Matthieu 5
17 " N'allez pas croire que je sois venu abolir
la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.
18 Car je vous le dis, en vérité : avant que ne
passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la
Loi, que tout ne soit réalisé.
19 Celui donc qui violera l'un de ces moindres
préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre
dans le Royaume des Cieux ; au contraire, celui qui les fera et les enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le
Royaume des Cieux.
20 " Car je vous le dis : si votre justice ne
surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le
Royaume des Cieux.
21 " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et si
quelqu'un tue, il en répondra au tribunal.
22 Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche
contre son frère en répondra au tribunal ; mais s'il dit à son frère :
"Crétin ! ", il en répondra au Sanhédrin ; et s'il lui dit :
"Renégat ! ", il en répondra dans la géhenne de feu.
23 Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel,
si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande, devant l'autel, et va
d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton
offrande.
25 Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant
que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te livre
au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison.
26 En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de
là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou.
27 " Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne forniqueras pas.
28 Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une
femme avec convoitise a déjà, dans
son cœur, forniqué avec elle.
29 Alors
si ton oeil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le
loin de toi : car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que
tout ton corps ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite est pour toi une occasion de
péché, coupe-la et jette-la loin de toi : car mieux vaut pour toi que périsse
un seul de tes membres et que tout ton corps ne s'en aille pas dans la géhenne.
31 " Il a été dit d'autre part : Quiconque renverra sa femme, qu'il lui remette un
acte de divorce.
32 Eh bien ! moi je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, hormis le cas d’inconduite, l'expose à forniquer ; et quiconque couche avec une femme renvoyée, il fornique.
33 " Vous avez encore entendu qu'il a été dit
aux anciens : Tu ne te parjureras
pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Eh bien ! moi je vous dis de ne pas jurer du tout
: ni par le Ciel, car c'est le trône de Dieu ;
35 ni par la Terre, car c'est l'escabeau de ses
pieds ; ni par Jérusalem, car c'est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux
en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Que votre langage soit : "Oui ? oui",
"Non ? non" : ce qu'on dit de plus vient du Mauvais.
38 " Vous avez entendu qu'il a été dit : OEil
pour oeil et dent pour dent.
39 Eh bien ! moi je vous dis de ne pas tenir tête au
méchant : au contraire, quelqu'un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite,
tends-lui encore l'autre ;
40 veut-il te faire un procès et prendre ta tunique,
laisse-lui même ton manteau ;
41 te requiert-il pour une course d'un mille,
fais-en deux avec lui.
42 À qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter,
ne tourne pas le dos.
43 " Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu
aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44 Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et
priez pour vos persécuteurs,
45 afin de devenir fils de votre Père qui est aux
cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber
la pluie sur les justes et sur les injustes.
46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle
récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-il pas autant ?
47 Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que
faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ?
48 Vous donc, soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait.
Prédication
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. », c’est
l’injonction par laquelle se finit ce très long texte, une finale qui serait
pour le moins écrasante si elle avait pour but unique de nous commander que
nous nous égalions à la grandeur, à la puissance, à la miséricorde, à
l’impassibilité… bref à la perfection de Dieu.
Cette injonction apparaît
tout à la fin d’une méditation de Jésus, une méditation qui porte
principalement sur les Saintes Ecritures. Il commence par mentionner la Loi et
les Prophètes. Il proclame qu’il n’est pas là pour les abolir mais pour les
accomplir. Il indique à six reprises comment il s’agira de les accomplir. Et
c’est cet accomplissement qu’il commande d’orienter vers une perfection qui
soit celle du Père céleste.
Alors nous nous demandons
ce que peut bien signifier accomplir à la perfection les Ecritures. Nous
pouvons d’autant plus nous le demander que, selon le témoignage des Saintes
Ecritures, le Père céleste ne les accomplit qu’en les dépassant… Il les
accomplit au-delà de l’oubli, au-delà de l’infidélité de son peuple, au-delà de
la déréliction, au-delà de ses propres colères et au-delà même de ses promesses ;
le Père céleste accomplit les Ecritures toujours au-delà des limites que les
êtres humains s’imposent à eux-mêmes et s’imposent les uns aux autres.
