dimanche 27 mai 2018

Trinité (Matthieu 28,16-20)

Matthieu 28
16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.»
Prédication

            « Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit », c’est, juste avant la promesse finale, le double commandement sur lequel s’achève le récit de l’évangile de Matthieu. Cet évangile nous est proposé en ce premier dimanche après Pentecôte, dimanche de la Trinité.
            Il est tentant, n’est-ce pas, de voir dans cette formule une déclaration Trinitaire : Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. Mais cette formule baptismale  n’est pas une déclaration Trinitaire. Celle formule arrive là, tout à coup, dans l’évangile de Matthieu. On la voit aussi arriver là, tout à coup, dans La Didachè – l’enseignement des douze Apôtres. Ces deux textes sont importants à la fin du premier siècle après Jésus Christ. La formule est donc ancienne. Cela nous indique probablement que certaines branches du christianisme naissant baptisaient au nom du Père, d’autres au nom du Fils, d’autres encore au nom du Saint Esprit, et que quelqu’un a tenté une synthèse. L’Ancien Testament est familier de ce genre de synthèse, et l’évangile de Matthieu est pétri de culture de l’Ancien Testament. Donc certains milieux chrétiens ont très tôt baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; d’autres milieux baptisaient au nom du Christ (relisez les Actes). Les débats sur la Trinité ont eu lieu un bon siècle plus tard, ils ont duré plus d’un siècle (au moins jusqu’au Concile de Nicée, 325), et la formule baptismale proposée par Matthieu s’est alors naturellement imposée.
            Ceci étant dit, cette formule baptismale avait certainement une signification en elle-même bien avant d’être trinitaire, et elle garde certainement une signification – ou plusieurs – indépendamment de l’état de la doctrine en matière de Trinité.
C’est ma proposition, pour ce matin, que nous nous mettions en quête d’une signification symbolique possible de cette formule au  nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit, je te baptise. Ce qui fait quatre points – le plan de cette prédication. 

            Ayant écarté l’idée que cette formulation soit théologique – Trinitaire – et ne tenant pas trop a priori à la proclamation d’une unité originaire de l’Eglise, je propose plutôt que cette formulation soit anthropologique : elle dit ce qu’est un être humain, et, si on le veut un être humain qui croit et qui vit une expérience de vie chrétienne au sein d’une communauté. Ce que nous allons donc tenter, c’est de construire en quelques minutes une petite anthropologie de l’être humain croyant. Et cela commence par la naissance d’un petit d’homme qu’on va baptiser sans aucunement lui demander son avis. On va l’immerger – baptême religieux ou pas – immersion ou pas – dans la vie, comme il est immergé dans l’air qu’il respire.

1. Au nom du Père. L’évangile de Matthieu commence par une généalogie descendante : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob… », sautons 15 versets, un autre « Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ ». C’est la généalogie des pères. Une généalogie si longue – 42 générations – qu’on ne va pas hésiter à la dire perpétuelle.
Baptiser au nom du Père, c’est baptiser dans la perpétuité du Père, dans la perpétuité du témoignage écrit par les pères. C’est reconnaître que, sans ses pères, c'est-à-dire sans une inscription de sa vie et de sa pensée dans la suite infinie des générations, l’être humain n’est rien. Apprendre cela est la tâche d’une vie. Il faut une vie entière pour apprendre à n’être qu’un maillon, qu’un bref instant dans le fil de l’histoire, qu’un soupir dans le chant de la création. Etre baptisé au nom du Père, c’est donc se laisser inscrire, se laisser instruire, dans la perpétuité de la foi chrétienne, dans la perpétuité de la vie.
Au nom du Père
2. Au nom du Fils. Le Fils est celui qui mange et qui boit avec ses contemporains, sans les discriminer en quelque manière. Le Fils a des disciples, et des compagnons. Il partage le sort commun de sa génération, une génération qui cherche à vivre sa piété sous occupation païenne, dans un monde qui s’est ouvert ; et à cette génération, certains se rendent compte que si cette piété ne s’ouvre pas, justement, aux païens, au monde, elle n’aura d’autre perspective que disparaître.
Jésus vit avec les hommes, pour les hommes, jamais sans les hommes. Il résiste à la tentation de les dominer et de les asservir. Il ne les regarde pas de haut. Et s’il vient à les affronter, c’est les yeux dans les yeux, dans un engagement total de sa vie et de sa personne. Il vient même au monde dans les circonstances les plus humbles qui soient : une jeune femme est trouvée enceinte du Saint Esprit… Ne pensez surtout pas à la romance de la naissance de Jésus selon Luc, mais plutôt à une désespérément simple grossesse.
Jésus commence tout en bas de l’humanité, et il se lie à tous, construit une messianité singulière dont le fondement revient à affirmer qu’il n’est rien sans ses contemporains, rien sans ses frères les humains. Baptiser au nom du Fils, c’est donc inscrire l’être humain dans l’humble fraternité humaine, sans prétention, sans hiérarchie et sans discrimination.
Au nom du Fils

