dimanche 21 mai 2017

Fermeture, ouverture (Jérémie 7)

Une vérité de foi est toujours un blasphème, avons-nous énoncé la semaine dernière, manière de dire qu'une vérité de foi doit toujours rester une interpellation, presque un reproche, un appel à la conversion, une ouverture. Mais nous savons bien que, souvent, les vérités de foi qui rencontrent un certain succès peuvent devenir obligatoires, contraignantes, voire répressive. Nous poursuivons cette semaine notre réflexion sur ce sujet.
Une pensée pour Cabu, qui nous a brocardés avec une tendre férocité
Jérémie 7
1 La parole qui s'adressa à Jérémie de la part du SEIGNEUR:
2 Tiens-toi à la porte de la Maison du SEIGNEUR pour y clamer cette parole: Écoutez la parole du SEIGNEUR, vous tous Judéens qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant le SEIGNEUR.
3 Ainsi parle le SEIGNEUR le tout-puissant, le Dieu d'Israël: Soyez bons sur vos chemins, avec votre manière d'agir, pour que je puisse habiter avec vous en ce lieu.
4 Ne vous bercez pas de paroles illusoires en répétant «Palais du SEIGNEUR! Palais du SEIGNEUR! Palais du SEIGNEUR! Il est ici.»
5 Mais plutôt soyez bons sur vos chemins, avec votre manière d'agir, en défendant activement le droit dans la vie sociale;
6 n'exploitez pas l'immigré, l'orphelin et la veuve; ne répandez pas du sang innocent en ce lieu; ne courez pas, pour votre malheur, après d'autres dieux;
7 je pourrai alors habiter avec vous en ce lieu, dans le pays que j'ai donné à vos pères depuis toujours et pour toujours.
8 Mais vous vous bercez de paroles illusoires qui ne servent à rien.
9 Pouvez-vous donc commettre le rapt, le meurtre, l'adultère, prêter de faux serments, brûler des offrandes à Baal, courir après d'autres dieux que vous ne connaissez pas,
10 puis venir vous présenter devant moi dans cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé et dire: «Nous sommes sauvés!» et puis continuer à commettre toutes ces horreurs?
11 Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits? Moi, en tout cas, je vois qu'il en est ainsi - oracle du SEIGNEUR.
12 Allez donc au lieu qui m'appartenait, à Silo, là où j'avais tout d'abord fait habiter mon nom, et voyez comme je l'ai traité à cause de la méchanceté de mon peuple, Israël.

13 Or maintenant, vu que vous avez commis tous ces actes - oracle du SEIGNEUR - , que je vous ai parlé inlassablement sans que vous ayez écouté, que je vous ai appelés sans que vous ayez répondu,
14 eh bien, la Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, dans laquelle vous mettez votre confiance, et le lieu que j'ai donné à vous et à vos pères, je les traiterai comme j'ai traité Silo.

15 Je vous rejetterai loin de moi comme j'ai rejeté tous vos frères, toute la descendance d'Ephraïm.

Prédication : 
Une vérité de foi est toujours une ouverture à Dieu, aux frères, et à la vie. Mais une vérité de foi, comme « Moi et le Père nous sommes un », peut toujours être imposée autoritairement, brutalement. Ce n’est plus alors une ouverture, mais une fermeture. Combien de temps prend un tel processus ? Et ce qui est fermé, cela peut-il de nouveau s’ouvrir ? Nous méditons ces questions, en lisant  le 7ème chapitre du prophète Jérémie.

            Lorsque Jérémie s’exprime ainsi que nous l’avons lu, quel est l’âge du Temple de Jérusalem ? Quelques siècles peut-être depuis son édification sous le règne de Salomon, mais seulement quelques décennies tout au plus depuis sa restauration sous le règne du roi Josias.
            Nous pouvons penser que Jérémie le prophète, qui était d’une famille de prêtres, avait été témoin de la grande réforme du culte qui avait eu lieu sous le règne du roi Josias. Quelle réforme ? Notre Réforme à nous que nous fêtons cette année à pour devise le doublet luthérien sola gratia – sola fide. La réforme de Josias eut pour devise « J’ai trouvé le livre de la Loi dans la Maison du Seigneur » (2Rois 22,8). La réforme de Josias avait pris la forme d’une centralisation radicale du culte – tous les autres lieux avaient été détruits ; elle affirmait aussi de l’unicité de Dieu : Dieu est unique ; elle affirmait aussi que le seul lieu de culte où Dieu devrait être prié était le Temple, à Jérusalem, et Dieu devrait y être prié d’une certaine manière très précise… Mais tout cela n’est qu’une moitié de la réforme de Josias, la moitié rituelle et politique. L’autre moitié de la réforme de Josias, c’est ‘le livre de la Loi trouvé dans la maison du Seigneur’. Le livre de la Loi – disons le Deutéronome – ne dit pas seulement comment on doit prier, il dit aussi comment on doit vivre. Plus profondément même, – souvenez-vous des deux inséparables tables de la Loi – comment on doit prier (table 1) et comment on doit vivre (table 2) pour que la prière, et la vie, ne soient pas des non-sens, des impostures…
            Jérémie a été témoin de cette réforme ; il en a manifestement pensé les enjeux éthiques et théologiques. Jérémie a été témoin aussi de ce que, très rapidement, cette réforme s’est raidie, durcie. Célébrer rassemblés sera devenu obligation absolue. Et tous les abus inhérents aux situations de monopoles auront eu lieu sous ses yeux.
Moins d’une génération s’écoule entre la réforme de Josias et la protestation véhémente de Jérémie. 

