samedi 23 octobre 2021

Enseigner la résurrection, encore (Marc 10,46-52)

Marc 10

46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l'aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier. 47 Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier: «Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!» 48 Beaucoup le rabrouaient pour qu'il se taise, mais lui criait de plus belle: «Fils de David, aie pitié de moi!» 49 Jésus s'arrêta et dit: «Appelez-le.» On appelle l'aveugle, on lui dit: «Confiance, lève-toi, il t'appelle.» 50 Rejetant son manteau, il se leva d'un bond et il vint vers Jésus. 51 S'adressant à lui, Jésus dit: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» L'aveugle lui répondit: «Rabbouni, que je retrouve la vue!» 52 Jésus dit: «Va, ta foi t'a sauvé.» Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.

Prédication

            Le récit de la guérison de l’aveugle Bartimée est souvent considéré comme la fin d’une longue séquence de l’évangile de Marc, séquence dont la lecture et la méditation nous ont été proposées pendant toutes ces dernières semaines.

            Enseigner la résurrection, c’est un titre que nous avons pu donner à cette séquence, pendant laquelle, et par trois fois, Jésus annonce à ses disciples sa Passion prochaine, et sa résurrection, sans parvenir à se faire comprendre. Son enseignement semble ne pouvoir provoquer que des réactions violentes, parmi lesquelles des revendications personnelles, certains disciples s’estimant mériter plus que d’autres de la part de Jésus (Christ Fils de Dieu) des récompenses célestes fantastique… Quant aux réactions des mêmes disciples, lorsque de pauvres et simples gens s’approchent de leur maître, elles sont toujours les mêmes, ils rabrouent ces gens – c'est-à-dire les considérant comme moins que rien, ils les chassent.

            En disant tout cela, nous faisons un état des lieux, un point de parcours, et ce point de parcours n’est pas bien glorieux. Est-ce que nous pouvons espérer qu’à tel ou tel moment du récit de l’évangile les disciples – et les lecteurs – seront dans de meilleures dispositions ?

            Avant de peut-être répondre, traversons Jéricho, et sortons de Jéricho. Un aveugle du nom de Bartimée est là qui mendie et, apprenant que Jésus de Nazareth passe, il crie. Il fait plus que crier. Imaginez le hurlement, ce volume particulier de la voix, tant forcée dans les aigues que les paroles deviennent indistinctes. Ça, le texte ne vous le dit pas, et vous devez donc imaginer le hurlement ; mais la réaction des gens qui sont là vous est très bien décrite, vous la connaissez, car c’est une réaction que les disciples de Jésus ont eue à leur tour. Elle tient en un verbe, un seul : rabrouer. C’est à la fois faire taire et chasser. Et il y en a beaucoup, dans la foule qui accompagne Jésus, disciples ou autres, qui rabrouent ce pauvre Bartimée.

            Et nous demandons : pourquoi réagissent-ils ainsi ? Pourquoi veulent-ils faire barrage entre Bartimée et Jésus ? De quoi veulent-ils écarter Bartimée ? De quoi veulent-ils protéger Jésus ? Que veulent-ils se réserver pour eux-mêmes ? Autant d’hommes dans la foule, autant de réponses possibles. Et qui convergent toutes vers la même disposition d’esprit : ce qu’ils sont en train de vivre dans le sillage de Jésus de Nazareth ne concerne pas cet aveugle qui braille assis au bord du chemin. Et, de nouveau, la question : mais pourquoi donc pensent-ils et agissent-ils ainsi ? Et, de nouveau, des réponses basiques, triviales, qui mettent en jeu des passions vulgaires, de l’envie, de l’aigreur, de l’égoïsme… rien au fond que d’assez commun.

            Nous allons repérer que toute la foule n’est pas concernée par ce triste diagnostic. Lorsque nous lisons que beaucoup le rabrouaient, cela ne signifie pas que tous le rabrouaient, et il existe donc vraisemblablement un passage étroit qui pourrait permettre à Bartimée de s’approcher de Jésus. Mais ça n’est pas par ce passage étroit que Bartimée va passer, car Jésus lui-même va s’arrêter et commander qu’on appelle l’aveugle. Jésus commande, les gens obéissent.

