1 Corinthiens 2
10 En effet, c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit.
Car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu.
11 Qui donc parmi les
hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en
lui? De même, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l'Esprit de
Dieu.
12 Pour nous, nous
n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin que
nous connaissions les dons de la grâce de Dieu.
13 Et nous n'en parlons
pas dans le langage qu'enseigne la sagesse humaine, mais dans celui qu'enseigne
l'Esprit, exprimant ce qui est spirituel en termes spirituels.
14 L'homme laissé à sa
seule nature n'accepte pas ce qui vient de l'Esprit de Dieu. C'est une folie
pour lui, il ne peut le connaître, car c'est spirituellement qu'on en juge.
15 L'homme spirituel, au
contraire, juge de tout et n'est lui-même jugé par personne.
16 Car qui a connu la
pensée (le sens) du Seigneur pour l'instruire? Or nous, nous avons la pensée (le sens) du Christ.
Marc 10
46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho
avec ses disciples et une assez grande foule, l'aveugle Bartimée, fils de
Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
47 Apprenant que c'était
Jésus de Nazareth, il se mit à crier: «Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!»
48 Beaucoup le
rabrouaient pour qu'il se taise, mais lui criait de plus belle: «Fils de David,
aie pitié de moi!»
49 Jésus s'arrêta et dit:
«Appelez-le.» On appelle l'aveugle, on lui dit: «Confiance, lève-toi, il
t'appelle.»
50 Rejetant son manteau,
il se leva d'un bond et il vint vers Jésus.
51 S'adressant à lui,
Jésus dit: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» L'aveugle lui répondit:
«Rabbouni, que je retrouve la vue!»
52 Jésus dit: «Va, ta foi
t'a sauvé.» Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.
Prédication :
Paul, nous
le savons, a été parmi les premiers à prêcher l’Evangile à Corinthe. Mais il
n’a pas été le seul à l’y prêcher. D’autres prédicateurs que lui sont venus. A
la suite de cela, à Corinthe, certains se réclamaient de Monsieur Paul,
d’autres de Monsieur Apollos, d’autres encore de Céphas (c'est-à-dire de
Pierre) et d’autres encore de Christ. Ces gens qui se réclamaient d’untel
n’appréciaient pas, voire détestaient, ceux qui se réclamaient de tel autre. La
jeune Eglise de Corinthe se trouva donc profondément divisée.
On pourrait
penser que Paul, mis au courant de cette situation, irait défendre sa propre
prédication, tout en dénigrant celle des autres. Est-ce vraiment cela qu’il fit ?
Notre méditation va interroger, dans ce sens, un tout petit élément de
l’Epître.
Là où nous
lisons, Paul écrit ceci : « Or, nous, nous avons la pensée du
Christ. » Nous laissons
momentanément de côté le fait que cette affirmation laisse clairement
entendre que d’autres n’ont pas cette « pensée du Christ ».
Nous tâchons d’abord de
comprendre ce qu’est cette « pensée du Christ ». Il serait plus
juste, et plus compréhensible, que nous traduisions ainsi : « Or,
nous, nous avons le sens du Christ. » Pensez, pour bien comprendre
l’expression « sens du Christ », à quelque chose comme le sens de
l’orientation, ou à ce que les montagnards appellent le sens du terrain. Le
sens du terrain, lorsqu’on est sur un terrain accidenté, délicat, compliqué, où
l’itinéraire n’est absolument pas marqué, ni évident, lorsqu’ainsi le danger
guette… le sens du terrain, c’est l’aptitude d’une personne à trouver alors à
coup sûr les bons passages, c'est-à-dire les passages les plus sûrs, ceux qui
préservent la vie. Et si à cette personne vous demandez si elle est déjà venue
dans ce coin, ou comment elle a fait, elle sera bien en peine de vous répondre.
Le sens du terrain ne tient pas forcément à l’expérience, même si l’expérience
peut aider… il y a quelque chose d’étrange et de merveilleux avec ce sens du
terrain. Résumons, le sens du terrain, c’est l’aptitude à reconnaître
instantanément et à coup sûr, que c’est par là, et pas ailleurs, qu’il faut
passer parce que là est le chemin de la vie.
