dimanche 28 juin 2015

Le sens du Christ (1 Corinthiens 2,10-16) avec, en guest star : Bartimée

1 Corinthiens 2
10 En effet, c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit. Car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu.
 11 Qui donc parmi les hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? De même, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l'Esprit de Dieu.
 12 Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu.
 13 Et nous n'en parlons pas dans le langage qu'enseigne la sagesse humaine, mais dans celui qu'enseigne l'Esprit, exprimant ce qui est spirituel en termes spirituels.
 14 L'homme laissé à sa seule nature n'accepte pas ce qui vient de l'Esprit de Dieu. C'est une folie pour lui, il ne peut le connaître, car c'est spirituellement qu'on en juge.
 15 L'homme spirituel, au contraire, juge de tout et n'est lui-même jugé par personne.

 16 Car qui a connu la pensée (le sens) du Seigneur pour l'instruire? Or nous, nous avons la pensée (le sens) du Christ.

Marc 10
46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l'aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
 47 Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier: «Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!»
 48 Beaucoup le rabrouaient pour qu'il se taise, mais lui criait de plus belle: «Fils de David, aie pitié de moi!»
 49 Jésus s'arrêta et dit: «Appelez-le.» On appelle l'aveugle, on lui dit: «Confiance, lève-toi, il t'appelle.»
 50 Rejetant son manteau, il se leva d'un bond et il vint vers Jésus.
 51 S'adressant à lui, Jésus dit: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» L'aveugle lui répondit: «Rabbouni, que je retrouve la vue!»
 52 Jésus dit: «Va, ta foi t'a sauvé.» Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.



Prédication : 
            Paul, nous le savons, a été parmi les premiers à prêcher l’Evangile à Corinthe. Mais il n’a pas été le seul à l’y prêcher. D’autres prédicateurs que lui sont venus. A la suite de cela, à Corinthe, certains se réclamaient de Monsieur Paul, d’autres de Monsieur Apollos, d’autres encore de Céphas (c'est-à-dire de Pierre) et d’autres encore de Christ. Ces gens qui se réclamaient d’untel n’appréciaient pas, voire détestaient, ceux qui se réclamaient de tel autre. La jeune Eglise de Corinthe se trouva donc profondément divisée.
            On pourrait penser que Paul, mis au courant de cette situation, irait défendre sa propre prédication, tout en dénigrant celle des autres. Est-ce vraiment cela qu’il fit ? Notre méditation va interroger, dans ce sens, un tout petit élément de l’Epître.

