dimanche 29 mars 2015

Le Seigneur sauve (1 Samuel 17,38-50) ... il sauve de quoi ?

1Samuel 17
38 Saül revêtit David de ses propres habits, lui mit sur la tête un casque de bronze et le revêtit d'une cuirasse.
 39 David ceignit aussi l'épée de Saül par-dessus ses habits et essaya en vain de marcher, car il n'était pas entraîné. David dit à Saül: «Je ne pourrai pas marcher avec tout cela, car je ne suis pas entraîné.» Et David s'en débarrassa.
 40 Il prit en main son bâton, se choisit dans le torrent cinq pierres bien lisses, les mit dans son sac de berger, dans la sacoche, et, la fronde à la main, s'avança contre le Philistin.
 41 Le Philistin, précédé de son porte-bouclier, se mit en marche, s'approchant de plus en plus de David.
 42 Le Philistin regarda et, quand il aperçut David, il le méprisa: c'était un gamin au teint clair et à la jolie figure.
 43 Le Philistin dit à David: «Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons?» Et le Philistin maudit David par ses dieux.
 44 Le Philistin dit à David: «Viens ici, que je donne ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs.»
 45 David dit au Philistin: «Toi, tu viens à moi armé d'une épée, d'une lance et d'un javelot; moi, je viens à toi armé du nom du SEIGNEUR, le tout-puissant, le Dieu des lignes d'Israël, que tu as défié.
 46 Aujourd'hui même, le SEIGNEUR te remettra entre mes mains: je te frapperai et je te décapiterai. Aujourd'hui même, je donnerai les cadavres de l'armée philistine aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu'il y a un Dieu pour Israël.
 47 Et toute cette assemblée le saura: ce n'est ni par l'épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains.»
 48 Tandis que le Philistin s'ébranlait pour affronter David et s'approchait de plus en plus, David courut à toute vitesse pour se placer et affronter le Philistin.
 49 David mit prestement la main dans son sac, y prit une pierre, la lança avec la fronde et frappa le Philistin au front. La pierre s'enfonça dans son front, et il tomba la face contre terre.
 50 Ainsi David triompha du Philistin par la fronde et la pierre. Il frappa le Philistin et le tua. Il n'y avait pas d'épée dans la main de David.

Prédication
         Sans doute le récit du combat entre David et Goliath est-il l’un des récits bibliques les plus connus qui soit. Nous ne pouvons pas nous en souvenir sans une certaine tendresse. Il est d’autant plus facile de s’en souvenir qu’il est abondamment illustré ; chaque génération aura eu son David, revêtu d’abord d’une ridicule et colossale armure – celle du roi Saül – puis vêtu comme un petit pâtre, fronde en main, et faisant face à un géant de trois fois sa taille et de cinq fois son poids, un géant qu’il abat d’un seul jet de pierre. Et certains illustrateurs audacieux montrent enfin David brandissant à bout de bras la tête tranchée de son adversaire. Ces images sont d’une violence rare et elles sont depuis toujours dans nos mémoires…
Nous nous en souvenons avec une certaine tendresse : nous fûmes enfants, puis parents, puis grands-parents. Nous nous en souvenons avec un certain effroi depuis que l’actualité nous impose ce genre de scène…
David et Goliath c’est, dans notre éducation religieuse, dans notre éducation chrétienne, une scène de guerre, explicite, même si nous avons évité, pour notre lecture du jour, d’en passer par la décapitation du géant vaincu et par le massacre de l’armée Philistine en déroute. Oui, avec ce genre de récit, et il y en a bien d’autres, nous avons été éduqués à la foi en Dieu.
Nous ne sommes pas pour autant devenus des assassins ; nous ne sommes pas non plus devenus mous et passifs – et pourtant il est écrit que c’est le Seigneur qui donne la victoire ; nous ne sommes pas d’avantage devenus des candides qui prétendent que Dieu protège les faibles petits et gentils et punit les forts grands et méchants.
Car la foi en Dieu peut se vivre autrement que sous les auspices de la violence, de l’angélisme ou du mensonge. Elle peut se vivre autrement que dans la récitation de versets bibliques bien choisis pour nourrir et justifier de forts mauvais penchants. Utiliser un verset biblique pour obliger notre prochain, utiliser un verset biblique pour affirmer que Dieu nous doit ceci ou cela, c’est l’œuvre du diable. « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », répond Jésus.

