dimanche 26 mai 2019

De la nouvelle Jérusalem (Apocalypsse 21,9-24)

J'ai choisi cette photo qui rappelle un événement récent pour illustrer le renouvellement de toutes choses sur lequel s'ouvre le 21ème chapitre de l'Apocalypse selon Jean. Vous pouvez trouver en ligne de très nombreuses mises en image de la nouvelle Jérusalem, dont certaines - très intéressantes - font figurer à la fois la nouvelle cité, et l'ancienne cité que la nouvelle va écraser et couvrir. Ainsi - et c'est donc selon les auteurs - la nouvelle Jérusalem va écraser et remplacer le Manhattan Sud de New York City, ou l'actuelle Jérusalem et surtout, bien en évidence, la partie arabe de la ville les deux mosquées qui la surplombent. Un monde qui serait transformé de cette manière là ne serait en rien transformé, et en rien renouvelé; il serait reconstruit à l'identique. Or, la cité céleste ne vient recouvrir ni l'ancienne cité ni l'ancien monde. Elle vient après leur disparition (Apocalypse 21,1 et suivants). Quelqu'un peut-il représenter "le premier ciel et la première terre ont disparu, et la mer n'est plus" ? C'est un nouveau commencement qui est annoncé. Quelqu'un peut-il dire ce qu'il y avait avant "au commencement" ? 

Apocalypse 21
9 Alors l'un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint m'adresser la parole et me dit: Viens, je te montrerai la fiancée, l'épouse de l'agneau.
10 Il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu.
11 Elle brillait de la gloire même de Dieu. Son éclat rappelait une pierre précieuse, comme une pierre d'un jaspe cristallin.
12 Elle avait d'épais et hauts remparts. Elle avait douze portes et, aux portes, douze anges et des noms inscrits: les noms des douze tribus des fils d'Israël.
13 À l'orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes et à l'occident trois portes.
14 Les remparts de la cité avaient douze assises, et sur elles les douze noms des douze apôtres de l'agneau.
15 Celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d'or, pour mesurer la cité, ses portes et ses remparts.
16 La cité était carrée: sa longueur égalait sa largeur. Il la mesura au roseau, elle comptait douze mille stades: la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales.
17 Il mesura les remparts, ils comptaient cent quarante-quatre coudées, mesure humaine que l'ange utilisait.
18 Les matériaux de ses remparts étaient de jaspe, et la cité était d'un or pur semblable au pur cristal.
19 Les assises des remparts de la cité s'ornaient de pierres précieuses de toute sorte. La première assise était de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d'émeraude,
20 la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d'hyacinthe, la douzième d'améthyste.
21 Les douze portes étaient douze perles. Chacune des portes était d'une seule perle. Et la place de la cité était d'or pur comme un cristal limpide.
22 Mais de temple, je n'en vis point dans la cité, car son temple, c'est le Seigneur, le Dieu tout-puissant ainsi que l'agneau.


Prédication :


            Voici donc une partie de la description de la nouvelle Jérusalem, cité-Église que Jean – selon le livre de l’Apocalypse – a vue, montrée à lui par l’ange, dans les derniers moments de la vision : au moment du grand renouvellement de toutes choses, cette cité descend du nouveau ciel sur la nouvelle terre. Et dans la vision apparaissent les mesures de la cité, l’inventaire des matériaux précieux dans lesquels elle est construite, et deux précisions architecturales. La cité « avait douze portes et, aux portes, douze anges et des noms inscrits : les noms des douze tribus des fils d’Israël. » « Les remparts de la cité avaient douze assises, et sur elles les douze noms des douze apôtres de l’agneau. »
            L’apocalypse est riche de symboles indéchiffrables… mais les deux éléments que nous venons d’isoler semblent être accessibles à une réflexion que nous allons maintenant tenter d’esquisser.

