dimanche 23 juin 2019

Donner et multiplier (Luc 9,10-17)



Luc 9 :
10 À leur retour, les apôtres racontèrent à Jésus tout ce qu'ils avaient fait. Il les emmena et se retira à l'écart du côté d'une ville appelée Bethsaïda.
11 L'ayant su, les foules le suivirent. Jésus les accueillit; il leur parlait du Règne de Dieu et il guérissait ceux qui en avaient besoin.
12 Et le jour commença de baisser. Les Douze s'approchèrent et lui dirent: «Renvoie la foule; qu'ils aillent loger dans les villages et les hameaux des environs et qu'ils y trouvent à manger, car nous sommes ici dans un endroit désert.»
13 Mais il leur dit: «Donnez-leur vous-mêmes à manger.» Alors ils dirent: «Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... Faudra-il que nous allions nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple.»
14 Il y avait en effet environ cinq mille hommes. Il dit à ses disciples: «Faites-les s'installer par groupes d'une cinquantaine.»
15 Ils firent ainsi et les installèrent tous.
16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et, levant son regard vers le ciel, il prononça sur eux la bénédiction, en fit des morceaux, et il les donnait aux disciples pour les présenter à la foule.
17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés; et l'on emporta ce qui leur restait des morceaux: douze grands paniers.



Prédication :
            Les disciples revinrent vers Jésus. Il les avait envoyés de par le monde pour proclamer la Bonne Nouvelle et faire des guérisons. Ce qu’ils firent. Et lui, le maître, pendant ce temps, ne faisait en somme rien de différent : proclamer, guérir…

