de Jésus Christ, qu’ont-ils trouvé comme terrain, comme terreau ?

           

            Évangile de Luc, et Actes des Apôtre, un seul auteur qui, toujours, expose les idées reçues, mais propose aussi, souvent mine de rien, de réfléchir de manière critique sur ces mêmes idées. C’est, semble-t-il, dans ce cadre, que nous pouvons méditer le dixième chapitre de Luc.

            Nous avons quelques connaissances sur les Douze, notamment sur leur mission (Luc 9), mais qui sont les 72 ? Si nous voulons faire quelque chose du 72, c’est le nombre des nations païennes selon Genèse 10 (grec). Symbole assez simple : cette mission envoyée par le Seigneur sera allée partout, dans le monde entier.

            Cette mission est une mission assez radicale. Les missionnaires sont de pauvres itinérants (comme les 12), que la mission n’enrichira jamais. Quant à leur message, il se limite à deux énoncés simplissimes, paix à cette maison, et le règne de Dieu est tout à fait proche de vous (ici, un petit souci de traduction, il faut comprendre que le règne de Dieu s’est approché et est on ne peut plus proche, autrement dit, il est là, et sa pleine manifestation tient aux humains). Deux énoncés simplissimes donc, paix à cette maison, et le règne de Dieu est tout à fait proche de vous, ces énoncés pouvant être vu comme le corps et la norme de la prédication. Quant à l’action des 72, elle tient en un verbe, guérir. C’est donc très simple. Avec ça, ils seront accueillis, ou ne le seront pas.

            Missionnaires très dépouillés – missionnaires mendiants – message très simple, pratique très simple. C’est la partie douce de la radicalité de la mission des 72. Mais y a l’autre partie de la mission, la partie dure, si l’on ne veut pas d’eux. Qui pourrait refuser de recevoir des itinérants prédicateurs et guérisseurs fonctionnant à un tarif aussi bas ? …mais personne n’est obligé de les recevoir ! Que serait une bonne nouvelle si elle était assortie d’une obligation de recevoir ? Que serait un don gratuit s’il était obligatoire de souscrire ? Et bien la mission des 72 introduit une forme de malédiction contre ceux qui ne la recevront pas… mais cette malédiction est ce qu’on peut appeler une malédiction liturgique. Heureusement, il n’appartient pas aux missionnaires de la mettre en œuvre, les 72 ne sont pas des prophètes genre Elie.

            Il semble que cette mission ait été couronnée d’un certain succès, un succès en excès, puisqu’en plus de la prédication et de la guérison, il vient que les démons sont soumis à ces missionnaires œuvrant au nom de Jésus… voilà cette mission décrite. Mais voilà aussi une chose bien étrange, que nous ne savons absolument pas qui sont ces 72. Ils sont, nous dit Luc, désignés en plus des Douze et après les Douze, Mais leur envoi en mission est différent de celui proposé aux Douze.

            La mission des 72 est une mission préparatoire ; ils viennent avant Jésus. Mais nous ne savons pas ce que les Douze faisaient pendant que les 72 étaient à besogner partout, c'est-à-dire dans les vignes du Seigneur.

            Ces 72, j’aime les appeler les Apostoliques Anonymes, car anonymement ils vont recevoir leur lettre de mission et les instruments de leur mission, anonymement ils vont accomplir leur mission,  puis, redoublant d’anonymat, ils disparaitront, avec seulement cette unique épitaphe : « Réjouissez-vous de ce que vos noms ont été inscrits dans les cieux », déclaration de Jésus.

            Qui sont-ils ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons pas. Leur existence est attestée par les traces de leur mission, par les traces de leur passage. Il nous faut envisager leur existence du point de vue des Douze puis après devenus, à leur tour, apôtres et partis en mission. De qui les Douze tiennent-ils leur autorité, quel est le contenu de la prédication, quelle en est aussi la norme ? Et, surtout, où et à qui prêchent-ils ? Ils prêchent partout, et ils prêchent à tous. Mais enfin, que trouvent-ils là où ils prêchent ? L’évangile aura-t-il été déjà prêché avant que les Douze arrivent, avec leur autorité, leurs catéchismes et leur baptême ?

            Si l’on entend par Évangile l’histoire vie et mort de Jésus de Nazareth, plus sa compréhension comme miséricorde et amour de Dieu dans l’histoire d’Israël et du monde, alors oui, les Douze sont les premiers.

            Mais si l’on entend par Évangile la mission des 72 comme nous l’avons entendu, alors les Douze ne sont pas les premiers, ils ont été précédés, par une autre mission, celle des itinérant, très simples prédicateurs, et très simples guérisseurs. Qui apparaissent, disparaissent, sans souci de rassemblement, d’organisation, de pérennisation...

            La thèse portée par les 72 Apostoliques Anonymes, c’est que partout où Jésus devait aller lui-même, la mission des 72 était toujours déjà passée. Et plus avant encore, cette thèse, c’est que partout où l’on annonce un évangile élaboré, structuré, inscrit dans une histoire de Dieu, du Christ et de l’Esprit, partout donc, l’évangile a toujours déjà été annoncé et reçu librement, comme présence concrète du Règne de Dieu. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à toute évangélisation. Cela signifie que ceux à qui l’on s’adresse, ceux à qui nous nous adressons, ne sont jamais sans connaître ce que nous appelons, nous, les bienfaits de Dieu, mais qui peuvent porter bien d’autres noms.

