samedi 27 avril 2024

Manière de parler (Jean 15,1-8)


Jean 15

1 «Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.

 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.

 3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.

 4 Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.

 5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.

 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.

 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.

 8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

Prédication

            Figures de style. Les lecteurs de la Bible doivent le constater, la Bible utilise de nombreuses figures de style. Ce n’est pas forcément en raison des lubies des auteurs cherchant à faire des effets – parfois peut-être. Il doit y avoir quelque chose comme une nécessité. Cela doit être lié à l’objet dont la Bible entend parler. Et cet objet, c’est Dieu.

            Dieu, c’est cet objet dont veut parler la Bible. Elle le veut, mais ne le peut pas, du moins très très imparfaitement. Cela tient à trois choses, un peu génériques. Les possibilités mêmes du langage, les compétences des auteurs, et l’objet dont il est question – dont nous parlons – Dieu.

 

            De Jésus de Nazareth nous devons dire exactement la même chose. Nous devons parler de lui mais nous ne pouvons pas parler, c’est aux limites des possibilités du langage, aux limites des compétences de ceux qui parlent, le tout étant complexifié parce qu’il s’agit de Dieu, non pas Dieu qui sait tout et qui peut tout, poison des paroles sur Dieu, mais Dieu tout court, Dieu je ne sais pas. Et notre situation est bien précaire – certains dirons qu’elle est désespérée, je ne crois pas qu’elle le soit. Deux pistes, il y a deux pistes au moins.

 

            Première piste pour parler de Dieu, nous la nommons piste liturgique. C’est une piste qui est bien balisée. Certains de ses instruments sont plus que 3 fois millénaires. Ça n’est pas pour donner le privilège – et la soumission – à ce qui est ancien. C’est pour reconnaitre que le peuple de Dieu est collectivement sage, et que c’est donc avec raison qu’il conserve certains textes et en élimine d’autres. Alors bien sûr il arrive parfois que certains clercs œuvrent à l’imbécilité des fidèles, mais il arrive aussi que les fidèles se rebiffent. Première piste donc, individuelle, collective, et très ancienne, La piste liturgique, ce que nous faisons chaque dimanche, par exemple.

 

            Deuxième piste, nous la nommons piste biblique. Nous l’appelons ainsi maintenant, et c’est insatisfaisant, parce ça n’est pas la Bible qui est en jeu mais le commentaire. Le commentaire tel que nous le pratiquons dans l’atelier du samedi, ou dans l’étude biblique. Les points de départ peuvent être bibliques, ils peuvent choisis aussi partout dans les œuvres de culture… et ce doit être en raison de notre culture protestante que nous appelons biblique cette piste.

 

            Tentative d’application Jésus dit : Je suis la vraie vigne. Et ça n’est pas simple d’emblée. Pour dire Je suis la vraie vigne, il faut d’abord qu’il soit une vigne quelconque. Et ensuite cette vigne quelconque s’avèrera être tout à fait particulière, de sorte qu’on la qualifiera de vraie vigne. Reste encore à préciser ce qu’est ce critère de vérité (et nous pouvons penser ici, avec un sourire, à Obélix et compagnie, 1976, histoire imaginée d’un commerce de menhirs, où se rencontrent des menhirs fins, des menhirs frais, des menhirs authentiques, le menhir vrai… toutes sortes de menhirs destinés à la fin à n’être que des additifs de vente et à la fin de la fin, c’est la benne). Laissons le menhir vrai, et revenons à la vraie vigne. Jésus est la vraie vigne.

 

            Dans l’évangile de Jean, Jésus n’est pas seulement la vraie vigne. Il est aussi la vigne. Il est aussi le bon berger (il est donc exemplaire unique d’une certaine sorte de berger). Il est aussi la porte des brebis (la porte, il n’y a pas deux portes).

            Jésus est tout cela, et plus encore, il est la lumière du monde (pas d’autre que lui), et il est, un peu plus loin le chemin la vérité la vie (encore faut-il être prudent en le disant, car il le dit de lui-même, je suis… et il n’est pas certain que cela nous autorise à le dire en il est…

            Voilà une petite liste des allégories disponibles. Nous disons ici allégorie, et non pas parabole ; dans l’allégorie, une chose en remplace une autre, les mots se substituent l’un à l’autre, les uns aux autres comme dans une espèce de cortège bien ordonné. Bien ordonné, ou moins bien. Il y a une forme de complexité qui est liée, dans l’évangile de Jean, à l’accumulation. Toutes les allégories veulent fonctionner ensemble – peut-être cela est-il propre à cet évangile. Peut-être en va-t-il de la parole, de l’objet de cette parole elle-même, de sa possibilité, et de sa vérité.

