Juste après les Rameaux, juste après que Jésus a chassé les marchands du Temple, il y enseigne. Il y polémique aussi avec les dignitaires du Temple.
Matthieu 2128 «Quel est votre avis? Un homme avait deux enfants.
S'avançant vers le premier, il lui dit: ‹Mon enfant, va aujourd'hui
travailler dans la vigne.›
29 Celui-ci lui répondit: ‹Je ne veux pas›; un peu
plus tard, s’étant repenti, il y alla.
30 S'avançant vers le second, il lui dit la même
chose. Celui-ci lui répondit: ‹Moi, j'y vais, Seigneur›; mais il n'y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté de son père?» - «Le premier», répondent-ils. Jésus leur dit: «En vérité, je vous le déclare, collecteurs d'impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. 32 En effet, Jean est venu à vous dans un chemin de justice, et vous ne l'avez pas cru; collecteurs d'impôts et prostituées, au contraire, l'ont cru. Et vous, voyant cela, vous ne vous êtes pas dans la suite davantage repentis pour le croire.»
Prédication
Nous nous trouvons avec cet extrait au début d’une
série de paraboles de Jésus, d’enseignements et de récits qui vont aboutir à
toutes sortes de malédictions – contre les Scribes et les Pharisiens – et de
prophéties sur la destruction du Temple de Jérusalem, de la ville elle-même, et
du monde entier, récit donc d’un embrasement final d’où émergera une nation
nouvelle rassemblant ceux qui auront trouvé grâce au yeux du grand juge, le
Fils de l’homme venu dans sa gloire… Certains donc en seront, et d’autres pas.
« Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie
éternelle » (Matthieu 25,46). Toute cette affaire – entre les Rameaux et
le début du complot contre Jésus – se développe sur cinq chapitres haletants…
au bout desquels – autant le dire tout de suite – absolument personne n’est
finalement en mesure de dire qui sont les réprouvés et qui sont les justes.
Cette ignorance originelle n’a pas empêché jadis,
ni n’empêche non plus aujourd’hui, certains de se prononcer très
affirmativement sur la question. Voici un exemple, qui date du VIe
siècle (origine en Gaule méridionale) : « Quiconque veut être sauvé
doit, avant tout, tenir la foi catholique : s'il ne la garde pas entière et
pure, il périra sans aucun doute pour l'éternité. » Vous ne vous méprenez
pas sur l’adjectif catholique, synonyme ici d’universel. Vous repérez tout de
suite le côté catégorique de l’affirmation. Et voici un petit supplément :
« Telle est la foi catholique, et quiconque ne gardera pas cette fois
fidèlement et fermement, ne pourra être sauvé. ». Cela se passe au VIe
siècle après Jésus Christ.
Laissons passer un millénaire, et rendez-vous au
XVIe. Qu’ont fait de cela les protestants ? Les protestants que
nous sommes ne peuvent pas s’exonérer en disant qu’au XVIe siècle,
nos Réformateurs se sont démarqués de tout ça. Le souci premier des
Réformateurs était de re-former l’Église, c'est-à-dire de la restituer dans son
unité et dans sa pureté originelles. Ils ont donc explicitement adhéré aux plus
anciennes confessions de foi de la chrétienté. Or, cette confession de foi,
« Quiconque veut être sauvé… » dont nous parlons est l’une des trois,
les plus anciennes, qui aient été reçues, en leur temps, par la chrétienté tout
entière. Elle fait partie de notre héritage.
Bien sûr, vous direz – avec raison – que c’est un héritage second, et qu’il doit être toujours évalué à la lumière des Saintes Écritures. Mais les Saintes Écritures ne comportent-elles pas, elles aussi, des passages qui parlent de tri et d’exclusion ? C’est vrai, à ceci près que, donnant foi à Jésus Christ tel que Matthieu seul en parle (Matthieu 25, 31-46), même si le thème du jugement persiste, la connaissance du verdict est barrée aux humains. C'est-à-dire que même si parfois quelqu’un ayant ou pas autorité rend contre untel un avis totalement négatif et jette sur lui l’anathème, nul ne sait en réalité ce qu’il en sera du jugement final ; et même si nous ne croyons pas en ce jugement final, la méditation des Saintes Écritures, là où nous nous tenons maintenant, nous appelle à la prudence et à la réserve s’agissant de ce que Dieu seul connaît… Ses pensées ne sont pas nos pensées et ses chemins ne sont pas nos chemins.
Et en fait de chemin, voici ce qui est
écrit : « En effet, Jean est venu à vous dans un chemin de
justice… » Et quel était donc ce chemin de justice ? Nous revenons en
arrière dans l’évangile de Matthieu. Et voici ce que nous trouvons concernant
Jean (le baptiste) : “ 1En
ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée: 2
«Convertissez-vous: le royaume des cieux s'est approché!» (il ne sera jamais
plus proche qu’il n’est maintenant). (Le royaume des cieux), 3
(c'est celui) dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait: «Une voix
crie dans le désert: ‹Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses
sentiers.› » 4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une
ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel
sauvage.”
La suite de la prédication de Jean le baptiste est
tout aussi catégorique que celle de Jésus, et même pire… on peut la qualifier
de radicale, mais ce qui nous préoccupe, maintenant, c’est de comprendre ce
qu’est le chemin de justice de Jean.