            Là où nous lisons, Paul écrit ceci : « Or, nous, nous avons la pensée du Christ. » Nous laissons  momentanément de côté le fait que cette affirmation laisse clairement entendre que d’autres n’ont pas cette « pensée du Christ ».
Nous tâchons d’abord de comprendre ce qu’est cette « pensée du Christ ». Il serait plus juste, et plus compréhensible, que nous traduisions ainsi : « Or, nous, nous avons le sens du Christ. » Pensez, pour bien comprendre l’expression « sens du Christ », à quelque chose comme le sens de l’orientation, ou à ce que les montagnards appellent le sens du terrain. Le sens du terrain, lorsqu’on est sur un terrain accidenté, délicat, compliqué, où l’itinéraire n’est absolument pas marqué, ni évident, lorsqu’ainsi le danger guette… le sens du terrain, c’est l’aptitude d’une personne à trouver alors à coup sûr les bons passages, c'est-à-dire les passages les plus sûrs, ceux qui préservent la vie. Et si à cette personne vous demandez si elle est déjà venue dans ce coin, ou comment elle a fait, elle sera bien en peine de vous répondre. Le sens du terrain ne tient pas forcément à l’expérience, même si l’expérience peut aider… il y a quelque chose d’étrange et de merveilleux avec ce sens du terrain. Résumons, le sens du terrain, c’est l’aptitude à reconnaître instantanément et à coup sûr, que c’est par là, et pas ailleurs, qu’il faut passer parce que là est le chemin de la vie.
            Nous, dit Paul – en quelque manière moi, Paul, mais pas moi tout seul, ceux qui œuvrent avec moi – nous avons le « sens du Christ », c'est-à-dire une aptitude à reconnaître instantanément et à coup sûr ce qui est du Christ, ce qui correspond à la vie du Christ, c'est-à-dire ce qu’il y a à faire pour marcher sûrement en Christ…
            Est-ce une insupportable prétention ? Est-ce une considérable arrogance ? On fait souvent à Paul ce genre de reproche. Paul, il est vrai, se réclame de quelque chose que Dieu a révélé par l’Esprit, un don tout particulier, qui permet de dire spirituellement des choses spirituelles et de juger tout ce qui est charnel, sans être soi-même jugé par personne. Ainsi exprimé, effectivement, cela ressemble à de la prétention et de l’arrogance ; tout chrétien normalement constitué doit se méfier de quiconque viendrait vers lui avec un tel discours. Mais rejeter maintenant le propos de Paul serait une erreur regrettable. Car Paul ne se réclame pas d’un savoir dont il serait détenteur, mais d’une connaissance des dons de la grâce de Dieu. Comprenons bien que la connaissance des dons de la grâce de Dieu ne peut jamais être ramenée à un savoir sans être ruinée. Car le propre des dons de la grâce de Dieu c’est qu’ils sont toujours à recevoir – puisque ce sont des dons – jamais mérités – puisqu’ils émanent de la grâce de Dieu – toujours nouveaux – car Dieu est infini, créateur, et vivant.
            Autrement dit, ce sens du Christ dont Paul se réclame n’est pas un savoir supérieur, permanent et universel, qui ferait de lui un surhomme et un maître, mais une disposition particulièrement précaire, celle d’un simple serviteur, celle de la foi. Et cela signifie que pour Paul, pour celui qui croit, rien n’est jamais dû, rien n’est acquis, tout est à recevoir et le plus beau toujours en espérance. Le sens du Christ est cette grâce que Dieu prodigue et qui permet de choisir à coup sûr, le chemin ouvert du jugement, de la grâce, et de l’espérance.
Peut-on, à la lecture de la suite de la première Epître aux Corinthiens, soutenir que Paul n’est pas un prétentieux ou un arrogant ? Il le serait s’il défendait une position qu’il tient. Or, ce que Paul dit est difficile, même pour Paul. Le sens du Christ mène celui qui l’a reçu sur le chemin de la foi, qui est le chemin de l’amour. Paul va mener son lecteur jusqu’à l’hymne à l’amour. A la fin de l’hymne à l’amour, ce qui apparaît, c’est que personne n’aime ainsi, et que, même ayant le sens du Christ, il n’y a rien à défendre,  tout est à demander, tout est à recevoir.

            Ayant suffisamment développé l’idée du « sens du Christ », nous pouvons nous demander, humblement, si nous pourrions, nous autres, écrire et soutenir cette même affirmation : « Nous avons, nous, le sens du Christ. » Il faudrait que chacun s’examine pour lui-même. Ai-je le sens du Christ ? Ai-je demandé, et reçu ce don, cette grâce qui me permet de me diriger, de choisir à chaque instant, dans chaque nouvelle situation, le chemin d’audace et de liberté qui conduit à la vie ? Il faudrait aussi que nous nous examinions, ensemble, en tant que communauté. Avons-nous reçu, les uns des autres, cette exhortation à l’ouverture, à la liberté et à la responsabilité ? Nous n’allons pas faire cet examen maintenant.
            Nous allons bien plutôt repenser un instant à ce Bartimée, aveugle, qui en appelait bruyamment à Jésus de Nazareth et que d’aucuns voulaient faire taire. Avaient-ils le sens du Christ, ceux qui trouvaient qu’un aveugle vociférant ferait tache sur le chemin triomphant du maître ? Nous répondrons sans doute non. Mais avaient-ils le sens du Christ, ces gens-là, lorsque Jésus, les prenant tous à contre-pied, fit appeler l’aveugle et qu’eux, après avoir tenté de faire taire l’aveugle l’appelèrent à la confiance ? Osons dire qu’à leur corps défendant ils ont ce sens un peu plus à cet instant que dans l’instant qui précède. Il y a donc un peu d’espoir pour les gens contents d’eux et obtus. Et l’absence de sens du Christ ne barre pas toujours le chemin qui mène au Christ. Bartimée, lui, avait le sens du Christ, en persistant à crier, puis en lâchant son manteau… Car le sens du Christ fait lâcher le peu de bien et de certitude qu’on possède et fait s’en remettre à Christ.
           
