samedi 24 juin 2023

Un messie exigeant (Matthieu 10,26-33 plus d'autres fragments)

Matthieu 10 :

1 Ayant fait venir ses douze disciples, Jésus leur donna autorité sur les esprits impurs, pour qu'ils les chassent et qu'ils guérissent toute maladie et toute infirmité.

 

5 Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes: «Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains;

 6 allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël.

 7 En chemin, proclamez que le Règne des cieux s'est approché.

 

23 Quand on vous pourchassera dans telle ville, fuyez dans telle autre; en vérité, je vous le déclare, vous n'achèverez pas le tour des villes d'Israël avant que ne vienne le Fils de l'homme.

 

26 «Ne les craignez donc pas! Rien n'est voilé qui ne sera dévoilé, rien n'est secret qui ne sera connu.

 27 Ce que je vous dis dans l'ombre, dites-le au grand jour; ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les terrasses.

 28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne.

 29 Est-ce que l'on ne vend pas deux moineaux pour un sou? Pourtant, pas un d'entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père.

 30 Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés.

 31 Soyez donc sans crainte: vous valez mieux, vous, que tous les moineaux.

 32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux;

 33 mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux.

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            "Le christianisme et nous n'avons qu'un seul point commun : nous exigeons l'homme tout entier !" Cette phrase est extraite de l’une des dernières lettres adressées à sa femme Freya par Helmut James Graf von Moltke. Helmut James était membre du Cercle de Kreisau – nom donné par la Gestapo à un groupe de réflexion et de discussion, non-violent, qui tenta de penser ce que serait l’Allemagne après la fin du IIIè Reich. Ce groupe fut actif entre 1938 et 1944.

            Le petit recueil des dernières lettres n’a été traduit en français que dans le cadre d’un travail de fin d’études, non publié, mais je connais très bien l’auteur de ce travail.

            La plupart des membres du Cercle de Kreisau ont été arrêtés après l’échec de l’opération Walkyrie (attentat contre Hitler du 20 juillet 1944), jugés, condamnés et pour certains, exécutés.

            La phrase que nous citons est de Roland Freisler, juge nazi, président du Volksgerichtshof, juridiction spéciale chargée des affaires politiques et des cas de haute trahison, comme on le disait alors, c'est-à-dire tout et n’importe quoi, avec le plus souvent la même peine. Il a prononcé de très nombreuses condamnations à la peine capitale… Sa voix peut aujourd’hui très facilement être entendue (You Tube) ; plusieurs auteurs l’ont mis en scène dans des œuvres de fiction (comme Hans Fallada, Seul dans Berlin).

             "Le christianisme et nous n'avons qu'un seul point commun : nous exigeons l'homme tout entier !" Quant aux moyens de cette exigence…

 

Prédication : 

            Jésus envoya ses disciples en mission. C’est pour une belle mission qu’il les envoya : faire du bien à leurs semblables et proclamer que le Règne des cieux s’était approché.

            Dans cette mission, la proximité du Règne des cieux se voit à ce que, gratuitement, des humains font du bien à d’autres humains. Les disciples sont en somme envoyés par Jésus pour faire ce que Jésus lui-même fait. C’est d’ailleurs exactement ce que recouvre la notion de disciple : étudier auprès du maître, en écoutant son enseignement et en observant ses actes, dans le but de faire de même.

            Cependant, pour caractériser plus précisément cette mission, telle qu’elle apparaît dans les versets que nous avons lus, nous pouvons retenir deux éléments. (1) Cette mission est exclusive, et (2) elle exige un engagement radical.

            (1) C’est une mission exclusive : elle est destinée aux brebis perdues de la maison d’Israël, et elle exclut les Païens et les Samaritains. Il y a bien des versets embarrassants dans la Bible, ces versets sont embarrassants. Mais ne nous laissons pas trop embarrasser. Ces versets sont juste la trace d’une compréhension particulière de la Bonne Nouvelle par des communautés particulières. Tout comme, dans l’Ancien Testament, on voit la notion du prochain être parfois strictement une notion clanique, tribale, et être parfois universelle, nous voyons, dans le Nouveau Testament, la Bonne Nouvelle n’être parfois destinée qu’à une tribu particulière, et être parfois destinée à l’humanité tout entière. C’est d’ailleurs dans le même évangile, celui de Matthieu, que Jésus ressuscité enverra ses disciples vers toutes les nations…