            Et nous imaginons des hommes qui, quelques instants plus tôt, voulaient faire taire l’aveugle, lui dire l’instant d’après : « Confiance, lève-toi, il t’appelle. » Étonnant revirement. Que devons-nous penser d’un tel revirement ? Nous pouvons penser que ces gens, voyant le tour que prennent les événements, se hâtent de choisir le bon côté. Mais est-il absolument nécessaire de voir en eux de simples opportunistes, et courage fuyons ? Nous pouvons aussi penser que la parole de Jésus, leur commandant d’appeler l’aveugle, a sur eux l’effet d’une sorte de conversion. Peut-être pas la grande conversion définitive d’une foule entière, mais un instant, un éclair, juste ce qu’il faut de temps pour que la parole chemine et soit entendue par celui à qui elle est destinée.

            Il fut dit à l’aveugle : « Ta foi t’a sauvé… », il retrouva la vue et il suivit Jésus sur le chemin. Fin de cet épisode. Bartimée n’apparaît plus. Et commencement de la Passion.

           

            Tout en lisant le récit de la guérison de l’aveugle Bartimée, nous nous souvenons du récit d’une autre guérison. C’est une femme, affligée depuis très longtemps de pertes de sang. Elle croit que si elle parvient seulement  à toucher la frange du vêtement de Jésus, elle sera guérie. Seulement il y a tout autour de Jésus une barrière hermétique, une foule compacte.

            A la fin, cette femme sera guérie. Tout comme Bartimée. A la fin, Jésus lui dira "Ta foi t’a sauvée…", tout comme il le dit à Bartimée. La foi de la femme, comme la foi de Bartimée, c’est d’insister dans leur conviction et de persister dans leur demande.

            Il faut cette persistance parce qu’il semble bien que l’accès à Jésus soit toujours plus ou moins barré, si ça n’est pas carrément verrouillé. Un verrou passif, comme une foule compacte, un verrou actif, comme ces gens qui cherchent à faire taire Bartimée, un autre verrou actif encore, les disciples de Jésus, disciples qui renvoient des gens venus pésenter des enfants à Jésus… et d’autres verrous encore. Et même si, ponctuellement, pour tel ou tel personnage, l’accès à Jésus devient tout simple, il n’en reste pas moins que plus on avance dans le récit de l’évangile, plus cela semble difficile d’accéder à lui.  Et même de plus en plus difficile : comment accèdera-t-on à Jésus Christ Fils de Dieu lorsqu’il agonisera sur la croix et lorsqu’il aura été enseveli ? Tout et tous semblent s’entendre pour le réduire au silence.

            Comment sa parole de grâce pourra-t-elle parvenir aux humains qui la cherchent ? Nous avons plusieurs réponses.

            (1) Comment la parole de grâce parvient-elle aux humains ? Voici une réponse, très littéraliste, il s’agit d’affirmer que quoi qu’on dise, et quoi qu’on fasse, dans la Bible, Jésus Christ fait toujours taire ceux qui s’opposent à Lui et qu’il parle toujours à qui il choisit de parler. On peut, partant de là, affirmer qu’aujourd’hui comme hier, Jésus surmonte toutes les barrières, et qu’il parle à ceux à qui il choisit de parler, de fait, à toi, mon frère, à toi ma sœur… « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez-pas votre cœur » (Hébreux 3). De fait, cela revient à dire qu’il appelle chacune et chacun. C’est une belle pensée. Mais que dira-t-on à ceux qui n’ont jamais entendu l’appel et qui n’ont jamais entendu sa voix ? Que Jésus ne les a pas voulus et que c’est tant pis pour eux ; leur dira-t-on aussi qu’ils sont eux-mêmes responsable du silence ?

            (2) Comment la parole de grâce parvient-elle aux humains ? Considérons encore les Saintes Écritures et leurs grands commentateurs, mais sans affirmer qu’aujourd’hui comme hier Jésus parle par eux. Regardons plutôt le simple lecteur, qui lit et qui médite ces grands textes. Parler de lui, parler du simple lecteur, c’est parler de chaque lecteur, et tous sont à égalité. La méditation régulière et obstinée des textes de la Bible et des grands commentateurs peut permettre qu’émerge une parole actuelle dans le cœur de celui qui lit. Ce sera bientôt, dans très longtemps, peut-être jamais – des années pour Martin Luther méditant l’épître de Paul aux Romains. Des années pendant lesquelles le texte demeure, l’attente demeure, et la méditation toujours recommence.

