dimanche 18 juin 2017

Le pain de vie (Jean 6,48-66)

Avant de méditer sur le pain de vie, méditer un peu sur la faim...
Jean 6
48 Je suis le pain de vie.
49 Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts.
50 Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mangera ne mourra pas.
51 «Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l'éternité. Et le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie.»
52 Sur quoi, les Juifs se mirent à discuter violemment entre eux: «Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?»
53 Jésus leur dit alors: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel: il est bien différent de celui que vos pères ont mangé; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l'éternité.»
59 Tels furent les enseignements de Jésus, dans la synagogue, à Capharnaüm.
60 Après l'avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire: «Cette parole est rude! Qui peut l'écouter?»
61 Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, Jésus leur dit: «C'est donc pour vous une cause de scandale?
62 Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant...?
63 C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.
64 Mais il en est parmi vous qui ne croient pas.» En fait, Jésus savait dès le début quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui allait le livrer.
65 Il ajouta: «C'est bien pourquoi je vous ai dit: ‹Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père.› »
66 Dès lors, beaucoup de ses disciples s'en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui.
Prédication : 
            Souvenons-nous. Moïse, obéissant au commandement de Dieu, avait fait sortir les Hébreux d’Egypte et les avait emmenés au désert, vers la Terre Promise. Au désert, il n’y avait rien à manger. Dieu, pour nourrir son peuple, avait fait pleuvoir une sorte de pain, directement du ciel : la manne. Ainsi donc, les Hébreux ont-ils mangé la manne pendant tout le temps qu’ils étaient au désert, puis, lorsqu’ils sont entrés en Terre Promise, la manne a cessé de tomber du ciel. Elle n’était plus nécessaire, puisque la Terre Promise est un pays où coulent le lait et le miel. Belle histoire…
                       
Dans le texte que nous avons lu, Jésus ne prend pas la parole seulement pour raconter la belle histoire de la manne. Reprenons ce qu’il dit : « Au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts ». Cette phrase semble signifier qu’ils sont morts au désert, bien qu’il y eût la manne. On pourrait traduire : ils ont mangé la manne, mais ils sont morts. Il y a effectivement une génération entière qui a été nourrie de manne au désert, et qui est pourtant aussi morte au désert.
Cette génération est morte au désert, pas de dénutrition, puisqu’il y avait la manne. Morte, de vieillesse, d’usure, de l’épuisante vie au désert… sans avoir atteint la Terre Promise. En fait, cette génération a vu la Terre Promise, y a même envoyé des espions (Nombres 12-14), puis cette génération a refusé d’y entrer. Faute de confiance en elle-même… faute de confiance en Dieu. Ou peut-être faute d’avoir bien compris ce qu’était la manne… ou ce qu’était la Terre Promise, ou encore faute d’avoir compris que la Terre Promise est toujours là où la manne est donnée. Là où la manne est donnée, où que ce soit, et quelle que soit la forme que prend la manne, là est la Terre Promise. 

La manne était donnée par Dieu. Elle tombait du ciel. Chacun ne pouvait en recueillir le matin que ce qui suffisait à sa consommation de la journée. Si l’on faisait un stock, cela pourrissait instantanément. La manne allait-elle tomber du ciel de nouveau le lendemain ? Nous qui connaissons l’histoire, nous savons que oui ; mais pas les Hébreux. Pour eux, la manne était là pour la journée en cours ; mais pour le lendemain, il en allait de leur foi en Dieu. Des millénaires plus tard, un théologien luthérien, l’un de ceux qui ont écrit le plus profondément sur la foi (Dietrich Bonhoeffer), allait écrire ceci : « Je crois que Dieu veut nous donner dans toute situation difficile la force de résistance dont nous avons besoin. Mais il ne la donne pas d’avance, afin que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui seul. » La manne avait donc bien entendu pour fonction que les corps survivent. Mais la manière dont Dieu la faisait tomber du ciel, un jour après l’autre, sans qu’on puisse la stocker, cela avait  pour fonction l’apprentissage de la foi.
Les Hébreux ont-ils appris à croire ? Pas tous. Une génération est morte au désert, nourrie par la manne, faute d’avoir cru que Dieu lui serait en aide pour l’entrée en Terre Promise tout comme il l’avait été pour la sortie d’Egypte. La génération suivante, elle, est entrée en Terre Promise, avec la foi qui était la sienne.