Nous, dit
Paul – en quelque manière moi, Paul, mais pas moi tout seul, ceux qui œuvrent
avec moi – nous avons le « sens du Christ », c'est-à-dire une
aptitude à reconnaître instantanément et à coup sûr ce qui est du Christ, ce
qui correspond à la vie du Christ, c'est-à-dire ce qu’il y a à faire pour
marcher sûrement en Christ…
Est-ce une insupportable
prétention ? Est-ce une considérable arrogance ? On fait souvent à
Paul ce genre de reproche. Paul, il est vrai, se réclame de quelque chose que
Dieu a révélé par l’Esprit, un don tout particulier, qui permet de dire
spirituellement des choses spirituelles et de juger tout ce qui est charnel,
sans être soi-même jugé par personne. Ainsi exprimé, effectivement, cela
ressemble à de la prétention et de l’arrogance ; tout chrétien normalement
constitué doit se méfier de quiconque viendrait vers lui avec un tel discours. Mais
rejeter maintenant le propos de Paul serait une erreur regrettable. Car Paul ne
se réclame pas d’un savoir dont il serait détenteur, mais d’une connaissance
des dons de la grâce de Dieu. Comprenons bien que la connaissance des dons de
la grâce de Dieu ne peut jamais être ramenée à un savoir sans être ruinée. Car
le propre des dons de la grâce de Dieu c’est qu’ils sont toujours à recevoir –
puisque ce sont des dons – jamais mérités – puisqu’ils émanent de la grâce de
Dieu – toujours nouveaux – car Dieu est infini, créateur, et vivant.
Autrement
dit, ce sens du Christ dont Paul se réclame n’est pas un savoir supérieur,
permanent et universel, qui ferait de lui un surhomme et un maître, mais une
disposition particulièrement précaire, celle d’un simple serviteur, celle de la
foi. Et cela signifie que pour Paul, pour celui qui croit, rien n’est jamais
dû, rien n’est acquis, tout est à recevoir et le plus beau toujours en
espérance. Le sens du Christ est cette grâce que Dieu prodigue et qui permet de
choisir à coup sûr, le chemin ouvert du jugement, de la grâce, et de
l’espérance.
Peut-on, à la lecture de la suite
de la première Epître aux Corinthiens, soutenir que Paul n’est pas un
prétentieux ou un arrogant ? Il le serait s’il défendait une position qu’il
tient. Or, ce que Paul dit est difficile, même pour Paul. Le sens du Christ
mène celui qui l’a reçu sur le chemin de la foi, qui est le chemin de l’amour. Paul
va mener son lecteur jusqu’à l’hymne à l’amour. A la fin de l’hymne à l’amour,
ce qui apparaît, c’est que personne n’aime ainsi, et que, même ayant le sens du
Christ, il n’y a rien à défendre, tout
est à demander, tout est à recevoir.
Ayant
suffisamment développé l’idée du « sens du Christ », nous pouvons
nous demander, humblement, si nous pourrions, nous autres, écrire et soutenir
cette même affirmation : « Nous avons, nous, le sens du
Christ. » Il faudrait que chacun s’examine pour lui-même. Ai-je le sens du
Christ ? Ai-je demandé, et reçu ce don, cette grâce qui me permet de me
diriger, de choisir à chaque instant, dans chaque nouvelle situation, le chemin
d’audace et de liberté qui conduit à la vie ? Il faudrait aussi que nous
nous examinions, ensemble, en tant que communauté. Avons-nous reçu, les uns des
autres, cette exhortation à l’ouverture, à la liberté et à la
responsabilité ? Nous n’allons pas faire cet examen maintenant.
Nous allons
bien plutôt repenser un instant à ce Bartimée, aveugle, qui en appelait
bruyamment à Jésus de Nazareth et que d’aucuns voulaient faire taire.
Avaient-ils le sens du Christ, ceux qui trouvaient qu’un aveugle vociférant
ferait tache sur le chemin triomphant du maître ? Nous répondrons sans
doute non. Mais avaient-ils le sens du Christ, ces gens-là, lorsque Jésus, les prenant
tous à contre-pied, fit appeler l’aveugle et qu’eux, après avoir tenté de faire
taire l’aveugle l’appelèrent à la confiance ? Osons dire qu’à leur corps
défendant ils ont ce sens un peu plus à cet instant que dans l’instant qui
précède. Il y a donc un peu d’espoir pour les gens contents d’eux et obtus. Et
l’absence de sens du Christ ne barre pas toujours le chemin qui mène au Christ.
Bartimée, lui, avait le sens du Christ, en persistant à crier, puis en lâchant
son manteau… Car le sens du Christ fait lâcher le peu de bien et de certitude
qu’on possède et fait s’en remettre à Christ.
Que
conclure ? (1) Le sens du Christ n’est pas quelque chose qu’on
possède ; c’est à travailler dans la réflexion, et c’est à recevoir dans
la foi. (2) Il nous faut demander chaque jour à Dieu qu’il nous fasse grâce de
nous donner le sens du Christ. (3) Il ne faut pas douter que Dieu donne toujours
ce sens à celui qui, se défaisant de tout ce qu’il possède en tant que
connaissance de Dieu, se tourne humblement et résolument vers Dieu. (4) Ce sens
du Christ nous fait découvrir de nouveaux chemins, il les rend praticables aussi
pour d’autres que nous.
Qu’il en
soit ainsi. Amen