3. Au nom du Saint Esprit. Nous affirmons maintenant – mais maintenant seulement – que chaque être humain est unique, que si l’on est juste le maillon d’une lignée infinie, et seulement l’un parmi tous les autres de ses contemporains, on est aussi quelqu’un. Qu’on soit aussi quelqu’un ne signifie pas qu’on est surtout et avant tout surtout quelqu’un. Nous ne sommes individuellement pas des gens très extraordinaires, même si une vie est distincte de toutes les autres vies.
Dans chaque vie, il y a le très ordinaire des jours, le très commun, mais aussi, parfois, l’irruption, l’extraordinaire, la soudaineté. Repensons à cette jeune fille, Marie, qui, soudain, est trouvée enceinte d’on ne sait qui ; repensons à Joseph qui, soudain, s’est trouvé confronté à la soudaine grossesse de sa promise ; repensons à Joseph encore qui, avec une prudence et une lucidité prodigieuse, se retire en Egypte avec femme et enfant.
Le grand mystère de la singularité de l’être humain est porté par la soudaineté du Saint Esprit. Baptiser au nom du Saint Esprit, c’est, d’avance, saluer les moments tout à fait singuliers qui seront peut-être un jour vécus ; c’est également apprendre à ne rien faire pour les provoquer ; c’est enfin apprendre à disposer son cœur et son esprit de manière à pouvoir les accueillir.
Au nom du Saint Esprit
Résumons maintenant : baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, c’est se reconnaître baigné, immergé, dans la perpétuité des générations, celle de la foi, celle du nom du Père ; c’est aussi se reconnaître immergé dans la contemporanéité de la fraternité, celle dont le nom et l’exemple du Fils sont les signes et les modèles ; c’est enfin (à la fin) se reconnaître immergé dans la soudaineté, la singularité imprévisible de l’Esprit Saint qui fait que chaque vie est distincte de toutes les autres vies.
Baptiser, nous le savons, signifie immerger, raison pour laquelle certaines personnes ne baptisent qu’avec un rituel d’immersion. Ceci dit, les quelques instants d’une cérémonie pèsent peu par rapport à la durée de la vie. Baptiser signifie également plonger un récipient dans l’eau pour puiser de l’eau. Dans cette seconde signification, nous voyons que baptiser est une activité. Et qu’à cette activité il convient que nous préparions nos enfants, nos amis, ceux qui nous demandent de les instruire, pour qu’ils puissent apprendre à vivre dans la foi et à vivre de la foi. Nous voulons juste dire que le baptême n’est pas seulement un geste, mais qu’il n’est jamais distinct de la catéchèse. Le baptême est ainsi tout un apprentissage que les baptisés ont à faire, mais que ceux qui baptisent ont également à faire, plus encore que ceux qu’ils baptisent.