Pourquoi Jésus rappelle-t-il tout cela ? Pourquoi se présente-t-il comme pain vivant descendu du ciel (comme la manne) ? Et pourquoi insiste-t-il tellement sur la nécessité de manger sa chair et boire son sang ?
Il y a plusieurs manières de manger, et plusieurs verbes pour le dire. Il y a des plats longuement et savamment élaborés, qu’on peut d’ailleurs manger en gourmet, émerveillé et reconnaissant, ou avec snobisme, ou comme un glouton, voire comme un porc. On voit de tout, même dans les meilleurs restaurants. On peut aussi manger tout simplement, entendons par là juste manger ce qui est donné, au moment où cela est donné et comme cela est donné. C’est d’ailleurs ce que suggère le verbe grec que nous avons ici. Il évoque un aliment simple reçu et consommé avec une très grande simplicité, et dans une très grande reconnaissance, mais si simple qu’elle ignore presque son nom.
Tout cela nous ramène à la manne et à Jésus, pain vivant descendu du ciel : manger ce qui est donné, aujourd’hui, avec simplicité et reconnaissance. Pas de mystère, pas d’initiation savante, ni de contrôle institutionnel. Simplement recevoir le corps et le sang du Christ vivant, c'est-à-dire vivre de sa vie, tout comme Jésus lui-même vit de la vie du Père. Aujourd’hui, et chaque jour, simplement un jour après l’autre.

Si Jésus parle de la manne, c’est qu’il a bien compris quelque chose qui concerne la plupart des gens qui le suivent : ils ne croient pas. Et si Jean l’évangéliste insiste sur la manne, sur Jésus comme pain vivant, et sur la nécessité de manger sa chair et de boire son sang… c’est que Jean l’évangéliste a en face de lui certaines personnes qui pensent avoir toujours mérité que la manne leur soit envoyée ; c’est aussi que l’évangéliste a en face de lui d’autres personnes qui pensent posséder un savoir supérieur sur le Fils et le Père ; c’est encore parce qu’il a en face de lui d’autres gens qui pensent que ce grand mystère du partage du pain et du vin leur confère une dignité supérieure. Jean l’évangéliste, après Jésus, constate que tous ces comportements religieux, religieusement corrects, sont tristement dénués de foi. 

Il faut toujours se souvenir de la manne. C’est une question de foi, une question essentielle. Après s’en être bien souvenu, tout ce que Jésus dit de lui-même et sur la foi tient en très peu de mots : je vis par le Père. Pour nous, cela peut-être ramené à trois mots : par la foi. Ou à deux mots latins : sola fide.
Vivre par la foi, c’est vivre exclusivement de la parole, de la chair et du sang du Fils. C’est en vivre sans jamais les posséder au-delà du besoin d’une journée, ni même d’une heure, mais en croyant que le vital sera donné au bon moment, c'est-à-dire au moment que Dieu choisira. 

Mais y a-t-il quelqu’un qui voudra croire ? En revenant au texte que nous avons lu, nous voyons bien ce qu’il y a de tendu lorsque Jésus reprend des propos qu’il a déjà tenus : nul ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père. Sans doute veut-on croire, et sans doute croit-on ; mais, dit Jésus, nul ne peut croire si cela ne lui a été donné par le  Père.
Toute volonté humaine aspirant à croire, aspirant à vivre par la foi, reçoit la foi d’en-haut, et toujours de nouveau. Ceci parce que l’homme est l’homme et parce que Dieu est Dieu. Parce que ce n’est pas la chair qui se fait Verbe, mais le Verbe qui se fait chair. Et aussi pour que nul ne s’enorgueillisse.
Et bien l’orgueil de beaucoup de ceux qui suivaient Jésus a dû être bien meurtri : ils ont planté là le Maître et sont partis.

Jean Zumstein, grand commentateur de l’évangile de Jean a intitulé l’un de ses livres L’apprentissage de la foi. On n’en finit jamais d’apprendre à croire ; on n’en finit jamais d’apprendre à ne compter que sur Dieu seul.

