samedi 27 mai 2023

Pentecôte, l'expérience et la doctrine, une méditation ricoeurienne


 

Actes 2

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;

3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.

4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.

6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?

8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?

9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,

10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,

11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»


Prédication : Vincennes, 28 mai 2023 (Le Creusot, 4 juin 2017)

          Que se passe-t-il à Pentecôte ? A question simple – au singulier, réponses – au pluriel – simples. Ils sont tous remplis d’Esprit Saint et se mettent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donne de s’exprimer (Actes 2). Jésus envoie sur eux ce que son Père a promis (Luc 24). Ils reçoivent une puissance, celle du Saint Esprit (Actes 1). La prophétie se réalise (Joël 3). Ajoutez Jean 20,22-23, et 1 Corinthiens 12,3 et suivants. Ce sont des réponses simples, des réponses bibliques. Et à ces réponses il est possible d’ajouter d’autres réponses simples, qui portent sur le commencement de l’existence de l’Eglise. A toutes ces réponses bien connues, bien méditées, et bien reçues, nous allons associer le beau mot de doctrine.

 

         Mais ce n’est pas à ces réponses simples et multiples que nous allons nous intéresser maintenant. Je vous demande de faire un effort, non pas de mémoire, mais d’oubli… l’oubli passe, et nous assistons à la scène, sans rien connaître de la Bible, mais dans des dispositions plutôt bienveillantes. Que se passe-t-il ?

         Nous voyons et nous entendons des gens qui sont en train de vivre ensemble une expérience extatique. Leurs visages sont particulièrement lumineux et des sons diversement articulés sortent de leurs bouches. Pour nous, c’est incompréhensible, mais d’autres témoins de la scène reconnaissent ces sons comme des éléments liturgiques émis dans leurs divers idiomes. Cette expérience ressemble à une ivresse alcoolique, quelques-uns ne manquent pas de le faire remarquer.

 

         Puis un homme prend la parole et propose une interprétation très bien raisonnée… ce qui s’appelle une doctrine.

         Ainsi, ce qui se passe à Pentecôte peut être ramené à deux notions, expérience spirituelle et doctrine.

 

          Pourquoi ce point de départ un peu froid ? C’est que, plusieurs fois ces dernières semaines il m’est arrivé de devoir réfléchir sur ce qu’on appelle aujourd’hui « christianisme post-confessionnel ». C’est une expression un peu précise, un petit peu à la mode.

Elle a pu servir à décrire le comportement de certaines Églises chrétiennes  qui, face à un péril grave, mirent de côté leurs oppositions traditionnelles et s’allièrent, voire s’unirent, pour mieux résister. C’est par exemple ce qu’ont fait des Luthériens, des Réformés et des ‘Unis’ qui, en 1934, à Barmen (Allemagne), se prononcèrent d’une seule voix, au péril de leur vie, pour le Christ contre le Führer.

Mais cette même expression (christianisme post-confessionnelle) peut servir à décrire le comportement de personnes qui ne se revendiquent d’aucune confession chrétienne particulière et récoltent quelque morceaux liturgiques par-ci, un petit paquet d’éthique par-là, un bon stock de versets bibliques, une convivialité, en somme se servent selon leur convenance dans les rayons grands ouverts du marché libre de la religion. C’est une réalité d’aujourd’hui, et ce n’est pas forcément négativement qu’il faut l’envisager.

C’est dans un autre sens encore que l’expression « post-confessionnel » est parvenue à mes oreilles. Il s’agit d’affirmer que le christianisme a pour composante une et essentielle l’indicible expérience spirituelle, et que c’est la voie à suivre pour le renouveau des Églises, et pour leur Unité. Il y a là-dessous deux affirmations : « ce sont les doctrines qui divisent » (une thèse négative) et « seule l’expérience spirituelle unit » (une thèse positive). Est-ce vrai ?

Nous allons réfléchir un peu à cela, dans le cas de la Pentecôte du livre des Actes des Apôtres.