 

            Poursuivons, sur le thème de la vérité. « 1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore. » Alors, cela commence plutôt bien, c’est la vigne – Jésus est cette vigne – et son Père est le vigneron. Ni gel, ni mildiou, ni phylloxera. Petite entreprise de production de grappes, la vigne produit ou ne produit pas. Certains sarments produisent, et d’autre pas. On coupe, on jette. Quant aux sarments qui produisent, on les émonde pour qu’ils produisent plus encore. Méthode aussi ancienne que la vigne elle-même, et nos anciens aimaient le bon vin. Émonder c’est aussi couper et jeter. Et tout ça, c’est le Père qui le commet.

            Mais voici, en plus, que l’allégorie vient réclamer ses droits. Vous êtes les sarments. Et ceux d’entre vous qui ne portent pas de fruits vont être coupés et jetés. Quels fruits ? Toute ma vie je me souviendrai d’un pasteur qui demandait à ses catéchumènes les résultats chiffrés de leur évangélisation. D’autres fruits ? Ceux de nos entrailles, trop peu ? Et les effectifs, et les finances des paroisses, des fruits aussi ? Couper ? Ou encore, émonder ? Imaginez que, Bible en main, ouverte à Jean 15 nous allions expliquer à telle famille cruellement éprouvée que c’est Dieu qui émonde et qu’il leur suscitera bientôt de plus beaux et de plus nombreux enfants. Et c’est ainsi que l’allégorie, qui est une sorte de piège, tombe sur les gens avec une cruauté certaine. Nous l’avons dit, c’est insoutenable.

 

            Mais qui a dit que cela devrait être soutenu ? Soutenir ceux qui tâchent de tenir droit – ou pas trop fléchir – dans la tempête, c’est une tâche fraternelle. Tâcher d’être débarrassés des discours de ceux qui voient la bonne main de Dieu dans les horreurs tellement distribuées sur le monde, c’est une tâche fraternelle.

            Peut-être, de là viendra que les humains porteront du fruit et, comme on l’a lu, du fruit en abondance, et peut-être de là, Dieu sera glorifié.

            Amen

 

            Amen

prochain billet, le 12 mai

samedi 20 avril 2024

Ni commencement ni fin (Jean 10,11-18, etc.)

Jean 10 :

11 «Je suis le bon berger: le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.

 12 Le mercenaire, qui n'est pas vraiment un berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite; et le loup s'en empare et les disperse.

 13 C'est qu'il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.

 14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,

 15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.

 16 J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.

 17 Le Père m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite.

 18 Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis de moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père.»

 

Actes 4 :

8 Rempli d'Esprit Saint, Pierre leur dit alors:

 9 «Chefs du peuple et anciens, on nous somme aujourd'hui, pour avoir fait du bien à un infirme, de dire par quel moyen cet homme se trouve sauvé.

 10 Sachez-le donc, vous tous et tout le peuple d'Israël, c'est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu, c'est grâce à lui que cet homme se trouve là, devant vous, guéri.

 11 C'est lui, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut: elle est devenue la pierre angulaire.

 12 Il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui; car aucun autre nom sous le ciel n'est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut.»

 

1 Jean 3

1 Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu; et nous le sommes! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: il n'a pas découvert Dieu.

 2 Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est.

Prédication : 

            3 semaines après Pâques, je voudrais partager avec vous quelques questions, et quelques affirmations.

            Et voici la première de ces questions, 3 semaine après Pâques, Jésus est-il encore vivant ?