Douze portes, douze anges et les noms des douze tribus des fils d’Israël. Il faut emprunter l’une des ces douze portes pour entrer dans la cité. Qu’est-ce à dire ? Souvenons-nous à ce moment d’un cantique – nous l’avons chanté ces derniers temps – dont le titre est « Écoutez un saint cantique ». Il figure dans les chants de Noël du recueil Alléluia (n°.32/31). C’est un bon chant de Noël qui ancre sa première strophe à la fois dans la période de l’Avent – attente de Noël et attente de l’accomplissement des siècles – et aussi dans l’Ancien Testament. Voici la fin de la première strophe : « La Loi conduit à la grâce, et Moïse à Jésus Christ ».
Les douze portes de la nouvelle Jérusalem portent les noms des douze tribus de l’ancien Israël. C’est une manière pour l’auteur de l’Apocalypse d’exprimer sa conviction que toute l’histoire de Dieu avec son peuple, et toutes les douze variantes essentielles de cette histoire, mènent l’humanité entière vers la nouvelle Jérusalem. Toutes les tribus n’ont pas exactement eu la même histoire. Et le nombre de douze symbolise la totalité des aventures possibles. Et qu’est-ce qui représente le mieux les aventures des tribus et de l’humanité avec Dieu ? « La Loi conduit à la grâce, et Moïse à Jésus Christ ». Ce qui représente le mieux cette aventure, c’est l’appel de Moïse par Dieu, et par Moïse l’appel des esclaves à la liberté ; le don de la Loi et l’appel à l’obéissance ; la faiblesse congénitale du peuple, son refus de la liberté et de la Loi, sa préférence pour l’aliénation ; et, toujours, toujours, toujours, l’infinie patience de Dieu qui émonde, qui corrige, qui aide, qui aime ; Dieu qui inlassablement cherche et conduit son peuple… C’est l’histoire du peuple hébreu, de la disparition de dix des douze tribus, déportées par les Assyriens au 8ème siècle avant Jésus Christ, l’histoire des deux tribus restantes, l’exil à Babylone, et la promesse du retour de tous, et du retour non seulement du peuple élu vers la cité et la terre de la promesse, mais encore de l’invitation que Dieu fait à l’humanité entière de se joindre à la promesse. Car le visionnaire auteur de l’Apocalypse est de ceux que leur foi a amenés à se tourner vers les nations, il est de ceux qui croient que Dieu s’en est allé vers toutes les nations pour leur dire son amour pour l’humanité, et que c’est en Jésus Christ que cette ouverture a eu lieu. Ces douze portes, avec les noms des douze tribus des fils d’Israël, représentent ce qu’on peut appeler une théologie de l’histoire.
Et ça n’est pas tout. Les douze portes portent les noms des douze tribus d’Israël, pour représenter tous les chemins possibles qui mènent à Dieu. Oui les tribus étaient sœurs et leur culte fut un temps unifié, mais il fut un temps aussi où chaque tribu d’Israël avait son ou ses lieux de culte, avait ses propres manières de rendre un culte à Dieu – à son dieu – et où chaque tribu aussi avait ses propres lois et ses propres juges. Cette diversité, image racinaire de la diversité des peuples, des lois et des cultes, indique que c’est toujours d’abord par une forme d’observance pieuse qu’on tâche de s’approcher de Dieu et qu’on tâche de se le rendre présent et favorable. En somme, qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, c’est par la piété, l’obéissance littérale, voire l’obéissance sans comprendre ni voir, qu’on commence sa vie d’adorateur. Et c’est seulement lorsqu’on franchit l’une des douze portes que la présence de Dieu devient manifeste. Dans la neuve cité, Dieu est partout et toujours présent ; on n’y a besoin ni de temple, ni d’éclairage public, ni non ni non plus de culte – ne subsistent qu’action de grâce et louange.
Voici pour les portes.
Une porte que virent à Babylone les déportés des tribus de Benjamin et de Juda, qui est visible à Berlin, et quelques anges errants. 