Lorsque nous lisons le récit du combat entre David et Goliath, nous lisons d’abord un récit de bataille écrit par un écrivain antique. Deux armées se font face. Chacune envoie son champion… Les deux champions s’insultent, prennent à témoin leurs dieux, insultent les dieux du camp adverse, se promettent toutes sortes d’horreurs et de mutilations, puis, enfin, ils s’affrontent ; celui qui gagne apporte un avantage décisif à son camp. C’est ainsi que les auteurs antiques ont raconté bien des batailles.
Or, au cœur du récit de bataille que nous lisons, un mot vient nous signaler que ce que nous lisons n’est qu’apparemment un récit de bataille. Quel est ce mot ?

Relevons le mot assemblée. Il n’appartient pas au vocabulaire du champ de bataille. Sur un champ de bataille, ce sont deux armées qui se font face. Les Philistins sont bien une armée, mais s’agissant d’Israël, on parle d’une assemblée. Or, le mot assemblée désigne très précisément ceux qui se réunissent pour prier, pour méditer, pour étudier. Le mot assemblée nous désigne. Il ne s’agit donc pas, avec David et Goliath, de nourrir les sentiments guerriers des croyants, mais de donner à ces croyants l’occasion de s’interroger sur leur vie, leurs engagements, et leur foi.
Notre attention ayant été retenue par le mot assemblée (verset 47), relisons ce verset. « Et tout cette assemblée le saura : ce n’est ni par l’épée, ni par la lance, que le Seigneur donne la victoire, mais le Seigneur est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains. »
Relisons-le encore une fois : « Toute cette assemblée sait et saura : oui, ce n’est ni par l’épée ni par la lance que le Seigneur sauve, oui, la bataille est vers le Seigneur ; et il vous donnera entre nos mains. » Et nous méditons sur cette seconde traduction de ce verset.
A eux tous ceux qui sont ici, à tous ceux qui ont des batailles à mener, des épreuves à traverser, s’adresse cette promesse : le Seigneur sauve.
Dans ce récit, le Seigneur sauve d’abord de l’idée qu’on peut s’engager n’importe comment dans n’importe quelle aventure sans avoir la moindre compétence et que le Seigneur pourvoira. Le croyant, dans ce récit, n’est pas une tête brûlée, ni un prétentieux, ni l’innocent absolu.
Le Seigneur sauve ensuite de l’idée que c’est avec les armes des autres que ceux qui ont à mener bataille mèneront bataille. Nous avons vu David rejeter des armes de Saül, qui ne sont pas les siennes.
Le Seigneur sauve encore de l’idée qu’on est sans ressources. David est équipé ; il est équipé d’une fronde, arme de jet puissante, rudimentaire, et qui exige, parce qu’elle est rudimentaire, dépourvue d’un système de visée, une grande mobilité de celui qui la porte ; et l’on voit bien David se déplacer, se replacer, pour être à bonne distance de sa cible... Les croyants sont – vous êtes – équipés  de force, d’intelligence et de divers outils ; et, dans l’épreuve, ils vont – vous allez – vous en servir. Mais ce ne sont que des outils, des moyens.
Or ce n’est pas, ce n’est jamais par ces moyens-là que le Seigneur sauve ; avant même la bataille, avant même qu’on mette en jeu tout ce qu’on peut, tout ce qu’on a, le Seigneur sauve enfin de l’idée toujours prétentieuse que c’est uniquement par les mérites, les outils et par ses propres forces qu’on peut l’emporter.