            Pourquoi cette première question ? Il y eut un petit gars qui s’appelait Gédéon, que Dieu bénit en l’envoyant chasser les ennemis du peuple de Dieu. Gédéon donc, avec une poignée d’hommes accomplit cette tâche puis rentra chez lui. Chez lui, il se fit faire un éphod, probablement une plaque de métal ciselée et gravée qui était exposée dans la ville de Gédéon, élément commémoratif des victoires engrangées. Mais qu’est-ce qui était vraiment commémoré ? La puissance de Dieu, ou la puissance de Gédéon ? Rien n’empêchait a priori que cet éphod soit édifié… mais quel usage en fut-il finalement fait ? On vint se prosterner. Gédéon était encore vivant que la réception de son ouvrage au service de Dieu fut déjà gâtée par ses contemporains. Et nous nous demandons si cela était fatal.

            Une deuxième question, avec un personnage qui nous est plus familier, Moïse. Quelques semaines à peine après la sortie d’Égypte, Moïse est-il encore vivant ? En tant que telle, c’est une question qui manque un peu d’audace. Alors comme nous avons été précédés par au moins un théologien audacieux (Gabriel Vahanian 1927-2012), nous mettons nos pas dans ses pas et nous nous interrogeons : Quelques semaines après la sortie d’Égypte, Dieu est-il encore vivant ? L’histoire, nous la connaissons, c’est un peuple qui trouve que son Dieu et son prophète ne sont pas à la hauteur des exigences du moment et qui les remplace par des trucs desquels ils exigent puissance et magnificence. Ni Dieu, ni Moïse n’ont plus voix au chapitre, c’est cela qu’on peut appeler mourir. Donc, quelques semaines après la sortie d’Égypte, Dieu est mort, et Moïse aussi. Un certains livre fut publié en 1961 dont le titre était The death of God. N’imaginez surtout pas le travail – ou l’absence de travail – d’un adolescent prétentieux. C’était le travail très sérieux d’un théologien français travaillant aux U.S.A et qui a travaillé sur l’idée que, si l’on voulait que évangile, foi chrétienne et autres signifie quelque chose plutôt que rien, il faudrait sérieusement raboter toutes sortes d’affirmations et toutes sortes de positions. Pour le dire comme aiment à le dire certains théologiens, pour que Dieu vive, il faut que Dieu meure.

            Il y eut de grosses grandes vagues autour de la sortie de ce livre. Et nous pouvons être étonnés de la violence des propos… comme si les plus critiques étaient les plus concernés. Dieu ne peut pas mourir. Évidemment.

           

            Mais comment cela va-t-il se produire ? Mourir ne pas mourir ? C’est un témoin de la prédication chrétienne qui est là, avec sa Bible, sa liturgie, sa Sainte Cène… et toutes ses activités de recueillement qui n’ont rien d’obsédant parce qu’elles n’ont rien d’une accusation. Et donc – travaillant sur ce thème – la question pourra être posée : combien de temps… combien de temps la bonne nouvelle peut-elle, ou va-t-elle rester une bonne nouvelle ?

            Ou encore, puisque nous l’avons lu, Combien de temps le Bon Berger va-t-il survivre en tant que bon berger avant que les méchants ne s’emparent de lui et ne mettent fin à son activité ?

            Et puis, puisque nous avons lu du Pierre, pendant combien de temps la libre parole de Pierre pourra-t-elle circuler avant que prise par la rapacité des gens, elle ne se fige et devienne brutalité.

 

            Autrement dit, et parce que la parole de Pierre est si puissamment liée à l’Esprit de Dieu, combien de temps faut-il pour que l’homme éteigne l’Esprit ?

 

            A ce moment de notre méditation, il nous faut tout jeter car l’homme a le pouvoir de tout éteindre. Ou il nous faut tout garder car nous somme en quelque manière gardiens de l’espérance.

            « Dans la mesure où nous laissons Jésus Christ venir et s’asseoir à notre table, à ce moment-là nous redécouvrons l’unité. Non pas, certes, celle que nous nous serions fabriquée par un regard maîtrisé sur notre vie et par lequel nous essaierions de lui donner une cohérence. Au contraire nous redécouvrirons comment, à travers les propres brisures et les échecs, à travers les propres brisures et les échecs, à travers sa parole et la fraction du pain que le Christ vient nous apporter, s’instaure en réalité une réalité intérieure et profonde dont nous ne comprenons le secret que lorsque, comme lui, nous disparaîtrons de ce monde pour entrer dans le cœur de l’invisible. »

            Voyez-vous, disparaître de ce monde pour entrer dans le cœur de l’invisible, ça se dit mourir. Le texte est beau, mais il y a un problème, de taille. Si ça n’est qu’à l’article de la mort, et juste après, que nous jouirons des bienfaits de Dieu, cela signifie que jusqu’avant, et donc tout de notre vivant, nous serons au régime sec, que notre foi aura des airs de désert, et rien à dire à personne.