Et maintenant, la muraille. Toute ville proche orientale digne du nom de ville est encerclée et protégée par une muraille. Souvenez-vous des sièges mis autour de Samarie (-722, après un siège de plusieurs années), ou  autour de Jérusalem, du siège de Tyr (qui dura 13 ans ; de -585 à -572). Lorsque Jérusalem fur prise, vers l’an -585 (troisième campagne des Babyloniens), furent détruits la muraille et le temple ; et lors que Hébreux furent autorisés à reconstruire, ils commencèrent par le temple, la muraille vint après.
La muraille de la nouvelle cité est, nous l’avons déjà dit, percée de douze portes, et elle est fort épaisse.  Pour être solide, ses fondations doivent être profondes. Les assises – le soubassement – de la muraille possède douze couches portant les noms des douze apôtres de l’Agneau. C’est au douze apôtres que l’humanité doit de connaître Jésus Christ, l’annonciateur de la grâce de Dieu. La tradition rapporte que chacun des douze apôtres est parti dans une direction particulière pour annoncer l’Évangile. Chacun des douze apôtres l’a annoncé à sa manière. Le nouveau testament porte en lui-même la trace de cette diversité et il constitue la base – et la norme – de toutes les prédications possibles de la grâce. Cette grâce fut manifestée dès le commencement, et non pas seulement après l’advenue de Jésus Christ ; c’st une conviction forte que certains Pères de l’Église défendront. Lorsqu’on construit, les fondations sont toujours construites en premier, avant les murailles ; de même la grâce est toujours première, dès le commencement.
Beth est la première lettre de la Bible. Côté gauche, dans le creux de l'intérieur de cette lettre, il y a ce qu'il faut de souffle et d'élan pour aller très très loin. A droite de la lettre, il n'y a rien qui soit encore écrit, c'est à dire qu'il y a là seulement les divines prémices de la nouvelle création.

Ainsi, c’est par la Loi (éthique) et les cultes pieusement observés qu’on arrive sûrement au pied de la muraille, devant les portes de la cité de Dieu ; mais la Loi et les cultes ne sont solides et fiables que pour autant qu’ils sont fondés sur l’Évangile, c'est-à-dire sur la grâce divine.
Mais l’humanité est-elle capable de fonder sur la grâce et sur la grâce uniquement, les cultes qu’elle pratique et les Lois qu’elle promulgue ? Il est très difficile, et même impossible, que nous nous prononcions avec autorité sur l’humanité toute entière. Mais il y a dans le texte une indication : La Jérusalem nouvelle, cité-temple qui doit descendre du ciel, est l’œuvre de Dieu. Ce qui indique que Dieu, et sans doute Dieu seul, est capable de fonder sur la grâce seule les cultes et les Lois. Les humains – et donc nous autres – ne sont pas capables de ce prodige. Mais en même temps, c’est bien un être humain qui, ayant fait l’expérience de la grâce a été capable de rendre compte de sa vision sans instituer un culte de plus. C’est donc que quelque chose est possible, et dont l’humanité est capable. Recevoir la vision et la transcrire, et la transmettre, l’humanité en est capable. L’humanité est donc capable de visualiser la cité, et son architecture générale, de fréquenter les chemins qui y mènent, et de comprendre aussi qu’il n’appartient qu’à Dieu seul de réaliser tout cela. Et bien, à cette humanité, capable de témoigner de ce qui n’est pas encore, mais qui un jour sera, il ne reste qu’à laisser là son témoignage, offert à ses contemporains.
Et nous croyons – nous affirmons – qu’en pensant cela et en agissant ainsi – le goût et l’expérience de cette cité nous sont déjà un peu donnés. Que le Seigneur nous fasse cette grâce. Amen 

lundi 20 mai 2019

Qui sont les nations ? (Actes 13)

Actes 13
14 Et eux, étant partis de Perge, traversèrent le pays et arrivèrent à Antioche de Pisidie; et étant entrés dans la synagogue le jour du sabbat, ils s'assirent.
 15 Et après la lecture de la loi et des prophètes, les chefs de la synagogue leur envoyèrent dire: Hommes frères, si vous avez quelque parole d'exhortation pour le peuple, parlez.
 16 Et Paul, s'étant levé et ayant fait signe de la main, dit: Hommes israélites, et vous qui craignez Dieu, écoutez:
 17 Le Dieu de ce peuple choisit nos pères et éleva haut le peuple pendant son séjour au pays d'Égypte; et il les en fit sortir à bras élevé.
 
26 Hommes frères, fils de la race d'Abraham, à vous et à ceux qui parmi vous craignent Dieu, la parole de ce salut est envoyée;
 27 car ceux qui habitent à Jérusalem et leurs chefs, n'ayant pas connu Jésus, ni les voix des prophètes qui se lisent chaque sabbat, ont accompli celles-ci en le jugeant.
 28 Et quoiqu'ils ne trouvassent en lui aucun crime qui fût digne de mort, ils prièrent Pilate de le faire mourir.
 29 Et après qu'ils eurent accompli toutes les choses qui sont écrites de lui, ils le descendirent du bois et le mirent dans un sépulcre.
 30 Mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts.
 31 Et il a été vu pendant plusieurs jours par ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple.
 32 Et nous, nous vous annonçons la bonne nouvelle quant à la promesse qui a été faite aux pères,
 33 que Dieu l'a accomplie envers nous, leurs enfants, ayant suscité Jésus; comme aussi il est écrit dans le psaume second: "Tu es mon Fils, moi je t'ai aujourd'hui engendré".