Combien de temps s’écoule-t-il entre le moment où une vérité de foi est énoncée, et le moment où, en son nom, on fait violence à autrui ? Moins d’une génération. Sous les yeux de Jérémie, on crie ‘Palais du Seigneur ! Palais du Seigneur ! Palais du Seigneur ! Dieu est ici ! » ; mais on profite du faible, du pauvre, on méprise la parole donnée, on tord la justice ; et de l’innocent, du prochain, on ne fait aucun cas.
            Alors Jérémie interpelle ses contemporains. Dieu habite-t-il ce Temple et protège-t-il son peuple parce que c’est là qu’on lui fait de belles prières et qu’on lui offre des sacrifices conformes ? Le Seigneur Dieu habite-t-il le Temple comme un chien habite sa niche et protège ses maîtres ? Dieu peut-il seulement habiter le Temple, vu comment ses adorateurs se comportent ? Et Jérémie vocifère : Dieu n’habite pas, ne peut pas habiter là, ne veut pas habiter ce lieu.
Blasphème ! Blasphème, hurle-t-on autour de lui ! Et Jérémie, soyons-en certains, est en danger de mort, comme le sera, en son temps, le Christ Jésus.
Combien de temps faut-il pour qu’une vérité de foi devienne un marqueur identitaire, pour que la grâce d’une révélation devienne une machine à dominer ? Moins d’une génération, telle est la réponse de l’Ancien Testament. Et la réponse du Nouveau Testament, Luc, Jean, et Paul n’est pas différente…

Mais voici une autre question. Est-ce que ça peut aller dans l’autre sens ? Peut-on inverser le phénomène ? La machine à dominer peut-elle redevenir un lieu de bénédiction ? Trois réponses sont possibles : non, peut-être, et oui.
Non ! La pente ne peut pas être remontée. Première réponse de Jérémie ! Réponse d’un prophète radical : non ! Et il étaye sa réponse en rappelant le destin de Silo, lieu de culte et de justice au pays d’Ephraïm, où la justice avait été tordue, et que le Seigneur rejeta, selon Jérémie. Silo fut ravagée, et tout le peuple exterminé… Ainsi, le Dieu du 7ème chapitre du prophète Jérémie est un Dieu extrême. La pente ne se remonte pas, Dieu ne pardonne pas, il punit, impitoyablement… Une telle théologie est possible. Mais elle n’est pas la seule possible.
Après la théologie du non, de l’irréversible, il y a le peut-être. Au nom du Seigneur Dieu, Jérémie adresse un sévère avertissement à ses frères, mais au titre de cet avertissement, c’est un peut-être. « Améliorez votre conduite, votre manière d'agir, pour que je puisse habiter avec vous en ce lieu. » Ça ressemble à une exhortation morale ; c’est plus qu’une exhortation morale. Ayez souci de la vie, chérissez-la, protégez-là ; n’agissez pas comme les prédateurs des plus faibles ; faites le bien, agissez avec bonté, pour que demain soit un avenir, et pas seulement pour vous-même, mais aussi pour ceux qui sont pauvres, vulnérables... C’est ainsi que votre prière aura du sens, le même sens que celui de votre vie, alors le Seigneur pourra habiter cette maison, alors il habitera réellement ce lieu. Peut-être donc que si vous mettez de la bonté dans vos actes, et vous pouvez certainement choisir le faire, la machine à dominer va redevenir un lieu de bénédiction. Et ce qui était alors devenu un instrument d’oppression peut, peut-être, si vous agissez avec bonté, redevenir une vérité de foi. 