 

            Et imaginez alors ce qui resterait de nos questions : combien de tems…? Elles n’auraient ni commencement ni fin. Et que nous resterait-il  pour croire, et pour la fraternité ?

            Disons-le : Dieu n’a ni commencement ni fin. Puis asseyons-nous, mangeons et discutons.

 

              


samedi 13 avril 2024

Du merveilleux et de l'Evangile (Luc 24,36-48)

Luc 24

36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»

 37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit.

 38 Et il leur dit: «Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs?

 39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.»

 40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds.

 41 Comme, sous l'effet de la joie, ils restaient encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi manger?»

 42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.

 43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.

 44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»

 45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures,

 46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,

 47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.

 48 C'est vous qui en êtes les témoins.

Prédication 

             Deux semaines après Pâques, nous voici de nouveau aux prises avec un récit d’apparition du ressuscité, avec composante alimentaire.

Le dimanche de Pâques de cette année, nous étions invités à méditer sur le récit que donne l’évangile de Marc dans sa version primitive. Marc, le plus ancien des évangiles, dans sa version primitive, ne comporte pas d’apparition du ressuscité, mais juste une proclamation de l’ange et un envoi en Galilée.

Plus tard, cet évangile fut retravaillé, et de nouveaux rédacteurs ont rajouté à la version primitive une apparition du ressuscité. Ce qui fait que, dans les quatre évangiles, le ressuscité apparaît.

Nous allons nous demander pourquoi ceux qui ont écrit ces évangiles ont tous éprouvé le besoin d’y introduire des apparitions du ressuscité. Nous nous intéresserons plus précisément à Luc.

      

Pourquoi donc les évangiles rapportent-ils des récits d’apparition du ressuscité ? La réponse la plus simple est que ces  apparitions ont bel et bien eu lieu et qu’elles prouvent bien la résurrection de Jésus de Nazareth. Cette réponse, qui a le mérite de la simplicité, n’est pas satisfaisante.

La résurrection de Jésus de Nazareth n’est pas un moment objectif de l’histoire de l’humanité mais le cœur de la prédication chrétienne. Ramener la résurrection de Jésus de Nazareth à n’être qu’un moment de l’histoire, cela revient à affadir terriblement le langage de la foi, et peut-être même à vider le langage de la foi de tout contenu possible. Car si l’on choisit de procéder ainsi, il faut procéder de même avec tous les autres éléments du récit, voire de la Bible. Dans le récit que nous lisons, celui de Luc, ces éléments sont au nombre de deux : Jésus soudain se tient là… et personne ne l’a vu arriver, comme un passe-muraille ; et plus fort encore, quelques verset plus loin, il est emporté au ciel.

 

Ce que je veux dire, c’est que si Luc, mais pas lui seulement, veut attester la véracité historique de la résurrection de Jésus de Nazareth, il s’y prend vraiment très mal. Ça n’est pas en multipliant les éléments fantastiques d’un récit qu’on le rend crédible. Sauf si l’on est un auteur dont l’intention est d’abêtir ses lecteurs... Et comme nous ne voulons pas faire outrage à l’inspiration de Luc, et des trois autres, nous laissons de côté l’interrogation la plus simple.

            Reste donc la question : pourquoi y a-t-il, dans les évangiles, des apparitions du ressuscité (et autres choses ?) Et j’ose une hypothèse : si Luc, et pas Luc seulement, introduit dans son évangile une – ou plusieurs – apparition du ressuscité, c’est pour faire face en son temps à une inflation galopante de récits d’apparitions du ressuscité. Il y en a eu des centaines, tous plus fantastiques, plus merveilleux, plus détaillés les uns que les autres, la croix elle-même sort du tombeau avec des gardes, plus autres sujets décapités. Et pour dire quoi ? Et pour porter quel message ? Devant des foules médusées… du spectacle, beaucoup de spectacle, mais rien qui nourrisse la méditation et la foi.