           

            Bien sûr, à cette affirmation nous pourrons opposer qu’en certains endroits la mission des 72 a été repoussée et qu’à cette attitude correspondent de sévères et divines sanctions. Mais ces sanctions qui va les mettre en œuvre ? Dieu, lors du jugement… c'est-à-dire dans très longtemps, ce qui fait que la liberté d’accepter ou de refuser demeure pour toujours. Dans les illustrations que Jésus propose, il y a du Satan, il y a des serpents et des scorpions, il y a des villes qui flambent, mais ce qui demeure, ce par quoi tout commence, et ce par quoi tout recommence, c’est l’annonce de l’évangile, et c’est donc la liberté.

           

            Voilà, cette méditation sur les 72 touche à sa fin, pour aujourd’hui. Méditation d’un évangile ramené à sa plus simple expression, proclamation et service du prochain, à son plus grand engagement, évangile qui présente le Règne de Dieu à son plus bel accomplissement.

            Réjouissez-vous d’avoir part à cette tâche, et réjouissez-vous, car vos noms ont été inscrits dans les cieux.


samedi 28 juin 2025

Quand les disciples attrapent la grosse tête (Luc 9,51-56)

Luc 9

51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.

52 Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s'étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.

53 Mais on ne l'accueillit pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem.

54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent: «Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume?»

55 Mais lui, se retournant, les réprimanda.

56 Et ils firent route vers un autre village. 

Prédication : 

            Et voici que deux disciples de Jésus sont prêts à incendier un village… Ces versets consternants sont les presque derniers versets du 9ème chapitre de l’évangile de Luc. L’épisode n’est rapporté que par Luc (il faut le génie de Luc pour oser transmettre cela). Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?

            Nous reculons un peu dans le récit… Commencement du même chapitre : « 1 Ayant réuni les Douze [et donc parmi ces Douze, Jacques et Jean], il leur donna puissance et autorité sur tous les démons et il leur donna de guérir les maladies. 2 Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons… »

            Et les Douze s’en vont, avec en plus de ces ordres une consigne assez simple : « 4 Dans quelque maison que vous entriez, demeurez-y. C'est de là que vous repartirez. 5 Si l'on ne vous accueille pas, en quittant cette ville secouez la poussière de vos pieds… » Ce dernier geste n’est en aucun cas une menace. L’expression signifie qu’on n’emporte rien avec soi, et en particulier qu’on n’emporte pas les sentiments – comme la haine – qui pourraient naître justement de ce rejet dont on a été l’objet.

            Ceci dit, lorsque les Douze [et parmi eux Jacques et Jean] rentrent de mission, ils ne rapportent aucun rejet, ni aucun échec.

            Un peu de temps passe ; les disciples assistent à une multiplication des pains et des poissons. Jésus les interroge : « Qui suis-je, au dire des foules ? » et encore « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». C’est Pierre qui, devant tous, dont Jacques et Jean, lâche la réponse : « Le Christ de Dieu ! » L’idée que leur maître n’est pas un prophète parmi d’autres, un prédicateur brillant, un guérisseur performant… qu’il est tout cela parce qu’il est infiniment plus fait son chemin dans la tête des disciples de Jésus.

            Puis, trois d’entre eux, dont Jacques et Jean, assistent à la Transfiguration de Jésus : le ciel lui-même vient leur confirmer l’intuition qui a été jusqu’ici la leur, leur maître, Jésus de Nazareth, est, dit la voix du ciel « Mon Fils, l’Élu (…) ».

            Et c’est à peu près à ce moment que viennent les versets terribles que nous venons de lire. Jacques et Jean, qui font partie des Douze, que Jésus a puissamment équipés pour une mission généreuse de proclamation et de guérison, se trouvent prêts à incendier un village entier parce qu’on n’a pas voulu les y accueillir, eux et leur maître.

Et que s’est-il donc passé dans leurs têtes pour qu’ils en arrivent à ça ?

 

Oui, ce village était un village de Samaritains. Mais mettre ici en avant la détestation mutuelle que se vouaient en ce temps Juifs et Samaritains n’a pas vraiment de portée… Certes, l’Évangile invite à dépasser les clivages habituels et les détestations ancestrales. Mais il y a infiniment plus sérieux, plus grave, et plus actuel que cela.

            Jacques et Jean, qui étaient de doux, humbles et enthousiastes missionnaires au commencement du chapitre, deviennent soudain des voyageurs capricieux et vindicatifs… Pourquoi ? Les disciples – dont Jacques et Jean – ont compris que leur maître est « le Christ de Dieu », la voix du ciel leur a affirmé qu’il est « Fils de Dieu ». Ils ont saisi que Jésus de Nazareth, leur maître, celui qu’ils suivent et servent, est unique, parfaite et définitive manifestation de Dieu. Et voici qu’avec cette compréhension, avec cette certitude, ils deviennent ce que nous les voyons devenir,  prétentieux, et vindicatifs. Qu’ont-ils compris, Jacques et Jean ? Ils n’ont rien compris du tout. Ils ont seulement attrapé la grosse tête…

 

            Jésus est le Christ de Dieu, le Fils de Dieu. Et voici pour Jacques et Jean, pour les disciples du Christ, et pour nous, une question : peut-on être porteur d’un tel savoir, d’une telle certitude, et d’une telle puissance, sans attraper la grosse tête ?, sans se croire si important que les autres devraient être attentifs à nos personnes, nous être soumis, nous obéir, ou bien être anéantis ?

Cette question a été en christianisme d’une actualité brûlante ; et elle concerne aujourd’hui bien d’autres religions que la nôtre. Les religions conduisent-elles nécessairement à la haine et au mépris ? Ceux qui sont religieux, et nous le sommes, sont-ils nécessairement prétentieux et arrogants ?