Ainsi, c’est, comme nous lisons, « vers le Seigneur » que chaque bataille de la vie nous oriente. D’une véritable bataille de la vie nous ne connaissons jamais l’issue mais, dans la foi, nous affirmons que, quoi qu’il arrive, tournés vers le Seigneur et entre les mains du Seigneur, nous ne serons pas défaits. Chaque bataille, chaque épreuve nous tourne vers le Seigneur, nous rapproche du Seigneur.

Nous ne faisons évidemment pas l’apologie du malheur ou de la souffrance. Nous affirmons seulement que la foi en Dieu est conforme à la vérité de la vie. En affirmant que le Seigneur sauve, nous n’affirmons rien de magique, ni de naïf, ni de triomphaliste. Dire que le Seigneur sauve est une affirmation réaliste et modeste. Nous faisons ce qu’il est en notre pouvoir de faire, sans nous en vanter, et nous remettons toutes choses, et nos vies, entre les mains de Dieu. Amen

dimanche 22 mars 2015

Deux méditations (Ephésiens 2,1-9) sur des vies jamais perdues, et sur des orientations théologiques

Ephésiens 2
1  Vous, vous étiez morts à cause de vos errements et péchés  2 (chemins) où vous avez marché, selon la manière de ce monde, selon le principe de la puissance de l’air, l'esprit qui agite et déborde maintenant les fils de l’endurcissement (ceux qui ne veulent aucunement se laisser convaincre)...
3 Nous étions de ce nombre, nous tous aussi, qui retournions jadis aux convoitises de notre chair: nous faisions ses volontés, suivions ses impulsions, et nous étions naturellement voués à l’excès (enfants de nos propres passions), comme tous les autres.
4 Mais Dieu étant riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts du fait de nos errements, il nous a fait vivre ensemble avec Christ - c'est par grâce que vous avez été sauvés - ,
6 ensemble il nous a ressuscités et ensemble nous a fait asseoir dans les cieux, en Christ Jésus ;
7 afin qu’il démontrât dans tous les siècles à venir l'incomparable richesse de sa grâce dans sa bonté pour nous en Jésus Christ.
8 Car c'est par grâce que vous avez été sauvés, par le moyen de la foi; il n’y a rien là qui vienne de vous : don de Dieu ;
9 rien qui vienne des oeuvres, ainsi nul ne s’en vante.

Méditation :
            A quelle expérience concrète ce texte fait-il référence ? Par expérience concrète j’entends une expérience que chacune, chacun, pourrait faire, non pas seulement ceux à qui le langage particulier de la piété chrétienne est accessible, mais l’homme et la femme ordinaires, ceux qui n’ont pas été baignés là-dedans.
Car, il faut bien le dire, on peut bien se demander ce que sont : cette résurrection, ces cieux où Dieu nous a fait asseoir en Jésus Christ. Tout être humain peut bien se demander – et nous demander – à quoi tout cela fait-il référence et de quoi tout cela est-il le nom ?

A quelle expérience concrète donc tout cela fait-il référence ? Méditons, le plus simplement du monde : état initial, état final, passage, puis quelques remarques sur le langage religieux.

Etat initial
En m’appuyant sur la langue grecque du texte, je me demande ce que c’est qu’un énergumène (le mot grec figure dans le texte). C’est un être que son énergie propre domine et emporte ; c’est quelqu’un que sa propre vitalité ne cesse de déborder. Il agit donc sans penser, sans trier ses désirs, et en en cherchant l’immédiate satisfaction… Il est enfanté par ses propres passions, desquelles il est esclave.
Le texte s’ouvre sur le constat de la morbidité d’un tel état. La description laisse aisément penser qu’il est irréversible, autant que la mort, et que si c’est ainsi qu’on vit, c’est pour toujours.