42 Et comme ils sortaient, ils demandèrent que ces paroles leur fussent annoncées le sabbat suivant.
 43 Et la synagogue s'étant dissoute, plusieurs des Juifs et des prosélytes qui servaient Dieu suivirent Paul et Barnabas, qui leur parlant, les exhortaient à persévérer dans la grâce de Dieu.
44 Et le sabbat suivant, presque toute la ville fut assemblée pour entendre la parole de Dieu;
 45 mais les Juifs, voyant les foules, débordèrent de jalousie et (vinrent) contredire en blasphémant  ce que Paul disait.
 46 Alors Paul et Barnabas y allèrent franchement et dirent: C'était à vous premièrement qu'il fallait annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous la rejetez, et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les nations,
 47 car le Seigneur nous a commandé ainsi: "Je t'ai établi pour être la lumière des nations, afin que tu sois en salut jusqu'au bout de la terre".
 48 Et lorsque ceux des nations entendirent cela, ils s'en réjouirent, et ils glorifièrent la parole du Seigneur; et tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle crurent. 49 Et la parole du Seigneur se répandait par tout le pays.
 50 Mais les Juifs excitèrent les femmes de qualité qui servaient Dieu et les principaux de la ville; et ils suscitèrent une persécution contre Paul et Barnabas, et les chassèrent de leur territoire.
 51 Mais eux, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, s'en vinrent à Iconium.

 52 Et les disciples étaient remplis de joie et de l'Esprit Saint.
Prédication :
            De ce 13ème chapitre des Actes des Apôtres je voudrais vous dire que cela fait plus d’une semaine déjà qu’il est bien présent sur ma table de travail. Il a été l’occasion d’une étude biblique, et sera au programme d’une seconde étude biblique ; il a été l’occasion d’une méditation lors de la dernière séance du Conseil presbytéral, et le voici encore – et je pense que les questions qui sont posées dans ce chapitre resteront encore en suspens. Quelles sont ces questions ? Les principales questions sont ici au nombre de trois. Voici la première : les juifs sont-ils exclus de la promesse de la vie éternelle ? Voici la seconde : les nations sont-elles, si elles ne se tournent pas vers Jésus Christ, exclues de la promesse de la vie éternelle ? La troisième : les nations qui, depuis la nuit des temps, n’ont pas eu l’occasion de connaître le salut en Jésus Christ, sont-elles exclues de la promesse de la vie éternelle ? Pourquoi ces trois questions ? Il est écrit, parole de l’apôtre Paul s’adressant à des détracteurs juifs devant presque toute la ville d’Antioche de Pisidie : « C’est à vous d’abord que devait être adressée la Parole de Dieu, et maintenant, vous la rejetez et vous vous condamnez vous-mêmes comme indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les nations. »
            Qui sont les nations ? On les appelle aussi parfois les païens. On dit que ce sont tous ceux qui ne sont pas juifs. Mais dans notre texte, c’est juste un peu plus complexe que cela. Tout au long du chapitre 13 des Actes des Apôtres, il s’ébauche une sorte d’organisation concentrique : au centre, les “juifs”, entendons par là des gens nés et éduqués dans la foi d’Israël (simplification considérable, dont nous pouvons nous contenter) ; autour, des ‘prosélytes’, des gens d’origines diverses ayant embrassé la foi d’Israël, puis des ‘adorateurs de Dieu’ (participent au culte de la synagogue), des ‘craignant Dieu’, puis des ‘païens ou nations’ (des gens de toutes sortes d’origines ethniques qui sont sur le seuil de la synagogue, mais pas vraiment dedans) et enfin les ‘extrémités de la terre’ (à ce niveau, nous pouvons penser qu’ils ne connaissent absolument rien de ce qui se fait et se dit dans le culte pratiqué dans les synagogues, les patriarches, l’exode, etc.).