            Que conclure ? (1) Le sens du Christ n’est pas quelque chose qu’on possède ; c’est à travailler dans la réflexion, et c’est à recevoir dans la foi. (2) Il nous faut demander chaque jour à Dieu qu’il nous fasse grâce de nous donner le sens du Christ. (3) Il ne faut pas douter que Dieu donne toujours ce sens à celui qui, se défaisant de tout ce qu’il possède en tant que connaissance de Dieu, se tourne humblement et résolument vers Dieu. (4) Ce sens du Christ nous fait découvrir de nouveaux chemins, il les rend praticables aussi pour d’autres que nous.

            Qu’il en soit ainsi. Amen 

dimanche 21 juin 2015

Et Dieu reste sourd à ces infamies (Job 24, Job 38, Job 42)

Job 24
1 Pourquoi le Puissant n'a-t-il pas des temps en réserve, et pourquoi ses fidèles ne voient-ils pas ses jours?
2 On déplace les bornes, on fait paître des troupeaux volés,
3 c'est l'âne des orphelins qu'on emmène, c'est le bœuf de la veuve qu'on retient en gage.
4 On écarte de la route les indigents, tous les pauvres du pays n'ont plus qu'à se cacher.
5 Tels des onagres dans le désert, ils partent au travail dès l'aube, en quête de pâture. Et c'est la steppe qui doit nourrir leurs petits.
6 Dans les champs ils se coupent du fourrage, et ils grappillent la vigne du méchant.
7 La nuit, ils la passent nus, faute de vêtement, ils n'ont pas de couverture quand il fait froid.
8 Ils sont trempés par la pluie des montagnes, faute d'abri, ils étreignent le rocher.
9 On arrache l'orphelin à la mamelle, du pauvre on exige des gages.
10 On le fait marcher nu, privé de vêtement, et aux affamés on fait porter des gerbes.
11 Dans les enclos des autres, ils pressent de l'huile, et ceux qui foulent au pressoir ont soif.
12 Dans la ville les gens se lamentent, le râle des blessés hurle, et Dieu reste sourd à ces infamies!

Job 38
1 Le SEIGNEUR répondit alors à Job du sein de l'ouragan et dit:
2 Qui est celui qui dénigre la providence par des discours insensés?
3 Ceins donc tes reins, comme un brave: je vais t'interroger et tu m'instruiras.
4 Où est-ce que tu étais quand je fondai la terre? Dis-le-moi puisque tu es si savant.
5 Qui en fixa les mesures, le saurais-tu? Ou qui tendit sur elle le cordeau?
6 En quoi s'immergent ses piliers, et qui donc posa sa pierre d'angle
7 tandis que les étoiles du matin chantaient en choeur et tous les Fils de Dieu crièrent hourra?
8 Quelqu'un ferma deux battants sur l'Océan quand il jaillissait du sein maternel,
9 quand je lui donnais les brumes pour se vêtir, et le langeais de nuées sombres.
10 J'ai brisé son élan par mon décret, j'ai verrouillé les deux battants
11 et j'ai dit: «Tu viendras jusqu'ici, pas plus loin; là s'arrêtera l'insolence de tes flots!»