 

« Seule l’expérience spirituelle unit », dit-on. Mais ce n’est pas l’expérience spirituelle de Pentecôte qui fait que le groupe des premiers disciples est uni, ni qu’il sera uni aux convertis de ce jour-là. Uni, le groupe des premiers disciples l’est déjà, de par son histoire commune, de par son attente commune. Sauf que, au moment précis de l’expérience spirituelle, il n’y a rien d’autre qu’une extase… ils sont hors d’eux-mêmes. Or ceux qui sont hors d’eux-mêmes n’ont rien de commun avec personne. Parce que l’expérience spirituelle n’unit pas. Elle est donnée à qui elle est donnée et le mode de communion groupale qu’elle appelle n’a rien à voir avec l’unité. Comment l’expérience spirituelle, en tant que telle, pourrait-elle intégrer ceux qui ne la vivent pas ? Et puis, imaginez qu’arrive là-dedans une personne moins bien intentionnée que Pierre, une personne dominatrice. Défiance, le ton monte, échauffourées, puis émeute. A Jérusalem, en ce temps, émeute signifie aussi bain de sang, l’occupant Romain ayant pour habitude de ramener le calme manu militari.

L’expérience spirituelle unit-elle ? Non. Elle ne peut unir personne. Ainsi, si nous entendons quelqu’un dire que seule l’expérience spirituelle unit, il nous faut toujours nous demander prudemment quelles sont ses intentions et ses projets.

Mais ce n’est pas pour disqualifier l’expérience spirituelle que nous parlons ainsi. L’Esprit souffle où il veut. Mais affirmer que seule l’expérience spirituelle unit est faux. Si Pentecôte, dans le récit des Actes des Apôtres, est une expérience d’unité et d’une unité qui unit ceux qui ont vécu l’expérience spirituelle et ceux qui ne l’ont pas vécue, c’est parce que viennent se conjuguer heureusement l’expérience spirituelle et le discours de Pierre, c'est-à-dire la doctrine.

De ceci nous pouvons déduire qu’il est faux de dire que ce sont les doctrines qui divisent. Plutôt donc que d’incriminer les doctrines, mieux vaut interroger l’usage qui en est fait. Qu’aurait alors été l’expérience de Pentecôte, à Jérusalem, si Pierre n’avait pas pris la parole ainsi qu’il l’a fait ? Nous l’avons déjà évoqué. Son discours, c'est-à-dire sa doctrine, a, ce jour-là, à Jérusalem, une vertu régulatrice, et structurante. Elle ouvre à un dialogue. Elle interpelle, elle répond aussi. Et surtout, surtout, elle laisse chacun des auditeurs libre de rejoindre, ou de ne pas rejoindre, ce tout nouveau mouvement. Pierre agit donc ce jour-là non pas comme un gardien, ou un manipulateur, mais comme témoin vivant de ce qu’il annonce. Ce qui peut se dire ainsi : les divisions ne viennent pas des doctrines mais de l’usage qui en est fait.

 

Il arrive cependant, c’est vrai, que les cœurs s’endurcissent, que les discours se figent, et que la doctrine devienne instrument de domination. Cela arrivera, même aux Apôtres dans le livre des Actes. Or, lorsque cela arrive, on observe que l’expérience spirituelle se trouve renouvelée. Ainsi les diacres, dont un certain Etienne, juste destinés au service des tables, pas du tout censés enseigner, l’enseignement étant comme réservé aux Apôtres… les diacres vont prêcher.

Ainsi aussi l’Esprit Saint sera-t-il répandu sur des Païens, avant leur baptême, avant leur catéchisme, et sans la permission des Apôtres… Et à chaque fois que la doctrine apostolique du moment est mal utilisée, et risque de stériliser l’Église, l’expérience spirituelle la déborde, la conteste, et la renouvelle.

 

Résumons.

Ce sont les doctrines qui divisent, entend-on dire parfois, et c’est faux. Car seuls certains des usages qu’on en fait divisent. Les doctrines structurent des mouvements qui, autrement, partiraient à vau l’eau sous la domination de gens habiles et peu recommandables. Il nous faut donc veiller, demander à Dieu qu’il envoie son Esprit pour que ce qui structure notre pensée et notre Eglise demeure une parole vivante et jamais ne devienne un carcan.

C’est l’expérience spirituelle qui seule unit, entend-on dire parfois. Mais c’est faux. La vertu négative de l’expérience spirituelle est qu’elle isole, qu’elle est si intense qu’elle est hors langage. Sa vertu positive lorsqu’elle advient, c’est de contester, d’interpeler, et de féconder.

Puissions-nous veiller à tout cela. Et, si nous venons à faillir en notre veille, si notre joie aussi s’éteint, que le Seigneur envoie son Esprit.

Amen

 

samedi 13 mai 2023

Quelques mots joyeux sur le Paraclet (Jean 14,15-21)

 

Jean 14

15 «Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements;

 16 moi, je prierai le Père: il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours.

 17 C'est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d'accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.

 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous.

 19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.

