dimanche 27 janvier 2019

Créances (Luc 4,14-21)

          Ce lundi, deux messages. Celui-ci est le second. Méditation sur la créance - plutôt que sur la dette -  en somme, comme me l'a dit un ami, c'est le 'comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé'. C'est exact. Mais le Notre Père est rarement traduit en parlant de dettes et de créances... et c'est bien dommage. Parce que pardonner, c'est déchirer la créance.
Lévitique 25

8 «Tu compteras sept semaines d'années, c'est-à-dire sept fois sept ans; cette période de sept semaines d'années représentera donc quarante-neuf ans.
9 Le septième mois, le dix du mois, tu feras retentir le cor pour une acclamation; au jour du Grand Pardon vous ferez retentir le cor dans tout votre pays;
10 vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.
11 Ce sera un jubilé pour vous que la cinquantième année: vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas ce qui aura poussé tout seul, vous ne vendangerez pas la vigne en broussaille,
12 car ce sera un jubilé, ce sera pour vous une chose sainte. Vous mangerez ce qui pousse dans les champs.
13 En cette année du jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété.

Luc 4

14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»
Prédication
            Dans l’ancien Israël, lorsqu’un homme – un hébreu – était criblé de dettes, il lui restait toujours deux choses à vendre. Son petit lopin de terre, et sa propre personne. La vente du petit lopin de terre devait être un déchirement, parce que cette propriété familiale était réputée remonter à des temps très anciens, à une sorte de partage originel.
            La partition des terres était naturellement sujette à des évolutions au fil du temps. Parfois, des lignées s’éteignaient, parfois aussi des familles allaient tenter leur chance à l’étranger (le livre de Ruth raconte cela). De grands domaines ont pu ainsi être constitués, et toute une population de petites gens, des Hébreux moins habiles ou moins chanceux, se retrouver esclave.
            Certains penseurs ont imaginé que, périodiquement, chacun retrouverait sa liberté et sa propre terre : remise des compteurs à zéro… tous les 50 ans. Le 50 avait certainement une valeur symbolique (nous l’avons lu), mais il avait aussi une valeur pratique : sur 50 ans, la mémoire des transactions immobilières pouvait avoir été collectivement gardée en mémoire, et le nombre de descendants éventuels de celui qui avait vendu la terre n’être pas trop élevé et donc la terre restituée pas trop morcelée.
            En lisant le 25ème chapitre du Lévitique, nous imaginons une sorte de liesse, lorsque chacun rentrait en possession de sa personne et de son bien. Et l’on repartait sur ces bases pour un nouveau cinquantenaire. 

            Très spontanément, nous pensons à ceux qui étaient esclaves et sans bien, qui se retrouvaient hommes libres et propriétaires. Nous pensons à eux et cette pensée, nous réjouit. Cette pensée réjouit en tout cas certains commentateurs de la Bible au point qu’ils considèrent, sans douter de rien, que ce jubilé a toujours été mis en œuvre, conformément aux Écritures… Or nous ne savons rien de la réalité de cette mise en œuvre. Nous n’avons de récit que de son institution, mais aucun récit d’une éventuelle mise en œuvre.

            C’est à ce jubilé que Jésus fait référence dans le début de son discours aux habitants de Nazareth. Et comme il est certainement lecteur des prophètes autant que de la Torah, Jésus reprend aussi quelques lignes d’Esaïe probablement lui aussi connaisseur de la Loi : une grande remise à zéro, pas seulement de la propriété foncière et de l’esclavage, mais aussi de la pauvreté, de la captivité tous azimuts, des dominations diverses, de la cécité – probablement le handicap le plus handicapant à l’époque… Jésus annonce ce jubilé. Et la suite de l’évangile de Luc racontera comment Jésus le mettra en œuvre.
            L’année du jubilé et la prédication de Jésus annoncent de très bonnes choses à recevoir. Rendons-en grâce à Dieu.