             Et un jour, Jésus passe, Fils de l’homme, fils de David, Christ Fils de Dieu, il passe, d’une manière ou d’une autre, il passe. Et nous voici de nouveau devant l’histoire qui nous est contée. Il y a Jésus et toutes sortes d’obstacles. Puissions-nous ne pas être des obstacles. Et prions que s’il veut s’adresser à nous, aucun obstacle ne soit dressé sur son chemin. Amen

samedi 16 octobre 2021

Enseigner la résurrection (Marc 10,35-45)

Marc 10

35 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchent de Jésus et lui disent: «Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander.» 36 Il leur dit: «Que voulez-vous que je fasse pour vous?» 37 Ils lui dirent: «Accorde-nous de siéger dans ta gloire l'un à ta droite et l'autre à ta gauche.» 38 Jésus leur dit: «Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé?» 39 Ils lui dirent: «Nous le pouvons.» Jésus leur dit: «La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. 40 Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder: ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé.» 41 Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s'indigner contre Jacques et Jean. 42 Jésus les appela et leur dit: «Vous le savez, ceux qu'on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. 43 Il n'en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu'un veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur. 44 Et si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il soit l'esclave de tous. 45 Car le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude.»

  Prédication

            Et une fois encore, Jésus annonça sa mort prochaine, et sa résurrection. Nous n’allons pas – pas tout de suite – nous intéresser à l’état d’esprit de ceux qui accompagnaient Jésus. Nous allons d’abord nous souvenir d’un homme qui était très riche et qui observait très scrupuleusement la Loi. Cet homme, Jésus l’aima et le complimenta pour sa piété. Mais il lui fit aussi cette recommandation : « Une chose te manque ; va, ce que tu as, vends-le, et donne-le au pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, et suis-moi. »

            L’homme s’en alla. Il avait quelque-chose dont il ne voulait pas se défaire ; il avait quelque-chose en trop ; et sa démarche vers Jésus tourna court.

            Qu’avait-il donc en trop, cet homme ? (vous savez – nous en avons parlé déjà depuis quelques semaines, que la résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu n’ajoute rien à la foi, mais, bien au contraire y retranche ; mais y retranche quoi ?)

            Cet homme donc, qu’avait-il en trop ? Ses biens, qui étaient très nombreux ? Peut-être… mais peut-être pas. Si ça n’avait été que ses biens l’affaire n’aurait pas été si triste.

            Tout à la fin des versets que nous venons de lire, il est affirmé que « Le Fils de l’homme est venu (…) pour donner sa vie en rançon pour la multitude. »

            Ce qui indique d’abord, que la multitude est captive. Captive de quoi ?

            Soyons modestes dans nos réponses. N’allons pas affirmer que la multitude est l’humanité toute entière, et restons-en – avec prudence – à cette multitude que nous voyons apparaître dans l’évangile de Marc, une petite multitude israélite, païenne, et romaine que, page après pages, nous apprenons à connaître.

            Cet homme riche et ses richesses, plus Jacques et Jean, qu’ont-ils en commun ? Ils ont en commun de considérer que la relation du croyant à Dieu est une relation dont les termes peuvent être rassemblés dans une sorte de contrat : (a) Dieu ordonne, (b) le croyant fait ce qui doit être fait, (c) Dieu, exécutant sa propre part du contrat, fait ce qui doit être fait, il rétribue et honore ceux qui ont obéi et donc bien agi.

            Ainsi, Jacques et Jean, fils de Zébédée, s’estiment-ils en droit de réclamer pour eux-mêmes dans les cieux les places d’honneur aux côtés du Christ en gloire. Ils pensent que ce qu’ils ont fait depuis le début les distingue et les qualifie. La rétribution qu’ils ambitionnent, Dieu la leur doit bien.

            La démarche de Jacques et Jean n’est au fond pas différente de celle de l’homme riche qui, ayant mené à bien toutes ses œuvres d’éthique et de piété ressent que quelque chose lui manque. Il est en quête de quelque chose en plus, de quelque chose qu’il lui faudrait ajouter à son tableau de chasse pourtant déjà très bien rempli, quelque-chose qui serait définitivement suffisant.