Notre foi est aujourd’hui ce qu’elle est, et notre volonté de croire est aussi ce qu’elle est. Nous sommes des apprentis. Que la parole, le corps et le sang du Christ soient notre manne, notre pain de ce jour. Amen

dimanche 11 juin 2017

La doctrine de la Trinité (Matthieu 28,1-20)

Téhéran... même si, après les attentats, on a entendu bien des sottises, à Téhéran comme à Londres, à Paris, à Nice, à Liverpool, il y a des gens par terre qui gémissent, et d'autres qui ne gémiront plus jamais. Ils passaient, ils étaient là... et maintenant, ils baignent dans leur sang...
Matthieu 28
1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre: l'ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s'assit dessus.
3 Il avait l'aspect de l'éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu'ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l'ange prit la parole et dit aux femmes: «Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6 Il n'est pas ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit; venez voir l'endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses disciples: ‹Il est ressuscité des morts, et voici qu'il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez.› Voilà, je vous l'ai dit.»
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit: «Je vous salue.» Elles s'approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit: «Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu'ils doivent se rendre en Galilée: c'est là qu'ils me verront.»

11 Comme elles étaient en chemin, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville informer les grands prêtres de tout ce qui était arrivé.
12 Ceux-ci, après s'être assemblés avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une bonne somme d'argent,
13 avec cette consigne: «Vous direz ceci: ‹Ses disciples sont venus de nuit et l'ont dérobé pendant que nous dormions.›
14 Et si l'affaire vient aux oreilles du gouverneur, c'est nous qui l'apaiserons, et nous ferons en sorte que vous ne soyez pas inquiétés.»
15 Ils prirent l'argent et se conformèrent à la leçon qu'on leur avait apprise. Ce récit s'est propagé chez les Juifs jusqu'à ce jour.

16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»


Votre enfant va être baptisé
au nom du Père qui lui a donné le souffle de la vie.

Il va être baptisé au nom du Fils. 
Jésus-Christ, mort et ressuscité pour lui/elle,
l'appelle à son service.

Il va être baptisé au nom du Saint-Esprit
qui fera naître en lui la foi, l'espérance et l'amour.

Prédication : 
            Ce texte est lu, en général, pour Pâques. Nous ne sommes pas le dimanche de Pâques, mais huit semaines après Pâques. Pâques manifeste le Fils, Jésus, comme Christ ressuscité. Nous sommes aussi une semaine après la Pentecôte, où se manifeste généreusement l’Esprit. C’est le dimanche de la Trinité.
Père, Fils et Saint-Esprit ont été manifestés aux humains. L’Eglise les fête ensemble, pour la raison que dans la foi de l’Eglise, le  Père, le Fils et le Saint-Esprit forment ensemble un seul Dieu.
            La chose pourtant n’est pas simple à comprendre : comment Dieu qui est censé être un et unique peut-il être en même temps trois, chacun des trois étant entièrement Dieu ? Et bien, je ne vais pas vous donner la réponse. Et je vais même vous faire un aveu : la réponse, je ne la connais pas, je ne veux pas la connaître.
            Où donc les chrétiens sont-ils allés chercher cette histoire de Trinité ? Dans la Bible. Les textes de la Bible, premier ou ancien testament, ont été lus, relus et interprétés par les auteurs chrétiens des premiers siècles, qui ont donné le second ou nouveau testament. Cela s’est fait dans un grand foisonnement d’idées, dans un grand désordre, avec de grands conflits, et bien des violences. Puis une sorte de synthèse a eu lieu, une sorte de consensus a été trouvé, autour de la doctrine de la Trinité. A un moment de l’histoire, disons vers le IVème siècle de notre ère, cela a pu ramener une paix qui était gravement compromise par des conflits apparemment doctrinaux, mais dans les faits essentiellement politiques. Et soyons le plus honnête possible : certains n’ont pas voulu de cette synthèse.
Il ne faut pas leur donner raison ou tort. Ils n’en ont pas voulu au titre des doctrines et des convictions, des positions… qui étaient les leurs. Reste seulement à savoir comment ils ont traité ceux qui avaient accepté cette synthèse, et comment ceux qui avaient accepté cette synthèse les ont traités, eux qui l’avaient rejetée.
            Vous sentez bien avec ceci que ce n’est pas seulement la question de la Trinité qui doit nous préoccuper ; la Trinité, c’est juste une doctrine… La question qui doit nous préoccuper, c’est la question de l’usage qui est fait des doctrines.