Les évangiles, s’agissant du fantastique, font le service minimum, pas de service. Ils en font un petit peu plus avec le merveilleux, quelques détails corporels, et mettent surtout en avant ce qui est tenu pour le cœur de l’enseignement permanent de Jésus. Ils procèdent ainsi, justement pour que les récits d’apparition, avec ce qu’ils ont de magique, voire d’aliénant, passent à l’arrière plan et que la parole de l’évangile soit placée, elle, au tout premier plan.

 

            Quel est cette parole, selon Luc ? Lisons – il suffit de lire – ceci : « …la conversion en vue du pardon des péchés, sera annoncée (au nom du Christ), à toutes les nations, à commencer par Jérusalem » Il n’y a rien de magique là-dedans. Cela sera annoncé. Par qui cela sera-t-il annoncé ? Par les disciples de Jésus, évidemment ! Personne d’autre à ce stade de la propagation du récit ne peut en être témoin ; personne, quoi que nous ne savons pas qui ont été les tout premiers témoins. Mais certainement pas témoin d’une apparition fantastique. Après la première génération, il n’y a plus de témoins directs, rien que des racontars, rien que des fragments. Aussi les disciples ne peuvent-ils pas être témoins de la résurrection pour l’avoir  vue de chez vue par une vie toute entière qui atteste d’une conversion en vue du pardon des péchés. Qu’est-ce à dire ? C’est assez simple encore.

 

On relit l’évangile. On y voit des disciples, de braves disciples, de braves gens, mais qui ne comprennent rien à l’enseignement de leur maître, qui cherchent à s’en tenir à la littéralité d’un texte et d’une paroles sacrés, qui espèrent s’imposer par la force, qui vont de fuite en fuite… et qui, lorsque le chemin devient par trop accidenté, s’endorment, renient et se débandent. Dans l’évangile on voit aussi un maître, Jésus de Nazareth, qui tâche d’enseigner, qui fait tout ce qu’il peut, guérit, nourrit, qu’on suit, voire qu’on idolâtre tant que ça n’est pas trop dangereux et qui finit tout seul abandonné, trahi, et mort.

Ce qu’on voit dans l’évangile : la grande bonté, la grande pureté souillées par la bêtise de pécheurs ordinaires.

Mais, dans l’évangile, et c’est pour Luc le cœur de sa Bonne Nouvelle, la grande bonté et la grande pureté ne peuvent pas être renvoyées au néant, même lorsque celui qui les a incarnées est mort de la manière la plus infâmante qui soit. En plus, ceux qui ont péché, souillé, trahi, ne peuvent pas être réduits à leur passé et ne sont pas condamnés par leurs actes ; le pardon de leurs péchés, c'est-à-dire leur libération, est l’horizon de leur possible conversion. Ce qui est, pour Luc, le cœur de la Bonne Nouvelle, et c’est premier par rapport à toutes les apparitions possibles du ressuscité.

 

C’est premier parce que c’est toujours actuel. Le lecteur de l’évangile, l’auditeur de la prédication chrétienne est invité à avoir une intelligence ouverte, disposée à comprendre les Écritures, disposé à dépasser la chose écrite pour entrer dans une lecture concrète, une interprétation incarnée de ce qu’elles expriment. Et ici, au moment où Luc conclut son récit, au moment où il résume tout en une ou deux phrases, il déclare pour toutes les générations qui viendront, il déclare pour nous que :

-       le pire de ce qu’un être humain a accompli ne le condamne pas à jamais, car se repentir est possible, changer est possible, grandir est possible ; le pécheur n’est pas voué au péché, et ce qui l’enchaîne aujourd’hui peut très bien demain le laisser libre ;

-       le meilleur de ce qu’un être humain accomplit, le plus beau, le plus généreux, le plus pur, ne peut jamais être totalement vain, même si celui qui l’accomplit n’en recueille aucun fruit ; autrement dit, il faut prêcher l’évangile en paroles et en actes, annoncer concrètement la résurrection ; et cela même si l’on n’en recueille aucun fruit, même si l’on ne recueille que quolibets ou indifférence ;

-        et ainsi, l’apparition du Christ ressuscité est le nom que l’on peut donner à cet événement, à ce parcours d’une vie lorsque cette vie a été renouvelée, et transformée ; rien de magique là-dedans, rien de fantastique et pourtant quelque chose d’infiniment beau, et d’infiniment simple.