            Je me souviens des jours de lessive chez ma grand-tante, des souvenirs de plus de cinquante ans. Dans le milieu des années 60, j’avais au plus cinq ans, on continuait chez elle à faire bouillir le linge blanc dans des lessiveuses chauffées par un feu de charbon posé à même le sol. Le rinçage final se faisait à l’eau de pluie, eau qu’il fallait puiser dans une grande citerne située sous la buanderie : un seau de 20 litres dont l’anse était reliée à une chaîne devait être lancé dans l’eau puis hissé à la force des bras ; toutes les lavandières n’ayant pas la force nécessaires, elles s’y mettaient à deux, mais on faisait aussi parfois appel à Alfred le jardinier. On ne pratiquait plus le blanchiment sur pré ; le linge était mis à sécher sur un étendage, au second étage de la grande maison. La buanderie étant en rez-de-jardin, le linge mouillé était transporté dans d’immenses paniers d’osier. Une fois encore, une seule personne ne suffisait pas…
Lorsqu’un jour on raconta aux enfants comment Jésus avait multiplié les pains, et qu’il y avait eu douze paniers de restes, l’un des enfants demanda de quelle taille étaient les paniers. Comme ceux de la buanderie ? Oui, comme ceux de la buanderie. C’est ainsi que, depuis toujours, je me représente les paniers d’osiers dans lesquels furent recueillis les restes de la multiplication des pains : immenses, tellement immenses que je pourrais tenir tout entier dedans.
Les restes du repas furent ainsi en quantité considérable. Même après plusieurs dizaines d’années,  mon étonnement demeure. Comment les restes d’un repas peuvent-ils excéder les quantités initialement apportées ? Comment une quantité si négligeable de nourriture put-elle rassasier autant de monde et produire autant de surplus ? Cette histoire nous parlait, à nous les enfants, parce que, dans la grande maison, nous étions toujours fort nombreux à table. Bien moins que 5000, mais, tout de même, toujours plusieurs dizaines, et nous voyions bien que les plats qui arrivaient bien chargés de nourriture repartaient toujours vides.
Dieu voulant, cette multiplication advint, et pas qu’une fois dans les évangiles. Cela advint aussi lorsque des prophètes s’invitaient en temps disette chez des femmes étrangères ; avec Elie, et avec Elisée, des cruches d’huile et de modestes réserves de farine ne s’étaient pas épuisées pendant tout le temps que duraient les famines.
Peut-être que pendant que la femme qui hébergeait le prophète survivait avec lui, on mourrait de faim autour d’eux. Et peut-être que pendant que Jésus multipliait les pains pour 5000 hommes, d’autres hommes, dans les environs, périssaient dénutris. Ceci nous suggère que la première interprétation de cette histoire de multiplication des pains doit être une interprétation pratique. Nous voyons des camions qui transportent des sacs de riz, et des humains faméliques qui attendent. Nous voyons d’autres humains, apparemment bien nourris, qui distribuent de la nourriture… miracles certainement pour les affamés, 800 millions sur notre planète, aujourd’hui. Oui, la foi se doit d’être pratique.
Mon stock de nourriture est-il suffisant ?
             La foi de Jésus est aussi une fois pratique. Il enseigne et agit conformément à ce qu’il enseigne. A ces gens qui sont venus il parle du règne de Dieu. Il guérit ceux qui en ont besoin. Et il nourrit. Cela fait trois activités, avec une différence notable entre les deux premières activités et la troisième. Autant Jésus semble n’avoir besoin de rien pour enseigner et pour guérir, autant, pour nourrir, il semble avoir besoin d’un apport humain. Cela devrait nous faire nous ressouvenir de la première tentation que lui infligea le diable : « Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre de devenir du pain. » Nous avons en d’autres temps commenté les tentations. Et nous avons affirmé que, en résistant à la première des trois tentations, Jésus refuse de se désolidariser des humains. Or ce refus a une conséquence : sans la solidarité, sans l’engagement des humains, Jésus ne fera rien. Jésus ne fait rien pour ceux qui ne font rien pour les autres… Nous pourrions même oser dire qu’il ne veut ni ne peut rien faire pour ceux qui ne font rien pour les autres. Et que, par conséquent, la foi chrétienne n’a de consistance, de pertinence, qu’en tant qu’elle est ordonnée à la diaconie – nous l’avons dit déjà – mais aussi qu’elle n’a de consistance et de pertinence que communautaire qu’en tant qu’elle est ordonnée à la vie communautaire.
            Et de cette vie communautaire, nous pouvons dire qu’elle a le don pour point de départ. « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Or les disciples n’ont presque rien, et de ce presque rien c’est la totalité qui leur est réclamée par Jésus. Ainsi la foi exige-t-elle un don sans reste, et c’est seulement ce don sans reste que notre Seigneur multiplie au point que les restes excèdent le don.
Et les 12 disciples qui, tous ensemble avaient donné à Jésus tout ce dont ils disposaient, repartirent chacun avec un grand panier de restes.
            Voici que nous sommes que nous sommes disciples de Christ. Où en sommes-nous de ce don sans reste ? Donne-t-on chez nous ainsi sans reste, ou se consacre-t-on ainsi sans restes à l’Évangile de Jésus Christ ? La communauté pourrait être amenée à répondre, ce qui laisse à supposer que chacun aussi devrait répondre pour lui-même. Que chacun s’examine, disons-nous toujours, et que chacun aussi poursuive au-delà de Luc 9 sa lecture de l’évangile. L’injonction à tout donner ne cesse de rebondir, d’un chapitre à l’autre. Toutes sortes de gens s’approchent de Jésus, et souvent s’en éloignent, parce que tout donner, c’est trop. Même les disciples de Jésus, qui ont pourtant tout abandonné pour le suivre, persistent à se demander qui d’entre eux est le plus grand, persistent à affirmer que oui, que bien sûr, ils le suivront toujours et jusqu’au bout… Nous savons bien ce qu’il en est de la fin de l’évangile... Pour les disciples de Jésus, avoir tout donné était encore trop peu : du reste à donner leur demeurait encore.
           
Quant à Jésus, il persiste et persistera à se donner, opérant pour ses disciples d’abord et pour l’humanité entière le don entier de lui-même. Il se donnera lui-même à manger, il se livrera totalement, corps et âme, gestes et paroles, sans reste. L’homme ne vivra pas de pain seulement, dit-il au commencement de l’évangile. Le fils de l’homme ne vivra pas autrement que par les hommes et pour les hommes, c’est ce qui se dessine tout au long de l’évangile, et s’accomplit à la croix.

            Et après ? Après la croix, la mesure est prise et de l’engagement de Jésus – tout est donné – et de ce que sont les humains, tous, même ses disciples, et même nous. Le don que Jésus fait de lui-même est sans réserve et sans reste. C’est à partir de ce don ultime que la résurrection advient, qui rend le fils de l’homme à la vie, et qui est promesse de vie pour tous les hommes. Amen

dimanche 16 juin 2019

L'esprit et la Trinité (Jean 16,12-15)


Jean 16 :
12 J'ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant ; 13 lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera.
15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il vous communiquera ce qu'il reçoit de moi.