Ce que je vous propose en fait de chemin de
justice, tient en peu de mots : « Jean avait un vêtement de poil de
chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de
sauterelles et de miel sauvage. » Son vêtement, il peut le récupérer sur
un tas de chiffons pourris ou sur des carcasses d’animaux morts, et sa
nourriture, il la récolte, pour autant qu’il en trouve, là où la nature
pourvoit. Ainsi, Jean le baptiste n’est le débiteur de personne et il n’oblige
personne. Il est entièrement libre de ses gestes et de sa parole. Et personne
n’est obligé d’aller vers lui. Il laisse toute la place à ses contemporains.
Toute la place à ses contemporains, c'est-à-dire qu’il leur laisse toute la
place pour l’exercice de leur jugement, toute la place pour une juste
appréciation qu’ils pourraient porter sur eux-mêmes, et toute la place pour
l’exercice de leur responsabilité. En peu de mots, Jean le baptiste invite ses
contemporains à un juste jugement sur eux-mêmes, et à tirer les conséquences
pratiques de ce jugement. Tel est son chemin de justice.
Précisons maintenant ce qu’est, ici, un juste
jugement sur soi-même. « Un homme avait deux fils. S’avançant vers le
premier, il lui dit : “Mon enfant, va donc aujourd’hui travailler à la
vigne.” Celui-ci lui répondit : “Je ne veux pas” ; un peu plus tard,
s’étant repenti, il y alla. » Que signifie factuellement s’étant repenti ? Laissons de côté
les remords. Ils font peut-être bien partie du processus. Laissons de côté
aussi le vilain garçon qui se rachète en obéissant soudain à papa : ça ne
serait que façade. Repérons que cet enfant qui commence par dire non,
c'est-à-dire qui commence en ne considérant que sa propre personne, va un peu
plus tard trouver dans sa conscience suffisamment d’espace pour que soit
reconnue par lui et honorée par lui gratuitement l’existence et la
sollicitation d’un tiers. Dans cette affaire, le tiers, c’est le père, et le
temps que ça prend, c’est un peu plus
tard. Le tiers pourrait être quelqu’un d’autre que le père, et le temps que
ça prend être beaucoup plus long. L’essentiel tient dans l’adverbe
gratuitement.
Expliquons cet adverbe. Pourquoi des collecteurs
d’impôts et des prostituées ont-ils cru Jean le baptiste ? Parce que Jean
le baptiste, venant à eux dans un chemin de justice, n’a exigé d’eux aucun
préalable. La prédication de Jean était une prédication sans conditions. Elle
ne considérait personne comme perdu. Elle laissait tout l’espace à ses
auditeurs, espace de liberté faute duquel nul repentir authentique ne peut
advenir. Le repentir mène au croire, et le signe du croire est le passage à la
gratuité.
Mais jusqu’à ce que cela advienne, c’est le contraire de la gratuité qui l’emporte sur tout. Le contraire de la gratuité, c’est la tarification ; lorsque tout est tarifé, celui qui est sans le sou vivra reclus, d’aumône ou de rapine, il vivra sans tendresse, et passera l’éternité dans les flammes faute d’avoir pu se payer le sacrifice nécessaire à son salut. Lorsque Jésus évoque devant les maîtres de la religion les collecteurs d’impôts et les prostituées, il évoque dans un même élan les routes tarifées, les relations charnelles tarifées et la religion tarifée. Et il va plus loin encore : puisque des collecteurs d’impôts et des prostituées se sont repentis et ont cru, et que les maîtres de la religion ne se sont pas repentis et n’ont pas cru, c’est donc que les maîtres de la religion, qui vendent Dieu et qui sont inébranlablement certains de leur légitimité, sont au fond pires que des collecteurs d’impôts et des prostituées.
Tout cela fut dit publiquement, et gratuitement,
aux dignitaires et en même temps aux fidèles. Est-ce que, dans son emportement,
notre Seigneur a prononcé sur tel ou tel une malédiction définitive ? Il
faudrait que nous prenions le temps de scruter attentivement les chapitres 21 à
25, ces cinq chapitres ardents que nous avons évoqués tout à l’heure. Ce que
nous ferons, peut-être, dans les semaines qui viennent.
Pour l’heure, nous voulons
être fidèles à ce que nous avons repéré et expliqué tantôt. Jean le baptiste
est venu vers ses contemporains dans un chemin de justice. Nous affirmons que
notre Seigneur Jésus Christ est venu, lui aussi, vers les siens dans un chemin
de justice. Il a dit ce qu’il voulait dire, et il l’a dit gratuitement. Il a
donc laissé à ses auditeurs tout l’espace du repentir et du croire. Ce qui
signifie qu’il considérait qu’il n’y avait pas, autour de lui, un homme qui fût
perdu.
Nous n’avons aucune information sur ce que furent
et devinrent les pieuses personnes qui furent ses auditeurs. Et c’est très bien
ainsi.
Aussi bien, à la suite de
Jean le baptiste et à la suite de notre Seigneur, nous tâcherons de marcher
dans un chemin de justice, et nous confesserons qu’il n’y a pas d’homme perdu.
Amen