Alors il nous faut comprendre que, baptisés ou pas, l’exhortation apostolique du Ressuscité s’adresse très essentiellement à nous. Soyez baptisés au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit. C’est le beau travail de toute une vie : apprendre à croire, apprendre à devenir simplement un être humain. Amen

dimanche 20 mai 2018

La foi, l'émotion, la raison (Actes 2,1-41)

Il s'agira de lire 41 versets. Un très long texte pour une prédication. Je vous le propose ci-dessous ; il est plutôt connu, c'est le second chapitre du livre des Actes, un récit qui met en scène l'Esprit saint. En le lisant on verra qu'il y a deux manifestations publiques de la présence de l'Esprit. L'une très brève, relevant de l'intimité de chacun, l'autre très longue - voire exagérément didactique, ou magistrale, relevant de l'expertise d'un seul. C'est du contraste - voire de la contradiction - entre ces deux parties que naît cette méditation. Il vous faut donc commencer par persister dans la lecture, et traversant le long, très long discours de Pierre.

Actes 2
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»
14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.
15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;
16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:
17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;
18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes.
19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée.
20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux.
21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,
23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;
24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.
25 David en effet dit de lui: Je voyais constamment le Seigneur devant moi, car il est à ma droite pour que je ne sois pas ébranlé.
26 Aussi mon coeur était-il dans la joie et ma langue a chanté d'allégresse. Bien mieux, ma chair reposera dans l'espérance,
27 car tu n'abandonneras pas ma vie au séjour des morts et tu ne laisseras pas ton saint connaître la décomposition.
28 Tu m'as montré les chemins de la vie, tu me rempliras de joie par ta présence.
29 «Frères, il est permis de vous le dire avec assurance: le patriarche David est mort, il a été enseveli, son tombeau se trouve encore aujourd'hui chez nous.
30 Mais il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône quelqu'un de sa descendance, issu de ses reins;
31 il a donc vu d'avance la résurrection du Christ, et c'est à son propos qu'il a dit: Il n'a pas été abandonné au séjour des morts et sa chair n'a pas connu la décomposition.
32 Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous tous en sommes témoins.
33 Exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez.
34 David, qui n'est certes pas monté au ciel, a pourtant dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: assieds-toi à ma droite
35 jusqu'à ce que j'aie fait de tes adversaires un escabeau sous tes pieds.
36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
37 Le cœur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»
38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.
39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»
40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les encourageait: «Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée.»
41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication :
Ceux qui accueillirent la parole et qui reçurent le baptême furent environ 3000. Et nous nous demandons quelle parole ils accueillirent. Car il y a dans ce texte deux manifestations de la parole. Il y a cette manifestation spontanée et incroyable : des gens qui sont – osons le dire – des ploucs, se mettent à dire les merveilles de Dieu dans des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Et il y a Pierre – plouc parmi les ploucs – qui prononce un long – n’est-ce pas – très long – trop long ? – discours parfaitement structuré, structuré comme un catéchisme à l’ancienne… C’est apparemment dans le sillage de ce discours que ceux qui y assistent ont le cœur bouleversé. Je dis apparemment…
Deux manifestations de la parole : une manifestation collective égalitaire, simplissime, exclamative, et une manifestation individuelle hiérarchisée, très construite et très didactique. Le récit nous les présente dans un certain ordre : (1) le mystère des langues et (2) le discours construit, c'est-à-dire (1) l’émotion intérieure qui précède (2) le catéchisme ; ou encore (1) la communication intime qui précède (2) l’exposé rationnel de la foi.
Cet ordre – on pourrait même parler d’un ordonnancement des choses – (1) précède (2) – saute aux yeux lorsqu’on lit les 36 premiers versets de Actes 2. Mais, repris par la bouche de Pierre, au verset 38, le don du Saint Esprit arrive après l’exposé de la foi, et même après le baptême. C'est-à-dire que ce qui venait en premier dans la première partie du récit vient en dernier dans la seconde partie ; et alors (2) précède clairement (1).