Mais, même si c’est ce chemin qui est choisi, des catastrophes peuvent arriver. Et il y avait certainement des gens très droits, très pieux et très saints dans Jérusalem lorsque les Babyloniens ont ravagé la ville et détruit le Temple. Les catastrophes s’abattent sur les justes comme sur les injustes.
Et que devient alors la prophétie de Jérémie ? Si c’est la prophétie sous sa forme radicale, il sera dit que Dieu a rejeté son peuple et détruit le Temple, comme il l’avait dit.
Mais si c’est la prophétie sous la forme du peut-être, alors quelque chose de très précieux a eu lieu, quelque chose de très très précieux. Lorsque Jérémie énonce  que Dieu pourrait bien ne pas habiter ce temple, et que ce qui importe, s’agissant de la présence de Dieu, c’est la cohérence entre le culte qu’on lui rend et l’existence qu’on mène… lorsque Jérémie énonce cela, il commence à énoncer que d’un Temple Dieu pourrait bien se passer, et que la vie bonne, la vie juste et droite, la vie selon Dieu, peut, tout comme la présence de Dieu, se passer de lieux sacrés et de trop saints sacrifices. Ce que Jérémie commence à semer, c’est la possibilité d’une présence de Dieu dans toute communauté digne de ce nom, et surtout, surtout, l’idée d’une présence de Dieu dans le cœur même de l’homme.
Si c’est bien cela que Jérémie annonce, ce n’est plus peut-être, mais oui. La pente qui transforme une vérité de foi en instrument de domination peut être remontée. Celui qui médite et agit la remontera. Et s’il vient à survivre à une catastrophe, il ne baissera pas durablement les bras. Il survivra dans la foi, et par la foi.

Prière, méditation et étude, réflexion et action bonne : la foi est ainsi la plus forte. Le Seigneur nous invite ; il nous accompagne. Amen


dimanche 14 mai 2017

Une vérité de foi est toujours un blasphème (Jean 10,22-39 et Psaume 82)

Pour ce dont je me souviens, il y a eu Je vous salue Marie de Godard, La dernière tentation du Christ, de Scorcese, incendie de cinéma et mort d'homme, il y a eu le saccage des anges d'Ernest Pignon-Ernest à Montauban, les hurlements autour de Piss Christ d'Andres Serrano... je ne voulais pas me souvenir des hurlements au blasphème qui proviennent d'autres traditions religieuses que le mienne, légions ils sont, il y a le blasphème contre le Saint Esprit (Marc 3,29) qui excite tellement de graves prédicateurs...  et il y a toujours d'autres gens pour dire que la violence, ils sont contre, mais qu'ils comprennent les réactions de ceux qui se sentent agressés dans ce qu'ils ont de plus précieux. Plantu, il y a longtemps, avait dessiné deux petits personnage dialoguant sur fond d'incendie, je n'ai pas retrouvé le dessin : - Le film, je l'ai pas vu, mais je suis contre. - Les incendies, je les ai vus, et je suis pour. Et puis il y a eu des caricatures, des dessins, des assassinats... Et moi, j'ai regardé de nouveau des clips de Marilyn Manson, pour me nettoyer la tête de toutes ces conneries, puis j'ai prié Dieu d'avoir pitié de nous.
Jean 10
22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C'était l'hiver.
23 Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon.
24 Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent: «Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en suspens? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement!»
25 Jésus leur répondit: «Je vous l'ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage,
26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis.
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.»
31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider.
32 Mais Jésus reprit: «Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?»
33 Les Juifs lui répondirent: «Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu.»
34 Jésus leur répondit: «N'a-t-il pas été écrit dans votre Loi: J'ai dit: vous êtes des dieux?
35 Il arrive donc à la Loi d'appeler dieux ceux auxquels la parole de Dieu fut adressée. Or nul ne peut abolir l'Écriture.
36 À celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites: ‹Tu blasphèmes›, parce que j'ai affirmé que je suis le Fils de Dieu.
37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas!
38 Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin que vous connaissiez et que vous sachiez bien que le Père est en moi comme je suis dans le Père.»
39 Alors, une fois de plus, ils cherchèrent à l'arrêter, mais il échappa de leurs mains.
Psaume 82
1 Psaume. D'Asaf. Dieu s'est dressé dans l'assemblée divine, au milieu des dieux, il juge:
2 Jusqu'à quand jugerez-vous de travers en favorisant les coupables? Pause.
3 Soyez des juges pour le faible et l'orphelin, rendez justice au malheureux et à l'indigent;
4 libérez le faible et le pauvre, délivrez-les de la main des coupables.
5 Mais ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, ils se meuvent dans les ténèbres, et toutes les assises de la terre sont ébranlées.
6 Je le déclare, vous êtes des Dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut,
7 pourtant vous mourrez comme les hommes, vous tomberez tout comme les princes.

8 Lève-toi, Dieu! Sois le juge de la terre, car c'est toi qui as toutes les nations pour patrimoine.

Prédication : 
            Moi et le Père, nous sommes un. Jésus, sommé de dire franchement, s’il est le Christ répond : Moi et le Père nous sommes un. Blasphème, hurlent aussitôt certains. Parce qu’un homme se fait Dieu. Je voudrais, au fil de cette prédication, partager avec vous l’idée que oui, c’est un blasphème, et qu’il est nécessaire pour la foi que cela demeure toujours un blasphème.
           