            Puis réfléchissons un peu. Pouvons-nous imaginer que, lorsque l’année du grand jubilé arrivait, les Israélites qui avaient acquis des terres les rendaient tout gentiment ? Pouvons-nous imaginer aussi que ceux qui avaient acquis des esclaves hébreux les laissaient partir, comme ça, au revoir, et merci ? Nous pouvons imaginer de fortes, de très fortes résistances. Car si pour les moins gâtés par la vie le jubilé représentait la remise d’une dette, pour les enrichis cela correspondait à l’effacement de leurs créances sur la terre et sur les gens.
Notre réflexion, qui commençait sur la joie de la remise des dettes, se poursuit maintenant sur l’effacement des créances. Posséder la terre d’un autre, ou posséder sa personne, c’est bien disposer d’une créance sur lui, qui a même le vilain travers d’être une créance sans limites. S’agissant aussi de la prédication initiale de Jésus, nous pouvons dire aussi que les pauvres sont ceux qui n’ont pour survivre que ce qu’on voudra bien leur donner – pouvoir écrasant, créance sur eux. Posséder des captifs, c’est détenir une créance sur ces gens. Les aveugles sont toujours à la merci de qui les rencontre – créance encore. Ceux qui sont dominés et brisés le sont toujours par quelqu’un, qui dispose sur eux d’un pouvoir – créance toujours.
            Si bien que la prédication de Jésus a deux volets, celui de la dette et nous en avons déjà parlé, et celui de la créance. La prédication de Jésus annonce bien la fin de toutes sortes de servitudes. Mais pour que ceci soit possible, il faut que les créances soient effacées, et elles ne peuvent l’être que par ceux qui les détiennent. Déchirer une créance, c’est dire à un débiteur : tu ne me dois rien.
            Dans cette veine, que je qualifie de primordiale, la condition de possibilité de l’Évangile tout entier est l’effacement par Dieu de toutes ses créances sur les humains. Et il les efface effectivement en épousant en Jésus Christ la condition humaine.

Dans notre existence chrétienne, dans nos liturgies, il est souvent question du pardon des péchés, du pardon de nos péchés – il en est même question chaque fois que nous rendons un culte à notre Dieu. Savez-vous qu’en langue grecque, le verbe que nous traduisons par pardonner est le même que nous traduisons ici par « renvoyer libre », et que le mot que nous traduisons ici par libération se traduit aussi par pardon ? Le thème du pardon nous est familier : Dieu pardonne nos fautes, il remet nos dettes, et il le fait en déchirant les créances qu’il détient sur nous.
Et nous, s’agissant des créances que nous détenons – ou croyons détenir – sur la vie, sur nos semblables, et sur Dieu, qu’en faisons-nous ? Avons-nous seulement conscience d’en détenir ? Pour répondre, il faut que nous interrogions nos consciences, et la question est toute simple : « Qui me doit quoi ? » Comme le disent d’anciennes liturgies : « Que chacun s’examine. » Cet examen personnel appartient en effet à chacune et à chacun.
Et une fois que nous avons repéré ces créances, qu’en faisons-nous ? Nos cœurs sont-ils durs comme celui de Pharaon, ou bien effaçons-nous les créances que nous détenons ? Toutes ? C’est si difficile, parfois. Alors, regardons à Jésus, à son ministère, et à la croix. Quel est ce paradis que Jésus promet à l’un des brigands crucifiés avec lui ? Peut-être est-ce celui d’avoir déchiré toutes les créances qu’il détenait ou croyait détenir. En tout cas, lorsque Jésus expire et que le voile du Temple se déchire par le milieu, le message de Dieu à l’humanité est clair : « Vous ne me devez rien… plus rien. » Les créances sont déchirées.
Que Dieu nous donne la force de faire de même. Amen

L'accomplissement de l'Ecriture (Luc 4,14-21)

              Ce lundi, deux messages. Celui-ci est le premier. Il se trouve que le texte d’Évangile proposé pour les célébrations de la semaine de l'unité était le même que celui proposé par le lectionnaire Dimanches et fêtes. Occasion donnée d'approfondir un peu la réflexion. La prédication de la semaine de l'unité est une succession de 5 remarques sur l'accomplissement d'une certaine Écriture. Celle du dimanche 27 une réflexion sur le thème de la créance, thème qui me semble susceptible de renouveler la prédication de l’Évangile.
Deutéronome 16

19 Tu ne biaiseras pas avec le droit, tu n'auras pas de partialité, tu n'accepteras pas de cadeaux, car le cadeau aveugle les yeux des sages et compromet la cause des justes.
20 Tu rechercheras la justice, rien que la justice, afin de vivre et de prendre possession du pays que le Seigneur ton Dieu te donne.

Psaume 85
11 Fidélité et Vérité (amour de la vie et amour de la vérité) se sont rencontrées, elles ont embrassé Paix et Justice.