Nous avons ici matière à méditer sur notre religion, sur notre foi, sur notre vie. Jacques et Jean, pour leur part, n’ont rien médité du tout. Ils ont été équipés par Jésus d’une puissance considérable et, tout imbus d’eux-mêmes, ils se sentent presque autorisés à libérer le feu du ciel sur de simples impudents. Cette disposition qui est la leur est-elle une fatalité ?

 

Il y a trois intuitions fondamentales, d’une portée universelle et d’une actualité permanente, qui sont toutes trois dans l’Ancien – soi disant ancien - Testament.

La première de ces intuitions, c’est que Dieu ne peut pas être représenté et que son nom est imprononçable. « Écoute Israël, IHVH notre Dieu, IHVH est UN » (Deutéronome 6,4). Dieu seul est Dieu, pourrait-on dire et cela, bien compris par tous ceux qui prétendent le connaître et le servir, devrait interdire qu’on s’en croie le défenseur, le détenteur, le dispensateur et le protecteur, sous quelque forme que ce soit, ni par l’oracle, ni par le rituel, ni par les Saintes Écritures. Et personne ne peut aller faire le malin avec ça.

La seconde de ces intuitions, qui découle directement de la première, porte sur la compréhension des textes, car les textes sont bel et bien une représentation de Dieu. La seconde des intuitions porte sur la distinction entre garder le commandement et le mettre en pratique (Lévitique 20,18-19). Tenir cette distinction vous empêche de prétendre à quoi que ce soit et vous laisse avec vos actes devant votre conscience et devant Dieu.

La troisième de ces intuitions, c’est que c’est toujours Dieu qui libère (Exode 20,2) et toujours Lui qui sanctifie.

Ces trois intuitions définissent ensemble le combat de la foi, pour la foi, contre l’orgueil, qui est un combat de chaque jour, combat contre ce qui défigure Dieu en faisant de lui une idole parmi les autres idoles, combat pour les humains, contre tous les usages asservissants et totalitaires qu’on peut faire des textes sacrés.

           

Jacques et Jean n’ont assurément pas médité ainsi… Mais peut-on méditer ainsi lorsqu’on vient juste de comprendre qui est le maître qu’on sert ? Méditer à chaud sur une actualité aussi bouleversante que la Transfiguration, celle des plus proches disciples de Jésus, qui le pourrait ? Il ne faut pas trop en vouloir à Jacques et Jean… personne ne peut dire qu’il aurait fait mieux qu’eux. Nous ne sommes, comme eux, et comme les quelques autres qui apparaissent dans ce récit, que des apprentis.

Et avec tout cela, Jésus, en route avec ses disciples pour Jérusalem, réprimanda Jacques et Jean. Et tous poursuivirent alors leur chemin.

A Jérusalem, les trois intuitions que nous avons mises en avant allaient trouver en Jésus leur parfait accomplissement :

-       Le sauveur, le Messie, Christ de Dieu, Fils de Dieu, ne peut pas être crucifié… Il le fut et personne ne put ni ne peut avec cela attraper la grosse tête ;

-       Le plein accomplissement de la distinction entre garder les commandements et les mettre en pratique s’accomplit seulement en celui se fait esclave de tous, et qui se livre à tous. Et personne ne peut se faire gloire d’avoir pour maître un esclave ;

-       Le plein accomplissement de la sanctification par Dieu se fait dans la proclamation de la résurrection. Mais cette résurrection, nous sommes incapables de la produire, et incapables aussi de la prouver. Nous ne pouvons pas nous en faire gloire.

 

Ce qui fait qu’il ne nous reste que ceci : apprendre à croire, laisser la pensée et la vie éroder les certitudes massives et prétentieuses qui peuvent être celles des croyants, et vivre courageusement et humblement à la suite de notre maître, Jésus Christ, Fils de Dieu. Que Dieu nous soit en aide. Amen


samedi 14 juin 2025

De quel esprit sommes-nous habités ? (Jean 16,12-16)

Jean 16

12 J'ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant;

 13 lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.

 14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera.

 15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il vous communiquera ce qu'il reçoit de moi.

 16 «Encore un peu et vous ne m'aurez plus sous les yeux, et puis encore un peu et vous me verrez.»

Prédication : 

            En lisant ces quelques versets de l’évangile de Jean, il me revient le souvenir de Jacques et Jean, disciples de Jésus qui, un jour que l’hospitalité leur avait été refusée dans un village de Samaritains, se proposèrent de commander au feu du ciel de descendre et d’annihiler ce village et ses habitants (Luc 9). Ça n’est pas pour rien que ces deux disciples étaient surnommés ‘fils du tonnerre’ ; ils voulaient reproduire les prouesses du prophète Elie qui, lorsqu’il était en colère, commandait au feu du ciel de consumer un taureau sur un autel (1 Rois 18), ou une troupe de cinquante hommes (2 Rois 1)… Jésus, réprimanda ses disciples et leur dit : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Et cela suffit semble-t-il pour calmer leurs ardeurs. Mais il ne se trouva personne, même pas Dieu, pour calmer certaines des ardeurs du prophète Elie, dont la trace est pour toujours maculée de cendres et de sang.

            Toujours en lisant ces quelques versets, me reviennent les souvenirs de quelques leaders protestants du renouveau charismatique des années 70, leaders que les circonstances de la vie m’avaient amené à côtoyer. Même si je me souviens de quelques personnalités lumineuses, je me souviens aussi de personnes dont le point commun était leur violence, la violence des réunions qu’ils présidaient, la violence de leurs enseignements, et la violence des propos qu’ils tenaient lorsqu’ils parlaient les uns des autres. J’en ai entendu douter publiquement qu’untel, autre leader de ce temps-là, fût animé par l’esprit.

