En préparant ce billet, je suis dans la reconnaissance. La suggestion de lire les deux chapitres bibliques qui suivent est due au pasteur James Woody (EPUdF, Paris, Oratoire du Louvre), qui en a donné une belle prédication le dimanche des Rameaux de cette année.
http://oratoiredulouvre.fr/predications.php
Je signale aussi qu'une partie de ma propre prédication est inspirée d'un texte important de Dietrich Bonhoeffer, "Notre chemin selon le témoignage de l'Ecriture", un texte de 1938 dans lequel il examine, dans des circonstances historique particulièrement tendues, ce qu'est la preuve scripturaire, comment il convient de la construire et ce qu'il convient d'en attendre. Ce texte, qu'on peut trouver en traduction dans les Textes choisis, ne cesse de me stimuler depuis... longtemps.
Josué 3 et 4
1 Josué se leva de bon matin; ils partirent de Shittim, lui et tous les fils
d'Israël, et arrivèrent au Jourdain; là, ils passèrent la nuit avant de
traverser.
2 Or, au bout de trois
jours, les scribes passèrent à travers le camp
3 et ils donnèrent cet
ordre au peuple: «Lorsque vous verrez l'arche de l'alliance du SEIGNEUR, votre
Dieu, et les prêtres lévites qui la portent, alors vous quitterez le lieu où
vous êtes et vous la suivrez
4 - toutefois qu'il y ait
entre vous et elle une distance d'environ deux mille coudées, ne l'approchez
pas - , ainsi vous saurez quel chemin vous devez suivre, car vous n'êtes jamais
passés par ce chemin auparavant.»
5 Puis Josué dit au
peuple: «Sanctifiez-vous, car demain le SEIGNEUR fera des merveilles au milieu de
vous.»
6 Josué dit aux prêtres:
«Portez l'arche de l'alliance et passez devant le peuple.» Ils portèrent
l'arche de l'alliance et marchèrent devant le peuple.
7 Le SEIGNEUR dit à
Josué: «Aujourd'hui, je vais commencer à te grandir aux yeux de tout Israël
pour qu'on sache que je serai avec toi comme j'étais avec Moïse.
8 Et toi, tu donneras cet
ordre aux prêtres qui portent l'arche de l'alliance: ‹Lorsque vous arriverez au
bord des eaux du Jourdain, vous vous arrêterez dans le Jourdain.› »
9 Josué dit aux fils
d'Israël: «Avancez ici et écoutez les paroles du SEIGNEUR, votre Dieu.»
10 Puis Josué dit: «À
ceci vous saurez que le Dieu vivant est au milieu de vous, et qu'il dépossédera
vraiment devant vous le Cananéen, le Hittite, le Hivvite, le Perizzite, le
Guirgashite, l'Amorite et le Jébusite:
11 voici que l'arche de
l'alliance du Seigneur de toute la terre va passer devant vous dans le
Jourdain.
12 Et maintenant, prenez
douze hommes parmi les tribus d'Israël, un homme par tribu.
13 Dès que la plante des
pieds des prêtres qui portent l'arche du SEIGNEUR, le Seigneur de toute la
terre, se posera dans les eaux du Jourdain, alors les eaux du Jourdain, les
eaux qui descendent d'amont, seront coupées et elles s'arrêteront en une seule
masse.»
14 Lorsque le peuple
quitta ses tentes pour traverser le Jourdain, les prêtres qui portaient l'arche
de l'alliance étaient devant le peuple.
15 Quand ceux qui
portaient l'arche furent arrivés au Jourdain, et que les pieds des prêtres qui
portaient l'arche eurent trempé dans l'eau de la berge - en effet, le Jourdain
déborde sur toutes ses rives durant tout le temps de la moisson - ,
16 alors les eaux qui
descendent d'amont s'arrêtèrent, elles se dressèrent en une seule masse, très
loin, à Adam, la ville qui est à côté de Çartân, et celles qui descendent vers
la mer de la Araba, la mer du Sel, furent complètement coupées, et le peuple
traversa en face de Jéricho.