12 La Vérité germe de la terre et la Justice se penche du ciel.
13 Le SEIGNEUR lui-même donne le bonheur, et notre terre donne sa récolte.
14 La Justice marche devant lui, et ses pas tracent le chemin.

Luc 4
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Essaie, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: "Aujourd'hui, cette Ecriture est accomplie pour vous qui l'entendez."
Prédication
            (1) « Aujourd'hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l'entendez. » L’année d’accueil du Seigneur est donc là, à Nazara, pour les Nazaréens, tous, et nommément les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés… Et la réaction de ces Nazaréens devrait être de louange et de joie. Pourtant, dans quelques instants, il y aura une violente émeute et l’on tentera, pour la première fois dans l’évangile de Luc, de tuer Jésus. Tentative sans succès.

            Qu’est-ce la mise à mort de Jésus changerait à l’accomplissement de l’Écriture ? La mise à mort d’un prophète n’a jamais éteint la prophétie, ni la mise à mort d’un juste annulé la justice. Seulement, l’échec de la tentative des Nazaréens laisse au lecteur de l’évangile un peu de temps pour comprendre que l’accomplissement de cette écriture est un accomplissement triple : un accomplissement théologique (il est Fils de Dieu), un accomplissement collectif (multiplication des pains) et un accomplissement personnel. Bien sûr, la promesse de Dieu s’accomplit selon Dieu, mais Dieu n’ayant pas voulu exister sans les humains, cette promesse a besoin de mots humains pour se dire, et de bras humains, de mains humaines, pour se mettre en œuvre.
            Aussi bien, même si à Nazara, la prédication de Jésus n’est pas reçue, l’Écriture demeure et, avec l’Écriture, la Parole, et avec la Parole, l’accomplissement, pour ceux qui l’entendent, et aussi pour ceux qui ne l’entendent pas.
           
(2) Cette promesse que Jésus déclare accomplie, qui va la mettre en œuvre ?
Jésus, le premier, va la mettre en œuvre en paroles et en actes. Vous êtes lecteurs de l’Évangile, et vous savez comment Jésus procède, et jusqu’où il va, c'est-à-dire jusqu’où va son engagement. L’engagement de Jésus commence quelque part en Galilée, semble-t-il à Capharnaüm, se poursuit à Nazara, et finira à Jérusalem ; l’engagement de Jésus durera jusqu’à dernier souffle, lorsqu’il accueillera l’un de ceux qui sont crucifiés avec lui. La mise en œuvre de la promesse de Dieu, l’accomplissement de cette Écriture, telle est donc l’unique tâche de Jésus. Et Jésus se consacre à cette tâche au point de lui correspondre entièrement : l’accomplissement  de l’Écriture porte un nom : Jésus.
Et après la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus ? Disciples et Apôtres recevront l’Esprit. L’Esprit du Seigneur, comme l’affirme l’Écriture, sera sur eux pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, etc. En quoi ils prendront concrètement la suite du Maître.
Et après ? Cette promesse est accomplie pour ceux qui l’entendent, toujours, et qui la mettent en œuvre. Nous sommes invités à l’entendre, et la mettre en œuvre.

(3) Mais dans quelles dispositions faut-il être – devons nous être – pour la mettre en œuvre ? Comme il nous a été suggéré de lire quelques versets du Deutéronome et le Psaume 85, nous avons des éléments de réponse. Justice et paix ; surtout justice – la paix vient toujours dans le sillage de la justice. Justice : observer, penser et agir de sorte que chaque être ou chaque chose soit appréciée à sa juste valeur et que chaque être humain soit à sa place dans le monde et devant Dieu. La justice est une quête infinie qui requiert un engagement total ! Et celui qui ainsi s’engagera aura à cœur de ne chercher à disposer pour lui-même ni des choses, ni d’autrui, ni de Dieu ; et de telles tentations, nous le savons, sont toujours présentes… On ne peut prodiguer la justice, enseigne le Psaume (v.11) qu’à condition d’être habité par l’amour de la vie et l’amour de la vérité.

(4)  Puisse ce double amour être notre plus cher désir, amour de la vie et amour de la vérité. Puissions-nous lire et méditer sans cesse la Parole divine. Puissions-nous être oints d’Esprit, et purifiés en dedans, de sorte que notre dehors soit engagement pour la justice, et la paix.