            Des années 1970 aux années 1530, il y a peu de distance et il se trouva qu’un jour, Luther et Zwingli ayant été capables de s’entendre sur tout sauf sur le sens de « ceci est mon corps », Luther refusa la poignée de main de Zwingli et l’apostropha de cette manière : « Nous n’avons pas le même esprit ! »

            Car il va demeurer de cette introduction la parole de Jésus transmise par l’évangile de Luc : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Ce qui est étonnant, c’est que les principaux manuscrits que nous possédons de l’évangile de Luc ne comportent pas cette phrase ; c’est une variante très intéressante, il y a là une question délicate, même urgente : avant la Pentecôte, dès lors qu’il est question d’actes de puissance, ou après la Pentecôte et l’onction que nous savons, de quel esprit tous ces gens sont-ils animés ?

 

            Nous avons sous les yeux quelques versets de l’évangile de Jean. Dans cet évangile, l’esprit porte plusieurs noms. L’un de ces noms est parfois simplement translittéré : Paraclet. En tant que tel, ça ne veut rien dire. Le mot Paraclet reporté dans sa langue d’origine signifie avocat, ou consolateur. L’esprit, sous ce nom, a pour mission de consoler les disciples de Jésus anéantis par la violence de la perte de leur maître. Demandons-nous si cette consolation, la dernière prédication de leur maître ayant justement porté sur l’amour, cette consolation peut conduire les disciples à une conduite violente. Lorsqu’on lit après l’évangile de Jean les trois épîtres de Jean, on ne peut que constater cette violence. Alors, au sujet de ces gens qui ont suivi la voie particulière de cet évangile, nous pouvons nous demander : de quel esprit étaient-ils animés ?

            L’esprit porte, dans l’évangile de Jean, encore un autre nom, que nous avons sous les yeux : l’esprit de vérité. « Lorsque viendra celui-là, l’esprit de vérité, il vous guidera dans toute la vérité » ou dans la vérité toute entière. Guider, c’est mener, c’est conduire sur un chemin, le chemin de la vérité, le chemin vers la vérité. S’il y a un chemin, et un guide, c’est que la vérité ne se présente pas comme un donné que l’on pourrait posséder. Et puisque l’adresse de Jésus est à la deuxième personne du pluriel (vous conduira), c’est que ce chemin a une double dimension : une dimension collective, et une dimension individuelle : et chacun peut bien comprendre il me conduira, et il nous conduira. Il me conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que je suis et il nous conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que nous sommes. Puis-je – et pouvons-nous – porter, supporter ce qu’en vérité nous sommes ? Non. Et nous faisons dans chaque culte une prière de repentance. Puisse cet esprit venir, qu’il nous guide, et qu’il nous soit en aide.

 

            Pourquoi lire ce texte aujourd’hui, dimanche de la Trinité ? Et pourquoi insister sur cet esprit dont il semble qu’au fil des âges bien des gens s’en soient réclamés, parfois avec violence, avec grave violence ?

            En seulement quatre versets, l’évangile de Jean rassemble le Père, le Fils, et l’esprit. Il unifie le Père et le Fils, et il subordonne l’esprit au Fils uni au Père. De cette opération nous pourrions dire qu’elle est d’une subtilité toute théologique. Mais en commençant par évoquer certains débordements, parfois graves, commis au fil de l’histoire par des êtres humains se réclamant presque exclusivement de l’esprit, nous suggérons que l’enjeu de la Trinité – car il s’agit bien de cela – n’est pas, pas seulement, et peut-être pas du tout, un enjeu théologique.

            En seulement quatre versets, l’Esprit – sous sa forme Esprit de Vérité – est subordonné au Père uni au Fils. Or, dans l’évangile de Jean, le moment culminant du message est l’engagement suprême, le don de soi sans retour et sans reste. Et tout le parcours de l’évangile – pas seulement le parcours du Christ – mais aussi le parcours du disciple du Christ, est orienté vers ce don, avec la mesure du chemin parcouru, avec la mesure aussi du chemin restant à parcourir. Alors dans ces versets, comme nous les comprenons aujourd’hui, l’enjeu de la doctrine de la Trinité n’est pas – pas seulement – un enjeu théologique – et j’ose dire ‘au diable les enjeux théologiques !’ – mais aussi, d’une manière essentielle, un enjeu éthique. Ainsi cet esprit, en tant qu’Esprit de Vérité, ne parle ni de lui-même, ni pour lui-même. Il ne parle pas en sa propre faveur, mais pour dire et rappeler l’engagement de Dieu envers le monde (Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné…), et il laisse ensuite les humains prendre la mesure de leur réponse à cet engagement, c'est-à-dire la mesure de leur engagement : aimer, donner et, peut-être aimer sans reste et donner sans retour.

 

            Quel est mon engagement ? Quel est notre engagement ? Sœur et frères, puisse cet Esprit de Vérité souffler sur nous, et puisse-t-il être aussi Paraclet, Esprit de Consolation. Sœurs et frères, conduit par cet Esprit, nous avons déjà parcouru une portion de ce chemin, chacun pour lui-même et tous ensemble. Disons-le sans crainte, la route est encore longue. Amen.


samedi 7 juin 2025

Comprends-tu ? (Actes 2, extraits) Pentecôte

 Actes 2

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;

3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.

4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.

6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?

8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?

9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,

10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,

11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»

13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

 

14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.

15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;

16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël :

« 17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes; 18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes. »

 

 22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,

 23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;

 24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.