Job 42
7 Or, après qu'il eut adressé ces paroles à Job, le SEIGNEUR dit à Elifaz de Témân: «Ma colère flambe contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job.

8 «Maintenant prenez pour vous sept taureaux et sept béliers, allez trouver mon serviteur Job, et offrez-les pour vous en holocauste tandis que mon serviteur Job intercédera pour vous. Ce n'est que par égard pour lui que je ne vous traiterai pas selon votre folie, vous qui n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job.»

Prédication :
            Les images que j’ai en mémoire datent du 26 décembre 2004. Elles ont été prises à Khao Lak, en Thaïlande. On voit l’insouciance des vacanciers, alors que deux murailles blanches barrent déjà l’horizon marin. Puis ces murailles gobent deux gros bateaux comme s’ils étaient de vulgaires insectes. Petit à petit, l’inquiétude, puis le sentiment de l’imminence du danger, puis la panique gagnent ceux qui comprennent… Ce jour-là, l’insolence des flots à dépassé tout ce que pouvaient imaginer ces gens paisibles, les croyants et les incroyants. Et pourtant la voix de Dieu, rapportée dans le livre de Job, énonce que le décret divin brise l’élan de l’océan. Ce jour-là, pour ces gens-là, le décret divin n’a rien brisé, que des vies humaines.
            Silence de Dieu ! Pendant que certains souffrent, pendant que certains meurent, d’autres ont des avis sur l’existence de Dieu et sur ce qu’il fait ou devrait faire. Tout ou presque tout de l’histoire du livre de Job est déjà dit ici.

            Nous n’étions pas à Khao Lak le 26 décembre 2004, et nous sommes ici, maintenant, dans la situation de ceux qui lisent la Bible et qui se souviennent de ces images, ou d’autres images encore. Notre situation est celle d’hommes et de femmes qui prient, qui chantent, qui célèbrent la miséricorde et la bienveillance de Dieu, et qui ne peuvent ignorer qu’ailleurs cette miséricorde et cette bienveillance sont incapables d’arrêter les flots déchaînés, ou les vents déchaînés, ou les flammes, ou les bombes. Alors, Dieu dort-il ? Parole de Job : « Pourquoi le Puissant n’a-t-il pas des temps en réserve ? Pourquoi ses fidèles ne voient-ils pas ses jours ? ». Et Job, encore : « Dans la ville les gens se lamentent, le râle des blessés hurle, et Dieu reste sourd à ces infamies ! »
            Dieu dort-il pendant que l’océan se déchaîne ? Il n’est pas nécessaire que nous examinions ici le oui et le non. Nous avons bien plutôt à examiner ce que deviennent certains énoncés de la foi lorsque nous sommes réellement confrontés au malheur.

            Un énoncé de la foi, au niveau collectif, une communauté, une Eglise, c’est une phrase qu’un groupe énonce et assume concrètement. Il faut le dire aussi au niveau individuel. Un énoncé de la foi est une phrase que le croyant porte en lui, énonce par ses paroles et assume par ses actes. Jésus Christ est Seigneur, c’est un énoncé de la foi de l’Eglise. C’est souvent aussi un énoncé de la foi du croyant ; les paroles et les actes du croyant diront en quoi Jésus Christ est son Seigneur, le Seigneur de sa vie. Voici un énoncé de la foi, recueilli dans le livre de Job : « J’ai brisé l’élan (de l’océan) par mon décret [dit Dieu à Job], j’ai verrouillé les deux battants et j’ai dit ‘Tu viendras jusqu’ici, pas plus loin ; là s’arrêtera l’insolence de tes flots.’ »