(5) Puisse cette divine onction atteindre ceux qui la désirent de tout leur cœur, et atteindre aussi ceux qui ne la désirent pas. Amen

dimanche 20 janvier 2019

La gloire de Jésus (Jean 2,1-12)


Jean 2
1 Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là.
2 Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples.
3 Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit: «Ils n'ont pas de vin.»
4 Mais Jésus lui répondit: «Que me veux-tu, femme? Mon heure n'est pas encore venue.»
5 Sa mère dit aux serviteurs: «Quoi qu'il vous dise, faites-le.»
6 Il y avait là six jarres de pierre destinées aux purifications des Juifs; elles contenaient chacune de deux à trois mesures.
7 Jésus dit aux serviteurs: «Remplissez d'eau ces jarres»; et ils les emplirent jusqu'au bord.
8 Jésus leur dit: «Maintenant puisez et portez-en au maître du repas.» Ils lui en portèrent,
9 et il goûta l'eau devenue vin - il ne savait pas d'où il venait, à la différence des serviteurs qui avaient puisé l'eau - , aussi il s'adresse au marié
10 et lui dit: «Tout le monde offre d'abord le bon vin et, lorsque les convives sont gris, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant!»
11 Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
12 Après quoi, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples; mais ils n'y restèrent que peu de jours.

Prédication

            Et ainsi donc, il y eut du vin – et du meilleur – jusqu’à la fin de la noce. Quant à l’origine de ce meilleur vin, elle demeura essentiellement inconnue… le lecteur sait d’où vient ce vin, mais pas le marié. Nous imaginons le marié, complimenté par le maître du repas, hocher la tête avec un air entendu. Les serviteurs savent ce qu’il en est. Mais on ne demande rien aux serviteurs ; les serviteurs sont là pour servir.
Vu de la noce, ce miracle passe donc totalement inaperçu. A peine est-il précisé, à l’usage du lecteur, que Jésus manifesta là sa gloire et que ses disciples crurent en lui. Mais rien de tonitruant avec ça, et la raison en est, mise en avant par Jésus lui-même, que « mon heure n’est pas encore venue ». Et le narrateur de bien rajouter que cet épisode n’était qu’un commencement…
Devant toutes ces affirmations et ce miracle en catimini, nous devrions juste tourner la page et poursuivre la lecture. Nous n’allons pourtant pas faire cela. C’est le commencement, énonce le narrateur. Nos yeux s’attardent un peu sur le mot commencement. Souvenons-nous des premiers mots de l’évangile de Jean, l’un de ces premiers mots est justement commencement. Le commencement de l’évangile de Jean est un commencement théologique (Au commencement… le Verbe était Dieu… et le Verbe s’est fait chair…). Il est à Cana augmenté par un commencement pratique, un commencement concret dans lequel – c’est souvent le cas en littérature grecque – tout est déjà exposé. Raison pour laquelle nous prenons le temps de méditer le plus profondément possible cet épisode si connu.

            Prenons ceci qui est écrit : « là, Jésus manifesta sa gloire ». Comment la manifesta-t-il ? Ne nous contentons pas du miracle de l’eau transformée en vin. Posons plutôt que Jésus, dès Cana, manifeste sa gloire par tous ses gestes et toutes ses paroles. Il manifeste sa gloire en venant à la noce, et en participant au banquet, comme n’importe quel autre humain : sa gloire est d’être un être humain. Puis il manifeste sa gloire en répondant à sa mère, à laquelle il signifie qu’il n’est le factotum de personne : sa gloire est indépendance. Ensuite, nous ne négligeons pas qu’il manifeste sa gloire en changeant l’eau en vin : sa gloire est capacité à accomplir quelque chose d’extraordinaire. Enfin, il se tait, il reste dans l’ombre du récit, et personne, dans la noce, ne sait ce qu’il en est de l’origine de ce vin. Jésus manifeste sa gloire, en laissant là son acte miraculeux comme un acte gratuit, un acte donné, qui est du fait de sa décision, et qui n’appelle nulle reconnaissance ni aucune récompense : sa gloire est qu’il donne.
            En résumant ce que nous venons de dire, dès ce commencement, la gloire de Jésus est décision, action, et don. De la manifestation de cette gloire à Cana, il s’ensuit deux choses, que le banquet de noce pût continuer dans une joie redoublée – c’est bien le moins que l’action de Jésus soit appropriée – et que ses disciples crurent en lui.