(…) 36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»

 37 Le cœur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»

 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.

 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»

 

 40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les encourageait: «Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée.»

 41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication : 

Je voudrais vous parler quelques instants de l’un de mes collègues – je ne vous dirai pas son nom – qui a de multiples qualités, dont l’une est, indiscutablement, la gentillesse. A une époque, nous nous téléphonions assez régulièrement, pour parler de notre ministère, des personnes avec lesquelles nous devions travailler, de nos lectures, de tout, de rien…

Ce collègue a une bonne élocution, il sait faire de belles phrases, dont on sait comment et quand elles commencent, mais dont on ne sait jamais si elles vont finir, ou comment elles peuvent finir. Pour ma part, lorsqu’il commence l’une de ces phrases, j’attends, 10 minutes au moins… Au bout d’un moment, il s’arrête. Mais tous ne sont pas avec lui aussi patient que moi. Nous étions un jour dans une réunion de pasteurs et nous avions évoqué le 8ème chapitre du livre des Actes des Apôtres.

Souvenons-nous. Dans ce chapitre, un apôtre du nom de Philippe interroge un Ethiopien qui est en train de lire le prophète Esaïe, et voici la question que lui pose Philippe : « Comprends-tu ce que tu lis ? » Comme nous méditions sur cette question, mon collègue commença une phrase sans fin et, comme cela ne finissait pas, et que ça devenait de plus en plus incompréhensible, un autre collègue l’apostropha et lui demanda : « Comprends-tu ce que tu dis ? »

Et bien, en lisant et en relisant le 2ème chapitre des Actes (Pentecôte), en méditant sur ce texte, c’est cette anecdote qui m’est revenue. La question posée à mon collègue – comprends-tu ce que tu dis ? – me semble pouvoir caractériser valablement la situation de cette première Pentecôte.

« Comprends-tu ce que tu dis ? » Imaginons que nous posions cette question aux disciples qui, ayant reçu le Saint Esprit, se mettent à parler des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Comprennent-ils ce qu’ils disent ? Ces langues qu’ils n’ont jamais apprises, ils les ont très certainement entendues, parce qu’ils sont assidus au Temple et que le Temple attirait à lui des foules de croyants venus des quatre coins du bassin méditerranéen pour adorer Dieu. Nous savons que le cerveau humain mémorise, malgré nous, toutes sortes d’informations. Et l’Esprit Saint aidant, avec l’émotion qu’il suscite, peut entraîner parfois la résurgence de sons entendus. Mais faute d’un apprentissage réel d’une langue, on ne comprend pas. Ceux donc qui reçoivent l’Esprit Saint se mettent à dire des choses qu’ils ne comprennent pas… et que d’autres, par contre, comprennent parfaitement : « nous les entendons dans nos langues – chacun dans son propre idiome – annoncer les merveilles de Dieu ».

Nous pouvons retenir ceci de cette première étape de notre méditation : ceux qui annoncent les merveilles de Dieu annoncent (toujours ?) quelque chose qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes.

 

Poursuivons maintenant, en considérant le discours que prononce Pierre. C’est naturellement tout autre chose que ce qui s’est passé juste avant. C’est un discours construit, c’est le discours de quelqu’un qui connaît les règles de la rhétorique, de quelqu’un qui connaît très bien les Saintes Écritures, qui a connu personnellement ce Jésus dont il parle, qui a été acteur et spectateur de l’histoire qu’il raconte ; c’est le discours de quelqu’un qui est capable de s’exprimer dans la langue véhiculaire (peut-être bien le grec), celle que comprennent tous les étrangers qui sont là, à Jérusalem, pour le pèlerinage. C’est le discours d’un homme qui sait très bien ce qu’il veut dire… et pourtant, nous allons poser de nouveau notre question du jour, nous allons la poser à Pierre lui-même : « Pierre, comprends-tu ce que tu dis ? » Bien entendu, Pierre ne va pas nous répondre ; nous allons répondre à sa place, oui, et non.

Oui, Pierre comprend ce qu’il dit. Et nous avons déjà donné tous les arguments qui étayent ce oui. Pourtant, ce oui ne nous satisfait pas, et voici pourquoi. Lorsque Pierre achève son discours, des gens sont bouleversés et demandent ce qu’ils doivent faire. Pierre leur dit quoi faire, et ils le font très exactement, en grand nombre : 3000. Nous pouvons bien évidemment nous réjouir de ce que le premier catéchisme de l’apôtre Pierre ait rencontré un tel succès. Mais ce succès tient-il seulement à Pierre ? Est-ce la science du catéchète qui mène le catéchumène à la confirmation ? La foi chrétienne peut-elle être ramenée à quelques énoncés bien construits et toujours efficaces ? Si nous répondons oui, cela signifie que la puissance de Dieu nous est acquise et nous est due, cela signifie que Dieu est notre obligé, cela signifie que Dieu n’est pas Dieu.

Alors, nous allons répondre que non ; Pierre ne comprend pas ce qu’il dit. Bien sûr, il est en mesure de raconter, de rapporter, d’expliquer. Et tout comme Pierre, les chrétiens doivent être en mesure d’expliquer ce qu’ils disent, ce qu’ils lisent, en mesure d’expliquer ce que signifient toutes les belles phrases de la liturgie. Mais la bonne nouvelle de l’amour de Dieu, la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus Christ est plus grande et plus profonde que nos énoncés et nos explications. Bien sûr, elle se transmet par nos énoncés et nos explications, mais elle se transmet aussi par l’attention que nous réservons à ceux qui nous interrogent, et elle se transmet mystérieusement, et essentiellement, par ce qu’il leur sera donné de comprendre, elle se transmet donc par l’action libre du Sainte Esprit.