            L’auteur du livre de Job aurait-il pu feindre d’ignorer que le malheur frappe parfois ? Si l’auteur du livre de Job n’avait fait que recueillir et que mettre bout à bout des affirmations sur Dieu, il n’aurait rien dit de Dieu, ce ne serait pas un grand auteur et son livre n’aurait pas traversé les siècles. Pour éviter l’écueil qu’a évité cet auteur, pour respecter les énoncés de la foi, pour dire authentiquement la foi, il nous faut, nous, humbles lecteurs, veiller à bien laisser ces énoncés de la foi là où nous les trouvons : dans le livre de Job. Autrement, nous risquons de commettre l’imprudence de parler inconsidérément au sujet de Dieu, c'est-à-dire sans considérer qu’il y a là, dans le livre, et dans le monde, Job, un être humain qui est vivant, à qui la vie a tout pris sauf sa vie, et qui cherche, pour lui-même, non pas abstraitement, le sens de ce non sens qu’est le malheur.
A un moment de cette quête, Dieu parle à Job, telle est la situation de ces énoncés. Dieu parle à Job à qui tout fut pris, sauf, la vie. Dieu dit à Job : « J’ai brisé l’élan (de l’océan) par mon décret, j’ai verrouillé les deux battants et j’ai dit : ‘Tu viendras jusqu’ici, pas plus loin ; là s’arrêtera l’insolence de tes flots’ » Retenons ceci, qui est capital : c’est Dieu qui le dit à Job, à Job qui est vivant. La parole de Dieu est adressée à ce vivant qu’est Job, pour lui faire remarquer, justement, qu’il est vivant et que l’élan de l’océan s’est bel est bien arrêté, pour lui, pour Job.
En mettant cette parole dans la bouche de Dieu, l’auteur du livre de Job signifie que cette parole est adressée par Dieu à Job et qu’elle concerne Job dans la situation qui est la sienne. Tout autre usage d’une telle parole qu’un usage en situation est un usage au mieux maladroit, au pire, méprisant, voire un déni de la réalité de la souffrance.
De plus, cette parole arrive au chapitre 38, très longtemps après le début du récit. Bien entendu, c’est une parole humaine, mais, très longtemps après le début du récit, cela signale que cette parole doit être prononcée à-propos, avec tact, au moment opportun, et que ce moment n’est pas, ne peut pas être le premier moment qui suit le moment du malheur.
Enfin, que cette parole soit attribuée à Dieu lui-même signale que, même si elle est prononcée, au moment opportun, par un être humain, ou lue dans un livre, elle sera reçue comme une parole divine, décisive, dans le cœur secret de l’intimité de l’éprouvé.
Oui, l’insolence des flots de l’océan a préservé la vie de Job, mais rien ne pourrait être pire que de le lui dire trop vite, ou de lui dire que ça aurait pu être plus grave. Que la vie de Job ait été préservée relève du mystère divin. Et ce mystère ne peut être pénétré que par celui qui, ayant été préservé, s’interroge, et à qui s’adresse intimement, personnellement, la parole de Dieu.

Or, avant que la parole de Dieu ne s’adresse à lui, qu’aura-t-il entendu, Job ? Il aura entendu toutes les belles phrases possibles, abstraites, condescendantes, que les belles âmes, les bons croyants, ou les piliers de bars, sont capables de débiter comme autant de savoirs sur Dieu, sans considération pour ceux à qui ils s’adressent. Et Job aura répondu non, non et encore non. Aux lieux communs qui portent sur Dieu il aura opposé la vérité évidente de la vie : « le râle des blessés hurle, et Dieu reste sourd à leurs appels ! », ce qui se dit de mille autres manières dont celle-ci : l’océan ne s’est pas arrêté à Khao Lak.