 20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous.

 21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime: or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui.»

Prédication :           

           Je me souviens d’une étude biblique à laquelle j’avais assisté… c’était un genre magistral d’étude biblique, c'est-à-dire que la durée, le sujet et l’orateur étaient connus d’avance. On s’asseyait  par terre (il n’y avait pas toujours des places sur des chaises) et on écoutait la parole de Monsieur Untel, qui faisait autorité…

            Je ne suis pas en mesure de me ressouvenir des sujets de ces études bibliques, mais ça ne signifie pas forcément qu’elles étaient sans un contenu nourrissant. J’ai d’ailleurs le sentiment que les gens qui parlaient du haut de la chaire le faisaient sérieusement et avec du respect pour leur auditoire ; en fait, j’en ai rencontré des deux sortes, certain avec respect, d’autres sans respect.

            Parmi ces études bibliques, il y en a une qui m’a marqué plus que les autres. Je ne sais plus sur quoi elle portait. Elle m’a marquée à cause d’un seul mot, un mot que nous avons effleuré, en passant, dans les versets de l’évangile de Jean de ce matin. Ce mot, c’est paraclet. C’est un mot qui n’existe pas trop dans la langue française. Vous le trouvez chez Larousse, qui en fait un synonyme de Saint Esprit. Paraclet est une traduction du latin paracletus, qui est une traduction du grec paraclètos. Mais sont-ce des traductions, lorsque les voyelles glissent et que les consonnes demeurent ?

            Pour commencer, qu’est-ce qu’un paraclètos grec avant que la foi chrétienne  ne s’y intéresse ? C’est – étymologie basique – quelqu’un qui est appelé au côté d’un autre pour son réconfort, pour sa défense. Il y a là-dedans de l’exhortation, de l’excitation, et aussi possiblement de la consolation. Cela fait un spectre assez large. Et nous pouvons nous demander, dans l’évangile de Jean – il est le seul à utiliser le mot – quel sens choisir. D’où la question : en Jean 14,16 « moi – dit Jésus à ses disciples – je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. »

            L’extrait est trop court, lisons encore : Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements… Ce qui rejette les disciples de Jésus à la condition de tous les serviteurs de Dieu depuis toujours, vouloir servir ne et pas y parvenir, aimer et espérer garder les commandements. Situation que notre Seigneur lui-même expérimentera. Et le disciple papier, le disciple lecteur, quelques millénaire plus tard, est confronté à sa propre lecture imparfaite, mais il lit, et il aime aussi son Sauveur. Et donc, et nous lisons, une promesse, une prière, le Paraclet, pour toujours. A savoir que l’insuffisance perpétuelle du disciple, serait-il le meilleur d’entre tous, est palliée jour après jour par l’accomplissement de la promesse, accomplissement qui se nomme Paraclet.

            Et nous pouvons ici comprendre pourquoi l’on a appelé Paraclet cet accomplissement qui peut avoir une dimension spirituelle, mais aussi une dimension physique. Cette réalité est présente au côté du disciple pour lui venir en aide, de toutes sortes de manières possibles. Et s’il faut le dire sans brandir d’étendard religieux, nous dirons que ce qui est en œuvre chaque mardi dans ces lieux, lorsque 100 repas sont servis à ceux qui se présentent, sans mérite et sans droits, avec juste un besoin alimentaire, c’est du Paraclet. Tout autant que ce qui se joue – ce qui se trame – dans les cérémonies religieuses que nous menons. C’est du Paraclet.

            Voilà, nous sommes arrivés à une sorte de point haut provisoire. Le disciple tâche de vivre des commandements, il s’y emploie sans vraiment y parvenir. Telle est sa situation. Et c’est dans cette situation qu’il perçoit ce qu’est l’aide de Dieu, qu’il trouve l’aide de de Dieu, et qu’il rend grâce à Dieu. Ce qu’on appelle Paraclet.

 

            Mais nous n’avons pas fini. Car, pour s’instant, nous restons avec le Paraclet, assez bien localisé dans l’évangile de Jean, mais qui est clairement isolé dans le paysage de la Bible, et isolé dans l’évangile de Jean. Il y a quatre mentions de lui, et c’est tout. Oui, il apparait, et il disparait. La fonction qui est la sienne, fonction du Paraclet, semble bien à la fin échoir à l’Esprit Saint, l’autre s’évanouissant purement et simplement. Mais nous sommes dans l’évangile de Jean où toutes choses sont étranges, et si les mentions de l’esprit ne sont pas rares, celles de l’Esprit Saint sont au nombre de quatre, pas plus, et surtout pas plus nombreuses que celle du Paraclet.