             Nous disions à l’instant qu’il ne fallait pas donner raison ou tort à ceux qui n’ont pas voulu de la doctrine de la Trinité. Reprenons ces mots et disons qu’il faut leur donner raison, sur un point au moins : la doctrine de la Trinité ne dit pas tout. Elle est une synthèse, mais pas une synthèse sans reste.
            Vous avez bien entendu tout à l’heure que nous baptisons au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le Père, créateur, donne le souffle de la vie, il crée, et garde sa création. Le Fils, Jésus, reconnu par certains comme Christ, consacre sa vie à l’humanité, comme personne ne l’a fait. Il enseigne subversivement, il guérit, il nourrit, fait de l’ombre à certains de ses contemporains, est mis à mort pour cela, et ramené à la vie par le Père créateur ; le Fils appelle des humains à vivre une telle vie de consécration, et ceux qui répondent à son appel en appelleront d’autres aussi. Le Saint-Esprit vient au secours de ces humains de bonne volonté, mais souvent trop faibles, trop veules ou trop lâches, et il fait naître en eux invinciblement la foi, l’espérance et l’amour. Cela, vous l’avez entendu tout à l’heure…
            Mais tout a-t-il été dit de Dieu lorsque cela a été dit ? Les plus belles parts sans doute de ce que les humains ont dit de Dieu on été rassemblées dans la doctrine de la Trinité. Mais le reste ? Quel reste ? Dieu courroucé qui extermine l’humanité entière moins une seule famille (Genèse 6 et suivants), les descendants de cette famille reproduisant exactement ce qu’il y eut de mépris entre les peuples (Genèse 8), ça n’y est pas.  Dieu qui punit sur les fils l’iniquité des pères (Exode 20), ça n’y est pas. Dieu qui exige de son peuple la pureté la plus extrême et qui commande la mise à mort de tous ceux qui ne sont pas exactement conformes (Lévitique 20), ça n’y est pas. Quant au mystère du mal qui frappe, comme ça, et prend sur chaque génération sa moisson d’innocents (Job 1), ça n’y est pas non plus… Et la punition ultime, dans un étang de souffre et de feu, de ceux qui n’auront pas choisi le Christ Jésus (Apocalypse), ça n’y est pas non plus. Pourtant, des textes bibliques mettent aussi cela en avant et même, pour certains textes, proposent des mises en œuvre radicales, dont la purification ethnique, sous commandement de Dieu et en son nom. Rien de tout cela, qui est pourtant dit de Dieu, sur Dieu, et qui est aussi canonique, ne se retrouve dans la Trinité.
A ce tableau sinistre, ajoutons encore qu’il s’est trouvé, et qu’il se trouve encore, ici ou là, des gens pour crier haut et fort que « la vérité ne se mélange pas avec l’erreur »... et l’erreur, c’est toujours l’autre. Nous n’avons pas connaissance que d’aucuns mettent aujourd’hui en œuvre les sinistres commandements du 20ème chapitre du Lévitique quoi qu’il ne fasse pas bon être homosexuel dans certaines parties chrétiennes du Nigéria… On ne s’entretue plus trop entre chrétiens, il est vrai. Mais d’autres tuent et s’entretuent, avec le même nom de Dieu à la bouche, d’autres versets, et d’autres doctrines.           

Toutes les doctrines ne se valent pas, c’est entendu. Ce n’est pas là-dessus que nous réfléchissons aujourd’hui. Nous réfléchissons sur le Dieu dont parlent les chrétiens, la Trinité, et l’usage qu’on peut en faire.
Avec la Trinité, nos anciens ont fait un choix : le Père est créateur, créateur de tous ; le Fils est serviteur, serviteur de tous ; l’Esprit-Saint, don du Père et du Fils est promis à tous. La doctrine de la Trinité ne dit pas tout de Dieu, loin s’en faut, elle donne une image de Dieu, et il y a toujours un risque que certains se trompent sur l’usage qu’on peut faire d’une image. Ainsi, au XVIe siècle, on a brûlé des gens pour avoir contesté cette image. Ainsi, au XXIe siècle, certains la contestent encore, et d’autres regardent les premiers comme des parjures… Mais la Trinité, cette proposition sur Dieu, si elle reçue juste pour ce qu’elle est, est plus qu’une proposition sur Dieu. Elle est la proposition d’un monde. Et pour qui reçoit cette proposition, elle est aussi une interpellation, la suggestion d’un choix de vie.

Choix de vie !
En pensant au Père, créateur : créer, inventer, entreprendre, être libre, en demeurant toujours habités par le souci des autres, tous enfants du même Père, et en demeurant aussi toujours habités par le souci de la création.
En pensant au Fils, serviteur : se laisser interpeler, réfléchir, contester s’il le faut, servir plutôt que se servir, aider, soulager, sans choisir qui l’on aide… même si la tâche paraît infinie, et même si cela coûte en terme de réputation.
En pensant au Saint-Esprit, consolateur : ne jamais cesser d’y croire, espérer, toujours, et partager l’espérance, persister dans le témoignage et l’action, même s’il semble parfois qu’on œuvre en pure perte.