Prédication :

            En lisant ces quelques versets, il me revient le souvenir de Jacques et Jean, disciples de Jésus qui, un jour que l’hospitalité leur avait été refusée dans un village de Samarie, se proposèrent de commander au feu du ciel de descendre et d’annihiler ce village et ses habitants (Luc 9). Ça n’est pas pour rien que ces deux disciples étaient surnommés ‘fils du tonnerre’ ; ils se proposaient de reproduire l’acte du prophète Elie qui, lorsqu’il était en colère, commandait au feu du ciel de consumer un taureau sur un autel, ou une troupe de cinquante hommes (2 Rois 1)… Jésus, réprimanda ses disciples et leur dit : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Et cela suffit pour calmer leurs ardeurs. Mais il ne se trouva personne pour calmer les ardeurs du prophète Elie, dont la trace est pour toujours maculée de cendres et de sang.
            Toujours en lisant ces quelques versets, me reviennent les souvenirs des leaders protestants du renouveau charismatique des années 70, leaders que les circonstances de la vie m’ont amené à fréquenter d’assez près. Même si, dans un second temps de ma réflexion, je me souviens de quelques personnalités lumineuses et joyeuses, je me souviens aussi – et c’est ce qui revient en premier – de toute une série de personnes dont le point commun était leur violence, la violence des réunions qu’ils présidaient, la violence de leurs enseignements, et la violence des propos qu’ils tenaient lorsqu’ils parlaient les uns des autres. J’en ai entendu douter publiquement qu’untel, autre leader de ce temps-là, fût animé par l’esprit.
            Des années 70 (du 20ème siècle) aux années 30 (du 16ème siècle), il y a peu de distance et il se trouva qu’un jour, Luther et Zwingli ayant été capables de s’entendre sur tout sauf sur le sens de « ceci est mon corps », Luther apostropha Zwingli de cette manière : « Nous n’avons pas le même esprit ! »
            Il va demeurer de cette introduction la parole de Jésus transmise par l’évangile de Luc : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Ce qui est étonnant, c’est que les principaux manuscrits que nous possédons de l’évangile de Luc ne comportent pas cette phrase ; c’est une variante intéressante, mais tout de même un peu mineure ; un peu comme s’il y avait là déjà une question délicate, pénible, voire brûlante : avant la Pentecôte, dès lors qu’il est question d’actes de puissance, ou après la Pentecôte et l’onction que nous savons, de quel esprit tous ces gens sont-ils animés ?

            Nous avons sous les yeux quelques versets de l’évangile de Jean. Dans cet évangile, l’esprit porte plusieurs noms. L’un de ces noms est parfois simplement translittéré : paraclet. En tant que tel, ça ne veut rien dire. Le mot paraclet reporté dans sa langue d’origine signifie avocat, ou consolateur. L’esprit, sous ce nom, a pour mission de consoler les disciples de Jésus anéantis par la violence de la perte de leur maître. Demandons-nous si cette consolation, la dernière prédication de leur maître ayant justement porté sur l’amour, cette consolation peut conduire les disciples à une conduite violente. Lorsqu’on lit après l’évangile de Jean les trois épîtres de Jean, on ne peut que constater cette violence. Alors, au sujet de ces gens qui ont suivi la voie particulière de cet évangile, nous pouvons nous demander : de quel esprit étaient-ils animés ?
De quel esprit suis-je animé ?
            L’esprit porte, dans l’évangile de Jean, encore un autre nom, que nous avons sous les yeux : l’esprit de vérité. « Lorsque viendra celui-là, l’esprit de vérité, il vous guidera dans toute la vérité » ou dans la vérité toute entière. Guider, c’est mener, c’est conduire sur un chemin, le chemin de la vérité, le chemin vers la vérité. Et s’il y a un chemin, et un guide, c’est que la vérité ne se présente pas comme un donné que l’on pourrait posséder. Et puisque l’adresse de Jésus est à la deuxième personne du pluriel (vous conduira), c’est que ce chemin a une double dimension : une dimension collective, et une dimension individuelle : et chacun peut bien comprendre il me conduira, et il nous conduira. Il me conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que je suis et il nous conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que nous sommes. Puis-je – et pouvons-nous – porter, supporter ce qu’en vérité nous sommes ? Puisse cet esprit venir, qu’il nous guide, et qu’il nous soit en aide.