            Considérons maintenant les dix autres disciples les plus proches de Jésus ; les dix autre s’indignent devant l’audace des deux frères. Nous devons imaginer ici de la violence verbale, du bruit et de la fureur. Pourquoi eux deux et pas nous ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ? Et nous les voyons, ces dix, entreprendre de faire une sorte de bilan comparatif de leurs mérites…

            Il est vrai que, deux places seulement pour douze hommes, ça pose un problème insoluble.

            Les dix autres disciples ne sont pas, au fond, différends de Jacques et Jean, les deux frères ambitieux qui, eux, au moins, avaient mis des mots très précis sur leurs propres ambitions.

            A toutes ces ambitions, Jésus répond par un mot, et ce mot c’est esclave. Notons qu’il y a une hésitation dans la tradition, entre le mot serviteur et le mot esclave. C'est-à-dire que si au serviteur on peut reconnaître une compétence particulière qui peut appeler une rétribution, à l’esclave – nous sommes dans l’antiquité gréco-latine – on ne reconnaît rien qui mérite quoi que ce soit. Point de départ de toute relation avec un esclave, l’esclave n’est maître ni de son corps, ni de sa volonté, ni de son destin.

            Plus puissamment encore, Jésus parle d’un esclavage volontaire, et permanent. Il parle d’un engagement absolu envers les autres, engagement absolument gratuit, qui laisse autrui intégralement libre, de bout en bout, du commencement à la fin.

            L’engagement de Jésus envers ses disciples est adéquatement décrit en parlant d’esclavage : Jésus est l’esclave de ses disciples.

            Mais si l’on entend bien ce que Jésus propose, ce même engagement devrait être celui de chaque disciple envers chacun des autres disciples.

            Les disciples peuvent-ils comprendre tout cela ? Peuvent-ils comprendre que Jésus est leur esclave ? Et peuvent-ils comprendre qu’ils sont – ou du moins devraient être – ou devraient aspirer à être… esclaves les uns des autres ? Il n’y a pas grand-chose dans le texte – peut-être même dans tout l’évangile de Marc – qui nous indique que les disciples ont compris, non pas seulement d’une compréhension intellectuelle et verbale, mais d’une compréhension active, une compréhension concrète…

            Peut-être que personne, peut-être qu’aucun être humain, ne peut comprendre, c'est-à-dire mettre concrètement en œuvre ce qu’est cet engagement intégral, éperdu, sans reste aucun… Mais peut-être ne peuvent-ils pas le comprendre ; peut-être qu’un être humain ne peut jamais comprendre pleinement cet engagement pleinement et volontairement le vivre, et pleinement en vivre.

            En tout cas, Jésus, nous, lecteurs, le comprenons, se fait esclave de tous, se met au service de tous, et n’attend rien, absolument rien qui rétribue son engagement. Il y a bien une céleste gloire qui est évoquée, mais sans insistance aucune, car elle est ici une croyance toute humaine, croyance de Jacques et Jean.

            Les creusements successifs opérés dans le texte aboutissent à ceci : « Car le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

            Qui dit rançon dit captivité… et de quoi ces gens sont-ils captifs ? De leurs richesses, nous l’avons déjà dit, c’est sûr. Nous ajoutons qu’ils sont captifs de Dieu, car les contrats d’éthique et de piété qu’ils passent avec Dieu les rendent captifs de Dieu. Une rançon peut-elle être payée, une libération est-elle possible ?

            Le titre que Marc donne à son évangile est « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». Nous n’en ferons jamais assez pour bien réaliser que sous cette longue appellation, c’est Dieu lui-même qui est présent et agissant.

            Considérons maintenant ce qu’était la crucifixion romaine, la mort la plus infâmante qui fut, réservée aux esclaves séditieux… c’est une mort qui rajoutait l’infamie à l’indignité. Personne, personne, ne serait jamais l’obligé d’un crucifié.

            A supposer même, ce qui ne se pouvait pas, qu’un esclave ait passé un contrat avec qui que ce soit, l’autre partie au contrat en serait évidemment déliée.

            Ainsi, Dieu lui-même se fait esclave, volontairement, et volontairement meurt sur la croix. Avec pour conséquence que les humains, ceux qui ont affaire à lui, ne lui doivent absolument plus rien. Ils sont libres.