Il en sera ainsi de nos vies. Amen


samedi 6 avril 2024

A ceux qui exigent tant (Jean 20,19-31)

Jean 20,19-31

19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»

 20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.

 21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie.»

 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint;

 23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»

 24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.

 25 Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!» Mais il leur répondit: «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas!»

 26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: «La paix soit avec vous.»

 27 Ensuite il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi.»

 28 Thomas lui répondit: «Mon Seigneur et mon Dieu.»

 29 Jésus lui dit: «Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru.»

 30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.

 31 Ceux-ci l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.


Méditation : 

            Je voudrais commencer cette méditation par une question apparemment toute simple : que se passe-t-il lorsque nous mangeons quelque chose ?

            Lorsque nous mangeons, ce que nous mangeons est tout à fait à notre disposition, puisque nous le mangeons. Lorsque nous mangeons, nous sommes tout-puissants vis à vis de notre nourriture : elle existait, elle n’existe plus, elle n’existera plus qu’en nous et par nous.

             Lorsque nous mangeons, nous faisons l’expérience de la toute puissance…

            Et lorsque nous regardons un paysage ? En quoi un paysage est-il affecté par le fait que nous le regardions ? Et nous répondons, en rien : le plus puissant de nos sens, celui qui porte le plus loin, celui par lequel nous gérons le plus d’information… est celui par lequel nous faisons l’expérience d’une moindre puissance, voire de l’impuissance…

 

            Après ces premières indications, Thomas, Moïse, et la foi…

 

            Thomas est passé à la postérité… Son Je ne crois que si je vois est devenu Je ne crois que ce que je vois… C’est ce qui se dit. Mais Thomas voit comme il mange : c’est à dire qu’il exige de prendre et de saisir l’objet de sa foi, il veut incorporer l’objet de sa foi… Il dit à ses proches, et à ses lecteurs, que croire au ressuscité exige de le manger, et encore que croire en Dieu exige de manger Dieu.

            Nous pouvons tout à fait souscrire à ceci… mais pas totalement. Thomas est un homme seul, mais en face de lui il y a une communauté, il y a un groupe : la foi personnelle se conjugue avec la foi d’une communauté. Peut-être même que la foi personnelle n’est rien sans la foi d’une communauté…

           

            Repérons que la communauté des disciples, celle qui fait face à Thomas, fait  l’expérience de son impuissance : elle est enfermée à triple tour, en raison de la peur qu’elle a… Et bien qu’enfermée à triple tour, elle ne peut pas empêcher quelqu’un d’entrer : une affaire d’apparition, toute visuelle, toute dans le regard…

            Repérons aussi – et ça n’est pas rien – que le seul qui n’était pas là, serré contre les autres… est le seul qui ne profite pas d’emblée de cette apparition. Pourquoi n’était-il pas là ? Est-ce parce qu’il n’avait pas peur, ou bien est-ce parce qu’il avait si peur qu’il s’était terré le plus loin possible ? Est-ce parce qu’il croyait qu’il n’était pas là ? Ou bien est-ce parce qu’il ne croyait pas ?

            En tout cas, lorsqu’il arrive, il trouve un groupe de camarades qui lui disent : Nous avons VU le Seigneur…

            Bien entendu, ils l’ont vu – et ils l’ont entendu – et il a soufflé sur eux : même s’ils sont impuissant – parce que c’est VOIR – et ils ont incorporé collectivement –  – quelque chose qui les a – déjà un peu – transformés.

            Ceci dit, la réaction de Thomas prouve que quelque chose ne passe pas entre Thomas et les autres : la confession des disciples est-elle un peu arrogante ? (nous avons vu le Seigneur, nananère…) Thomas est-il désespéré, ou envieux ? En tout cas, son exigence de VOIR est une exigence de puissance. Thomas : « Je veux une apparition à MOI, MOI je veux toucher, et entrer comme si c’était chez moi … MOI je veux que l’objet de ma foi soit affecté par ma foi : je veux incorporer, je veux MANGER…

            Au comble de l’impuissance, Thomas demande la toute puissance.