Puissions-nous tous choisir de vivre ainsi. C’est au nom de ces choix que nous baptisons, que nous prêchons, et que nous agissons.
Que le Dieu qui est un, unique, Père, Fils et Saint-Esprit, nous soit en aide. Amen


dimanche 4 juin 2017

l'expérience spirituelle et la doctrine (Actes 2)

Londres, Kaboul... et ne pas oublier
Actes 2
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»
14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:
17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;
18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes.
19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée.
20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux.
21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,
23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;
24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. (…)
36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
 37 Le coeur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»
 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.
 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»
 40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les exhortait: «Soyez sauvés, disait-il, de cette engeance pervertie.»
 41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication :
         Que se passe-t-il à Pentecôte ? A question simple, réponses – au pluriel – simples. Ils sont tous remplis d’Esprit Saint et se mettent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donne de s’exprimer (Actes 2). Jésus envoie sur eux ce que son Père a promis (Luc 24). Ils reçoivent une puissance, celle du Saint Esprit (Actes 1). La prophétie se réalise (Joël 3). Ce sont des réponses simples, des réponses bibliques. Et à ces réponses il est possible d’ajouter d’autres réponses simples, qui portent sur le commencement de l’existence de l’Eglise. A toutes ces réponses bien connues, et bien reçues, nous allons associer le beau mot de doctrine.
            Mais ce n’est pas à ces réponses que nous allons nous intéresser maintenant. Je vous demande de faire un effort, non pas de mémoire, mais d’oubli. Nous assistons à la scène sans rien connaître de la Bible et dans des dispositions plutôt bienveillantes. Que se passe-t-il ?
            Nous voyons et nous entendons des gens qui sont en train de vivre ensemble une expérience extatique. Leurs visages sont particulièrement lumineux et des sons articulés sortent de leur bouche. D’autres gens, témoins de la scène, reconnaissent ces sons comme des éléments liturgiques émis dans divers idiomes. Cette expérience ressemble à une ivresse alcoolique, ce que certains ne manquent pas de faire remarquer. Puis un homme prend la parole et propose une interprétation très bien raisonnée… une doctrine, en somme.
            Ce qui se passe à Pentecôte peut être ramené à deux notions, expérience spirituelle et doctrine, et aux relations qui peuvent exister entre ces deux notions . 

             Pourquoi ce point de départ un peu froid ? C’est que, par deux fois ces dernières semaines il m’est arrivé de devoir réfléchir sur ce qu’on appelle aujourd’hui « christianisme post-confessionnel ». C’est une expression un peu vague, un peu à la mode.
Elle a pu servir à décrire le comportement de certaines confessions chrétiennes qui, face à un péril grave, mettent de côté leur oppositions traditionnelles et s’allient, ou s’unissent, pour mieux résister. C’est par exemple ce qu’ont fait des Luthériens, des Réformés et des ‘Unis’ qui, en 1934, à Barmen, se sont prononcés d’une seule voix pour le Christ contre le Führer.
Mais cette même expression peut servir à décrire le comportement de personnes qui ne se revendiquent d’aucune confession chrétienne particulière et récoltent un bout de liturgie par-ci, un peu d’éthique par-là, une convivialité ailleurs, en se servant selon leur convenance dans les rayons grands ouverts du marché libre de la religion. C’est une réalité d’aujourd’hui, et ce n’est pas forcément négativement qu’il faut l’envisager.
C’est dans un troisième sens que, ces dernières semaines, l’expression « post-confessionnel » est parvenue à mes oreilles. Il s’agissait, dans la bouche de ceux qui l’employaient, d’affirmer que le christianisme post-confessionnel a pour composante essentielle l’expérience spirituelle, et qu’il est la voie à suivre, pour le renouveau des Eglises, et pour leur Unité. Il y a là-dessous deux thèses : « seule l’expérience spirituelle unit » (une thèse positive), et « ce sont les doctrines qui divisent » (une thèse négative). Mais est-ce vrai ?
Nous allons réfléchir un peu à cela, dans le cas de la Pentecôte du livre des Actes des Apôtres.