            Il y a des gens qui affirment que le Paraclet est l’autre nom du Saint Esprit, comme Larousse. L’évangéliste lui-même (14,26) essaie d’assimiler les deux. Et nous pouvons nous demander pourquoi… Et répondons que ça fait bien trop de monde, que ça fait Père, Fils, Saint Esprit, et Paraclet, trop de monde rapport à ces trois personnes d’une trinité dont l’Eglise n’a pas encore totalement accouché, trop de monde tout court, trop d’appellations pour trop de sortes de dévotions, pour trop de formes possibles de la prière, de l’enseignement et des chants, sans parler d’autres choses, épreuves corporelles de la foi. Et si vous ajoutez à cela, par exemple, que chez Paraclet on ne mange pas de porc pendant que chez Saint Esprit on se refuse à toute restriction alimentaire, vous avez, au final, un grand bazar duquel rien de bon ne sort.

            Il en sort de la castagne, nous l’avons déjà dit, mais s’agissant de la Bonne Nouvelle, d’une bonne nouvelle qui se puisse partager, c’est nada.

            Est-ce donc maintenant fini ? Est-ce foutu ? Les propos rapportés par l’évangéliste – propos du Christ Jésus – vont-ils se perdre, vont-ils se corrompre ?

            Je ne suis pas certain que ce que nous allons dire maintenant peut être appliqué à tous les livres de la Bible, à savoir que chaque écrivain biblique tente d’unifier à sa manière les croyants de son temps. C’est que la notion d’écrivain biblique est une notion qui reste toujours un peu floue… à huit siècles près parfois, on ne sait pas qui écrit. Difficile donc de rendre des avis.  Mais même toujours tenter quelque chose, même si c’est pour peu de temps. Tenter par exemple, avec le Paraclet, qu’il s’agit d’une quatrième – ou cinquième ou plusième – divinité apparue dans le paysage des piétés Proche Orientale, méritant suffisamment d’égards pour ne pas devenir un point de rupture et d’affrontement. Ces égards étant d’ailleurs prodigués aux gens, mais aussi aux dieux.

            Et à la fin la piété devient assimilatrice – laquelle des deux assimile l’autre ? Et l’on répondra, aucune. L’une, l’autre, l’un, l’autre, confondus dans une commune pratique et une commune adoration.

 

            Sommes-nous par trop optimistes dans cette conclusion ? Peut-être car, apparemment, dans l’évangile de Jean, la fusion se fait en faveur de Père et Fils, et aux dépens du Paraclet. Mais ça n’est qu’en apparence, car, fusion ou pas, le vocabulaire spécifique du Paraclet demeure et demeure avec lui ce qu’il entend signifier. Pour quelle raison ? L’évangile de Jean a son thème propre, à partir duquel il envisage la réception et la diffusion de l’évangile. Il ne s’agit pas de ces Dieux par morceaux – heureusement résorbés dans leur devenir chair – ni d’entités spirituelles – devenues chairs elles aussi. Mais de quelque chose que les humains connaissent et dont ils sont – possiblement capables.

            Il s’agit d’amour.

            Puisse cela éternellement nous guider.


samedi 6 mai 2023

Le chemin, la vérité, la vie (Jean 14,1-12)

 Jésus dit, je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au père que par moi. Nous lisons que cette chose est dite par Jésus à ses disciples. Mais cela nous permet-il d’affirmer que Jésus est le chemin, la vérité et la vie et que nul ne vient au père que par lui ? Pas sûr. Et même certains doutes nous assaillent. Quant aux qualités qui sont ou qui devraient être les nôtres…


Jean 14

1 «Que votre cœur ne se trouble pas: vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.

 2 Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures: sinon vous aurais-je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez?

 3 Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.

 4 Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin.»

 5 Thomas lui dit: «Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin?»

 6 Jésus lui dit: «Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va auprès du Père si ce n'est par moi.

 7 Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu.»

 8 Philippe lui dit: «Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit.»

 9 Jésus lui dit: «Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m'as pas reconnu! Celui qui m'a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu: ‹Montre-nous le Père›?

 10 Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même! Au contraire, c'est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.

 11 Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.

 12 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais auprès du Père.