C’est pour ces raisons que nous devons dire que Pierre ne comprend pas ce qu’il dit, même s’il le dit si bien. C’est pour ces raisons que nous ne comprenons pas non plus ce que nous disons lorsque nous confessons notre foi. Dieu est plus grand, plus profond que notre foi, plus grand et plus profond que la foi de toutes les Églises.

 

Nous n’avons pour parler de Lui que nos pauvres mots, nos célébrations, nos textes bibliques tellement diversifiés, nous avons l’attention que nous portons à nos semblables, nos actes parfois… Nous n’avons en somme presque rien.

Mais c’est avec ce presque rien qu’Il a choisi de se faire connaître. Grâces soient rendues à Dieu. Amen

 


samedi 31 mai 2025

Méditations sur l'unité (Jean 17,20-26)

Jean 17

20 «Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi:

 21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé.

 22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un,

 23 moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

 24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde.

 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé.

 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»

Prédication

            Dans l’évangile de Jean, au moment de la Passion – avant l’arrestation de Jésus – nous avons un immense discours, chapitre 14 à 17, qui se finit par une prière dont nous venons de lire les derniers mots. Jésus prie le Père, une prière de demande, tout le chapitre 17, après quoi il sort avec ses disciples et se rend au-delà du torrent du Cédron, là ou il va être arrêté. On nous propose de lire la seconde partie de cette prière… et pourquoi ?

            Cette prière contient une demande particulière, et particulièrement connue,  « qu’ils soient un ». Ils ? Tous ceux qui croiront en Jésus… et nous en faisons partie probablement. Et pourquoi faudrait-il qu’ils soient un ? « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé », précise Jésus. Alors, si nous comprenons bien, une conversion du monde est suspendue à cette conviction, qu’ils soient – que nous soyons – un. Pourquoi pas… sous la réserve que nous puissions préciser ce que signifie ce un, le un de « qu’ils soient un afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

            Nous allons tâcher de préciser ce qu’il en est de ce un mais, auparavant, je voudrais vous raconter quelque chose que j’ai vécu, il y a déjà longtemps, dans un contexte qui était – qui tâchait d’être – œcuménique. Ce verset avait été assez évidemment choisi comme support d’une méditation commune qui avait pour message que la désunion entre les confessions chrétiennes était responsable de cet état du monde dans lequel on voyait les humains en masse ignorer la foi chrétienne et se jeter les uns contre les autres dans toutes sorte de conflits. Ah, si nous étions – si vous étiez tous unis, le monde ne pourrait pas ne pas se convertir. Unis, mais sous quelle bannière, je vous prie ? Et celui qui parlait imaginait clairement que c’était sous sa bannière que tous auraient dû être unis… et je ne dis pas de quel bord était ce prédicateur, car les remarques que nous pourrions faire maintenant valent pour tous, pour chacun. Les modèles d’unité sous-tendus ici n’ont que très peu de valeur au regard de l’unité selon l’évangile de Jean.

 

            L’unité dans l’évangile de Jean, c’est l’unité du verbe et de Dieu (Prologue), c’est l’unité du verbe et de la chair (Prologue aussi), c’est l’unité du Père et du Fils, unité – toujours la même – dont nous avons parlé encore récemment, dans la réalité de laquelle si vous en avez un, vous avez l’autre, non pas une petite communication d’un bout de divin et d’un morceau de Christ, mais la totalité. Par exemple, si vous voulez disposer de Dieu, totalement et intégralement, regardez à l’humanité – à la chair – et vous aurez tout, en raison de ces croisements de paires, qui fon ensuite des tierces, et qui forment cette sorte de boule de signifiants, boule de langage gigantesque en laquelle tout est signifié. Tel est le un de l’évangile de Jean.

            De ce un nous allons retenir seulement ceci : deux sont un, si vous en avez un, vous aurez l’autre. C’est le cas le plus simple du « que tous soient un… » et à nous de nous demander si nous avons l’expérience de cette unité, que nous pouvons tout à fait décrire comme une unité de fusion  Sommes-nous – suis-je – disposé à vivre cette unité dans le cadre de ma vie spirituelle ? Les disciples de Jésus sont-ils eux-mêmes bien disposé à cet égard ? Et nous avons Pierre qui regardera Jean un peu de haut, après la résurrection, et Jésus lui dira – à Pierre – « si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je revienne, qu’est-ce que ça te fait ? » Chaque être humain est unique, et peut-être que seule une longue vie communautaire de moine ou de moniale, ou une longue aventure de couple, permet d’approcher concrètement de ce un dont nous essayons de parler.

 

            Et nous n’y parvenons pas trop bien. Comme si ce un se dérobait lorsque nous en cherchons une déclinaison concrète dans le but d’une mise en œuvre et d’un résultat qui se compterait en nombre de conversions. Cette lecture est possible mais elle s’oriente vers une certaine violence, la violence de se voir assigner des manières d’être et de prier que vous n’auriez pas choisies, des manières dans lesquelles la parole est confisquée par quelqu’un – le un – et imposée à tous les autres. Cela n’ayant que très peu à voir avec ce dont nous parlons : le un dont parle Jésus exige la réciprocité, il ne se réalise qu’en tant que un plus un.