Y a-t-il un ordre naturel des choses ? Doivent-elles être hiérarchisées ? Manifestement, l’auteur des Actes des Apôtres s’est posé la question. Et s’il s’est posé la question, c’est qu’il a dû remarquer, en son temps, qu’il y avait des communautés très portées sur l’émotion et la spontanéité, d’autres communautés très portées sur la réflexion et la rationalité, et que ces communautés, se réclamant d’un même Dieu et d’un même Christ, n’entretenaient pourtant pas des relations très fraternelles... ça n'a guère changé depuis.
L’auteur des Actes des Apôtres s’est manifestement posé la question. Mais il n’a manifestement pas répondu à la question en termes de chronologie. Parfois, dans le livre des Actes, l’Esprit Saint vient avant la catéchèse, parfois après, parfois pendant. Ce qu’a affirmé l’auteur, c’est que l’Esprit Saint se défie des structures et règlements mis en place par les hommes. Ce qu’il a affirmé aussi, c’est que, doctrine biblique ou spontanéité spirituelle, tous appartiennent à une seule et même Eglise… Il n’est pas certain qu’il ait été parfaitement entendu.
La question n’a cessé de résonner, de se répéter, et de susciter toujours la même réponse au sein des Eglises. Pour ne parler que de Luther, il a affirmé que les éléments intérieurs (don de l’Esprit et inspirations personnelles) ne viennent pas avant ni sans les éléments extérieurs (enseignement de l’Eglise). Mais de cela peut-on faire une sorte de règle ? Une telle règle serait d’emblée battue en brèche par tout lecteur un peu fin du  second chapitre du livre des Actes des Apôtres, comme nous l’avons vu. Et il nous faut donc examiner simultanément ce que nous allons considérer comme deux manifestations de ce que nous appelons l’Eglise. 

Premièrement, « ils se mirent à parles d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer ». C’est totalement inattendu, totalement spontané. Cela fait de chacun un prédicateur autorisé. C’est une puissance d’invention et de reformulation considérable. Cela a donc une fonction tout à fait importante dans la vie de l’Eglise, une fonction justement de créativité qui met tous les membres de l’Eglise sur un pied d’égalité. C’est l’aspect positif de cette inspiration directe. Mais, à bien y regarder, cette même inspiration n’a pas que des avantages et, en particulier, elle ne bâtira pas une communauté. Tout au plus formera-t-elle un groupe éphémère dont les limites transpercent les frontières doctrinales – on appelle ça aujourd’hui christianisme post-confessionnel – mais cela ne permet pas de réflexion au long cours. Et puis ce genre de groupe, justement, faute de réflexion au long cours, n’est pas en mesure de réfléchir sur un bien commun. L’inclusivisme radical a de graves défauts. Ignorant le long terme et le collectif, il ne peut que juxtaposer des émotions individuelles qui, faute justement de réflexion, sont esthétiquement belles, mais potentiellement nocives. Dans l’emportement d’une émotion, on peut hurler Christ est Vainqueur tout autant, et avec pas d’avantage de raison, qu’on pousse des cris de singes dans les stades lorsque tel joueur de couleur touche le ballon ; on peut jouir simultanément tous ensemble, sans aucunement s’interroger sur une sorte de bien commun. Faute d’une élaboration rationnelle et d’une réflexion critique, l’inspiration directe se satisfait de la jouissance de la foule et ne dispose d’aucun moyen pour discerner les esprits…
Secondement – sans hiérarchiser – vient le discours de Pierre dont le premier verbe est le verbe comprendre. Pierre, qui se pose ici en autorité reconnue et indiscutable, explique et argumente. Le moins qu’on puisse dire c’est que son discours et très largement englobant : ce qui se passe correspond au « plan arrêté par Dieu dans sa prescience », mieux vaudrait dire sa pré-compréhension ; l’ambition de l’enseignement de Pierre est que les auditeurs, en comprenant son discours, comprenne ce que Dieu lui-même a compris depuis toujours et pour toujours… excusez du peu. A ce discours – et à ce type de discours – il nous faut reconnaître d’immenses vertus : il crée un langage commun, structuré, sur lequel peuvent se greffer d’infinies variations, au sujet duquel on peut, ensemble, s’interroger, et qui permet de mettre des mots sur des événements – on gagne ainsi en intelligibilité – et, le cas échéant, de faire un classement, voire un tri, des événements. Il faut un discours rationnel pour pouvoir discerner les esprits. Mais, il faut aussi le reconnaître, ce type de discours peut se poser, voire être reçu, comme norme absolue et devenir le carcan d’une communauté sûre d’elle-même, exclusive et sclérosée.   