Et nous ? Restons-en
à nous-mêmes. On pourrait bien évidemment, Bible en main, considérer que cet
accomplissement parfait passe par une observance personnelle littérale, stricte,
visible et pieuse. Jésus ne l’exclut pas, cette observance, mais il la nomme
« justice des Scribes et des Pharisiens », justice qui, dans le récit
de Matthieu, n’est qu’une affaire d’apparence. Et cette justice, ce
littéralisme cosmétique, cette conscience arrogante de la dignité de soi, Jésus
la décrit comme empêchant d’entrer dans le Royaume des cieux. Si bien que le
littéralisme n’est pas un chemin de perfection, en tout cas pas celui que Jésus
entend parcourir, la perfection du Père céleste n’étant pas limitée, nous
l’avons dit déjà, par la lettre des Saintes Ecritures : qu’il s’agisse de
la Loi, qu’il s’agisse des Prophètes, qu’il s’agisse d’un peuple qu’on fait
revenir d’exil, ou encore de la révélation faite aux païens, la perfection du
Père céleste est une perfection agissante, libre et créatrice.
Plus encore, vous êtes lecteurs des Saintes
Ecritures et vous savez pertinemment que si la perfection du Père céleste ne
dépassait pas la lettre des Saintes Ecritures, le peuple de Dieu, celui de la
première alliance, ne perdurerait pas, pas d’avantage que celui de la seconde
alliance, c'est-à-dire nous.
Jésus donc indique à six
reprises ce qu’il en est d’un accomplissement parfait des Saintes Ecritures.
1.
« Tu ne tueras pas ! » Bien entendu, la
plupart d’entre nous traverseront l’existence sans avoir tué qui que ce soit.
Mais combien de fois en imagination et en parole aura-t-on mis quelqu’un à
mort ? Ce n’est donc pas parce qu’on n’a jamais tué qu’on est quitte du
commandement qui interdit l’assassinat… Et un accomplissement parfait de ce
commandement serait en nous une pensée apaisée, confiante, accueillante, et une
langue parfaitement maîtrisée. Nous ne sommes pas de cette perfection.
2.
« Tu ne forniqueras pas ! » Il est bien
entendu des gens, mariés ou pas, dont la moralité est apparemment exemplaire,
qui obéissent parfaitement aux commandements qui vont bien. Mais reste à ce
qu’ils se demandent où donc leurs yeux cavalent, où donc leur imagination
trottine. Ça n’est pas parce que qu’on n’est jamais passé à l’acte que l’on est
quitte des commandements qui désignent jusqu’à nos désirs les plus secrets…
Alors, quel accomplissement, quelle perfection ? Un cœur chaste, qui ne
convoite rien, qui reçoit ce qui se donne, qui le rend à lui-même embelli…
3.
« Quiconque renvoie sa femme, qu’il lui remette un
acte de divorce. » Il est bien entendu des gens qui, au temps de Jésus, renvoyaient
leurs femmes en respectant les formes juridiques sacrées de l’époque. Mais,
respect de la forme juridique ou pas, une femme répudiée voyait sa dignité
bafouée, ce qui le plus souvent la condamnait, et ce qui donne bien souvent des
audaces aux mâles. Autrement dit, le respect de la forme juridique pour la rupture
d’une union n’absout pas les humains de leurs désirs grossiers ni de leurs
excuses laides. En plus, rupture ou pas, ça n’est pas non plus la forme
juridique qui dit la valeur d’une union. Ce commandement, formulé dans une
culture masculine, semble ne concerner que des hommes ; mais son actualité
concerne aussi les femmes. L’accomplir parfaitement serait ouverture du cœur à
la différence, et accueil de la différence. Ce serait ne jamais réduire
quiconque à ce qu’il a vécu, ou à la forme juridique, à la forme tout court de
l’union qu’il contracte…
4. « Tu ne te
parjureras pas, et tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments. » Une
parole donnée devant le Seigneur est une parole sacrée, il y a des
commandements là-dessus. Mais, au-delà des commandements, au-delà des
généralités qu’on énonce et des bonnes résolutions qu’on prend, que vaut la
parole. Que vaut ta parole, demande Jésus, que vaut-elle toute simple, c’est à
dire que vaut ton oui, et que vaut ton non ? Ce n’est pas la parole
extérieure qui dit la perfection du cœur, mais l’acte. Et bien, plutôt que
jurer ceci ou cela, ne jures pas du tout ; ce sont tes actes seuls qui disent
ce que tu vaux…
5. « Œil pour œil,
dent pour dent. » La loi du talion est une loi sacrée, elle est dans la
Bible. Elle revient à dire que lorsque j’ai subi un préjudice, il m’est permis
de l’infliger. Certes. Et non, dit Jésus, ce que je subis ne m’autorise à rien,
et s’il est une revanche à prendre sur la dispute ou sur l’injustice, c’est la
revanche de la miséricorde.
6. « Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi. » Il y a enfin des commandements au
titre desquels l’on peut, voire l’on doit, éprouver envers autrui ce qu’il
éprouve envers nous. Très bien, mais si tel était le cas, si notre Père céleste
n’était qu’à la mesure de ce genre de commandement, le soleil ne se lèverait
sur personne.
Avec ce sixième point, il apparait que, nous,
humains, nous savons parfaitement énoncer des commandements, des généralités,
avec lesquels nous nous grandissons, avec lesquels nous obligeons autrui
autrement et plus durement que nous-mêmes. Deux poids, deux mesures, mais la
plus légère pour nous-mêmes, alors que nous sommes incapables de cette équité
évidente : le soleil se lève sur les justes et sur les injustes. Cette
simple remarque, de pur bon sens, met par terre toutes nos justifications. Les
commandements que nous tenons pour les plus importants, les plus divins, les
plus sacrés, tombent sous le coup de cette évidence : Dieu fait lever le
soleil sur les justes et sur les injustes.
Alors, s’il nous est fait commandement d’être
parfaits tout comme le Père céleste est parfait, quelle peut être notre
perfection ? Apparence ? Engagement ? A la lumière du soleil,
seules les apparences sont visibles. Et dans le cœur ? Et dans mon cœur ?
Dieu seul sait ce qu’il y a dans le cœur d’un être humain. Alors nul ne peut se
prononcer sur la perfection d’autrui. Le rapport aux Saintes Ecritures, sur le
mode le plus sérieux, sur le mode le plus profond, ne peut être qu’un rapport
personnel, il ne peut être qu’un acte personnel, un engagement de toute une vie.
Et Jésus ne cesse de le rappeler en s’adressant à chacun, en lui disant
« toi », en lui disant « tu… ». Mais il n’est pas le seul à
le rappeler. Le 22ème chapitre de la Genèse l’enseigne tout autant
lorsque la voix du ciel retient le bras d’Abraham s’apprêtant à sacrifier
Isaac. Il n’y a pas d’ordre de Dieu qui puisse commander à un être humain d’aliéner
un autre être humain. L’alliance de Dieu avec l’humanité doit être ratifiée
personnellement par chaque sujet, à chaque génération.
Qu’exigerons-nous donc d’autrui en brandissant la
Bible ? Le soleil se lève sur nous, il fait jour, les apparences sont là.
Mais qu’en est-il des cœurs ? Qui sont les cœurs purs ? Où sont les
justes ? Et les injustes ? Nous n’exigerons rien.
Or en parlant ainsi on n’abolit ni la Loi, ni les
Prophètes. Il y a un texte, nos anciens l’ont reçu. Nous le recevons, et nous
le transmettons. Nous le transmettons avec le « mais moi je vous
dis », c’est à dire l’interpellation personnelle, l’appel à une généreuse
perfection, une perfection d’ouverture, une perfection créatrice. Alors le
« mais moi je vous dis » que nous prononçons est notre engagement,
notre acte, et il ouvre à la vie. Amen