            Moi et le Père nous sommes un, dit Jésus. Et, de nouveau, les juifs ramassèrent des pierres pour le lapider.
            Soyons prudents – extrêmement prudents – avec l’appellation ‘les juifs’. C’est une désignation qui ne désigne pas les Juifs au sens d’un antisémitisme. Il y a dans cette scène des gens qui, en entendant ce que Jésus dit, hurlent au blasphème et veulent le lapider, une fois encore, une fois de plus, comme d’habitude. Ce n’est pas le nom que Jean leur donne qui importe, mais leur attitude lorsqu’il y a blasphème. Pour ces gens, si quelqu’un blasphème il doit immédiatement être mis à mort. Et nous, moins pressés qu’eux, nous nous demandons pourquoi ? Pourquoi, dans cette situation, celle que rapporte ce texte, veulent-ils mettre Jésus à mort ? Question simple, et réponse simple : Jésus, qui est un homme, se fait Dieu en énonçant qu’il est un avec le Père.
            Est-ce aussi simple ? Est-ce que dire de soi-même ‘moi et le Père nous sommes un’, cela revient à se faire Dieu ? C’est une évidence pour ceux qui s’opposent à Jésus. Nous n’allons pas discuter de cette évidence puisqu’il y a urgence : un homme risque d’être lapidé, tout comme risquait d’être lapidée, et c’est aussi dans l’évangile de Jean, une certaine femme qu’on avait surprise en situation flagrante d’adultère. Il faut de toute urgence opposer aux assassins quelque chose qui leur soit effectivement opposable… il n’y a que l’Ecriture Sainte. Et l’Ecriture Sainte – que Jésus appelle aussi ici la Loi, parce que, justement elle fait Loi – appelle parfois Dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée. La Loi en effet appelle Dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée, une fois, et une fois suffit, une fois seulement doit être prise infiniment au sérieux, plus encore que si c’était cent ou mille fois.
            La parole de Dieu vous a été adressée, vous êtes des Dieux. Auditeur de la prédication, vous êtes des Dieux, et le prédicateur avec vous, pas moins, pas plus, et quoi qu’il arrive, et quoi que vous fassiez de cette parole ! C’est écrit dans l’Ecriture et personne ne peut abolir l’Ecriture. Et ainsi, sous les auspices de l’Ecriture, il devient « aussi vrai de dire que c’est Dieu qui fait l’homme que de dire que c’est l’homme qui fait Dieu ». Avec cette citation de A. N. Whitehead, j’exagère, mais à peine ! Vu la situation dans laquelle est Jésus, sur le point d’être lapidé pour blasphème, qui, de lui ou de ses détracteurs, se fait Dieu ? Lui qui dit ‘moi et le Père nous sommes un’, ou eux qui s’arrogent le droit de décider qui doit vivre et qui doit mourir ? Vous êtes des Dieux, énonce l’Ecriture. Et cela signifie que si l’on veut en situation savoir ce qu’il en est de Dieu, il faut observer le comportement des humains qui se réclament de Lui : Dieu est cela.
Dieu, dans le film Dogma (1999)

            Au fait, pourquoi ces hommes veulent-ils lapider Jésus ? Parce qu’il s’est fait Dieu, disent-ils. Mais c’est faux. Ce n’est pas parce que Jésus s’est fait Dieu. Ces hommes sont des Dieux et ce n’est pas Dieu qu’ils défendent ou protègent s’ils lapident Jésus, c’est eux-mêmes, eux-mêmes en tant que Dieux. Ils veulent le mettre à mort parce que c’est autrement qu’eux qu’il est Dieu. Parce qu’ils ne veulent pas d’un Dieu autrement qu’eux-mêmes. Ce n’est pas Dieu qu’on défend ou qu’on protège lorsqu’on punit le blasphème, c’est soi-même en tant que Dieu. 
            Et nous n’allons même pas opposer à ces hommes que Jésus ne s’est pas fait Dieu, qu’il ne pouvait pas se faire Dieu parce qu’il est Dieu. Certains disent qu’il est Dieu, d’autre objecteront qu’un homme ne peut pas être Dieu. Même si l’Eglise s’est prononcée dès le Concile de Nicée (325) sur la consubstantialité du Père et du Fils, même si les Réformateurs ont toujours ratifié les canons des grands conciles œcuméniques, l’unité du Père et du Fils doit toujours demeurer une vérité de foi, et jamais devenir une vérité de droit. L’unité du Père et du Fils est donnée « par la foi et pour la foi » (Romains 1,17). Une vérité de foi est toujours un blasphème.