            Qui sont les nations, ou les païens, vers lesquels vont se tourner Paul et Barnabas ? Ceux qui sont sur le seuil de la synagogue, de toutes origines ethniques possibles. Ou, plus loin, ceux qui sont aux extrémités de la terre, qu’on appelle aussi les nations, qui n’auront jamais entendu parler de Dieu, ni du Fils de Dieu, ni de Moïse et de la Loi, ni des Prophètes... Voici trois remarques sur les nations.

            Les nations (1) Dans la logique du texte, Actes 13, à Antioche de Pisidie, en plein cœur de l’Anatolie, ceux qui sont désignés par le mot nations sont d’abord de ces gens qui sont sur le seuil de la synagogue, qui écoutent le message, qui ont semble-t-il un intérêt pour cette religion qui se présente comme fort ancienne. Ils ne dépassent pas le seuil, et ne sont pas tellement invités à le faire. Sans doute parce que ce sont des gens simples, nombreux, pauvres, et que la synagogue du lieu choisit bien ses membres, femmes riches et notables de la ville. Cette religion est certes accueillante, mais nous voyons qu’elle est une religion d’élite, religion pour l’élite.
Mais la parole de Dieu proclamée par Paul et Barnabas est-elle réservée à une certaine élite ? Nous répondons que non, que le message est pour tous, que la promesse est pour tous, qu’une communauté qui trierait ses membres en considérant leur notabilité et leurs revenus ne serait guère cohérente avec ce qu’elle enseigne et adore.
Quoi qu’il en soit, lorsque Paul déclare solennellement que Barnabas et lui-même vont désormais se consacrer aux nations (aux païens), ces gens-là, ceux du seuil, voire du dehors, se réjouissent et glorifient la parole de Dieu. Ils la glorifient par des cris de joies qui en l’espèce ont dû être des éléments de liturgie repris spontanément, collectivement et bruyamment, et aussi – et surtout – ils glorifient la parole de Dieu par leur adhésion.
Ce que nous venons de dire traite le cas de païens qui, étant aux portes de la synagogue, avaient déjà une petite connaissance des mots, faits et gestes, lois et coutumes, des fils d’Israël et de leur Dieu. La parole de Dieu sous la forme du message de Paul et Barnabas, leur était donc un peu intelligible.
Les nations (2)  Mais qu’en est-il lorsque, le sabbat suivant, presque toute la ville se rassemble, ou encore lorsque la parole du Seigneur gagne toute la contrée (v.49) ? Le message demeure-t-il intelligible, est-il intelligible pour chacun et dès une première audition ? Nous penchons pour une réponse positive.
D’abord nous dirons qu’une personne humaine n’est pas, n’est jamais un sujet coupé de tous les autres. C’est parce que les gens en parlent à d’autres que d’autres en entendent parler. Nous allons aussi  dire que le contexte du 1er siècle de notre ère était propice pour une expansion rapide du message. Un monde pétri par les religions, une vie dure pour les humains, une espérance de vie basse, des millions d’esclaves, un monde brutal ; si dans ce monde vous annoncez sans vous faire payer un Dieu qui pardonne gratuitement, à cause du sacrifice d’un homme, son Fils, mort et ressuscité, que ce Dieu n’exige pas de ces sacrifices prompt à enrichir des prêtres, et qu’il promet la vie éternelle à tous, même aux femmes, mêmes aux esclaves et même aux femmes esclaves, alors vous êtes bien accueilli.
Car le message est simple, clair et approprié, il est en somme intelligible. Et si la religion que vous enseignez n’a besoin ni d’un discours complexe, ni de rituels formidables, ni d’une moralité très supérieure, vous avez du succès. Et vous aurez – et les apôtres ont eu – du succès, au moins dans tout l’empire romain, tout autour de la Méditerranée, c'est-à-dire jusqu’aux extrémités de la terre.
Les nations (3) Et au-delà des extrémités de la terre ? Bien plus loin, bien plus tard. Par exemple au sud de l’Amérique du sud, en Terre de Feu, et dans les canaux de Patagonie.
Je ne sais pas si vous situez qui est Jean RASPAIL (1925-…), écrivain français qui a écrit justement sur les Fuégiens (Onas, Yamanas, Alakalufs). Dans un de ses ouvrages, un roman ethnographique (Qui se souvient des hommes me semble-t-il, 1986) il raconte que lorsque les premiers occidentaux descendirent de leurs navires et entrèrent en contact avec ces ethnies, ils débarquèrent avec un crucifix monumental qu’ils plantèrent là en haut de la place. Les Fuégiens se dirent : “Si c’est ainsi qu’ils traitent leurs ennemis, nous avons intérêt à nous tenir à carreau.” Mais lorsque les nouveaux arrivants leur expliquèrent que cet homme, sanguinolent, agonisant, cloué sur une croix, était leur meilleur ami, leur maître, leur sauveur, les autochtones pensèrent que ces nouveaux arrivants étaient fourbes et qu’on ne pourrait certainement pas leur faire confiance. Le message chrétien ainsi délivré était à cet endroit  totalement inintelligible. Je ne garantis pas la précision de la citation, mais l’esprit y est. Ces peuples ont été découverts au 16ème siècle, mais laissés relativement en paix jusqu’à la colonisation effective de leur pays, au début du 20ème siècle. Lorsque le message chrétien, en même temps que la présence de colons, a été imposé à ces peuples par des missionnaires, ces peuples déjà fort peu nombreux mais qui vivaient là comme à l’âge de pierre, ont connu le sort funeste de l’extinction, et se sont perdus aussi leur culture et leurs dieux.