Lorsque Dieu finit de parler, il rend raison à Job, à Job qui a refusé et balancé toutes les belles phrases. Dieu justifie Job, Il justifie l’éprouvé et ses paroles. Les paroles de Job qui ont été blasphématoires pour de pieuses oreilles, Dieu les approuve. « Vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job », dit Dieu. Les amis de Job n’ont pas parlé, n’ont pas agi avec droiture, avec l’à-propos et le tact qui s’imposaient au vu des circonstances dramatiques, au vu du malheur qui frappait Job. Les amis de Job ont joué les enluminures contre la laideur du monde, ils ont joué les belles phrases contre la grande détresse, et les pieux mensonges contre la vérité.
Sœurs et frères, que nous a-t-on dit sur Dieu ? Et que disons-nous sur Dieu ? Prions, chantons avec les mots de notre foi.  Mais, lorsque nous serons confrontés au mal, lorsque des éprouvés et des malheureux seront là devant nous, oublions tout ce que nous croyons savoir, et puissions-nous nous tenir droits, proches d’eux dans leur tempête et être pour eux, de la part de Dieu, le point d’appui, l’instrument de la vérité, et l’ami pour la vie.
Puisse-t-il en être ainsi. Amen





dimanche 7 juin 2015

Parler de Dieu (Psaume 51)

Quand je parle de Dieu…
Je parle de quoi ?

Suis-je bien certain que c’est de Dieu que je parle, que ce sur quoi porte mon propos est bien Dieu ?
Je n’ose pas le dire. Car je ne suis personne pour savoir que ce que je dis de Dieu porte bien sur Dieu. Dieu seul sait si je parle de Dieu. Moi, je ne suis qu’un être humain.

Psaume 51
1 Du chef de choeur. Psaume de David.
2 Quand le prophète Natan alla chez lui, après que David fut allé chez Bethsabée.
3 Aie pitié de moi, mon Dieu, selon ta fidélité; selon ta grande miséricorde, efface mes torts.

Là, je parle de moi-même. Je suis cet homme-là. Si je parle de Dieu, je parle d’abord de cette position : je suis cet homme-là qui, dans la position qui est la sienne, à vrai dire peu reluisante, voudrait bien parler de Dieu.
Mais avant de parler de Dieu, il essaie de parler à Dieu.

4 Lave-moi sans cesse de ma faute et purifie-moi de mon péché.
5 Car je reconnais mes torts, j'ai toujours mon péché devant moi.
6 Contre toi, et toi seul, j'ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait, ainsi tu seras juste quand tu parleras, irréprochable quand tu jugeras.
7 Voici, dans la faute j'ai été enfanté et, dans le péché, conçu des ardeurs de ma mère.

Avant d’envisager de parler de Dieu, il s’agit de parler à Dieu. Pour lui dire… pour lui dire la vérité, pour s’entendre, soi, lui dire la vérité.
Voici ce que je suis, moi, moi-même. Rien à dire sur qui que ce soit d’autre. Peut-être même que celui qui parle d’un autre que lui-même ne parle pas de Dieu, ne parle ni ne parlera jamais de Dieu.
Autrement dit, qui n’énonce pas d’abord devant Dieu la vérité de ce qu’il est, une vérité qui peut être d’une laideur extrême, lui, lui qui parle, ne parlera jamais de Dieu. Il parlera, sans doute, mais pas de Dieu.
Parlerai-je jamais de Dieu ?

8 Voici, tu aimes la vérité
dans les ténèbres,
dans ma nuit,
tu me fais connaître la sagesse.

            Avant de parler de Dieu, et ayant commencé à parler à Dieu, ayant commencé avec la vérité, j’ai à demander à Dieu un constant renouvellement de moi-même. C’est que ce que j’ai dit de Dieu une première fois doit toujours être repris, évalué, médité, car Dieu est vivant et c’est à des vivants aussi que j’aimerais parler de Dieu.
            Si je considère que la parole de Dieu est la même aujourd’hui, hier et demain, c’est pécher, gravement, contre Dieu. Cette parole s’adresse aujourd’hui, à moi. Demain est un autre jour. Demain, elle s’adressera aussi à quelqu’un d’autre. Il faut me refuser à l’entendre identiquement à elle-même deux journées de suite, autant que me refuser à l’entendre différente d’elle-même deux journées de suite.
Puis-je donc prétendre parler de Dieu sans pécher gravement ? Le pécheur que je suis peut-il parler de Dieu ?