            Pourquoi affirmer une chose si étonnante ? Parce qu’un blasphème n’est pas un propos inconvenant sur Dieu. Il n’y a de propos inconvenants sur Dieu que sur des images de Dieu. Ce n’est pas en Dieu qu’on croit lorsqu’on défend telle ou telle image de Dieu. Hurler au blasphème est le signe d’une puissante interpellation qui vous atteint. Un blasphème est une interpellation. Lorsque nous lisons le 10ème chapitre de Jean, et le Psaume 82, cette interpellation est tout à fait claire et elle ne porte pas sur Dieu, mais sur l’homme. Le blasphème contre Dieu interpelle en vérité les œuvres de ceux qui se réclament de Dieu, et interpelle aussi et surtout l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, d’eux-mêmes en tant que Dieux. Que professes-tu ? Que fais-tu de ton prochain, de la veuve, de l’orphelin, du faible, du pauvre, etc. ? Attends-tu de ton acte et de ta parole qu’ils soient vus et reconnus, ou bien les poses-tu là, les laisses-tu là, accomplis et donnés ? Tes actions soi-disant bonnes sont-elles affaire d’opportunisme, de calcul, ou les accomplis-tu gratuitement, au passage ? Et finalement, pour qui vis-tu, homme, pour toi-même, ou pour Dieu, uni à Dieu, ou séparé de Dieu ?
Et bien au regard de ces questions, l’unité du Père et du Fils, vérité de foi, est une puissante interpellation, un blasphème. Notre cœur sait pourquoi nous agissons et pour qui nous vivons… Lorsque nous lisons l’évangile de Jean et que nous laissons résonner en nous cette phrase que Jésus y prononce, ‘Moi et le Père nous sommes un’, nous pouvons dire que oui, l’homme Jésus est un avec le Père, et que, s’agissant de nous-autres, c’est non. L’interpellation est là, radicale, et alors, comme le dit le Psaume 82, « toutes les assises de la terre sont ébranlées ». Mais cette interpellation pourtant ne doit pas conduire au désespoir. Le propre de la vérité de foi, en tant que blasphème, est de signifier la vérité, à un moment donné. Vérité en vue d’une décision, d’un choix.
Quel homme, quelle femme, le croyant va-t-il choisir d’être ? Celui qui hurle au blasphème et lance des pierres ? Et bien, même si c’est ce choix qui est fait, la vérité de foi demeure inentamée : « une fois de plus, ils cherchèrent à l’arrêter, mais il échappa de leurs mains. » Ultime interpellation, ultime blasphème : vous ne l’arrêterez jamais, ni par les pierres, ni par les mots, ni par les images, ni par la croix, ni par la tombe. Ultime promesse, aussi : celui qui est un avec le Père est vivant, et bien vivant, pour les siècles des siècles. Le choix de la foi demeure toujours possible. Amen.

jeudi 11 mai 2017

l'Eglise et l'oeuvre de salut de Dieu (Néhémie 8), escale à New York City

en hommage discret et reconnaissant au Rev. Dr. Scott Black Johnston, NYC, Fifth Avenue Presbyterian Church

 TOB  Néhémie 8
1 Tout le peuple, comme un seul homme, se rassembla sur la place qui est devant la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d'apporter le livre de la Loi de Moïse que le SEIGNEUR avait prescrite à Israël.
2 Le prêtre Esdras apporta la Loi devant l'assemblée, où se trouvaient les hommes, les femmes et tous ceux qui étaient à même de comprendre ce qu'on entendait. C'était le premier jour du septième mois.
3 Il lut dans le livre, sur la place qui est devant la porte des Eaux, depuis l'aube jusqu'au milieu de la journée, en face des hommes, des femmes et de ceux qui pouvaient comprendre. Les oreilles de tout le peuple étaient attentives au livre de la Loi.
4 Le scribe Esdras était debout sur une tribune de bois qu'on avait faite pour la circonstance, et à côté de lui se tenaient Mattitya, Shèma, Anaya, Ouriya, Hilqiya et Maaséya à sa droite, et à sa gauche: Pedaya, Mishaël, Malkiya, Hashoum, Hashbaddana, Zekarya, Meshoullam.
5 Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple, car il était au-dessus de tout le peuple, et lorsqu'il l'ouvrit tout le peuple se tint debout.
6 Et Esdras bénit le SEIGNEUR, le grand Dieu, et tout le peuple répondit: «Amen! Amen!» en levant les mains. Puis ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant le SEIGNEUR, le visage contre terre.
7 Yéshoua, Bani, Shérévya, Yamîn, Aqqouv, Shabtaï, Hodiya, Maaséya, Qelita, Azarya, Yozavad, Hanân, Pelaya - les lévites - expliquaient la Loi au peuple, et le peuple restait debout sur place.
8 Ils lisaient dans le livre de la Loi de Dieu, de manière distincte, en en donnant le sens, et ils faisaient comprendre ce qui était lu.
9 Alors Néhémie le gouverneur, Esdras le prêtre-scribe et les lévites qui donnaient les explications au peuple dirent à tout le peuple: «Ce jour-ci est consacré au SEIGNEUR votre Dieu. Ne soyez pas dans le deuil et ne pleurez pas!» - car tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la Loi.
10 Il leur dit: «Allez, mangez de bons plats, buvez d'excellentes boissons, et faites porter des portions à celui qui n'a rien pu préparer, car ce jour-ci est consacré à notre Seigneur. Ne soyez pas dans la peine, car la joie du SEIGNEUR, voilà votre force!»