            Mais, ici, ce matin, la mission est exclusive, comme si notre Messie était un Messie débutant et excessivement exigeant envers ses disciples, ou comme si certains de nos prédécesseurs avaient dès l’aube de l’ère chrétienne pensé à se garder le salut pour eux seuls…

(2) Cette même mission, que Jésus confie à ses disciples, exige un engagement radical. Gratuité absolue et pauvreté absolue sont requises, en plus d’une fidélité de chaque instant : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. » Nous allons méditer là-dessus.

Est-ce une menace ? Le verbe renier n’est employé qu’à un autre moment de l’évangile de Matthieu. Dans l’évangile de Matthieu, une seule personne a renié Jésus… par trois fois avant que le coq ne chante (Mt 26,72)… Pierre. Souvenez-vous-en. Mais souvenez-vous aussi des larmes de Pierre après le chant du coq. Souvenez-vous aussi de son cri du cœur : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Souvenez-vous encore de cette si étrange parabole de la fin des temps, le tri entre les justes et les injustes, les uns comme les autres ne sachant pas quand ils ont fait, ou pas fait, leurs actes de bontés (Mt 25). Quand avons-nous fait aumône ? Quand n’avons-nous pas fait aumône ? Une négligence unique efface-t-elle tout le soin que nous aurions eu de nos semblables ? Les larmes de Pierre et sa confession de foi sont-elles annulées par son reniement ? Si nous confessons une fois, une seule, publiquement, notre foi en Jésus, cela effacera-t-il toutes les fois où nous l’aurons renié en paroles, ou en actes, ou en nous taisant ?

« … quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. » Une fois encore, nous pouvons penser à un Messie débutant, trop dur pour ses disciples. Et une fois encore, nous pouvons penser que nous avons aussi sous les yeux la trace de l’existence de missionnaires radicaux se réclamant d’un maître radical, du genre qu’on connaît encore aujourd’hui, missionnaires radicaux toujours capables de vous précipiter dans la terreur de l’au-delà, quand ça n’est pas dans la terreur ici-bas…

 

            Ceci étant dit, ces versets sont là, et bien là. Il y a en effet quelque chose de radical dans l’Évangile. Il requiert toute la personne et l’on peut bien dire qu’à Jésus Christ il faut se donner tout entier, ou pas du tout. Mais qui sait si autrui se donne tout entier, ou pas du tout ? Dieu seul en est juge. Et il n’appartient pas aux humains de connaître ce jugement avant la fin des temps. Bien entendu, les humains aimeraient ne pas attendre pour savoir. Ils aimeraient bien que ce jugement voilé leur soit dévoilé. Supposons qu’il le soit… Intransigeance divine ; à part peut-être quelques saints, nous sommes tous perdus. C’est une mauvaise nouvelle. Miséricorde divine ; nous sommes très probablement tous sauvés. C’est aussi une mauvaise nouvelle, tout comme la première, et pour une raison très simple : si le jugement est dévoilé avant la fin des temps, Dieu n’est plus Dieu, et tout radicalisme conduisant à la terreur devient possible et justifiable.

 

Parce que Dieu est Dieu, l’envoi en mission que Jésus adresse à ses disciples au 10ème chapitre de l’évangile de Matthieu est exclusif, et radical, mais parce que Dieu est Dieu, l’envoi en mission est en même temps gratuit, et bienveillant. 

Exclusif ? Peut-être nous faut-il simplement comprendre cela comme une invitation à vivre en disciple notre vie, là où la vie nous a placés, avec nos plus proches, pour que la Bonne Nouvelle de la proximité du Royaume des Cieux ne soit pas pour eux une idée nébuleuse mais juste la vie qu’ils mènent avec nous.