            Nous pouvons nous réjouir du bilan de ce commencement. Mais nous sommes aussi invités à réfléchir à la caractéristique d’une foi fondée sur l’observation de ce seul premier miracle. Ce seul premier miracle peut-il suffire ? Quelques versets plus tard, mais dans le même chapitre, Jésus assiste à la fête de la Pâque à Jérusalem et accomplit là nombre d’autres miracles, et d’autres gens encore crurent en lui, ce dont nous pourrions nous réjouir si le narrateur ne nous précisait pas que lui, Jésus, ne croyait pas en eux… Qu’il s’agisse de Cana, ou de Jérusalem, le bilan est le même, même émerveillement, même adhésion. La puissance de Jésus est mise en œuvre et sa capacité à accomplir des miracles convainc. Tant mieux, mais l’auteur de l’évangile n’entend pas parler de puissance, mais de gloire. Jésus montra sa gloire. Qu’il la montre, nous nous en réjouissons. Mais est-ce que les gens l’ont vue, cette gloire ? Apparemment non ; les gens croient, mais qu’est-ce qu’une foi fondée seulement sur la manifestation d’une puissance ? Est-ce que ça peut durer, se répandre, et tenir ? Réponse négative.
Nous n’allons pas en faire toute une affaire. Cana – et Jérusalem après Cana – ce n’est que le second des 21 chapitres de l’évangile de Jean. C’est un exposé de principes, ça n’est que le commencement, ça commence par puissance et émerveillement… Pourquoi pas ! Et d’ailleurs Jésus lui-même ne méprise pas cela. Mon heure n’est pas venue, dit-il seulement, et j’imagine qu’il le dit gentiment et fermement.

            Mon heure n’est pas encore venue. Qu’est-ce que l’heure de Jésus ? L’heure de Jésus, nous semble-t-il, c’est lorsqu’il manifestera pleinement sa gloire. Quand donc manifestera-t-il pleinement sa gloire, qui est décision, action, et don ? L’heure de Jésus est l’heure de la décision suprême, de l’action suprême, et du don suprême.  Quand viendra-t-elle ? Nous pourrions lire tout l’évangile de Jean en tâchant de repérer cette triade, décision, action, don ; nous la repérerions presque dans chaque épisode – y compris dans le prologue, comme si le Verbe ne s’était fait chair que pour cela, pour manifester sa gloire. Oui, nous pourrions repérer presque à chaque page que Jésus ne cesse de manifester sa gloire, mais il y a un moment où Jésus lui-même déclare que l’heure est venue…
Dans le grand et ultime discours qu’il adresse à ses disciples, Jésus leur commande de s’aimer les uns les autres, c'est-à-dire rien moins que se glorifier les uns les autres. Et dans sa dernière prière à Dieu, il prie Dieu de le glorifier, lui, son Fils, de sorte que lui, le Fils, en sa Passion, glorifie le Père. L’heure est là, elle dure tout le temps que durent le procès et la mise à mort de Jésus. Jésus, en pleine conscience de ce qu’il est (décision suprême), va livrer sa personne et ses toutes dernières paroles à ses disciples (action) et faire don de lui-même non seulement à ses amis, mais aussi à ses ennemis (don suprême) pour être mis à mort. Là, sa gloire se manifeste pleinement.           

Mais tout cela, est-il recevable et crédible ? Le don que Jésus fait de lui-même dans sa Passion et jusqu’à la croix, peut-il être compris comme une manifestation de gloire, et comme pleine manifestation de sa gloire ? Nous peinions déjà tout à l’heure à fonder la foi en Jésus sur un miracle… comment pourrions nous maintenant fonder la foi en Jésus sur cet anti-miracle absolu qu’est sa crucifixion ? Et bien, justement, en ayant médité à Cana sur la gloire de Jésus, nous nous sommes construit un petit chemin de compréhension ; le mouvement propre de la gloire (décider, agir, donner) nous est devenu intelligible… Et s’agissant des disciples de Jésus, entre Cana et la croix, ils auront entendu et vu cela à plusieurs reprises. Nous les imaginons donc un peu mieux équipés vers la fin de leur vie avec Jésus qu’ils ne l’étaient au commencement. Parce qu’il faut du temps au disciple pour apprendre à comprendre son maître. Et du temps encore pour commencer à s’inspirer de lui.