17 Et les prêtres qui
portaient l'arche de l'alliance du SEIGNEUR s'arrêtèrent sur la terre sèche, au
milieu du Jourdain, immobiles, tandis que tout Israël traversait à pied sec
jusqu'à ce que toute la nation eût achevé de traverser le Jourdain.
4:1 Or, dès que toute la nation eut achevé de passer le Jourdain, le SEIGNEUR
dit à Josué:
2 «Prenez douze hommes
dans le peuple, un homme pour chaque tribu,
3 et commandez-leur:
‹Emportez d'ici, du milieu du Jourdain, de l'endroit où les pieds des prêtres
se sont immobilisés, douze pierres; vous les ferez passer avec vous et vous les
déposerez à la halte où vous passerez la nuit.› »
4 Puis Josué appela les
douze hommes qu'il avait désignés parmi les fils d'Israël, un homme pour chaque
tribu,
5 et Josué leur dit:
«Passez devant l'arche du SEIGNEUR, votre Dieu, vers le milieu du Jourdain, et
que chacun charge une pierre sur son épaule selon le nombre des tribus des fils
d'Israël
6 afin que cela soit un
signe au milieu de vous. Lorsque demain vos fils vous demanderont: ‹Que
signifient pour vous ces pierres?›,
7 vous leur direz: ‹C'est
que les eaux du Jourdain ont été coupées devant l'arche de l'alliance du
SEIGNEUR quand elle passa dans le Jourdain! Les eaux du Jourdain ont été
coupées, et ces pierres tiendront lieu de mémorial aux fils d'Israël à jamais.›
»
8 C'est ainsi que les
fils d'Israël firent ce que Josué leur avait commandé: ils emportèrent douze
pierres du milieu du Jourdain, comme le SEIGNEUR l'avait dit à Josué, selon le
nombre des tribus des fils d'Israël, et ils les firent passer avec eux jusqu'à
la halte où ils les déposèrent.
9 Josué fit dresser douze
pierres au milieu du Jourdain à l'endroit où les prêtres qui portaient l'arche
de l'alliance avaient mis les pieds, et elles y sont jusqu'à ce jour.
10 Les prêtres qui
portaient l'arche s'arrêtèrent au milieu du Jourdain jusqu'à ce que fût
totalement accomplie la parole que le SEIGNEUR avait prescrit à Josué de dire
au peuple, selon tout ce que Moïse avait prescrit à Josué, et le peuple se hâta
de passer.
11 Or, quand tout le
peuple eut achevé de passer, l'arche du SEIGNEUR passa, ainsi que les prêtres,
devant le peuple.
12 Passèrent en avant des
fils d'Israël les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé,
en ordre de bataille, selon ce que leur avait dit Moïse:
13 environ quarante mille
hommes d'infanterie légère passèrent devant le SEIGNEUR pour le combat, vers la
plaine de Jéricho.
14 En ce jour-là, le
SEIGNEUR grandit Josué aux yeux de tout Israël et on le craignit comme on avait
craint Moïse tous les jours de sa vie.
15 Alors le SEIGNEUR dit
à Josué:
16 «Commande aux prêtres
qui portent l'arche de la charte de remonter du Jourdain.»
17 Et Josué commanda aux
prêtres: «Remontez du Jourdain.»
18 Or, quand les prêtres
qui portaient l'arche de l'alliance du SEIGNEUR remontèrent du milieu du Jourdain
- dès que la plante des pieds des prêtres se fut détachée pour gagner la terre
sèche - , les eaux du Jourdain revinrent à leur place et coulèrent, comme
auparavant, tout au long de ses rives.
19 Le peuple remonta du
Jourdain le dix du premier mois et il campa à Guilgal, à l'extrémité est de
Jéricho.
20 Quant à ces douze
pierres qu'ils avaient prises du Jourdain, Josué les fit dresser à Guilgal.