Nous n’entendons pas ici faire le procès de l’occident chrétien, nous en sommes les fils et les filles et nul ne peut dire ce qu’il aurait fait ni ce qui aurait dû être fait. Mais notre situation aujourd’hui, situation de disciples et de témoins de Jésus Christ est semblable en bien des manières à la situation de ceux qui débarquèrent en Terre de Feu. Nos interlocuteurs sont, pour la plupart, devenus presque totalement, et même pour certains totalement, ignorants de ce qui se dit, de ce qui se fait, de ce qui se pense en religion. Ils n’entendent parler que des religieux radicaux, arrogants dans leurs propos et violents dans leurs actes. Au point que la parole du Seigneur est devenue presque, voire totalement, inintelligible.

Nous n’y pouvons pas grand-chose. Mais il y a plusieurs choses tout de même que nous pouvons faire. A commencer – et nous sommes en train de le faire – par méditer sur cette situations qui est la nôtre. Ensuite, nous devons répondre de notre foi, avec les mots du monde et selon les besoins du monde, et en répondre aussi dans le langage de notre tradition. Nous pouvons encore – finalement et surtout – garder confiance en Dieu.
Il est écrit que la parole du Seigneur gagnait toute la contrée. Il est certain qu’elle allait plus vite et plus loin que les prédicateurs itinérants, et que, bien souvent, elle était même là avant eux.
Rendons gloire à Dieu. Amen

dimanche 12 mai 2019

L'unité du Père et du Fils (Jean 10,22-42)



Jean 10
22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C'était l'hiver.
23 Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon.

24 Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent: «Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en suspens? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement!»
25 Jésus leur répondit: «Je vous l'ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage,
26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis.
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.»
31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider.

32 Mais Jésus reprit: «Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?»
33 Les Juifs lui répondirent: «Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu.»
34 Jésus leur répondit: «N'a-t-il pas été écrit dans votre Loi: J'ai dit: vous êtes des dieux?
35 Il arrive donc à la Loi d'appeler dieux ceux auxquels la parole de Dieu fut adressée. Or nul ne peut abolir l'Écriture.
36 À celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites: ‹Tu blasphèmes›, parce que j'ai affirmé que je suis le Fils de Dieu.
37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas!
38 Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin que vous connaissiez et que vous sachiez bien que le Père est en moi comme je suis dans le Père.»
39 Alors, une fois de plus, ils cherchèrent à l'arrêter, mais il échappa de leurs mains.

40 Jésus s'en retourna au-delà du Jourdain, à l'endroit où Jean avait commencé à baptiser, et il y demeura.
41 Beaucoup vinrent à lui et ils disaient: «Jean, certes, n'a opéré aucun signe, mais tout ce qu'il a dit de cet homme était vrai.»
42 Et là, ils furent nombreux à croire en lui.
Prédication
« Moi et le Père, nous sommes un ». C’est cette affirmation qui va servir de support à notre méditation. Disons d’abord – et cela saute aux yeux – que cette affirmation est une affirmation dangereuse : Jésus qui la prononce risque là sa vie. Il risque sa vie au titre d’une compréhension particulière de cette proclamation… Si nous parlons dès maintenant d’une compréhension particulière de cette affirmation, c’est qu’il en existe plusieurs. Oui, il en existe plusieurs et nous allons les explorer. Comment peut-on comprendre cette affirmation ? Voici 4 variations.