Etat final
L’initial est donc appelé mort. Il est a priori, impossible, inutile, insensé de parler d’une évolution de cet état. Pourtant, Paul parle d’une résurrection, d’une vie après cette mort.
Essayons de décrire cette vie, au moins par opposition avec son contraire. Celui qui vit de cette vie n’est pas un être dépourvu d’énergie, puisqu’il vit. C’est un être qui n’est pas esclave de ses passions, dont la vitalité est maîtrisée, dont les actions sont pensées, dont les désirs sont triés, et dont les satisfactions peuvent être différées. Et on voit en lui un être joyeux mais apaisé, libre mais réfléchi, détaché mais attentif, et sage sans être ennuyeux, sage d’une sagesse ouverte.
A ces caractéristiques nous ajoutons la modestie car, vu ce que fut son état initial, il ne pourra jamais se vanter d’être passé de l’un à l’autre par quelque œuvre personnelle que ce soit.

Passage
Comment se fait-il qu’un passage entre les deux états soit possible ? Il l’est ! Et ne nous hâtons pas d’affirmer que « Dieu le rend possible ». Ce passage est avant tout possible parce qu’il est constaté dans des vies humaines. Il est constaté par exemple chaque fois qu’un adolescent devient un adulte, ou encore chaque fois qu’un être humain suspend ses caprices, entre en dialogue, choisit d’attendre...
Ce qu’on peut dire, c’est que la possibilité de ce passage ne peut pas appartenir d’emblée et consciemment à l’être humain qui est dans l’état initial que Paul décrit. Mais pourtant c’est bien cet être humain qui va passer, qui va apprendre, qui va grandir. C’est bien lui qui prendra conscience de la morbidité de son état initial, et qui découvrira surtout la nécessité puis la possibilité d’autrement vivre. Le passage de l’état initial à l’état final prend ensuite plus ou moins de temps, selon les personnes.
Si quelque chose mérite le nom d’expérience de la grâce, c’est bien cette double découverte. En parlant, pour ce passage, d’expérience de la grâce, nous n’introduisons pas subrepticement une notion religieuse. Nous voulons seulement dire qu’il y a quelque chose de profondément personnel, totalement inattendu, inaugural, qui est bien une possibilité du sujet, au plus profond de lui-même, si profondément qu’elle lui est presque comme étrangère, qu’il n’aurait jamais parié dessus, et pourtant... Aussi, lorsqu’il en fait en lui la découverte, il ne peut donc la reconnaître autrement que comme une grâce, comme un don.
En parlant pour ce passage, d’une possibilité propre au sujet lui-même, nous introduisons une possibilité dans ce qui semblait impossible, une espérance au cœur de la désespérance.

Altérité
L’introduction du nom de Dieu et de certains attributs de Dieu dans ce texte permet de parler de l’altérité. Cela parle d’un autrement vivre qui est toujours possible, d’un poids certain des errements passés mais qui n’écrase pas, d’une responsabilité des fautes anciennes mais qui ne condamne pas, d’une maîtrise de soi qui est toujours envisageable et toujours à conquérir.
On peut affirmer que cela trouve son origine dans l’amour de Dieu, poétiquement, métaphoriquement, pour rendre compte des infinies possibilités de restauration d’un être humain ; un être humain prend conscience du sérieux de la vie, et de sa fragilité, il prend acte de la profondeur de l’engagement envers lui de celui qui en vérité lui dit « Je vous aime », il comprend que celui qui ainsi s’engage se fait infiniment vulnérable ; plus encore : lorsque cet être humain prend acte de ce qu’une vie, la sienne, n’est pas épuisée, n’est pas vaine, et est encore promise, malgré tout, à un avenir plein d’espérance.
L’introduction du nom de Jésus Christ signifie à quel point l’expérience dont nous parlons prend l’allure d’une rencontre, rencontre de soi-même, on l’a suggéré déjà, rencontre d’un homme à la fois familier et tout à fait étranger, rencontre d’un homme dont on dit, dans nos traditions, qu’il a vécu en Fils de Dieu, qu’il a assumé le nom de Dieu dans la totalité de sa signification, et vécu d’une manière totale l’engagement en faveur de ses semblables, en quoi, selon nos traditions, on peut le reconnaître comme Christ.
Le lieu de cette rencontre porte le nom de celui qu’on rencontre : c’est en Jésus Christ qu’on se tient.