 

            Mais il ne se réalise pas. Bien sur il est l’horizon du message de l’évangile de Jean. Mais il ne se réalise pas. Si peu, peut-être que ça n’est pas pas du tout, mais suffisamment peu pour que sa réalisation soit l’objet d’une prière, d’une prière adressée au Père par Jésus. L’unité entre les disciples, entre les croyants, va si peu de soi qu’elle résiste aux enseignements de Jésus, et qu’elle doit faire l’objet d’une prière.

            Or lorsque Jésus prie le Père, le un qu’ils forment ensemble est brisé : on n’a plus l’un par l’autre. Jésus brise cette unité. Et je crois que Jésus la brise intentionnellement pour se mettre, si nous comprenons bien, du côté des croyants. La mutilation de l’unité du Père et du Fils se fait au bénéfice des croyants… Ce dont les humains ne sont pas capables, Jésus fait mieux que le leur proposer, il le leur donne. Il se résorbe, il se donne en le leur donnant. Ce qui fait que l’unité n’est plus un point sur un horizon inatteignable, mais un chemin qui pointe vers cet horizon. Comme Jésus se donne aux croyants en priant le Père qu’ils soient un, des croyants se consacreront à leurs semblables non seulement en priant pour eux mais aussi – et disons surtout – en produisant des paroles et des actes conséquents.

            Et à ce point de notre méditation nous pouvons repérer, et signaler, que, tout proche du UN, de l’unité générale tellement travaillée, tellement méditée par l’évangile de Jean, tout proche du UN il y a un autre mot, tout aussi fort… et c’est le mot amour. Nous n’allons pas tout reprendre aujourd’hui, nous allons seulement affirmer que s’unir au sens du UN de l’évangile de Jean, et aimer de cet amour qu’on appelle parfois agapè sont une seule et même réalité.

             

            24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»

samedi 24 mai 2025

Une certaine maladie de la foi (Actes 15,1-12)

 Actes 15

1 Certaines gens descendirent alors de Judée, qui enseignaient aux frères : «Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, disaient-ils, vous ne pouvez pas être sauvés.»

2 Un conflit en résulta, et des discussions assez graves opposèrent Paul et Barnabas à ces gens. On décida que Paul, Barnabas et quelques autres monteraient à Jérusalem trouver les apôtres et les anciens à propos de ce différend.

3 L'Église d'Antioche pourvut à leur voyage. Passant par la Phénicie et la Samarie, ils y racontaient la conversion des nations païennes et procuraient ainsi une grande joie à tous les frères.

4 Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l'Église, les apôtres et les anciens, et ils les mirent au courant de tout ce que Dieu avait réalisé avec eux.

5 Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir qu'il fallait circoncire les païens et leur prescrire d'observer la loi de Moïse.

6 Les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette affaire.

7 Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint pour déclarer: «Vous le savez, frères, c'est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours et chez vous, les nations païennes ont entendu de ma bouche la parole de l'Évangile et ont cru.

8 Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous, l'Esprit Saint, 9 sans faire la moindre différence entre elles et nous. C'est par la foi qu'il a purifié leurs cœurs.

10 Dès lors, pourquoi mettre Dieu à l’épreuve à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter?

11 Encore une fois, c'est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés, exactement comme eux!»

12 Il y eut alors un silence dans toute l'assemblée…

Prédication : 

Nous sommes à Antioche, aujourd’hui Antakya, ville de Turquie située sur le fleuve Oronte, non loin des côtes du fond du golfe de Chypre, autrefois capitale romaine régionale et point de départ de la route de la soie. Une ville cosmopolite, où se côtoient des gens de toutes origines et de toutes croyances, et c’est là que, pour la première fois de l’histoire connue, des gens se réclamant de Jésus de Nazareth sont appelés chrétiens.

Un jour, des prédicateurs itinérants, s’adressant à ces chrétiens, proclament : « Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. »

Cette proclamation provoqua une vive controverse entre ces prédicateurs et le duo chrétien de choc Paul-Barnabas, controverse qui divisa apparemment aussi la communauté. La circoncision est l’objet de cette controverse, mais quel en est l’enjeu ? Cet enjeu peut être énoncé en deux questions : (1) De quoi faut-il être sauvé ?, (2) Avoir été circoncis est-il une condition de possibilité d’être sauvé ?

Nous répondons provisoirement à la première question : il s’agit d’être sauvé des tourments de la fin des temps et de la damnation éternelle. Réponse très provisoire dans le fil de notre méditation, mais possible en ce temps-là, vu l’effervescence apocalyptique qui accompagnait les derniers soubresauts d’un judaïsme nationaliste et guerrier… Voici pour le quoi.

 

S’agissant du comment, de ce qui est nécessaire pour pouvoir être sauvé, nous sommes de bons protestants et nous n’allons pas nous précipiter sur la réponse que nous connaissons si bien, et qui d’ailleurs figure un peu plus loin dans le texte biblique. Nous allons plutôt nous laisser interpeller par cet enseignement fait à Antioche et par les questions qu’il soulève.

 

Remarquez bien que, depuis le début du texte biblique, le verbe sauver n’est utilisé qu’à la voix passive : être sauvé. Ce qui signifie d’emblée – et nous devons prendre cela très au sérieux – que nul ne peut entreprendre quoi que ce soit qui pourrait constituer une possibilité, ou une certitude, d’être sauvé. On ne se sauve pas soi-même. Et on ne peut donc pas non plus posséder la certitude d’être sauvé...

Si aucune action commise par soi-même ne peut constituer une possibilité ou une certitude d’être sauvé, peut-être qu’une action commise pour soi-même par quelqu’un d’autre suffirait, comme par exemple se faire circoncire... Mais toute certitude par ce moyen, ou par tout autre, est déjà anéantie par le fait même que le verbe sauver est employé à la voix passive, avec en plus la négation. Donc la circoncision elle-même ne sert à rien pour ce qu’il en est d’être sauvé.