            Pourquoi lire ce texte aujourd’hui, dimanche de la Trinité ? Et pourquoi insister sur cet esprit dont il semble qu’au fil des âges bien des gens se soient réclamés, parfois avec violence, avec grave violence ?
            En seulement quatre versets, l’évangile de Jean rassemble le Père, le Fils, et l’esprit. Il unifie le Père et le fils, et il subordonne l’esprit au Fils uni au Père. De cette opération nous pourrions dire qu’elle est d’une subtilité toute théologique. Mais en commençant par évoquer certains débordements, parfois graves, commis au fil de l’histoire par des êtres humains se réclamant presque exclusivement de l’esprit, nous suggérons que l’enjeu de la Trinité – car il s’agit bien de cela – n’est pas, pas seulement, et peut-être pas du tout, un enjeu théologique.
            En seulement quatre versets, l’esprit – esprit de vérité – est subordonné au Père uni au Fils. Or, dans l’évangile de Jean, le moment culminant du message est l’engagement suprême, le don de soi sans retour et sans reste. Et tout le parcours de l’évangile – pas seulement le parcours du Christ – mais aussi le parcours du disciple du Christ, est orienté vers ce don, avec la mesure du chemin parcouru, avec la mesure aussi du chemin restant à parcourir. Et dans ces versets, comme nous les comprenons aujourd’hui, l’enjeu de la doctrine de la Trinité n’est pas – pas seulement – un enjeu théologique – et j’ose dire ‘au diable les enjeux théologiques !’ – mais aussi, d’une manière essentielle, un enjeu éthique. Ainsi cet esprit, en tant qu’Esprit de vérité, ne parle ni de lui-même, ni pour lui-même. Il ne parle pas en sa propre faveur, mais pour dire et rappeler l’engagement de Dieu envers le monde (Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné…), et il laisse ensuite les humains prendre la mesure de leur réponse à cet engagement, c'est-à-dire la mesure de leur engagement : aimer, donner et, peut-être aimer sans reste et donner sans reste.

            Quel est mon engagement ? Quel est notre engagement ? Sœur et frères, puisse cet esprit de vérité souffler sur nous, et puisse-t-il être aussi esprit de consolation. La route est encore longue. Amen.


mardi 11 juin 2019

Pentecôte ! Comprends-tu ce que tu dis ? (Actes 2)



Actes 2
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie; 3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux. 4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. 7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens? 8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle? 9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie, 10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, 11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.» 12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?» 13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles. 15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin; 16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël :
« 17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes; 18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes. 19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée. 20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux. 21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. »
 22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,  23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies; 24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. (…) 36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»
 37 Le cœur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?» 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.
 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»

 40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les encourageait: «Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée.» 41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux. 
Prédication : 
Je voudrais vous parler quelques instants de l’un de mes collègues – je ne vous dirai pas son nom – qui a de multiples qualités, dont l’une est, indiscutablement, la gentillesse. Nous nous téléphonons assez régulièrement, pour parler de notre ministère, des personnes avec lesquelles nous devons travailler, de nos lectures, de tout, de rien… Ce collègue a une bonne élocution, il sait faire de belles phrases, dont on sait comment elles commencent et dont on ne sait jamais si elles vont finir, ou comment elles peuvent finir. Alors, lorsqu’il commence l’une de ces phrases, j’attends. Et au bout d’un moment, il s’arrête. Mais tous ne sont pas avec lui aussi patient que moi. Nous étions un jour dans une réunion de pasteurs et nous avions évoqué le 8ème chapitre du livre des Actes des Apôtres. Dans ce chapitre, un apôtre du nom de Philippe interroge un Éthiopien qui est en train de lire le prophète Ésaïe, et voici la question que pose Philippe : « Comprends-tu ce que tu lis ? » Comme nous méditions sur cette question, mon cher collègue commença une phrase sans fin et, comme cela ne finissait pas, et que ça devenait de plus en plus incompréhensible, un autre collègue l’apostropha et lui demanda : « Comprends-tu ce que tu dis ? » Et bien, en lisant et en relisant le 2ème chapitre des Actes, en méditant sur ce texte, c’est cette anecdote qui m’est revenue. La question posée à mon collègue – comprends-tu ce que tu dis ? – me semble pouvoir caractériser valablement la situation de cette première Pentecôte.
Comprends-tu ce que tu dis ?
« Comprends-tu ce que tu dis ? » Imaginons que nous posions cette question aux disciples qui, ayant reçu le Saint Esprit, se mettent à parler des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Comprennent-ils ce qu’ils disent ? Ces langues qu’ils n’ont jamais apprises, ils les ont très certainement entendues, parce qu’ils sont assidus au Temple et que le Temple attirait à lui des foules de croyants venus des quatre coins du bassin méditerranéen pour adorer Dieu. Nous savons que le cerveau humain mémorise, malgré nous, toutes sortes d’informations. Et l’Esprit Saint aidant, avec l’émotion qu’il suscite, peut entraîner parfois la résurgence de sons entendus. Mais faute d’un apprentissage réel d’une langue, on ne comprend pas. Ceux donc qui reçoivent l’Esprit Saint se mettent à dire des choses qu’ils ne comprennent pas… et que d’autres, par contre, comprennent parfaitement : « nous les entendons dans nos langues annoncer les merveilles de Dieu ».
Nous pouvons retenir ceci de cette première étape de notre méditation : ceux qui annoncent les merveilles de Dieu annoncent toujours quelque chose qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes.