            7. Et que feront-ils de cette liberté, liberté pour eux acquise et à eux donnée ? Retourneront-ils à une servitude religieuse ? Ou apprendront-ils à vivre de cette neuve liberté en se mettant au service les uns des autres ? Puissent-ils faire ce choix-là. Amen


samedi 2 octobre 2021

La peur du vide (méditation sur les chapitres 8, 9 et 10 de l'évangile de Marc)

 

Marc 10

1 Partant de là, Jésus va dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain. De nouveau, les foules se rassemblent autour de lui et il les enseignait une fois de plus, selon son habitude. 2 Des Pharisiens s'avancèrent et, pour lui tendre un piège, ils lui demandaient s'il est permis à un homme de répudier sa femme. 3 Il leur répondit: «Qu'est-ce que Moïse vous a prescrit?» 4 Ils dirent: «Moïse a permis d'écrire un certificat de répudiation et de renvoyer sa femme.» 5 Jésus leur dit: «C'est à cause de la dureté de votre cœur qu'il a écrit pour vous ce commandement. 6 Mais au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle; 7 c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, 8 et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. 9 Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni.» 10 Plus tard, en privé, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur ce sujet. 11 Il leur dit: «Si quelqu'un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l'égard de la première; 12 et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère.» 

13 Des gens lui amenaient des enfants pour qu'il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. 14 En voyant cela, Jésus s'indigna et leur dit: «Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 15 En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas.» 16 Et il les embrassait et les bénissait en posant les mains sur eux.

Prédication : Vincennes, 3 octobre 2021

         Si nous ne prenions en considération que les 16 versets de marc que nous venons de lire, nous aurions entre les mains deux enseignements de Jésus, l’un sur le couple et l’autre sur l’accueil des enfants.

            Il est toujours possible de procéder ainsi, c'est-à-dire de considérer la page qu’on est en train de lire comme l’exposé d’un commandement absolu et intemporel. Et ce qu’on fait avec une page, on peut le faire avec la Bible entière : collection de commandements, donnant à chaque moment de la vie son commandement divin.

            C’est écrit, et il faut obéir. Ainsi, « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Marc 10,9 ; Matthieu et Luc ont aussi retenu cet enseignement.)

            Ceci étant dit, nous devons toujours nous poser une certaine question : est-ce pour énoncer quelque chose d’absolument absolu que Jésus parle ? Ou bien faut-il prendre en considération l’époque qui était la sienne, et l’époque aussi qui était celle de Marc ?

            En Israël, la Loi de Moïse permettait à un homme de renvoyer sa femme. A Rome aussi. A Rome en plus, la Romaine avait le droit de renvoyer son Romain et d’exiger de lui pension et dédommagement. Un droit que la femme Israélienne n’avait absolument pas. Tel était le droit, renvoyer. Mais renvoyer pour quel motif ? Renvoyer pour aller où ? Dans quelles conditions ?

            Ici il faut que je vous dise que les traducteurs manquent souvent de simplicité. Ils habillent de beaux mots d’aujourd’hui des réalités sordides. Ils parlent de répudiation ou de divorce, alors qu’ils devraient parler de flanquer dehors et de laisser crever (le tout en partant du même verbe grec)… telle était probablement la terrible réalité de la mise en œuvre par ces messieurs d’une ordonnance précise, et pour eux avantageuse (Deutéronome 24,1-4) de la Loi de Moïse.

            Alors nous comprenons pourquoi en face d’autant de morgue Jésus répond à la fin par un absolu. Nous comprenons aussi pourquoi il insiste sur le 4ème commandement du Décalogue, commandement majeur, sur l’adultère. Ce n’est pas pour leur parler de répudiation et d’épousailles, mais il s’agit bien plutôt d’en lourder une pour s’en prendre une autre.

            Entre Jésus et ces Pharisiens, c’est commandement contre commandement. Les Pharisiens lui ont tendu un piège, un piège biblique. La réponse que Jésus propose doit être biblique pour qu’il ne tombe pas dans le piège qui lui est tendu.

            Pourvu que les lecteurs de ces versets ne reconstituent pas à leur tour le piège qui était tendu à Jésus. Pourvu qu’ils n’y précipitent pas leurs contemporains…

            Nous allons revenir  bientôt à ces premiers versets.           

            Il y a, dans l’évangile de Marc, une séquence qui rassemble 3 chapitres : 8, 9 et 10. Nous avons lu ces dernières semaines une partie de cette séquence et des éléments nous en seront proposés pendant quelques dimanches encore.