  1. Mon collègue Scott Black Johnston, pasteur principal (senior pastor) de la FAPC (Fifth Avenue Presbyterian Church), donnait ces dernières semaines une série de méditations intitulée « The case for Church », la cause de l’Eglise. Et la ligne directrice de cette série de sermons est donnée par une citation de Eugene H. Peterson : « Church is the textured context in which we grow up in Christ to maturity. But church is difficult. Sooner or later, though, if we are serious about growing up in Christ, we have to deal with church. I say sooner. » l’Eglise est le cadre structuré dans lequel nous grandissons en Christ jusqu’à maturité. Mais l’Eglise, c’est dur. Tôt ou tard, cependant, si nous envisageons sérieusement de grandir en Christ, nous avons à nous expliquer avec l’Eglise. Je dis plutôt tôt... »
    1. Eugene H. Peterson, né en 1932, est une autorité ecclésiastique et spirituelle dans le monde presbytérien américain – nos plus proches cousins américains. L’un de ses livres (1980) est intitulé : « A Long Obedience in the Same Direction: Discipleship in an Instant Society. » Une longue obéissance toujours dans la même direction : être disciple dans une société de l’instantané. » Il est aussi l’auteur d’une très belle traduction dynamique de la Bible (The Message Remix)…
  2.  Ce qui m’intéresse le plus, dans cette série, c’est une certaine idée sur l’Eglise, sur la nécessité de l’Eglise : l’affirmation que l’Eglise est le vase que Dieu a choisi pour faire connaître au monde son œuvre de salut. L’allusion aux vases d’argiles de 2 Corinthiens 4:7 est évidente. Mais j’observe que ce genre d’affirmation sur le choix de Dieu pour l’Eglise émane presque toujours des milieux ecclésiastiques, par définition très intéressés, très concernés par l’existence même de l’Eglise…
    1. Ce qui conduit à poser une multitude de questions.
    2. 1. Dieu a-t-il vraiment besoin de l’Eglise ? 2. L’Eglise a-t-elle besoin de Dieu ? 3. Qu’en serait-il de Dieu, ou du Christ Jésus, de l’œuvre de salut, si les Eglises venaient à disparaître ? 4. Grandir en Christ, être disciple, cela peut-il advenir hors de l’Eglise ? 5. Combien de temps est-on susceptible de consacrer à l’Eglise ?
  3. La dernière de ces questions s’est posée dimanche dernier. Concernant la longue obéissance, elle se pose chaque fois qu’un baptême a lieu, baptême d’enfant, et que nous accueillons au temple des gens qui, très manifestement, ne font qu’y passer et attendent la fin de l’office.
  4. Concernant l’Eglise, l’Eglise est là, ça va de soi, il y a une Eglise. Mais de quelle Eglise parlent-ils, mes collègues américains, lorsqu’ils parlent de l’Eglise ? Ils sont des presbytériens américains – ici nous dirions des Réformés – des enfants de Calvin, je pense. Il me semble. J’en suis même tout à fait certain lorsque Scott évoque l’Eglise et son trésor à partir de Néhémie 8. Le trésor de l’Eglise, c’est au fond la Bible, liturgiquement célébrée, publiquement lue et personnellement expliquée, en vue d’une vie personnelle et communautaire droite et juste.
    1. D’autres théologiens, catholiques et français, milieu et fin des années 80, ne parleraient pas ainsi. Ils diraient que les Saintes Ecritures sont par nature toujours d’abord de la liturgie. Ils parleraient des sacrements réputés exprimer et accomplir la parole et la volonté de Dieu « d’une manière plus radicale encore que les Saintes Ecritures ». L’étude de la Bible et l’action sociale étant clairement secondes par rapport au sacrement… et l’homme est sans importance par rapport à l’Eglise. Je me demande, si je traversais la 5ème avenue et que j’aille, juste en face, chez les catholiques américains de 2017, cathédrale Saint Patrick, si je percevrais aussi nettement que cela cet équilibrage catholique romain français 1987 (année de parution de Symbole et Sacrement, de Louis-Marie Chauvet) en faveur de l’Eglise et des sacrements…
  5. Quoi qu’il en soit Scott s’explique sur le trésor de l’Eglise, et il affirme, à NYC, en 2017, que l’Eglise est la seule à disposer de ce trésor, c’est son langage, ce triplet liturgie-Ecriture-prédication mis en œuvre patiemment, un jour après l’autre, non seulement dans les célébrations et activités communautaires mais aussi dans la méditation personnelle quotidienne. Seule l’Eglise – entendons l’Eglise telle qu’il la pense et telle qu’il la vit en tant que chrétien de tradition presbytérienne à NYC, mais peut-être pas, peut-être qu’il inclut dans son idée d’Eglise les Episcopaliens qui sont ses voisins, les Catholiques qui sont en face, les Baptistes de Harlem et les Luthériens de Brooklyn Heights – seule l’Eglise dispose de ce trésor. C'est-à-dire que, pour Scott, l’Eglise est un havre, le seul havre, un lieu pour prendre son temps, le seul lieu, pour habiter, pour penser sa vie, se recueillir et agir, sous le regard de Dieu et à la suite du Christ.
    1. Je partage totalement cela.
  6. Mais je suis membre d’une vraiment petite Eglise, l’EPUdF, minoritaire, en France laïque à sa manière. C’est vraiment peu de chose, l’EPUdF, le protestantisme en France, ça a même presque disparu, c’est si petit qu’on peut même penser que ce n’est pas nécessaire, et donc, mieux que mes amis américains, je suis équipé pour me demander si l’Eglise est si nécessaire que ça, si ce n’est pas un peu un plaidoyer pro domo  que d’affirmer que l’Eglise est le vase que Dieu a choisi… Qu’adviendrait-il si les Eglises disparaissaient et que les Saintes Ecritures se retrouvaient toutes seules, tout comme se sont retrouvées toutes seules les tragédies grecques une fois qu’elles n’ont plus été jouées par personne… Serait-ce alors la fin de l’œuvre de salut de Dieu ? Nous avons, pour répondre à cette question, en langue française, des pistes méditatives, celle de Christian Bobin, ou de Sylvie Germain ; pour la réflexion, des pistes accessibles en langue française, la piste André Comte-Sponville (c’est un bon lecteur de la Bible, par exemple, dans le dernier chapitre du Petit traité des grandes vertus, il lit, de belle manière, 1 Corinthiens 13), la piste Alain Badiou (Saint Paul. La fondation de l’universalisme) ; il y a d’autres pistes de réflexion, mais très très difficiles à suivre, la piste Derrida, par exemple… Difficile, ou très difficile à suivre, cela signifie que si l’homme du commun, ou l’homme fatigué, ouvre de tels ouvrages, composés par des auteurs probes mais étrangers aux traditions ecclésiastiques, il n’y trouvera que la moitié de ce que, dès Néhémie, on sait pouvoir y trouver : l’explication et la réflexion. Mais la méditation, le recueillement… il ne l’y trouvera pas.
    1. Je pense que si les Eglises disparaissaient il manquerait justement la dimension de récapitulation simple, de recueillement, de repos, mais aussi d’interpellation… que la liturgie apporte. Et il me semble que seule l’Eglise, seules les Eglises, chacune avec son propre style, sont en mesure d’apporter cela aujourd’hui.
  7. Que la plupart de nos contemporains ne souhaitent pas inclure dans leur vie cette dimension de recueillement et d’interpellation, c’est seulement ce que nous devons constater. Mais comme nous ne savons pas vraiment ce que veulent et ce que cherchent les gens qui entrent dans nos Eglises, et que nous ne voulons pas non plus nous incliner sous tous les vents et envies qui passent, il nous faut persister à agir et à célébrer ainsi que nous pensons devoir agir et célébrer.
  8. Je pense que Dieu a besoin de l’Eglise, Dieu en tant que simple réalité humaine, liturgique, critique et consolatrice, mais que l’Eglise aussi a grand besoin de Dieu, comme principe fondateur et critique, afin que jamais l’Eglise ne se prenne pour plus qu’elle n’est, et elle n’est qu’une servante inutile (Luc 17,10).
    1. Puisse Dieu être, par sa parole, lue, étudiée et priée notre interpellation, notre exhortation, notre joie et notre consolation.