21 Puis il dit aux fils
d'Israël: «Lorsque demain vos fils demanderont à leurs pères: ‹Que signifient
ces pierres?›,
22 vous le ferez savoir à
vos fils en disant: ‹Israël a passé ici le Jourdain à sec;
23 le SEIGNEUR, votre
Dieu, a asséché devant vous les eaux du Jourdain jusqu'à ce que vous ayez
passé, comme le SEIGNEUR, votre Dieu, l'avait fait pour la mer des Joncs qu'il
assécha devant nous jusqu'à ce que nous ayons passé,
24 afin que tous les
peuples de la terre sachent comme est forte la main du SEIGNEUR, afin que vous
craigniez le SEIGNEUR, votre Dieu, tous les jours.› »
Prédication :
A la fin du long voyage qui avait tant duré, et pendant lequel ils avaient
reçu la Loi, pendant lequel ils avaient été guidés par Moïse, les fils d’Israël
s’apprêtaient à entrer en terre promise. Il fallait traverser le Jourdain. Il
fallait traverser le Jourdain comme il avait fallu traverser la mer des Roseaux
(la mer rouge). Je vous propose ce matin quelques réflexions sur cette seconde
traversée, et sur la fin du voyage.
Ce récit n’est pas vraiment un récit de fin de voyage comme pourrait l’être
la fin de l’Odyssée. Ulysse, il est vrai, rentre chez lui, et quelqu’un l’y
attend. On pourrait se dire que la Terre Promise est le chez soi où les Hébreux
reviennent enfin.
Il n’en est rien. Personne n’attend les Hébreux. Et ce récit n’est pas un
récit de retour chez soi mais un récit de création. C’est un récit de création
parce que des eaux s’écartent, exactement tout comme se sont écartées les eaux
dans le premier chapitre de la Genèse.
Pour que le passage vers la vie soit possible, dans ces deux textes
bibliques, il faut que les eaux se séparent. Les eaux, dans ces textes, c’est
le chaos. Pour que la vie soit possible, pour qu’on vienne au monde, il faut que, à l’intérieur de l’espace du
chaos, une zone sèche soit dégagée. C’est ce que nous avons observé dans la
lecture du récit. Le Jourdain devient soudain mieux que guéable. Il devient la
terre sèche sur laquelle marcher. Et le passage demeure praticable tant que
l’Arche d’Alliance est là posée au milieu. Qu’est-ce que l’Arche
d’Alliance ? C’est le Texte, celui de la Loi.
Ainsi donc, ce récit est le récit de la mise au monde des Hébreux dans la
Terre Promise. C’est le récit d’une naissance. Or une naissance, pour celui
qui nait, c’est une entrée dans
l’inconnu. Ainsi, pour celui qui y entre, la Terre Promise est une terre
inconnue, une terre de nouveauté.
La Terre promise, en tant que lieu où naissent les Hébreux, est une terre
inconnue. Comment va-t-on vivre en terre inconnue ? On ne le sait pas
puisqu’elle est une terre inconnue et que personne ne nous y attend.
Mais ce qui est clair, c’est que l’organisation stricte et disciplinée qui
a permis aux Hébreux de survivre dans le désert est désormais périmée. On ne
vit pas en milieu hostile comme on vit en milieu accueillant. Il s’agit donc d’inventer
un nouveau mode de vie. Or, leur premier mode de vie était, par nécessité, guidé
par une lecture stricte du Texte sacré, un Texte donné même au fur et à mesure
des besoins du désert. Mais là, en Terre Promise, les besoins changent
radicalement, et le Texte est là, en entier. Que va-t-il se passer ?
Pour tenter de répondre, observons les mouvements respectifs de l’Arche
d’Alliance – c'est-à-dire du Texte – et du peuple.
Côté désert. L’Arche est avec le peuple. Elle passe devant le peuple et
entre dans le Jourdain. AU milieu du Jourdain, l’Arche s’arrête. Le passage est
ouvert. Nous l’avons dit, déjà, le Texte ouvre le passage à travers le chaos,
fraye un chemin possible, et maintient même ce chemin ouvert pendant le temps
nécessaire au passage.