L’exigence est radicale ? Le christianisme exige l’homme tout entier. Le Seigneur nous requiert tout entier, il ne cesse de nous requérir, là où nous sommes. Il nous accompagne aussi. Amen

lundi 12 juin 2023

Là où est Dieu (Deutéronome 8,1-16)

Un texte qui vient un peu en retard.
Toutes mes excuses.
Et amitiés

 Deutéronome 8

1 Tout le commandement que je te donne aujourd'hui, vous veillerez à le pratiquer afin que vous viviez, que vous deveniez nombreux et que vous entriez en possession du pays que le SEIGNEUR a promis par serment à vos pères.

 2 Tu te souviendras de toute la route que le SEIGNEUR ton Dieu t'a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté; ainsi il t'éprouvait pour connaître ce qu'il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements.

 3 Il t'a mis dans la pauvreté, il t'a fait avoir faim et il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais qu'il vit de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR.

 4 Ton manteau ne s'est pas usé sur toi, ton pied n'a pas enflé depuis quarante ans,

 5 et tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils.

 6 Tu garderas les commandements du SEIGNEUR ton Dieu en suivant ses chemins et en le craignant.

 7 Le SEIGNEUR ton Dieu te fait entrer dans un bon pays, un pays de torrents, de sources, d'eaux souterraines jaillissant dans la plaine et la montagne,

 8 un pays de blé et d'orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, un pays d'huile d'olive et de miel,

 9 un pays où tu mangeras du pain sans être rationné, où rien ne te manquera, un pays dont les pierres contiennent du fer et dont les montagnes sont des mines de cuivre.

 10 Tu mangeras à satiété et tu béniras le SEIGNEUR ton Dieu pour le bon pays qu'il t'aura donné.

 11 Garde-toi bien d'oublier le SEIGNEUR ton Dieu en ne gardant pas ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te donne aujourd'hui.

 12 Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter,

 13 si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d'argent et d'or, beaucoup de biens de toute sorte,

 14 ne va pas devenir orgueilleux et oublier le SEIGNEUR ton Dieu. C'est lui qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude;

 15 c'est lui qui t'a fait marcher dans ce désert grand et terrible peuplé de serpents brûlants et de scorpions, terre de soif où l'on ne trouve pas d'eau; c'est lui qui pour toi a fait jaillir l'eau du rocher de granit;

 16 c'est lui qui, dans le désert, t'a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de te mettre dans la pauvreté et de t'éprouver pour rendre heureux ton avenir.

Prédication : 

            Souvenons-nous de ce que nous avons tenté de dire, il y a huit jours, sur la Loi, dont nous avons découvert qu’elle n’était pas une, mais au moins deux, l’une poussières mélangées de granit et d’or, consommable par voix orale, et l’autre texte, destinée à l’instruction scolaire des croyants. Deux lois… la Loi – la Torah – ne serait pas une ? Lorsqu’est évoquée la Torah, nous pensons à quelque chose, à une chose plutôt figée, statique… mais c’est une erreur que de penser ça. Car Torah signifie en réalité chemin. Et que serait un chemin, dans notre méditation, s’il n’était pas un chemin qu’on découvre au fur et à mesure du parcours ? Et comment alors serait-il chemin s’il s’agissait de le suivre ainsi à la lettre ?

            Tout cela comme autant de raisons pour lesquelles le texte que nous méditons maintenant comporte des éléments diversifiés, et peut-être bien contradictoires.

 

            Souvenons-nous, quelques pages plus haut, en fait, deux chapitres plus haut dans le texte, il y a ceci : « Écoute Israël, IHVH LE SEIGNEUR notre Dieu IHVH LE SEIGNEUR est un » (Dt. 6,4). Certains préféreront proposer qu’il est l’unique. Et puis certains autres – Professeur Dany Nocquet – nous signalent que cette phrase, dans le contexte de la réforme politique et religieuse musclée, qui eut lieu sous le règne du roi Josias, royaume de Juda (600 env. av. J.C.), signifiait tout simplement : culte à Jérusalem, et nulle part ailleurs.

            La mise en œuvre de cette réforme fut un cortège d’assassinats. Car il y avait bien d’autres lieux de culte, bien d’autre familles de prêtres, et pour atteindre le résultat « un lieu un prêtre un culte » on effaça bien des gens par l’épée et par le feu.

            Et, voyez-vous, les questions que nous nous posons sur Dieu viennent percuter ces récits. Dieu, invention humaine ? C’est bien difficile de tenir cette idée, et l’être humain – certains être humains – ont de drôles d’idées. Où Dieu, se révélant, se dévoilant, ainsi… où Dieu c’est l’ordre obtenu par la violence.