Situation finale
L’expérience dont nous parlons peut sans conteste être comprise comme une résurrection par celui qui la vit ; elle peut apparaître comme une résurrection par ceux qui en sont témoins. Le nom de Jésus Christ peut être une fois encore, dans nos traditions, associé correctement – mais non magiquement – à cet événement.
Quant à la situation finale, celui qui est sauvé est déclaré « assis dans les cieux ». Si, comme nous le lisons, il arrive qu’on marche « selon le principe des puissances de l’air », et que cela vous laisse abandonné à vos propres passions et donc jamais en paix, nous pouvons dire de celui qui est sauvé qu’il vit intensément mais sereinement, assis, c'est-à-dire posé, dans les cieux, en Christ, paisiblement, sur terre, vivant ici et maintenant.

Nul orgueil en tout cela. Juste une grâce de chaque jour, un don qu’on n’a jamais fini de recevoir et un travail sur soi qui jamais n’est totalement achevé.
Quel que soit l’état d’avancement de ce travail, et parfois certains rechutent, la grâce donnée reste toujours donnée et elle conserve toujours l’allure d’une promesse.

Puisse celui à qui elle a été donné en faire ce qui doit en être fait. Et que gloire soit ainsi rendue à Dieu.

Ephésiens 2
1 Autrefois, vous étiez spirituellement morts à cause de vos fautes, à cause de vos péchés.
2 Vous vous conformiez alors à la manière de vivre de ce monde; vous obéissiez au chef des puissances spirituelles de l'espace, cet esprit qui agit maintenant en ceux qui s'opposent à Dieu.
3 Nous tous, nous étions aussi comme eux, nous vivions selon les désirs de notre propre nature, nous faisions ce que voulaient notre corps et notre esprit. Ainsi, à cause de notre nature, nous étions destinés à subir le jugement de Dieu comme les autres.
4 Mais la compassion de Dieu est immense, son amour pour nous est tel que,
5 lorsque nous étions spirituellement morts à cause de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ. C'est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés.
6 Dans notre union avec Jésus-Christ, Dieu nous a ramenés de la mort avec lui pour nous faire régner avec lui dans le monde céleste.
7 Par la bonté qu'il nous a manifestée en Jésus-Christ, il a voulu démontrer pour tous les siècles à venir la richesse extraordinaire de sa grâce.
8 Car c'est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés, au moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu;
9 il n'est pas le résultat de vos efforts, et ainsi personne ne peut se vanter.

Méditation :
            C’est le même texte ; c’est une autre traduction. Cette autre traduction, tout comme d’ailleurs celle qui fut lue hier, est ce qu’on appelle une traduction dynamique, une traduction qui ne soucie pas trop d’une fidélité au mot à mot du texte original – d’ailleurs ici assez obscur par moments – mais qui se donne assez librement les moyens de transmettre au lecteur ce que le traducteur a compris.
            Absents du texte grec, apparaissent dans cette traduction : l’adverbe « spirituellement », tout comme l’adjectif « spirituel », « le jugement de Dieu », et « ceux qui s’opposent à Dieu ».
            Dans cette traduction, apparaît ainsi que « nous étions destinés à subir le jugement de Dieu », et que nous ne le sommes plus. Apparaît également un « chef des puissances spirituelles de l’espace », qu’on peine à retrouver dans le grec d’origine.
           
            La traduction que nous avons lue maintenant est marquée par une perspective très dualiste : Dieu face à l’homme, le spirituel face au charnel… Dieu face au « chef des puissances spirituelles de l’espace ». Dieu divisant la flèche du temps entre un autrefois et un désormais… Il apparaît comme un au-delà de la pensée, extérieur à la personne humaine, un au-delà spirituel, immatériel, transcendant.
            L’autre traduction était, tout à l’inverse, marquée par une perspective résolument moniste. Une seule et même réalité matérielle dans laquelle Dieu  apparaissait comme le tréfonds de la personne humaine, un en-deçà du langage, dont la découverte approfondit la connaissance que l’être humain a de lui-même. A la découverte de ce tréfonds ne s’opposaient que les énergies ou complaisances que l’être humain porte en lui-même.