Or lorsque le peuple traverse, lorsqu’il passe, le peuple passe devant
l’Arche. Non pas à côté de l’Arche mais au-devant d’elle. A Terre Promise
chemins nouveaux. Et des chemins nouveaux le Texte ne dit rien. Si l’on choisit
la Terre Promise, on choisit l’inconnu, inconnu existentiel, inconnu biblique…
Et si le peuple ne passait pas en avant du Texte ? Le peuple alors
n’irait nulle part. Le Texte biblique ne précède définitivement que ceux qui ne
vont nulle part. C'est-à-dire que le Texte biblique ne dispense pas de croire.
Car si l’on attend d’être certain qu’un chemin est juste pour daigner s’y
engager, on n’ira jamais nulle part et surtout pas en Terre Promise. Mais ceux
qui avancent avec foi découvriront en chemin ce que Dieu veut, certainement. Le
Texte ne sera jamais muet pour ceux qui avancent dans la foi. Mais, pour un
temps, ceux qui choisissent d’avancer doivent choisir la confiance et accepter
de ne pas savoir où ils vont.
Pendant que l’Arche, c'est-à-dire le Texte, tient ouvert le passage à
travers le chaos, le peuple passe devant. Il passe devant pour faire plus et
mieux que ce que la Loi propose, pour inventer son nouveau mode de vie, pour
inventer une nouvelle interprétation de la Loi.
Mais, une fois la traversée accomplie, une fois que tout le peuple est
devant, le Texte, la Loi, le rejoint, et le chaos se referme. L’ancien monde,
le monde du désert, est à jamais derrière. L’interprétation de la Loi qui
prévalait au désert est à jamais caduque.
Que va-t-il se passer ? Le peuple arrivé en Terre Promise va-t-il
oublier la Loi ? Va-t-il oublier la foi ? L’opulence qui lui est
donnée est-elle nocive pour la
foi ? Si le désert vient avant la Terre Promise, le fait qu’on arrive en
Terre Promise ne doit pas faire du peuple un peuple oublieux. J’attends tout de
Dieu lorsque je suis privé de tout. J’attends tout de Dieu lorsque tout me
sourit. Mais bien souvent, qu’ai-je à faire de Dieu lorsque tout me
sourit ? Lorsque tout me sourit, si je n’ai plus rien à faire de Dieu,
c’est que, de nouveau, je suis captif.
C’est pour cette raison que le Texte doit rejoindre le Peuple une fois
arrivé en terre Promise. Non pas pour que le peuple s’y conforme, car la vie ne
se conforme jamais à aucun texte, mais pour que le peuple puisse s’évaluer et se
comprendre face au Texte.
Notre fidélité de maintenant au Texte, à l’Alliance, et au Dieu qui nous
les a donnés, doit être inventée et évaluée maintenant, et à chaque instant.
Les Hébreux sont-ils réellement arrivés à bon port et chez eux, tout comme
Ulysse qui était un jour parti de chez lui finit un jour par rentrer chez
lui ? Etre Hébreu, cela signifie « être de passage ». Et
lorsqu’on regarde un peu finement comment est construit le récit que nous avons
lu, on finit par ne plus vraiment savoir si c’est l’Arche d’Alliance – le Texte
– qui précède le peuple ou si c’est le peuple qui précède le Texte, si le
peuple est devant, derrière, ou autour du Texte. Il y a ainsi des bouclages et
des rebouclages du récit qui nous font penser que le peuple ne cesse de
précéder le Texte et que le Texte ne cesse de précéder le peuple.
Ainsi l’entrée en Terre Promise est un processus sans fin, comme
l’apprentissage de la vie est un processus sans fin. Et il faut dire que si
nous cessons de dépasser la Loi, c’est que nous avons cessé de croire, ou que
nous avons cessé de vivre. Et qui si nous cessons de nous laisser rejoindre par
la Loi, par le Texte, c’est que nous avons cessé de nous souvenir de la
miséricorde de Dieu. La Terre Promise n’est atteinte qu’un seul instant ;
elle est incessamment devant nous. La Terre promise est la terre de la
promesse, et ça n’est que dans vie, une vie ouverte, créative, inventive,
accueillante… et par la foi qu’on chemine vers la Terre Promise, jusqu’au bout
de la vie.