Prédication :

            C’était au début des années 70 (disons 1973), Frédéric François chantait Laisse-moi vivre ma vie, Claude François Le lundi au soleil, et Michel Sardou La maladie d’amour. Au palmarès de la variété chrétienne, il y avait un chant dont le titre m’échappe (Né de la poussière…), mais pas les paroles, du refrain, que voici « Il est la vérité le chemin et la vie, nul ne vient au Père que par lui. » Le groupe s’appelait Les Témoins.

            « Il est la vérité le chemin et la vie, nul ne vient au Père que par lui. » C’est bien évidemment l’un des versets que nous venons de lire qui inspirait cette chanson. Mais, voyez-vous, quelques 50 années plus tard, je m’interroge.

            Je suis le chemin, la vérité, et la vie, c’est ce que nous lisions... et nous lisions que Jésus le dit. Mais je chantais, nous chantions, il est le chemin etc. Ça change bien des choses. Je lis que Jésus dit « nul ne vient au Père si ce n’est par moi », et il le dit à certaines personnes dans certaines circonstances particulières – nous allons y venir. Or je chante, nous chantions « Il est la vérité le chemin et la vie, nul ne vient au Père que par lui », et c’est tout autre chose, c’est un théorème, une généralité dans laquelle j’affirme, mine de rien, qu’il n’existe qu’un seul moyen pour aller à Dieu. A 14 ans je chante ça à tue-tête, et avec la conviction massive d’un jeune chrétien. Mais, voyez-vous, maintenant, je m’interroge. Qui suis-je pour affirmer des choses aussi catégoriques et définitives ?

Dieu est plus grand que tout, plus mystérieux que tout, hors de portée de tous et moi, pauvre petit garçon, j’allais affirmer tout fort que je savais, moi, que l’unique chemin je le connaissais ? Jésus ! Ce qui revenait à récuser d’avance tous les autres chemins, et à récuser tous ceux qui suivraient un autre chemin que le mien. Cela revenait et revient encore à affirmer que je sais tout de Dieu… stupéfiante prétention. Or sur cette certitude qui était mienne j’allais oser, quelques dizaines d’années plus tard, parler de blasphème. Car j’appris de Rabbi Meïr, l’un des disciples de Rabbi Akiba, que celui qui prétend connaître tout le sens de la Torah est un blasphémateur. Je ne sais rien de Dieu et des chemins qui mènent à lui. Est-ce que je sais seulement si mon propre chemin me mène à Dieu, en tant que Père ? Nous ne savons pas où le chemin mène. Dieu le sait. Nous croyons que le chemin n’est pas caché pour Dieu. Nous découvrons le moment venu où le chemin nous mène. Et nous y marchons par la foi, et nous y marcherons.

           

            Jésus dit, à ses disciples, dans un moment particulier, « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient auprès du Père, si ce n’est par moi. »

            Ce moment particulier est un moment de trouble, comme nous avons lu, premier verset du chapitre 14 : « Que votre cœur ne se trouble pas. » Jésus a parlé à ses disciples pendant tout le chapitre 13. Il nous faut alors relire un peu le chapitre 13.

            Dans le chapitre 13, Jésus qui parle à ses disciples leur annonce : 1 la trahison, non pas celle de Judas seulement, mais leur trahison à tous, et ils n’y comprennent rien ; 2 il leur annonce son prochain départ, sa mort, et ils n’y comprennent rien, et pourtant tous les hommes sont mortels ; 3 il leur donne un commandement nouveau, celui de s’aimer les uns les autres, et ses disciples ne pipent pas mot ; enfin 4 il leur annonce que leurs engagements sont presque du vent, qu’ils vont le renier, et pas seulement Pierre. Ce qui frappe, là-dedans, c’est que les disciples de Jésus ne saisissent rien de ce qui est en train de se tramer et qui pourtant est là dans leurs consciences.

            Et alors, qu’est-ce qui trouble le cœur des disciples de Jésus ? En un seul mot : la vérité.

 

            Seule la vérité peut troubler ainsi le cœur d’un être humain, la vérité de ce qui est dans ce cœur, vérité que souvent l’on préfère ignorer.

            Évangile de Jean, la vérité qui est dans les cœurs des disciples de Jésus, c’est que leur maître va être mis à mort par la méchanceté et par la lâcheté des humains, vérité dont ils ne veulent rien savoir, parce qu’ils sont des humains. Lorsque cette vérité leur apparaît, leurs cœurs se troublent.