Le disciple peut-il jamais comprendre son maître ? Vient la Résurrection, vient aussi l’Ascension. Jésus, le Verbe fait chair, demeure après cela plus livré que jamais aux humains. Ils en feront exactement ce qu’ils voudront. Puissent-ils, ayant eu pour maître Jésus de Nazareth, en être un tout petit peu les imitateurs. Puissions-nous, à notre tour, à sa suite, décider, agir et donner ; manifester sa gloire en somme. Et qu’à Lui seul la gloire en revienne. Amen





samedi 12 janvier 2019

La consolation (Matthieu 2,13-18)

 

Dimanche dernier, nous avons lu et médité le récit bien connu de la visite des mages (Matthieu 2,1-12). Et nous nous sommes réjouis de la naissance du roi des Juifs. Nous fêtons encore l’Epiphanie aujourd’hui, occasion de faire retour sur le 2ème chapitre de l’évangile de Matthieu, et de remarquer que la coupure au verset 12 est une prudente coupure : puis divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, (les mages) rentrèrent dans leur pays par un autre chemin. Une belle et heureuse fin de la visite des mages.
Voici la suite :

13 Après leur départ, voici que l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: «Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte; restes-y jusqu'à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr.»
14 Joseph se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte.
15 Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le Seigneur par le prophète: D'Égypte, j'ai appelé mon fils.
16 Alors Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages.
17 Alors s'accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie:
18 Une voix dans Rama s'est fait entendre, des pleurs et une longue plainte: c'est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus.
            Et voilà… la chose a eu lieu, la foudre s’est abattue sur ces pauvres gens, et le solde de l’Epiphanie est massivement négatif. Car même s’agissant de l’enfant sauvé, qui est le Roi des Juifs, sa survie n’est pas opposable à l’immense douleur des jeunes mères, des parents de toute une province : Rachel pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus.
            Qu’est-ce qui pourrait consoler l’inconsolable Rachel ? Qu’est-ce que la consolation ? En langue hébraïque nous avons un verbe (מאן) qui signifie refuser, refuser comme l’on refuse d’abord de croire que tel malheur vous est arrivé à vous, comme l’on refuse tout contact, toute parole, tant la douleur est forte… en hébreu, nous avons un autre verbe (אמן), composé des trois mêmes lettres que le premier, on permute les deux premières lettre de (מאן) qui signifie refuser, et apparaît le verbe (אמן), un verbe que vous connaissez, qui signifie amen, oui, j’ai confiance, oui je crois, oui je vivrai… en somme, c’est le verbe qui manifeste une consolation avérée. Permuter deux lettres d’un verbe, c’est facile, ce n’est presque rien… mais pour consoler l’inconsolable, que faut-il faire ?
Matthieu, de fait, ne fait rien. Il poursuit son récit et ne parle plus de Rachel, ni de ses enfants à jamais perdus.

            En fait, Matthieu ne fait pas tout à fait rien. Il fait une citation, une citation du prophète Jérémie. Le contexte si manifestement hébraïque de l’évangile de Matthieu nous laisse à penser que les premiers lecteurs de cet évangile savent exactement ce qu’est et ce que signifie cette citation. C’est au 31ème chapitre du prophète Jérémie, l’immense soliloque du prophète devant Dieu, plus la déclaration de Dieu, qui affirment que des jours viennent où les exilés reviendront, qui déclarent « ton avenir est plein d’espérance » (v.17). Dieu parle au cœur des éprouvés.
            Oui, dirons-nous, mais, en attendant que Dieu parle au cœur des éprouvés et des inconsolables, que faut-il faire ? Que faire pour l’inconsolable Rachel ? Rachel est juste à côté de nous, en larmes, ou silencieuse, et nous ne savons comment l’atteindre. Pouvons-nous, comme Dieu, parler au cœur des éprouvés ? Mais comment atteint-on le cœur des éprouvés inconsolables ?
            Vous vous souvenez sans doute du récit qui rapporte comment le roi David s’appropria Bethsabée, femme de Uri, et comment l’enfant qui naquit de ce rapt mourut à peine étant né. Il est écrit qu’après ces événements, David consola Bethsabée, et il la consola en passant la nuit avec elle, et de cette nuit-là un autre enfant vint au monde. Le seul commentaire que nous pouvons faire de cette consolation-là est que David trouva un moyen de signifier à Bethsabée que la vie n’était pas finie… Consoler quelqu’un, c’est lui signifier concrètement que la vie n’est pas finie. Mais notre réflexion doit porter plus loin que cette simple consolation, parce qu’il s’agit pour nous de réfléchir à la consolation de l’inconsolable – qui sans doute vient avant tout autre consolation, et qui rend possible toute consolation.