Moi et le Père, nous sommes un (1) Le dogme, le catéchisme, ce qui est écrit et doit toujours être cru.
Pour cette première variation, nous partons d’une note que la (catholique) Bible de Jérusalem met en bas de page : « D’après le contexte, cette affirmation vise en premier lieu la commune puissance de Jésus et du Père ; mais, indéterminée à dessein, elle laisse entrevoir un mystère d’unité plus large et plus profond. Les Juifs ne s’y trompent pas, qui y voient la prétention d’être Dieu. » Un mystère d’unité plus large et plus profond, celui de l’unité du Père et du Fils, les deux premières personnes de la Trinité. Mais ce qui saute aux yeux du lecteur protestant réformé français, c’est que, pour écrire cette note, il faut avoir en tête un certain nombre d’idées, relatives à la doctrine de la Sainte Trinité, idées qui s’imposent comme des évidences lorsque les yeux se posent sur ce petit verset. Remarquez bien que, pour avoir affirmé moi et le Père nous sommes un, Jésus risque d’être mis à mort. Et maintenant sachez bien que, pendant le 16è siècle, pour avoir affirmé que le Père et le Fils ne sont pas un – en somme pour avoir contesté tout ou partie de la doctrine de la Trinité – des hommes ont été pourchassés et certains mis à mort (notamment Michel Servet, en 1553, à Genève, à l’époque de Calvin, avec l’assentiment de celui-ci et des réformateurs des autres cités suisses…).
Pour avoir affirmé l’unité du Père et du Fils, Jésus risque la mort, et sera mis à mort ; pour avoir affirmé le contraire, on peut risquer la mort, et être mis à mort. Qu’il se passe 15 siècles entre ces deux événements ne change rien au fait que, s’agissants de certains énoncés portant sur Dieu – théologiques – certaines personnes sont si attachées à ce qu’elles affirment qu’elles sont prêtes à disqualifier, et parfois à tuer ceux qui affirment autre chose. Mais, dans de telles conditions, pour ceux qui jugent et condamnent, peut-on parler de compréhension ? Pas vraiment, ou plutôt d’une manière très dégradée. Il s’agit plutôt d’inculquer, de surveiller, et de punir.
Mais ceci est le pire. Le catéchisme peut aussi être cette meilleure base, celle contre laquelle nous pouvons exercer nos jeunes talents et nos jeunes crocs, mais aussi, parfois, cette meilleure base où nous pouvons nous reposer, reprendre des forces, avant de poursuivre notre meilleur chemin.