Sites intéressants :
Fifth Avenue Presbyterian Church, FAPC (Eglise presbytérienne 5ème avenue), où l’on retrouve les .mp3 des prédications, les feuilles de culte… un beau site paroissial !

Blog du Rev. Dr. Scott Black Johnston, où l’on trouve des réflexions personnelles, des chroniques et des prières dont certaines mériteraient vraiment d’être traduites.



dimanche 7 mai 2017

Le bon berger (Jean 10,1-11)

Ne pas dissocier le thème du bon berger du récit par lequel il est introduit, celui d'une guérison et d'une grave polémique autour de cette guérison. Eviter cette dissociation, pour éviter que le bon berger soit désincarné.
Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.
(…)
14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 … les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.
Jean 10
1 «En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix; ses propres brebis, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu'il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu'elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles n’en suivront un autre; bien plus, elles le fuiront parce qu'elles ne connaissent pas la voix des autres.»

6 Jésus utilisa cette allégorie, mais ceux-là ne comprirent pas le sens de ce qu'il disait.

7 Jésus reprit: «En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient à profusion.

11 «Je suis le bon berger: le bon berger met sa vie en jeu pour ses brebis.
Prédication :
Ainsi donc, un jour, en chemin, par hasard, Jésus, accompagné par ses disciples, aperçoit sur le bord du chemin un homme dont il nous est dit qu’il est aveugle de naissance. Et ses disciples posent cette question : « Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle, lui – l’aveugle – ou ses parents ? » Question simple, et redoutable, sur l’origine du mal. Cette question peut être ainsi reformulée : « Quelqu’un doit-il forcément être responsable du mal ? » Jésus refuse catégoriquement de répondre à cette question, entreprend, avec les moyens qui sont les siens, de soulager cet aveugle. Il le guérit. Mais il le guérit en contrevenant à toutes les règles qui étaient en vigueur de son temps : il transgresse le Sabbat, jour sacré du repos divin, il utilise pour cette guérison des ingrédients comme impurs, de la salive et de la poussière, et il touche cet homme. Jésus est alors accusé de n’être pas de Dieu… Accusation qui équivaut à une disqualification, à une exclusion, pour lui, mais aussi pour l’homme qu’il avait guéri.
C’est dans la suite immédiate de ce récit de guérison qu’apparaît le thème du berger, du bon berger. Et apparaît aussi l’ennemi, le contraire du bon berger : le voleur, ou le brigand.