            Et vous êtes pris alors d’un certain murmure : Dieu serait cela ? Dieu serait-il en lui-même violent et se révélerait par et dans la violence ? Ou les humains qui l’ont pensé et raconté devaient-ils tant à la violence qu’ils ont dépeint Dieu comme violent et inventé des rituels violents pour l’adorer ? Question plutôt délicate, car elle porte en elle comme une insinuation, l’homme aurait un mot à dire, une responsabilité même dans la découverte, dans la pensée de Dieu.

           

            Poursuivons. Il y eut des périodes de d’opulence, il y eut des périodes de disette. Elles furent racontées, les unes et les autres, dans les livres de l’Ancien Testament. Et nous avons pris l’habitude de considérer qu’il n’y eut qu’une seule période, rapportée à la vie d’un certain Moïse… c’est tellement une habitude que ceux qui choisissent pour nous les textes du dimanche nous ont donné, comme une sorte de petit exode miniature comme il s’en trouve plusieurs dans la Bible – le plus ancien, et le plus court étant dans le prophète Osée, un verset (Osée 12,14) : « Mais par un prophète le SEIGNEUR a fait monter Israël hors d'Égypte, et par un prophète Israël a été gardé. »

            Le texte que nous méditons se déploie comme linéairement, comme si la vie était elle-même bien régulière. Mais est-ce le cas ? L’histoire des cultures et des sociétés ne se lance pas tout droit sur la flèche du temps. Et l’histoire des personnes encore moins. Oui, les heures passent l’une après l’autre, mais pour ce qu’il en est de ce qui advient, c’est tout autrement, nous parlerons de désordre, voire de chaos, même s’il y a aussi des moments de joie. Y a-t-il une raison à tout cela ?

            Ça serait peut être bien qu’il y ait des raisons à tout cela. Alors, dans le 8ème chapitre du Deutéronome nous allons trouver ce schéma super classique : pauvreté, errance, entrée en terre promise, puis épreuve : celui que Dieu bénit surabondamment va-t-il devenir orgueilleux ? Ou – variante très précieuse – celui que la vie gâte va-t-il considérer qu’il le mérite bien, et qu’il y a là Dieu qui en récompense certains et qui se détourne des autres ? Et que telle est là la justice divine…

            Le texte donc du Deutéronome est bien découpé, c'est-à-dire opportunément découpé. Et donc ça marche, ça produit le résultat escompté. Et c’est ennuyeux, non pas seulement ennuyeux comme un texte qu’on a trop lu, mais ennuyeux parce que ça rend une impression, une seule impression, celle que Dieu est là dans le récit, qu’il est là aussi comme au-dessus du monde, et qu’il gouverne le texte et l’histoire, surtout l’histoire, le texte vient derrière. Or, il n’en est rien.

            Comment donc Dieu gouvernerait-il l’histoire lorsque les drones attaquent les populations civiles ? Ou qui donc s’est montré orgueilleux devant Dieu pour que les populations de volailles soient frappées par la grippe aviaire ? Et vous repenserez aux tragédies de la semaine passées, et vous vous demanderez une fois encore si Dieu, Bible en main, conduit l’histoire avec épreuves, punitions certainement, et récompenses peut-être.

            C’est à ce genre d’interrogation que mène le choix trop bien choisi d’un fragment, le choix d’une ligne simple, beaucoup trop simple à laquelle est suspendue une idée de destin tellement pauvre qu’elle est incapable de s’abaisser très bas, là où les humains souffrent, pour leur offrir peut-être un peu de réconfort.

            Ce qui suppose quelque chose que nous allons tâcher d’envisager.

 

            Nous parlions tantôt de segments extrêmement simples, extrêmement déterminés, comme les versets Deutéronome 8,12-16 : il y a un premier si, un deuxième si, et une première possible conclusion : celui qui est comblé de richesse attrape comme on dit le melon. Ce qui a pour conséquence toutes sortes de chose dont l’une, dépérir et disparaître. Est-ce ainsi que Dieu agit ? Est-ce ainsi que les humains vivent ? Nous n’allons pas répondre – ça serait juste trop facile. Et nous l’avons déjà fait.