            Faut-il choisir entre ces deux perspectives ? Chacune porte en elle-même ses propres vertus, et ses limites.
            Voici quelques vertus de la perspective dualiste. Dieu y est absolument Dieu, et l’homme ne le peut connaître que par voie de révélation. La grandeur de Dieu, sa « différence qualitative infinie » y sont préservées, même lorsque l’on décidera de ne dire de lui que ce qu’il n’est pas. Et l’on pourra affirmer alors que Dieu est tellement « au-delà de Dieu » que tout ce qu’on peut dire de lui n’est jamais que provisoire, dérisoire… Mais il y a un prix à payer. Faute d’être capable de se tenir dans l’exigeante dynamique qu’impose cette perspective, ce qui aura été dit et reçu sur Dieu risquera toujours d’être figé. Et ce qui sera figé conduira à des modes d’adhésion personnelle et de structuration communautaires basés strictement sur des énoncés fétichisés et donnés comme norme de la foi et de la vie. Ce qui risque fort de nourrir au mieux l’infantilisme des croyants, au pire leur dogmatisme, voire leur violence…
            Dans la perspective moniste, Dieu est résolument atteignable par l’être humain, puisque l’homme apprend à le connaître en apprenant à se connaître et en apprenant à parler de ce qu’il découvre. Et l’on peut compter sur les expériences de vie, sur l’âge qui vient, pour que la réflexion rebondisse. Mais inscrire Dieu dans cette perspective risque de nourrir une certaine forme d’arrogance propre à ceux qui prétendent avoir trouvé en eux-mêmes les ressources de leur épanouissement. Ce qui peut avoir comme conséquence de conduire à une déstructuration de la perspective communautaire en inscrivant le croyant dans un narcissisme étroit.
            Moniste et dualiste, tous deux lisent la Bible. Pour chaque verset qu’on lit, on  peut se dire que cela parle de Dieu en soi, mais on peut aussi se dire que Dieu est le nom que l’auteur biblique a attribué à tel mouvement de sa propre histoire.

            Les deux perspectives ont pourtant des choses en commun. Les deux traducteurs s’entendent pour repérer une discontinuité dans le fil de l’existence humaine, sous la forme d’un changement toujours possible dans le fil d’une vie. Une vie n’est jamais condamnée par ses propres errements et ses propres carences. Et de ce changement, aucun de ceux qui l’on vécu ne peut se vanter d’en être seul acteur, car s’en vanter ainsi contredirait la gratuité dans laquelle cela s’inscrit. Ainsi, si une perspective communautaire est construite sur cette expérience, elle ne peut pas l’être sur quoi que ce soit de discriminant ni de méritoire.

Dualiste ou moniste ? Ce n’est pas la manière dont on imagine Dieu qui compte, mais la manière dont agit. Et l’agir, dans la perspective commune aux deux familles théologiques, se verra adresser un petit nombre de questions simples et fondamentales. Qu’as-tu choisi et que choisis-tu de faire de ta vitalité ? Qui fut et qui est ton prochain ? Comment l’as-tu traité et comment le traites-tu ? Comment t’en es-tu justifié et comment t’en justifies-tu ? En une seule question : comment réponds-tu de tes actes ?

Je vous laisse méditer quelques instants là-dessus.