            Dans cette séquence, Jésus annonce par trois fois sa Passion et sa Résurrection. A la fin de cette séquence, la Passion commencera effectivement (Rameaux) mais ce qui peut être repéré, c’est que chaque fois que Jésus annonce ce qui doit en être de la fin de son ministère, chaque fois, cela déclenche des réactions de force. On se souvient bien sûr de Pierre rabrouant Jésus, on se souvient aussi de Jean essayant de faire de l’annonce de l’Évangile la propriété de quelques-uns, ajoutons cette dispute entre disciples pour savoir lequel est le plus grand, et les disciples chassant ceux qui amènent des enfants à Jésus… Nous ne rappelons que ça. A quoi s’ajoutent les Pharisiens dont nous venons de parler.

            Pourquoi tellement de violence ? Parce que c’est un monde violent ? C’est un monde violent, oui. Bien plus violent que notre monde – plus violent que Vincennes et ses environs en 2021. Mais il y a surtout que la parole et les actes de Jésus Christ Fils de Dieu agissent comme des révélateurs de violence.

            Jésus parle et agit. Bien sûr sa parole est puissante et ses actes merveilleux. Mais une parole puissante et des actes merveilleux devraient plutôt susciter un silence d’admiration et une attitude de soumission. Or, il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que Jésus ne parle pas et n’agit pas pour occuper la place, ce que font ses détracteurs ainsi que ses disciples. Jésus parle et agit pour libérer de la place. Jésus libère les humains, il libère la place. En annonçant sa Passion et sa Résurrection (dans le sens très stupéfiant qu’elle a jusqu’en Marc 16,8), Jésus annonce qu’il ne veut ni gloire, ni pouvoir, ni honneur, il annonce qu’il va se laisser saisir et anéantir.

            Nous pouvons imaginer quelle sorte de vertige cela a pu engendrer non seulement chez ses disciples, mais aussi chez ses détracteurs. Ils se sont trouvés comme face au vide, pris d’un vertige. Mais autant les actes et paroles de puissance de Jésus sont de nature à combler ce vide, autant l’incompréhensible enseignement de la Passion et surtout de la Résurrection est de nature à creuser ce vide, en effaçant les actes de puissance. Et face au vide, confronté au vide, l’être humain remplit.

            L’être humain remplit, et il remplit, réaffirme sa puissance, en allant au plus facile. En s’en prenant donc à celles et ceux qui sont le moins susceptibles de répondre ou de se défendre, les femmes, les enfants, les faibles, les malades. Et c’est là que l’être humain, même s’il est en son temps disciple de Jésus Christ Fils de Dieu… c’est là que l’être humain renvoie ceux qui apportent des enfants pour que le Maître les bénisse, c’est là que les plus forts mettent en œuvre des lois qui permettent de lourder leurs faibles femmes, que d’autres réclament à Jésus pour eux-mêmes les plus hautes récompenses célestes, et d’autres encore des signes venus du ciel.

            Tout cela pour contrer le vertige qui les saisit devant les actes et les paroles de Jésus, tout cela pour remplir ce qu’ils perçoivent comme un abîme.

            Encore quelques versets et la séquence dont nous parlons aujourd’hui sera finie. La Passion commencera. Les disciples de Jésus n’auront vraisemblablement pas saisi ce que leur Maître voulait leur faire comprendre. Les adversaires de Jésus n’auront en aucun cas modifié leurs usages et leurs projets. Les disciples veulent conserver Jésus, les ennemis de Jésus veulent se  débarrasser de lui. Ni les uns, ni les autres, ne parviendront à leurs fins.

            Le vide demeure, et avec lui sans doute une certaine inquiétude. Cette inquiétude, il est possible de tout faire pour l’effacer, tout faire, même tuer. Mais cette même inquiétude peut être regardée comme une inquiétude positive, une inquiétude d’ouverture. C'est-à-dire une ouverture à la vie, c'est-à-dire accueillir, et donner.

            Ici, et pour finir, nous pouvons en revenir à cet enseignement par lequel nous avons commencé. Ce que Dieu a uni est uni devant le vide, vide qui peut être inquiétant, mais d’où le meilleur peut toujours sortir. Uni donc pour recevoir. Uni aussi pour donner. Amen