            Jésus est-il berger, ou brigand ? Le brigand escalade les murs, le berger entre par la porte. Mais qu’est-ce que la porte, et que sont les murs ?
            En revenant à l’homme aveugle de naissance, nous pourrions considérer sa cécité comme un mur sans porte. Et ce mur monte jusqu’au ciel, jusqu’à Dieu. Qui donc a péché, demandent les gens, pour qu’il soit né aveugle ? Et personne n’oser toucher cet homme à des fins thérapeutiques, par crainte religieuse d’une sorte de contamination. Ce pauvre homme est donc condamné, jusqu’au moment où Jésus, qui passe par hasard, va oser. Il va oser mettre en jeu une thérapeutique vieille comme le monde, il va toucher cet homme, et le guérir. Il va surtout oser dire que l’origine du mal, il s’en moque ; il va oser transgresser les lois de pureté en vigueur.
            Si on le prend ainsi, qu’est-ce que la porte, et que sont les murs ? Les murs sont des murs liés à l’usage, aux conventions, à toutes sortes d’idées reçues et commodes sur l’origine du mal, idées que manipulent les bienpensants et certains instruits, ce qui leur permet de gloser, de paraître, de ne rien risquer, et de ne rien entreprendre. La porte ? Pour l’aveugle, c’est ce qu’il faudrait franchir pour pouvoir arriver dans la vraie vie. Mais la porte est aussi ce qu’il faut franchir pour rejoindre les gens réellement là où ils sont, dans leur vie, leur situation concrète.
Jésus rejoint l’aveugle dans le concret de sa vie. Et, le guérissant, l’introduit dans une vie plus ouverte, plus autonome… Dans ce sens, Jésus est un berger. Il passe par la porte, mais il  est aussi la porte par laquelle l’aveugle entre dans cette vie.
Seulement, du point de vue des idées reçues, du point de vue des gardiens de la pureté et des conventions, le fait que Jésus s’approche de l’aveugle et le guérisse comme il le guérit, est considéré comme une abomination. Entendons-nous, c’est une abomination seulement du point de vue des gardiens de la pureté rituelle, du point de vue de la situation dominante que ces gens occupent.
Nous sommes tous bien d’accord pour dire que l’homme a été guéri et que c’est cela qui compte.
           
Seulement, pour guérir cet homme, Jésus s’est engagé, s’est très sérieusement engagé. Il a défié le sens commun, défié les gardiens des lieux communs et des saintes coutumes. Le bon berger s’est fait des ennemis, des ennemis mortels. Jésus s’est engagé… et tous ceux qui ont lu les évangiles, savent que Jésus, tout bon berger qu’il ait été, sera mis à mort. Il est vrai qu’il est des formes concrètes de bonté qui dérangent gravement ceux qui se nourrissent, qui se goinfrent même parfois, de la banalité du mal… N’accusons pas ces gens. Parfois, nous sommes comme eux.

Dans ce texte, les murailles des grandes idées et des grands principes religieux sont perforées par un engagement qui est un engagement d’homme à homme : Jésus, être humain concret, va au contact d’un autre être humain, concret lui aussi. La juste compréhension de ce texte est suspendue à un engagement concret, d’homme à homme. Si bien que la question que Jésus adresse à son entourage, et que le texte adresse à son lecteur est une question directe : « Et toi, que fais-tu ? Que fais-tu lorsque le mal te saute aux yeux, lorsqu’il isole l’un de tes semblables ? Que fais-tu lorsque tu as, toi, un pouvoir, une compétence, si modeste qu’elle soit, même une petite pièce, et que tu as aussi le choix entre faire des discours et agir ? » Tout acte de bonté a son prix, et la prétention hautaine et indifférente de certains ne peut servir d’excuse à personne.

Ce qui conduit à une seconde question, que Jésus n’adresse pas directement à son entourage, mais que le texte adresse clairement à son lecteur : « Que mettras-tu en jeu ? Que risqueras-tu pour un inconnu rencontré en passant, pour une personne vaguement connue, pour quelqu’un que tu fréquentes régulièrement… pour un enfant ? Que mettras-tu en jeu ? Que seras-tu disposé à risquer, à perdre ? » A chacun de répondre concrètement.
Mais puissions-nous agir pour que ceux que nous rencontrons puissent vivre. Puissions-nous ouvrir des portes, inventer des passages s’il n’y en pas, et agir comme de bons bergers. Que Dieu nous soit en aide. Amen

Ueli Steck + 30 avril 2017 RIP