            L’invitation qui peut vous être faite, c’est de ne pas vous en tenir, de ne jamais vous en tenir à 5 versets, de ne jamais vous en tenir à 5 versets, mais de compter 10 versets en amont, et 10 versets en aval, 10 au moins. C'est-à-dire un minimum pour que les thèmes se renouvellent, un minimum pour que vous puissiez apprécier combien les auteurs bibliques, leurs textes et la vie ont étroitement à faire ensemble.

            S’agissant alors de Dieu  et des humains ce ne sera plus un segment tout droit et sans intérêt, mais bien plus une sorte de lieu foisonnant, comme certains massifs floraux, pas forcément tout en douceur, pas non plus forcément tout en épines. Il y aura là simplicité et complexité, il y aura là absence et présence de Dieu, il y aura là une vie fraternelle… Dieu sera là…

            Amen

samedi 3 juin 2023

Les deux Lois (Exode 34,4-9)

Exode 34

4 Moïse tailla des tables de pierre comme les premières, se leva de bon matin et, comme le SEIGNEUR le lui avait ordonné, monta sur le mont Sinaï, ayant pris à la main les deux tables de pierre.

 5 Le SEIGNEUR descendit dans la nuée, se tint là avec lui, et Moïse proclama le nom de «SEIGNEUR».

 6 Le SEIGNEUR passa devant lui et proclama: «Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté,

 7 qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute, la révolte et le péché, mais sans rien laisser passer, qui poursuit la faute des pères chez les fils et les petits-fils sur trois et quatre générations.»

 8 Aussitôt, Moïse s'agenouilla à terre et se prosterna.

 9 Et il dit: «Si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô Seigneur, que le SEIGNEUR marche au milieu de nous; c'est un peuple à la nuque raide que celui-ci, mais tu pardonneras notre faute et notre péché, et tu feras de nous ton patrimoine.»

  Prédication :

            Or Moïse brisa les tables de la Loi. La raison de cet acte est assez bien précisée, mais rappelons-la. Moïse était monté sur la montagne de Dieu, à la rencontre du Dieu législateur. La rencontre ayant trop duré, le peuple s’était impatienté, et dans son impatience avait demandé au prêtre Aaron de lui faire un Dieu guide dans le désert, champion dans les luttes, qui marcherait devant lui. Le prêtre Aaron, hélas, n’avait pas su résister au peuple, et, avec les anneaux collectés aux oreilles des femmes, des enfants, et des hommes aussi, il avait formé un veau – technique de fabrication : or amalgamé et martelé – par dérision on parle d’un veau, mais ce devait plutôt être un taureau bien équipé, symbole de puissance.

            Ce que Moïse voyant au retour de la montagne, il pulvérisa d’abord les tables, puis la bête sculptée. Le tout réduit en poussière et mélangé à de l’eau, il leur en fit boire. Puis, Moïse, probablement soucieux de reprendre le peuple en main, commanda à des Lévites radicaux de massacrer leurs frères et sœurs hébreux, 3000.

 

            Et nous voyons, nous commençons à voir qu’il y a plusieurs manières de recevoir, plusieurs manières de ne pas recevoir – la Loi – mais nous pourrions – nous pouvons le dire aussi de la bonne nouvelle. Nous le disons un peu par extension, un œil vers le nouveau testament, et avec foi, Il y a plusieurs manières de recevoir la bonne nouvelle – oserons-nous dire que parmi ces manières, il en est de bonnes et de moins bonnes ?

 

            Après que les Hébreux eurent été repris en main par Dieu le vengeur, après aussi que le peuple se fut préparé, cette fois sans doute d’une manière plus sérieuse, à cet événement considérable qu’est le don de la Loi, il advint que Dieu se fendit de nouvelles pages d’Écriture, et alors un nouveau texte fut livré. Le même que le premier ? Sans même le lire nous osons dire qu’il n’était pas le même que le premier. En effet, Dieu vivant, si par deux fois il donnait le même texte, il serait un dieu bavard.