« Seule l’expérience spirituelle unit », dit-on. Mais ce n’est pas l’expérience spirituelle de Pentecôte qui fait que le groupe des premiers disciples est uni, ni qu’il sera uni aux convertis de ce jour-là. Uni, le groupe des premiers disciples l’est déjà, de par son histoire commune, de par l’attente commune. Mais au moment précis de l’expérience spirituelle, il n’y a rien d’autre qu’une extase… ils sont hors d’eux-mêmes. Or ceux qui sont hors d’eux-mêmes n’ont rien de commun avec personne. L’expérience spirituelle n’unit pas. Elle est donnée à qui elle est donnée et le mode de communion groupale qu’elle appelle n’a rien à voir avec l’unité. Comment l’expérience spirituelle, en tant que telle, pourrait-elle intégrer ceux qui ne la vivent pas ? Et puis, imaginez à la tête de ce groupe une personne moins bien intentionnée que Pierre, une personne ombrageuse, ou manipulatrice. Qu’adviendrait-il alors entre le groupe des extatiques et le groupe des moqueurs ? Défiance, le ton monte, échauffourées, bataille rangée, émeute, et, à Jérusalem en ce temps, cela signifie aussi bain de sang, l’occupant Romain ayant pour habitude de ramener le calme manu militari. L’expérience spirituelle unit-elle ? Non. Elle ne peut unir personne. Aussi, si nous entendons quelqu’un dire que seule l’expérience spirituelle unit, il nous faut toujours nous demander quelles sont ses intentions et ses projets.
Ce n’est pas pour disqualifier l’expérience spirituelle que nous parlons ainsi. L’Esprit souffle où il veut. Mais affirmer que seule l’expérience spirituelle unit est faux. Si Pentecôte, dans le récit des Actes des Apôtres, est une expérience d’unité et d’une unité qui unit ceux qui ont vécu l’expérience spirituelle et ceux qui ne l’ont pas vécue, c’est parce que viennent se conjuguer heureusement l’expérience spirituelle et le discours de Pierre, c'est-à-dire la doctrine.
De ceci nous pouvons déduire qu’il est faux de dire que ce sont les doctrines qui divisent. Plutôt donc que d’incriminer les doctrines, mieux vaut interroger l’usage qui en est fait. Qu’aurait été l’expérience de Pentecôte, à Jérusalem, si Pierre n’avait pas pris la parole ainsi qu’il l’a fait ? Nous l’avons déjà évoqué. Son discours, c'est-à-dire sa doctrine, a, ce jour-là, à Jérusalem, une vertu régulatrice, et structurante. Elle ouvre à un dialogue. Elle interpelle, elle répond aussi. Et surtout, surtout, elle laisse chacun des auditeurs libre de rejoindre, ou de ne pas rejoindre, ce tout nouveau mouvement. Pierre agit donc ce jour-là non pas comme un gardien, ou un manipulateur, mais comme témoin vivant de ce qu’il annonce. Les divisions ne viennent pas des doctrines mais de l’usage qui en est fait.
Il arrive cependant, c’est vrai, que les cœurs s’endurcissent, que les discours se figent, et que la doctrine devienne instrument de domination. Cela arrivera, même dans le livre des Actes des Apôtres. Or, lorsque cela arrive, on observe que l’expérience spirituelle est renouvelée. Ainsi les diacres, dont un certain Etienne, juste destinés au service des tables, pas du tout censés enseigner, l’enseignement étant comme réservé aux Apôtres… les diacres vont prêcher. Ainsi aussi l’Esprit Saint sera répandu sur des Païens, avant leur baptême, avant leur catéchisme, sans l’assentiment des Apôtres… Et à chaque fois que la doctrine apostolique du moment est mal utilisée, et risque de stériliser l’Eglise, l’expérience spirituelle la déborde, la conteste, et la renouvelle.

Résumons. Ce sont des doctrines qui divisent, entend-on dire parfois. Mais c’est seulement l’usage qui en est fait qui peut diviser. Elles structurent aussi des mouvements qui, autrement, partiraient à vau l’eau sous la domination de gens peu recommandables. Il nous faut justement veiller, demander à Dieu qu’il envoie son Esprit pour que ce qui structure notre pensée et notre Eglise demeure une parole vivante et jamais ne devienne un carcan.
C’est l’expérience spirituelle qui seule unit, entend-on dire parfois. Mais c’est faux. La vertu négative de l’expérience spirituelle est qu’elle isole, qu’elle est intense mais hors langage. Sa vertu positive lorsqu’elle advient, c’est de contester, d’interpeler, et parfois de féconder.

Puissions-nous veiller à tout cela. Et, si nous venons à faillir en notre veille, que le Seigneur envoie son Esprit. Amen
Raymond Depardon, San Clemente, 1979