Après quoi vous méditerez sur l'actualité récente... et sur ces représentations de Dieu desquelles on se réclame, et ce qui, parfois, s'ensuit

family of Muhammad Said Ismail Musallam (photo Reuters)

lundi 9 mars 2015

Moïse, le peuple, Dieu, et la Parole de Dieu (Exode 20,1-21)

Exode 20
1 Et Dieu prononça toutes ces paroles, disant:
2 Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.
3 Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face.
4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre.
5 Tu ne t'inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui visite l'iniquité des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui use de bonté envers des milliers de ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.
7 Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.
8 Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier. 9 six jours tu travailleras, et tu feras toute ton oeuvre; 10 mais le septième jour est le sabbat consacré à l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucune oeuvre, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ta bête, ni ton étranger qui est dans tes portes. 11 Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, et la terre, la mer, et tout ce qui est en eux, et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du sabbat, et l'a sanctifié.
12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne.
13 Tu ne tueras point.
14 Tu ne commettras point adultère.
15 Tu ne déroberas point.
16 Tu ne diras point de faux témoignage contre ton prochain.
17 Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain.

18 Et tout le peuple vit les tonnerres, et les flammes, et le son de la trompette, et la montagne fumante; et le peuple vit cela, et ils craignirent et se tinrent à distance, et dirent à Moïse:
19 Parle avec nous, toi, et nous écouterons ! Mais que Dieu ne parle point avec nous, sinon c’est la mort.
20 Cependant, Moïse dit au peuple:
Ne craignez pas; car
c'est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient,

et afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux,

pour que pécher n’existe plus en vous.


21 Mais le peuple se tint à distance; quant à Moïse, il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient.

Prédication
            Le peuple craint, il a peur. Il s’adresse à Moïse pour lui dire : « Parle avec nous, toi, et nous écouterons. Mais que Dieu ne parle pas avec nous, sinon c’est la mort. »
        Et le lecteur de s’étonner. Juste après que Dieu ait parlé, juste après qu’il ait donné dix commandements essentiels, voici qu’en l’espèce le peuple ne veut pas entendre directement sa parole, sous peine de mourir, et opte pour une parole humaine. Le peuple de Dieu a peur de Dieu. Et l’on sait que, dans peu de temps, il va préférer se fabriquer un dieu d’or, une idole morte, plutôt qu’être choisi par Dieu ; qu’il va préférer s’asservir à une statue fabriquée et qu’il voit, plutôt qu’être libéré par Dieu qu’il ne voit pas. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, le peuple a peur de Dieu qui parle et préfèrerait entendre une parole dite par un être humain… Parle avec nous, toi, dit le peuple à Moïse, et nous écouterons !
            Nous nous intéressons à ce que Moïse répond. Moïse bien évidemment va tenter de conjurer cette crainte. Sera-t-il écouté, tout comme le peuple semble le lui promettre ?
            1.
            Moïse, lui n’a pas peur. Il prend le risque de dialoguer avec Dieu, et il n’en meurt pas. Est-il le seul que Dieu épargne, parce qu’il est Moïse ? Lorsque, dans les chapitres qui précèdent notre lecture, on se prépare au don de la Loi, on balise le pied de la montagne, et on recommande que le peuple ne s’en approche pas, de peur que certains ne meurent. Certains, mais pas tous. Ce qui signifie qu’au sein du peuple, il y a des personnes, anonymes complets, qui pourraient bien s’approcher, entendre et ne pas mourir. Il y a des risques qu’il faut prendre, parfois… On peut entendre la parole de Dieu et ne pas mourir. Cela ne signifie pas pour autant qu’entendre la parole de Dieu laisse indemne. Nous y venons.
            2.
            Moïse parle de nouveau : « C’est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient. »
            Ce n’est pas du tout par hasard que ce propos vient juste après que les dix commandements aient été donnés.
Les dix commandements sont parole de Dieu, ils éprouvent l’auditeur, et le lecteur. Qui tient debout devant les dix commandements ? Est-ce que quelqu’un peut dire qu’il n’a jamais transgressé aucun des commandements ? Les commandements interrogent l’être humain dans toutes ses dimensions. Ils interrogent ses pensées et ses intentions ; ils interrogent les paroles prononcées, et celles aussi qui sont tues ; ils interrogent les actes, et même ceux qui n’ont pas été commis. En cela, les commandements nous mettent à l’épreuve. Et en cela ils sont, littéralement, parole de Dieu.
Mais ça n’est pas tout. Les dix commandements interrogent aussi la manière avec laquelle on les met en œuvre. Ils interrogent la liberté et la joie avec lesquelles on les respecte ; et ils interrogent l’indifférence ou la tristesse qu’on ressent si on les a transgressés. Ils interrogent aussi les mérites qu’on s’octroie parfois pour les avoir mis en œuvre… Ils interpellent la tentation qu’on peut avoir de réglementer, de figer, voire de tarifer les  relations avec Dieu.
Personne ne tient debout devant les dix commandements. Faut-il craindre cela ? Moïse affirme que non, il affirme que Dieu vient, que Dieu parle, pour qu’on en passe par l’épreuve et par la tentation, et qu’on traverse cela. La parole de Dieu nous démasque, elle sonde les reins et les cœurs, interroge radicalement les actes et les pensées, mais la vérité de ce qu’est un être humain n’est pas mortelle devant Dieu. On peut prendre le risque de ne pas fuir cette vérité-là.
            3.
            Il y a pourtant quelque chose de la crainte, et Moïse rajoute donc : « Dieu vient afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux. » Il y a plusieurs sortes de crainte. Ici, la crainte du peuple, c’est celle qui fait redouter la parole de Dieu est la crainte du menteur, la crainte de celui qui se ment à lui-même et ne veut rien savoir de son mensonge. Elle est une crainte qui fige.
La crainte qui fait désirer la parole de Dieu, celle que Moïse recommande, est au contraire l’espérance confiante de la vérité. Elle est l’espérance que cette parole nous traverse, nous dépouille, nous renouvelle et nous fasse choisir la vie, une vie dont les contours demeurent à bâtir et les chemins à découvrir.
            4.
            Et Moïse ajoute une chose encore : Dieu vient et parle afin que pécher  n’existe plus en vous. Qu’est-ce que pécher, dans ce contexte ? Pécher, dans le contexte de l’Exode, c’est se tenir mordicus à ce qui fut, sans rien vouloir mettre en question, ni en jeu. Pécher, c’est préférer mourir en Egypte et en esclave, que vivre une liberté certes confiante, mais toujours interrogée. Pécher, c’est enfin préférer la parole extérieure d’un homme à qui l’on peut toujours dire « Tais-toi ! » ou « Cause toujours… » à la parole intérieure de Dieu qui nous met à nu devant nous-mêmes et devant lui. Pécher, c’est ainsi préférer le silence de Dieu à sa parole.