La prédication de ces gens-là à Antioche se contredit bien dans ses propres termes. Et il est fort étonnant que la raison n’ait pas pu l’emporter. Il devait y avoir un enjeu passionnel autour de la circoncision, une affaire d’identité, d’image, voire de préséance, de prestige, ou un christianisme à deux vitesses. Devant le tour passionnel que prenait l’affaire, la communauté chrétienne d’Antioche, sagement, décida de prendre avis. Paul, Barnabas et quelques autres montent à Jérusalem... Et il est bien étonnant que d’emblée le lieu de l’autorité soit Jérusalem, et que la controverse y ait rebondi.

 

Notez que la controverse a rebondi à Jérusalem, mais pas à l’identique. Si à Antioche, il avait été enseigné que la circoncision était une condition de possibilité d’être sauvé, la question d’être sauvé disparaît à Jérusalem, et il ne demeure que la question de l’observance de la tradition juive. Circoncision et observance pour les chrétiens, oui, ou non ? Indépendamment de la question d’être sauvé, et indépendamment aussi des choix de mode de vie que chacun peut faire pour son propre compte, cela nous conduit à nous demander si l’on reconnaît un frère en Christ à ce qu’il prie comme vous-même, se nourrit et jeûne comme vous-même, s’habille comme vous-même… Sont-ce les apparences qui permettent de reconnaître le frère, le croyant ?

 

Nous allons répondre que non. A Antioche nous répondions que ce ne sont pas les actes qui font qu’on peut être sauvé. A Jérusalem nous répondons que ce ne sont pas les apparences qui permettent de reconnaître le croyant, et que la dignité de frère selon le Seigneur ne tient pas à ce que le frère – ou la sœur – soit un autre moi-même.

C’est ce que Pierre rappelle parfaitement, en affirmant d’abord que pour ce qu’il en est de savoir qui est croyant ou qui ne l’est pas, c’est Dieu seul qui le sait, lui qui connaît les cœurs, et en affirmant ensuite que, s’agissant d’être sauvé, aucune œuvre humaine n’y peut rien, mais que c’est par la grâce du Seigneur Jésus qu’on a été sauvé ; non pas qu’on le sera peut-être sous telle ou telle condition, mais qu’on l’a été, depuis toujours, gratuitement, observance ou pas, mérite ou pas, Juif ou païen… Nous pouvons imaginer que Pierre rappela ces deux vérités d’une voix de tonnerre : il y eut alors un silence dans toute l’assemblée.

 

Mais nous n’en avons pas fini. S’agissant de ces deux vérités que nous venons de rappeler, nous n’en aurons jamais fini. Avoir été sauvé depuis toujours, parfaitement et gratuitement, est la plus embarrassante des vérités chrétiennes…Et que Dieu seul sache qui sont les siens est une vérité presque aussi embarrassante que la précédente… Toujours, les humains seront tentés de rajouter quelques conditions à la grâce, pour tromper leur embarras face à ce savoir qui n’appartient qu’à Dieu. Toujours, tant que la terre durera !

 

Au moment où ces événements ont lieu, il se pose à la très ancienne tradition juive – et à son tout jeune rameau chrétien aussi – une question qu’elle n’avait fait que commencer à se poser, celle de l’universalité de sa foi, de ses convictions, de son Dieu. Que tous les croyants observent toute la loi de Moïse, répond simplement à la question de l’universalité, mais cela a l’inconvénient majeur d’être totalitaire ; et cela ramène Dieu à une seule image qu’on doit imposer à tous. « …pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter ? » Cette question est en soi une réponse. Cette réponse que fait Pierre recueille plus naturellement notre approbation, parce qu’elle a le mérite libérer chaque croyant, mais elle pourrait avoir l’inconvénient majeur de faire de chacun une sorte de mesure du tout, et de ramener ainsi Dieu à n’être finalement que le dieu particulier de chacun.

Mais si on la considère dans sa globalité, la réponse de Pierre est une réponse qui a une portée tout à la fois théologique, personnelle et communautaire. Une portée Théologique, parce qu’elle rend gloire à Dieu seul pour la grâce parfaite déjà faite à tous en Jésus Christ, grâce à laquelle il n’y a rien du tout à rajouter, ni circoncision, ni observance. Cette grâce est libératrice. Une portée Personnelle, parce que précisément chacun est appelé à accueillir cette grâce ; et en même temps qu’il l’accueille, à la prodiguer, en particulier en ne faisant pas obligation à autrui d’être semblable à lui. Pour autant, cette libération ne peut jamais constituer un alibi pour vivre n’importe comment. Une portée Communautaire, parce tous ensemble sont appelés à une réciprocité de la grâce, une réciprocité qui s’exprimera, dans la vie communautaire, par une discipline choisie, partagée et modérée.

 

Et ainsi, nous revenons à la première question que nous avons posée : être sauvés, oui, mais de quoi ? Nous répondons qu’il s’agit d’être sauvé de cette maladie de la foi qui consiste à mettre à l’épreuve notre Dieu et nos semblables. Dieu, en faisant comme si sa grâce n’était pas intrinsèquement suffisante. Nos semblables en voulant leur faire croire qu’il faut qu’ils ajoutent des mérites à la grâce.

Nous affirmons que recevoir la foi en cette grâce c’est être sauvé de cette maladie. Alors, la foi en cette grâce, accueillons-la, apprenons chaque jour à la recevoir et à la prodiguer.

Que Dieu nous soit en aide. Amen