9 Ôte mon péché avec l'hysope, et je serai pur ; lave-moi, et je serai plus blanc que la neige.

            Aussi bien me faut-il demander à Dieu d’effacer en moi sa parole, pour qu’il puisse me la redire, me la faire entendre, de nouveau. Peut-être alors ainsi parlerai-je de lui.

10 Fais que j'entende l'allégresse et la joie, et qu'ils dansent, les os que tu as broyés.

            Aussi, quand je parle de Dieu – s’il m’arrive d’en parler – et plaise à Dieu que j’en parle – c’est une parole neuve, nouvelle, réjouissante, à chaque fois, et je suis le premier à l’entendre.
Les os broyés qui dansent sont des os broyés, mais ils dansent lorsqu’ils entendent l’allégresse et la joie, ils dansent s’ils entendent parler de Dieu.

11 Devant mes péchés, détourne-toi, toutes mes fautes, efface-les.
12 Crée pour moi un cœur pur, Dieu ; enracine en moi un esprit tout neuf.

            Et c’est chaque jour que mon cœur peut – et doit – être purifié. Et c’est chaque jour que mon esprit peut – et doit – être renouvelé.
            En même temps, je ne peux pas, je ne dois pas, perdre la mémoire, et surtout pas la mémoire de ce que je suis.
            Mais pour l’instant, il est trop tôt encore pour savoir si je parle de Dieu. Je parle seulement à Dieu. Dieu m’entend-il ? Me répondra-t-il jamais ? Je parle tout de même, et cela me soutient.

13 Ne me rejette pas loin de toi, ne me reprends pas ton esprit saint ;
14 rends-moi la joie d'être sauvé, et que l'esprit généreux me soutienne !

            Qu’il me suffise, pour l’heure de demeurer en vie. Vu qui je suis devant la majesté de Dieu, devant la justice de Dieu, devant la Sainteté de Dieu et devant la Loi de Dieu, que je sois encore en vie relève du miracle. Je n’ai d’ailleurs rien pour ma propre défense, et donc rien à enseigner à personne.

15 J'enseignerai ton chemin aux coupables, et les pécheurs reviendront vers toi.

            Rien à enseigner à personne, si ce n’est faire connaître la justice de Dieu, le jugement de Dieu, et la miséricorde de Dieu.

16 Mon Dieu, Dieu sauveur, libère-moi du sang; que ma langue crie ta justice !

            Rien d’autre !

17 Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche proclamera ta louange.
18 Tu n'aimerais pas que j'offre un sacrifice, tu n'accepterais pas d'holocauste.

            Mille artifices, mille ruses, mille et une pirouettes, des rituels, des fards et des costumes, tout cela pour éviter de faire face à l’impitoyable miroir de la vérité, pour éviter d’entendre le non que Dieu adresse à toutes nos prétentions.
            Je regarde cet être humain, il porte mon nom, c’est moi. J’hésite, entre l’horreur, et la pitié. Et puis… je n’hésite plus. Je me suis suffisamment déguisé. Il suffit. Voici qui je suis. Vanité de mes paroles, de mes discours, de mes ambitions. JE me détourne de ma faute. Et de mon repentir. Je me détourne même des larmes de mon repentir.
            Qu’Il fasse de moi ce que bon Lui semble.

19 Le sacrifice voulu par Dieu, c'est un esprit brisé; Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé.

20 Fais du bien à Sion, rebâtis les murs de Jérusalem.
21 Alors tu aimeras les sacrifices prescrits, offrande totale et holocauste ; alors on offrira des taureaux sur ton autel.

Plaise à Dieu que je parle de Dieu.

Plaise à Dieu que quelqu’un entende parler de Dieu.