Nous ne pouvons pas en rester là avec le contenu de notre prédication. L’auteur des Actes ne le fait pas. A sa manière – en ayant l’air de raconter une histoire de l’Eglise – il se prononce pour les générations présentes et futures, et il leur fait remarque que la véritable fécondité d’une Eglise ne réside pas dans la doctrine excluant l’émotion, ni dans l’émotion excluant la doctrine. L’émotion a besoin de la doctrine pour se structurer en langage et pour pouvoir discerner les esprits ; la doctrine a besoin de l’émotion pour ne pas se prendre pour ce qu’elle n’est pas, pour se rappeler que Dieu est toujours autre, plus, moins, mais essentiellement autre que ce qu’on prétend comprendre de Lui.
Dans une communauté vivante et fraternelle, chacun peut vivre, selon ses propres affinités, de puissantes émotions, et élaborer une pensée de la foi. Et ce n’est pas l’une ou bien l’autre, ni l’une plutôt que l’autre. Même si chaque communauté a son propre style, c'est l’une et l’autre. Car nous sommes des êtres d’émotion,  autant que des êtres de raison.

Puisse donc l’Esprit Saint nous inspirer, inspirer nos émotions et nos discours. Et puissent nos cœurs, et notre communauté, être robustes et accueillants. Amen


dimanche 6 mai 2018

Dieu est amour (1 Jean 4,7-10 et Jean 15,9-17)

En plus des deux textes bibliques, aujourd'hui, je vous propose deux cantiques construits sur la même mélodie, à un siècle de distance l'un de l'autre. Si vous voulez entendre la mélodie, il y a ceci : https://www.youtube.com/watch?v=IMIo1UBdl9k. 


Alléluia 41-22. Louons Dieu le Créateur

1. Louons Dieu le Créateur ! Il sema partout des fleurs, Nous offrant le grand honneur D’être enfants de son lignage. Il nous pétrit de ses mains, Nous donna le beau jardin Où jouer nos lendemains D’hommes faits à son image.

2. Louons Christ le Rédempteur ! Qui vint pour chasser nos peurs, Nous donner le vrai bonheur Des enfants de son Royaume. Il s’égale aux plus petits, Les accueille et leur sourit, S’émerveille et les bénit Pour chanter la joie des psaumes.

3. Appelons le Saint-Esprit Qui insuffle en nous la vie, Nous éclaire et nous conduit Pour aimer le nom du Père. Lui l’Esprit de liberté, Le chemin de vérité De qui vient toute unité Comblera ceux qui espèrent.

Louange et prière  75. Gloire, gloire à l’Eternel

1. Gloire, gloire à l’Eternel! Qu’un cantique solennel Qu’un cantique solennel De nos cœurs monte à son trône. Quand il crée, oh! qu’Il est grand! Quand Il crée, oh! qu’Il est grand! Qu’Il est juste en punissant, Qu’Il est bon quand Il pardonne!

2. Il commande… et le néant Tressaille au premier accent Tressaille au premier accent De sa parole vivante; Et des astres radieux Et des astres radieux Sa main jette dans les cieux La poussière étincelante.

3. Il accuse et le pécheur, Devant cet accusateur Devant cet accusateur Sent sa profonde misère ; Il s’écrie en son effroi, Il s’écrie en son effroi Montagnes tombez sur moi Cachez-moi de sa colère.

4. Mais l’âme à qui le Seigneur S’est donné pour Rédempteur S’est donné pour Rédempteur Goûte une paix ineffable; Objet d’un si grand amour Objet d’un si grand amour Elle se donne en retour À ce Sauveur adorable.

5. Ô Dieu! Que tes rachetés Toujours chantent les bontés Toujours chantent les bontés De celui qui leur pardonne! Gloire, gloire à l’Eternel! Gloire, gloire à l’Eternel! Ce cantique solennel Montera jusqu’à son trône!

1 Jean 4
7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime vient de Dieu et connaît de Dieu.
8 Qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, puisque Dieu est amour.
9 Voici comment a été manifesté l'amour de Dieu au milieu de nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.
10 Voici ce qu'est l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d'expiation pour nos péchés.