Poursuivons maintenant, en considérant le discours que prononce Pierre. C’est naturellement tout autre chose que ce qui s’est passé juste avant. C’est un discours construit, c’est le discours de quelqu’un qui connaît les règles de la rhétorique, de quelqu’un qui connaît très bien les Saintes Écritures, qui a connu personnellement ce Jésus dont il parle, qui a été acteur et spectateur de l’histoire qu’il raconte ; c’est le discours de quelqu’un qui est capable de s’exprimer dans la langue véhiculaire (peut-être bien le grec), celle que comprennent tous les étrangers qui sont là, à Jérusalem, pour le pèlerinage. C’est le discours d’un homme qui sait très bien ce qu’il veut dire… et pourtant, nous allons poser de nouveau notre question du jour, nous allons la poser à Pierre lui-même : « Pierre, comprends-tu ce que tu dis ? » Bien entendu, Pierre ne va pas nous répondre ; nous allons répondre à sa place, oui, et non.
Oui, Pierre comprend ce qu’il dit. Et nous avons déjà donné tous les arguments qui étayent ce oui. Pourtant, ce oui ne nous satisfait pas, et voici pourquoi. Lorsque Pierre achève son discours, des gens sont bouleversés et demandent ce qu’ils doivent faire. Pierre leur dit quoi faire, et ils le font très exactement, en grand nombre : 3000. Nous pouvons bien évidemment nous réjouir de ce que le premier catéchisme de l’apôtre Pierre ait rencontré un tel succès. Mais ce succès tient-il seulement à Pierre ? Est-ce la science du catéchète qui mène le catéchumène au baptême, et à la confirmation ? La foi chrétienne peut-elle être ramenée à quelques énoncés bien construits et toujours efficaces ? Si nous répondons oui, cela signifie que la puissance de Dieu nous est acquise et nous est due, cela signifie que Dieu est notre obligé, cela signifie que Dieu n’est pas Dieu.
Alors, nous allons répondre que non ; Pierre ne comprend pas ce qu’il dit. Bien sûr, il est en mesure de raconter, de rapporter, d’expliquer. Et tout comme Pierre, les chrétiens doivent être en mesure d’expliquer ce qu’ils disent, ce qu’ils lisent, en mesure d’expliquer ce que signifient toutes les belles phrases de la liturgie. Mais la bonne nouvelle de l’amour de Dieu, la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus Christ est plus grande et plus profonde que nos énoncés et nos explications. Bien sûr, elle se transmet par nos énoncés et nos explications, mais elle se transmet aussi par l’attention que nous réservons à ceux qui nous interrogent, et elle se transmet mystérieusement, et essentiellement, par ce qu’il leur sera donné de comprendre, elle se transmet donc par l’action libre du Sainte Esprit. C’est pour ces raisons que nous devons dire que Pierre ne comprend pas ce qu’il dit, même s’il le dit si bien. C’est pour ces raisons que nous ne comprenons pas non plus ce que nous disons lorsque nous confessons notre foi. Dieu est plus grand, plus profond que notre foi, plus grand et plus profond que la foi de toutes les Églises.

Nous n’avons pour parler de Lui que nos pauvres mots, nos célébrations, l’attention que nous portons à nos semblables, nos actes parfois… Nous n’avons en somme presque rien. Et c’est avec ce presque rien qu’Il a choisi de se faire connaître. Grâces soient rendues à Dieu. Amen