Et que fait le peuple, une fois que Moïse lui a expliqué pourquoi sa crainte est sans fondement et sans objet ? Le peuple l’écoute-il, tout comme il s’y est engagé ? Les gens du peuple s’approchent-ils ? Lisons seulement : « 21 Mais le peuple se tint à distance (…) » 
Le peuple, collectivement, choisit la crainte, l’illusion, le mutisme… la servitude. Quant à Moïse, résolument, en témoin de la bonté et de la vérité de la parole de Dieu, ayant dit ce qu’il avait à dire, choisit de ne rien faire d’autre que ce qu’il a déjà fait : s’approcher de Dieu et s’en remettre à Lui : « (…) il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient. »

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, non qu’il soit un Dieu obscur, c’est même tout le contraire. Dieu se tient dans l’obscurité profonde, c’est une confession de foi. La voici, à la première personne du singulier :

Mon Dieu se tient dans l’obscurité profonde,
Il m’attend dans mon obscurité profonde,
Là où – et lorsque – ayant délibéré, choisi, et agi,
Après avoir fait tout ce qu’il m’est possible de faire,
Je ne peux plus que faire confiance, et attendre.
C’est l’obscurité profonde car je ne sais alors ni ce qui adviendra, ni quand cela adviendra.
Mais je crois que Dieu se tient là, et m’attend.
C’est donc sans crainte que je m’approche.
Le chemin n’est jamais caché pour Dieu.
Amen.