Jean 15
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés; demeurez dans mon amour.
10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en gardant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11 «Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
12 Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Nul n'a d'amour plus grand que celui qui pose là sa vie pour ses amis.
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et posés là pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure: si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera.
17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.
Prédication : 
            Nous avons chanté deux cantiques sur une même mélodie (de Samuel Webbe le Jeune, 1770-1843). Plus d’un siècle sépare ces deux textes. J’aime la mélodie de ces cantiques ; c’est probablement la première mélodie de cantique que j’ai connue, j’étais alors tout enfant. Elle est un des sommets de ma petite spiritualité. Ces choses-là ne se discutent pas.
            Les deux textes parlent de Dieu, n’est-ce pas ? Mais de quel Dieu ? Tentons de ramener la théologie de chacun des deux cantiques à un seul mot. Pour le premier, Louons Dieu le Créateur (Pasteur Louis Lévrier (1923-2004) en 1999), ce serait le mot liberté (il sème à profusion). Pour Gloire gloire à l’Eternel (Dr Lamouroux (1794-1866), ce serait le mot ordre (il crée, il accuse, il punit, il pardonne).
Les deux cantiques se rencontrent sur le thème de la rédemption… encore que la rédemption de la fin du XXè siècle ne soit qu’effacement des peurs, là où celle du XIXè efface des péchés…
Vous pouvez avoir une préférence pour un texte, ou pour l’autre… Si vous n’êtes pas décidés à cet instant, gardez la feuille de culte et revenez-y plus tard.
Ces deux cantiques vous ont été aujourd’hui proposés pour introduire une réflexion sur les images de Dieu et les images des hommes – gardez bien en vous l’idée que toute image de Dieu va avec une image de l’homme. Dieu, il est comment ? Liberté ? Ordre ? Et pour quel homme est-il ceci ou plutôt cela ?

            Dans les deux textes bibliques que nous avons lus, le mot amour et le verbe aimer ne cessent d’être répétés. Dieu est amour. Les traditions conservées par l’évangile de Jean et les trois épîtres de Jean ne cessent de parler d’amour, de Dieu qui est amour, et de ce qu’est aimer.
            Dieu, comment a-t-il aimé ? L’évangile de Jean répond dès ses tout premiers versets. Au commencement… le Verbe est Dieu, et le Verbe s’est fait chair. La lumineuse univocité du Verbe est devenue équivoque comme la chair seule peut l’être. Bien plus encore que de devenir chair, ce qui pourrait laisser penser à une forme de conservation ou de réversibilité, comprenons qu’elle s’y anéantit. Plus encore que se dessaisir d’elle-même, elle se pose là sans se donner aucun moyen de se reprendre. Et c’est ainsi que Dieu aime. Et c’est ainsi qu’il envoie son Fils – avec lequel il est un – comme victime expiatoire pour les péchés des hommes, ce qui signifie très clairement qu’à partir du moment où ce sacrifice est accompli, Dieu, qui aime, n’a plus rien à exiger des humains. Aimer, dans cette perspective, dans cette tradition, c’est se poser là, y être à merci, comme offrande radicale, dans l’impuissance la plus absolue. Pour tâcher d’être un peu plus clair, Dieu qui aime, Dieu qui est amour, se donne totalement aux humains et leur dit « Faites de moi ce que vous voudrez ».
Les auteurs de cantiques dont nous avons parlé tout à l’heure ont fait de Dieu ce qu’ils voulaient.
Comme l'argile entre les mains du potier, ils ont fait de l'argile exactement ce qu'ils voulaient
            En en faisant de Dieu ce qu’ils voulaient, ces auteurs ont aussi dépeint l’homme – le croyant – tel qu’ils le veulent. Dans Louons Dieu le Créateur, le croyant idéal est un être humain libéré de toute peur, ouvert, joyeux et militant œcuménique ; c’est un croyant d’après le Concile, une croyant idéal de la seconde moitié du XXème siècle. Dans Gloire, gloire à l’Eternel, le croyant idéal est un être humain qui a vécu toutes sortes de troubles et qui, libéré de ces troubles, mène, après un long et difficile combat, une vie enfin paisible et ordonnée.