            Ça n’est pas pour rien que, dans le livre du prophète Jérémie, cela se passe entre le prophète et Dieu. Et ça n’est pas pour rien non plus que, dans le livre de Job, cette consolation de l’inconsolable se fait en tête à tête avec Dieu. Dieu seul peut parler au cœur de l’être humain inconsolable ; le statut – et la définition opérationnelle de la parole de Dieu – c’est qu’elle parle au cœur de l’homme, et qu’elle change le cœur de l’homme. Elle fait que l’inconsolable passe du non au oui, du refus à l’amen. Il se peut que cette parole passe par notre bouche – elle n’en est pas moins parole de Dieu. Elle passera quand elle passera. Elle parlera quand elle parlera – c’est une promesse divine.
            Nous ne pouvons douter qu’elle passera et parlera. Nous pouvons dans la prière, l’étude et le recueillement, nous préparer à nous laisser traverser par elle. Mais elle ne le fera qu’en son temps. Et pendant ce temps, nous devons dire notre foi, rester proche de l’inconsolable, lui signifier avec tact, avec délicatesse, avec amitié, qu’il y a de l’espérance pour son avenir. Et il nous faut attendre.

            Attendre, jusqu’à quand ? Retour vers le prophète Jérémie, même chapitre. « Sur ce je m’éveillai et je compris ; mon sommeil m’avait été agréable. » Signe que la divine parole a parlé, que le cœur change… Et nous, qui attendions quelque chose pour l’inconsolable, nous verrons… quelque chose a changé.
Consolation, Edvard Munch (1894)
            Sœurs et frères, en prononçant l’amen à la fin de cette méditation, nous affirmons notre foi. Dieu en son temps consolera l’inconsolable ; à nous de nous tenir près de l’inconsolable, prêts à être témoin de sa consolation.
Serviteurs nous sommes. Serviteurs nous demeureront. Béni soit Dieu. Amen  

lundi 7 janvier 2019

Où est le roi des Juifs qui vient de naître (Mathieu 2,1-12)


Matthieu 2
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem 2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.»
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait, 8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille moi aussi me prosterner devant lui.»
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, s’étant inclinés, ils se prosternèrent devant lui ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.


Prédication
                Epiphanie, du verbe grec épiphanéo, mot pour mot quelque chose comme manifester au-dessus. Qu’est-ce qui se manifeste au-dessus ? L’étoile ? Oui, l’étoile, mais aussi, peut-être, le roi des Juifs, ou encore l’autre roi, Hérode, qui se veut et s’espère au-dessus, au-dessus de tout, comme parfois les rois, et à quel prix, nous le savons, le prix du sang des innocents, le prix d’une inconsolable douleur.
Avant que le prix du sang ne soit payé par les pauvres gens de Bethléem, il y a comme un temps de suspension, marqué par cette question : Où est le roi des Juifs qui vient de naître… ? Etrange question qui présuppose un savoir, qui présuppose connue la réponse à une autre question : qu’est-ce que le roi des Juifs ?

1.      Qu’est-ce que le roi des Juifs ? Premier indice : on sait qu’il vient de naître. Quelque part, à un moment précis de l’histoire, un enfant est né. Avant de dire que cet enfant-là est particulier, considérons que la naissance d’un enfant est un événement très banal : un être humain de plus entre dans la vie. Mais c’est aussi un événement intime, pour cette femme-là, pour cet homme-là. Mais qui les connaît ? Il faut être lecteur de la Bible pour savoir d’un certain enfant qui vient de naître qu’il est le roi des Juifs. Pour tous les autres, autres lecteurs et autres enfants, ce n’est même pas un événement, ce n’est rien du tout : le roi des Juifs passe par le point zéro de l’aventure humaine, le point le plus banal. Mais pour celui qui vit cet événement, c’est en même temps très intime.