            Ajoutons encore que les Écritures des premières tables n’avaient pas été anéanties. Oui, les tables avaient été brisées au pied de la montagne, et – vraisemblablement – pilées tout fin avec les fragments du veau, avant d’être données au peuple en boisson punitive, ce qu’on appelle une ordalie. Beaucoup des Hébreux auraient dû mourir. Mais cela n’arriva pas. Dieu, dans cet épisode de quelques lignes, ne s’en prend pas aux hommes, même avec l’énormité de son grief, il ne leur fait rien, il est indulgent, il pardonne même, peut-être, Comme s’il s’agissait, surtout, avant tout, et après tout, d’affaires de Dieu : « les tables, c’était l’œuvre de Dieu et l’écriture, c’était l’écriture de Dieu gravée sur les tables ». C’est là l’initiative de Dieu, son affaire, sans que l’homme doive approuver, sans que l’homme doive rendre, ce qui fait qu’autant de fois qu’il le faut Dieu retourne à sa tâche, retourne à ce qu’il a décidé, et dont il ne sait, dont il ne saura pas se défaire, jusqu’à la fin.

 

            Combien d’images de Dieu, combien même de réalités de Dieu avons-nous découvertes et envisagées depuis le début de  notre méditation ? Plusieurs… Quatre ou cinq, au moins, sans nous troubler plus qu’il ne faut, alors que nous avons appris, dès notre enfance, que Dieu est unique, qu’il n’en est pas d’autre. Tellement pas d’autres que certains prédicateurs, voyant ici ou là une représentation du dieu éléphanteau hindou Ganesh proclama sans discussion possible qu’il s’agissait  d’une idole et commanda aussi que nous la détruisions sans délai. Parce que Dieu est unique. Or personne ne détruisit la statuette, même pas lui. Je me demande encore pourquoi.

 

            Cette idée de destruction nous ramène à Moïse, et aux deux fois deux tables, et aux deux présences de Dieu (ou à la présence d’une fois deux dieux)

            Mais nous nous demandons toutefois, cette œuvre de Dieu, qu’en reste-t-il une fois pulvérisée ; une fois mélangée à de la poussière d’or, qu’en reste-t-il ? Nous pourrions évidemment dire qu’il n’en reste rien, mais, tout de même, il s’agit de Dieu, de son œuvre, de ses tables et de son Écriture… Est-ce que tout cela pouvait être anéanti, c'est-à-dire détruit sans reste ?

           

            Posons un acte de foi : les premières tables et la première écriture n’ont pas disparu. Il en est resté, et il en reste, le reste de la première livraison, poussière de poussière, la buée d’une buée (Ecclésiaste), non pas offerte à une ardente lecture, ni donnée aux spéculations des diplômés, ou encore au caprice des autodidactes, ou aux savants ; il en reste un quelque chose, un je-ne-sais-quoi, justement proposé à la méditation de la foi et de l’intelligence humaines, l’une faible – très faible – et l’autre souvent forte et qui, parfois, prétend à connaître tout ce qu’il en est de Dieu et tout ce qu’il en est de l’homme.

            Faut-il choisir ? Entre la première et la deuxième écriture ? Entre cette poussière de poussière dont chaque rare petit grain est porteur de toute la vérité, et entre cette masse infinie de documents dont chaque millier de pages ne signifie presque absolument rien ?  Choisir ? Ou plutôt discerner. Se trouver toujours dans des positions incertaines, si incertaines qu’elles sont peut être bien au bord de l’abîme, mais si incertaines aussi qu’elles sont peut être bien sur cette frontière où s’expriment la force et la bonté de Dieu.

 

            Or donc, Moïse brisa les tables de la Loi. Puis, Dieu lui ayant proposé d’anéantir les enfants d’Israël et de faire de lui, Moïse, une sainte nation, Moïse prit la défense d’Israël et refusa.

            C’était à un moment où la poussière de la première Loi était là, la deuxième Loi n’était pas encore écrite, et c’est donc au titre de la poussière que Moïse s’exprima. Dieu l’entendit et le peuple fut sauvé.

            Pouvons-nous avoir un rien de la grandeur de Moïse ? Alors la poussière parlera. Pouvons-nous savoir quoi dire et quoi faire ? La deuxième parlera.

            Et ce Dieu que nous prions sera notre secours. Amen