            Qu’en est-il de nos textes bibliques ? Quel croyant ? L’unique commandement, celui qui, dans l’évangile de Jean, résume toute l’aventure humaine divine du Verbe qui se fait chair, c’est « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Comment Jésus les a-t-il aimés ? Il les a aimés comme le Père l’a aimé. Et comment le Père l’a-t-il aimé ? En envoyant son Fils en victime d’expiation pour les péchés. Dieu a aimé les humains en se posant là en toute impuissance et en disant « faites de moi ce que vous voudrez ». Aimer ainsi correspond à l’obéissance à l’unique commandement de Jésus. Aimer ainsi est l’idéal du disciple, l’idéal du chrétien. Le chrétien pose là sa vie, au service de son semblable, au service de la communauté, dans un engagement total et irréversible. Il proclame son désir d’obéir et de servir ; il déclare en somme son amour… C’est cela, l’idéal du chrétien. Et lorsque cet idéal est partagé, lorsque les chrétiens s’aiment les uns les autres, c’est aussi l’idéal de la vie de la communauté. C’est un idéal, c’est même radical.
            C’est si radical que nous nous posons une première question : pour quelles raisons cela a-t-il été pensé et écrit ? Dans le nouveau Testament, il y a un autre texte qui parle admirablement de l’amour, c’est la première épître aux Corinthiens. On se rend assez vite compte que l’hymne à l’amour du chapitre 13 est un écrit de circonstances. Les chrétiens de Corinthe ont prêté énormément d’attention aux dons personnels de l’Esprit, et ont laissé de côté la vie de la communauté… Paul tente de remédier à cela en énonçant que si l’on n’a pas l’amour, tout le reste ne vaut rien. De la même manière, dans l’évangile de Jean, et surtout dans l’épître, on parle beaucoup d’amour du prochain, mais beaucoup aussi de connaissance de Dieu. Ce qui laisse supposer que des groupes ont consacré tant de leur énergie et de leurs dévotions à  parvenir à une connaissance de Dieu qu’ils en aient oublié la communauté, le prochain, le frère… L’épître serait un écrit de circonstances, qui, en fonction justement des circonstances, développe un point qu’elle juge essentiel, et invite à y revenir : aimer. Avec quel succès ? Nous avons de bonnes raisons de penser que l’auteur des Epîtres de Jean a échoué. C'est-à-dire que son interpellation n’a pas été entendue, et que les groupes qui se consacraient entièrement à rechercher la connaissance de Dieu – au détriment de la vie communautaire – se sont détachés du grand courant de l’Eglise, centrés sur leur seule recherche, se sont vraisemblablement épuisés et perdus.
            Ils se sont épuisés et perdus, et de cette aventure il est resté les écrits que sont l’évangile de Jean et les  trois petites épîtres.  Et à nous autres il est resté et reste une interpellation radicale : aimons-nous les uns les autres, posons-là nos vies, mettons-nous totalement à disposition les uns des autres… Cette interpellation radicale découle de l’affirmation non moins radicale que Dieu est amour. C'est-à-dire que si nous entendons nous en tenir, s’agissant de Dieu, à l’unique affirmation qu’il est amour, et qu’il n’est rien d’autre qu’amour, c’est ainsi qu’il nous faut absolument et résolument vivre.

            Est-ce donc ce que nous affirmons ? Est-ce ainsi que nous vivons ? Non… pas vraiment, plus ou moins. Pas du tout ? Pas tout à fait… Vous hésitez. Le prédicateur hésite. Nous sentons bien qu’à vouloir produire une confession de foi simple et univoque, nous produisons en même temps une éthique totalement impraticable, une éthique qui incessamment nous accuse…
            Mais nous sentons bien aussi que cette exhortation à l’amour et au service est pertinente tant pour la vie personnelle que pour la vie communautaire.
            Alors ? Alors, si nous sommes un tant soit peu touchés par cette exhortation, mais pas seulement par elle, il est possible que ce qui nous accuse ne nous écrase pas, mais bien plutôt nous stimule.
Ainsi, au nom de Jésus Christ nous pouvons demander au Père qu’il fasse grandir en nous l’amour. C’est même, dans le sens de notre texte, la seule chose que nous puissions demander au Père au nom du Fils. Et il nous l’accordera. Amen