2.      Qu’est-ce que le roi des Juifs ? Deuxième indice : nous avons vu son étoile à l’Orient… Un personnage quelconque n’a pas d’étoile. Le roi des Juifs a une étoile. Une certaine étoile s’est mise à briller et cette étoile est celle du roi des Juifs, personnage céleste. Les cieux donc, grand livre ouvert pour toute l’humanité, donnent l’information, et aussi vrai que tout le monde peut regarder le ciel, cette information extraordinaire, qui concerne un personnage singulier et extraordinaire, est tout à la fois soudaine et totalement publique. La naissance du roi des Juifs est une information de la plus haute importance, tout à fait singulière et totalement publique.
3.       Qu’est-ce que le roi des Juifs ? Troisième indice : à Bethléem de Judée, car il est écrit… Ce troisième indice est un accomplissement scripturaire, non pas un simple accomplissement parmi d’autres possibles, mais l’accomplissement des accomplissements : Bethléem… c’est de toi que sortira celui qui mènera paître Israël mon peuple. Le roi des Juifs est l’accomplissement de toute une immense tradition scripturaire ; un peuple entier trouve son guide et son berger, avec promesse de temps nouveaux et paisibles.
 
4.           Qu’est-ce que le roi des Juifs ? Quatrième indice : nous sommes venus nous prosterner devant lui. C’est ce que les mages, venus de loin, représentant le monde entier, sont venus faire : se prosterner devant Lui. Mais en faisant cela, ils modifient et généralisent la notion même d’Israël : ce n’est pas un peuple seulement qui est concerné par ce roi des Juifs qui vient de naître, mais l’humanité entière. Les traditions des Hébreux, leur éthique, leur culte et leurs traditions prophétiques trouvent en ce roi des Juifs leur plein accomplissement, un accomplissement en forme de promesse universelle : il mènera paître l’humanité.

Qu’est-ce donc, finalement, que ce roi des Juifs qui vient de naître ? C’est une espérance pour l’humanité entière, nourrie par l’espérance d’un peuple particulier qui n’a jamais cessé de persister et de survivre dans sa propre espérance, espérance fondée en Dieu, créateur, qui est aux cieux, et mise en œuvre par un être fait de cette ordinaire chair humaine, le roi des Juifs.
Etre roi des Juifs, c’est donc être un être humain, rien qu’un être humain, infiniment proche de Dieu, fondé en Dieu, doté de la puissance de Dieu, nourri par les traditions des Saintes Ecritures, mettant en œuvre concrètement la promesse qu’elles portent, être humain qui vivra, parlera et agira publiquement pour la consolation et pour le bien de l’humanité.

Le roi des Juifs vient de naître. Quel peut être le destin du roi des Juifs ? Il nous faut poursuivre la lecture. Vous connaissez la suite de l’évangile de Matthieu et vous en connaissez la fin.
Nous voyons, dès son commencement, que le roi des Juifs n’est pas vraiment le bienvenu. Le roi Hérode est violemment troublé par l’annonce de la naissance du roi des Juifs et nous savons quelle sera sa ruse et quelle violence il saura déchaîner pour tâcher de mettre fin à cette royauté dont il pense qu’elle mettrait en question la sienne… Le roi des Juifs n’est ainsi pas le bienvenu chez le roi Hérode. Le roi des Juifs n’est pas le bienvenu non plus chez certains Juifs… certains chefs de synagogues, chez certains puissants, certains champions de la doctrine, certains intégristes de la pureté, certains grands prêtres… Il est faux de dire que le roi des Juifs n’a pas été reconnu par les Juifs. Pour dire vrai, le roi des Juifs ne peut jamais être le bienvenu là où des humains – Juifs ou pas – font profession de dominer d’autres êtres humain. Auprès de ceux qui, dominants, exigent la soumission de leurs semblables, le roi des Juifs n’est jamais le bienvenu. Il est même si peu le bienvenu qu’il est toujours urgent de s’en débarrasser. Et cette vérité sera écrite une fois pour toutes au-dessus de la tête du roi des Juifs lorsque celui-ci sera crucifié : voilà ce que les puissants font et feront toujours du roi des Juifs.

Mais parce qu’il est roi des Juifs, la mise à mort de sa chair ne signe pas la fin de son existence. L’espérance invincible portée par les témoignages recueillis dans les Saintes Ecritures ne saurait être biffée. Ainsi, du roi des Juifs, il est toujours possible de dire qu’il vient de naître. Il sera le bienvenu chez les petits, les moins que rien, les faibles ; il sera le bienvenu chez ceux qui ont conscience de leur fragilité, il sera le bienvenu chez les honnêtes gens…
Alors, aujourd’hui, nous vous annonçons que le roi des Juifs vient de naître. Il est ainsi toujours possible, après un grand voyage ou après juste quelques pas, de se prosterner devant lui. Il est toujours possible de l’accueillir dans nos cœurs et de lui apporter le présent de nos vies.
Amen