 

            Et Moïse ? Comme Thomas, Moïse se fait un coup de blues… Au 33ième chapitre de l’Exode, on est déjà bien loin de l’Egypte… Et Moïse n’est plus certain d’être celui qui guide, il n’est plus certain que c’est le peuple élu… il n’est plus certain de rien : il prie comme prient les plus grand, il se lamente comme se lamentent les plus grands.

            Dans le dialogue avec Dieu, le véritable besoin de Moïse, l’un des plus profonds – si ce n’est le plus profond – des besoins humain – se révèle dans toute son acuité : MANGER… incorporer, faire sien ce à quoi l’on croit, savoir, posséder le Dieu qui nous crée, créer le Dieu qui vous crée : être tout puissant…

            Fais-moi voir ta gloire, et conserver, et posséder quelque chose de cette vision.

 

            Thomas, Moïse, et nous… dans une même demande parce que parfois dans une même lassitude, parce que la vie est parfois trop dure et que nos contemporains sont parfois des bourricots…

            Ou pour le dire autrement, proprement, parce que nous traversons tous parfois ce que Saint Jean de la Croix appelle la nuit obscure de l’âme

            Dans cette même demande donc,

 

            NOUS pourrions évoque cette difficulté de croire de plusieurs manières.

            Ne suffit-il pas à Moïse de tutoyer Dieu, de lui parler face à face ? Ne lui suffit-il pas d’avoir vu la puissance de Dieu à l’œuvre en Egypte et hors d’Egypte ? Ne lui suffit-il pas d’avoir vu la mer s’ouvrir, et se refermer ?

            Ne suffit-il pas à Thomas d’avoir partagé la vie et l’enseignement du Seigneur, d’avoir été l’un de ses familiers ? Ne lui suffit-il pas, le témoignage de ses amis ?

            Et bien Moïse en demande encore plus, l’énorme demande, “ fais-moi voir ta gloire ”… et Thomas en demande encore plus, “ je veux voir et je veux toucher… ”

            La question que nous posons maintenant, les concernant – et peut-être nous concernant aussi – est : Ne leur suffit-il pas… et chacun finira la phrase pour lui-même.

            Et Répondons aussi bien vite qu’à certains moments de l’existence, rien ne suffit… et que ça n’est pas forcément caprice.

 

            Ceci étant, il y a des caprices, et il y a des véritables demandes… osons même dire que sous tout caprice il y a une demande véritable… et la bonté de Dieu, la générosité du Christ vont faire sous nos yeux la part entre elles :

            NON, dit Dieu à Moïse…

            CHICHE, dit Jésus à Thomas…

            L’un comme l’autre recevra ce qu’il recevra, de la part de son Seigneur. L’un comme l’autre recevra le NON et le OUI… L’un comme l’autre consentira à son impuissance : le Seigneur ne se mange pas, car nous ne le possédons pas… Mais à l’un comme à l’autre il est signifié en substance par le Seigneur que le Seigneur se lie à nous.

 

            Tu pourras me voir de dos, dit le Seigneur à Moïse, étant bien entendu que c’est bien Moïse qui aura à dire ce qu’il aura vu : ceux à qui il le dira croiront, ou ne croiront pas, sur la foi d’un témoignage oral, gestuel, social…

            Alors heureux ceux qui, sans avoir vu, auront cru, dit le Seigneur à Thomas, manière de dire que c’est bien aussi par ce qui n’aura pas été signifié par le Seigneur qu’on recevra de croire en lui.

            Et nous revenons à la confession de la communauté : les autres disent Nous avons vu le Seigneur !

            Est-ce qu’ils doivent convaincre ? Ils ne le peuvent à l’évidence pas… S’ils le pouvaient, croire serait une obligation.

 

            Or la foi n’est pas quelque chose qu’on doit… pas plus que le Seigneur ne nous doit d'apparaître.

            Et pourtant, nous en avons la certitude – et c’est aussi notre engagement – il se trouve sur nos routes des occasions – qualifions-les de merveilleuses – des rencontres, des expériences, qui nous donnent de croitre, et de…croire…

            CHICHE, dit Jésus à Thomas…

            NON, dit Dieu à Moïse…

            Et c’est la même croissance.

 

            L’un et l’autre reprennent et poursuivent leur chemin… en quelque manière rassasiés.