Moi et le père nous sommes un (2) Les brebis et les autres.
Pour cette deuxième variation, nous revenons à cette image que nous connaissons très bien et que Jésus file tout le long de ce chapitre, l’image du berger et de ses brebis. S’agissant des brebis de Jésus, ceux qui en sont croient ; ils reconnaissent la voix de leur bon berger, écoutent cette voix, comprennent ce qu’elle dit, viennent à la suite de ce bon berger. C’est aussi d’une compréhension qu’il s’agit, une compréhension peut-être intuitive, voir viscérale, mais une compréhension tout de même, dans le sens où comprendre, c’est prendre-avec-soi. Et ainsi les brebis – disciples – du berger Jésus, reçoivent-elles l’affirmation que Moi et le Père nous sommes un, et bien d’autres affirmations du même genre.
Ceci étant dit – et, je l’espère, un peu compris – il nous faut remarquer que si certains semblent évidemment être les brebis de Jésus, que son Père lui a données, certains autres n’en sont pas, comme il est écrit « …mais vous ne me croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis ». Ce verset, si nous le prenons ainsi, semble affirmer que certains cœurs ont été faits trop durs pour jamais croire, et donc que ces cœurs sont à jamais exclus du don de la vie éternelle. Alors, nous ne sommes guère étonnés que les gens qui encerclent Jésus prennent finalement très mal cette affirmation. Jésus fait d’eux, qui sont serviteurs de Dieu dans les rituels du temple, des réprouvés de toute éternité, des exclus de la messianité, des pions sans valeur sur l’échiquier de Dieu...
Nous autres, est-ce que nous croyons cela ? Croyons-nous qu’il y a des élus de Dieu et des réprouvés de Dieu, que Dieu connaît de toute éternité ? Avons-nous reçu naïvement la double prédestination calviniste, si bien construite sur des textes bibliques ? Ou croyons-nous, contre le texte que nous méditons maintenant, que tant qu’une vie n’est pas finie, un cœur dur peut être touché et fécondé par la grâce divine ? Croyons-nous à la possibilité toujours possible d’une conversion ?
Et bien, les brebis que j’espère que nous sommes – Dieu seul le sait – peuvent recevoir comme des brebis cette vérité : même si Dieu seul sait qui sont les siens il y a toujours de l’espoir pour chacune et chacun. 
Un père et son fils spirituel, assez connus tous deux...
Moi et le Père nous sommes un (3) Une compréhension par les œuvres.
Même si la fin de la seconde variation est inquiétante, nous pouvons comprendre maintenant l’unité du Père et du Fils selon ce que Jésus dit : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage. » En matière d’œuvres, il s’agit d’enseignements, et d’actes. L’évangile de Jean se garde bien d’utiliser le mot miracle, il parle de signes, voire de signaux, de signalisation, comme si les quelques actes de puissance qu’il commet n’étaient là que pour attirer l’œil sur des propos, voire juste sur une manière d’être dans l’ordinaire des jours, inconditionnellement humain pour les humains. Un thaumaturge hautain fait bien moins pour l’humanité que l’homme simple dont le regard et la poignée de main sont francs et purs. Les œuvres de Jésus, les œuvres aussi des témoins de Jésus, tirent l’humanité vers le haut, au point de la mener jusqu'à croire – non pas à l’adhésion aveugle à une doctrine, mais à croire, dans le sens où croire dans les œuvres de Jésus c’est les recevoir, et en accomplir de qualitativement semblables.

Moi et le Père, nous sommes un (4) De la parole du prédicateur à la parole de la prédication.
Quatrième, et dernière variation. Lorsque Jésus s’en va et retourne « au-delà du Jourdain, à l’endroit où Jean avait commencé à baptiser », il trouve là des gens qui ont entendu et reçu la prédication de Jean le Baptiste. Cette prédication a préparé ces gens. Le meilleur que la prédication chrétienne puisse accomplir – et tous les prédicateurs de l’Evangile devraient s’en souvenir avec crainte et tremblement autant qu’avec joie et recueillement – c’est préparer ses auditeurs à croire en lui – c'est-à-dire à le reconnaître, l’accueillir, recevoir ce qu’il donne – lorsque le Christ choisit de se manifester à eux. Jean le Baptiste, nous est-il dit, n’a accompli aucun signe, c'est-à-dire qu’il n’y a aucun miracle qui servirait de preuve à mettre à son actif. Mais s’agissant du Christ (du Messie), tout ce qu’il a dit de Lui était vrai et était dit en vérité. Et que disait-il, ce Jean le Baptiste ?
«Un homme ne peut rien s'attribuer au-delà de ce qui lui est donné du ciel. 28 Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit: ‹Moi, je ne suis pas le Christ, mais je suis celui qui a été envoyé devant lui.› 29 Celui qui a l'épouse est l'époux; quant à l'ami de l'époux, il se tient là, il l'écoute et la voix de l'époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite.  30 Il faut qu'il grandisse, et que moi, je diminue. 31 «Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tout. Celui qui est de la terre est terrestre et parle de façon terrestre. Celui qui vient du ciel 32 témoigne de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage. 33 Celui qui reçoit son témoignage ratifie que Dieu est vérité. 34 En effet, celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, qui lui donne l'Esprit sans mesure. 35 Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main » (Jean 3). De nouveau, des énoncés, des paroles ouvertes à tous les niveaux de compréhension que nous avons déjà envisagés, et avec eux, résonnant comme le principe de toute une vie de témoin, de disciple, de prédicateur : « il faut qu’il croisse – et y compris qu’il croisse en nous – et que je diminue ». 

Et voici la fin de ces quatre variations. Que retiendrons-nous ? Comprendre par le catéchisme, comprendre avec le cœur, comprendre avec les œuvres, comprendre avec la parole de la prédication et, dans la restitution de ce qu’on a compris (par le verbe, les actes et la prédication) s’en tenir à ce dernier adage : il faut qu’Il croisse et que je diminue. Puissions-nous traverser ainsi l’existence qui nous est donnée. Amen