            La vérité aussi qui est dans le cœur des disciples de Jésus, c’est que s’il y a au monde une puissance invincible, c’est celle de l’amour, c’est la toute faible puissance de l’amour, dont ils ne veulent rien connaître parce qu’ils rêvent encore de puissance tout court. Cette vérité aussi leur apparaît, et leurs cœurs se troublent pour cette autre raison. Seule une vérité niée peut troubler le cœur de l’homme, lorsque cette vérité lui apparaît.

 

            Mais là-dessus, il y a une affirmation de Jésus : « Que votre cœur ne se trouble pas… » Comment un cœur troublé comme nous l’avons dit pourrait-il ne pas être troublé ? Une possibilité, une seule : que cette vérité qu’il a niée, il choisisse de l’affronter, de l’assumer. Ah, bien sûr, ça ne se fait pas comme d’un coup de baguette magique. On avance, on renâcle, on refuse l’obstacle comme un cheval têtu… On fait du Thomas, le genre qui ne veut pas savoir que la mort est au bout de l’engagement de Jésus. On fait du Philippe, qui fait semblant de n’avoir encore rien vu alors que tout est déjà sous ses yeux.

            Assumer la vérité de ce qu’on est, avide de puissance et de certitudes, lâche, cupide, intéressé, manipulateur, volage, menteur, mortel… et chacun complètera la liste pour son propre compte. Car on ne peut pas être devant Dieu et rester indifférent, de cette indifférence molle et obstinée, qui vous laisse tranquillement pénard.

            Assumer la vérité, ça ne se fait pas comme ça, magiquement. Notre cœur se trouble. Et nous disons non, jusqu’au moment où nous dirons oui, c'est-à-dire la vérité.

           

            Alors à cet instant, à cet instant seulement, il y en a un qui dit, qui peut dire : « Que votre cœur ne se trouble pas … » Comme nous le lisons dans l’évangile de Jean, Jésus peut le dire, lui, parce que la vérité ne lui fait pas peur, la vérité de l’impuissance de l’amour, la vérité de la haine que suscite son engagement, la vérité de ce que sont ses disciples, la vérité même de la Passion qu’il va bientôt souffrir, la vérité de sa mort, et de l’absolue solitude à quoi son engagement l’a condamné. Le cœur de Jésus n’est pas troublé parce que la vérité, toute cette vérité, il la connaît, pour ce qu’elle est, il l’accepte, il la vit, il vit avec elle ; il n’a rien d’autre qu’elle.

            Ainsi, Jésus dans ce récit, à cet instant, est vérité et vie. Parce que son cœur n’est pas troublé il peut dire à ses disciples : « Que votre cœur ne se trouble pas… » Il leur montre même le chemin à suivre, il se montre, en tant que vérité et vie, il se montre comme chemin : Je suis, dit-il, le chemin, la vérité, et la vie. Alors nous comprenons que, dans le récit, pour les disciples de Jésus, le chemin est tracé. Pas une recette ni une méthode, mais la vérité qui, à cet instant, ne porte pas d’autre nom que celui de leur maître.

            Puissions-nous lire, et bien comprendre ce que nous lisons. Car à bien lire et à bien comprendre ce que nous lisons, notamment aujourd’hui, il se peut que notre vérité ne nous fasse plus peur, que nous l’affrontions, et que nous vivions… enfin.

           

            Celui qui fait ce choix de croire, d’une croyance toujours incarnée, pourra dire, pour lui-même, que Jésus est le chemin, la vérité, et la vie. Il se peut même qu’il puisse le montrer par sa vie à tel ou tel de ses contemporains.

 

            Mais il reste encore un pas à franchir pour ce matin. « Nul ne va auprès du Père si ce n’est par moi », ajoute Jésus. Ce que Jésus dit et montre, c’est ce que signifie être « auprès du Père ». Être près du Père, dans l’évangile de Jean, ce n’est pas de la haute mystique ni de la haute théologie. Être auprès du Père, c’est, dès les premiers versets de cet évangile, devenir chair, c’est être un être humain, dans la vérité de sa condition, dans l’entièreté de son engagement, dans la vie, en plénitude.

            C’est ainsi qu’on peut simplement entendre ce que Jésus dit à ses disciples : « nul ne vient auprès du Père que par moi », nul ne vient à la vie en plénitude qu’en suivant le chemin de la vérité, chemin de la vérité qui n’est pas un chemin de laideur seulement. Il se peut toujours qu’il soit un chemin de beauté, de bonté, de joie. L’Esprit, le consolateur, est envoyé pour que nous cheminions dans toute la vérité. Et c’est sur ce chemin que nous œuvrerons de sorte que la vie sera plus belle, plus riche, et plus vraie.