dimanche 25 mars 2018

Monté sur un ânon (Marc 11,1-11 ; Zacharie 9,1-11)


Marc 11
1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit: «Allez au village qui est devant vous: dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu'un vous dit: ‹Pourquoi faites-vous cela?› répondez: ‹Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.› »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent: «Qu'avez-vous à détacher cet ânon?»
6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l'ânon à Jésus; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: «Hosanna! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient!
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père! Hosanna au plus haut des cieux!»
11 Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

Zacharie 9
1 Proclamation. La parole du SEIGNEUR est arrivée au pays de Hadrak, et à Damas elle a fait halte, car au SEIGNEUR appartient le joyau d'Aram tout comme l'ensemble des tribus d'Israël,
2 de même Hamath, sa voisine, ainsi que Tyr et Sidon, où l'on est très habile.
3 Tyr s'est construit une forteresse, elle a accumulé de l'argent, épais comme la poussière et de l'or, comme la boue des rues,
4 mais voici que le Seigneur s'en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera.
5 À ce spectacle, Ashqelôn sera épouvantée, Gaza se tordra de douleur et Eqrôn se verra privée de son appui. Le roi sera éliminé de Gaza et Ashqelôn ne sera plus habitée.
6 Des bâtards s'installeront à Ashdod, je rabattrai l'insolence du Philistin.
7 J'ôterai de sa bouche le sang et d'entre ses dents, les mets abominables; alors lui aussi, comme un reste, appartiendra à notre Dieu. Il aura sa place parmi les clans de Juda et Eqrôn sera pareil au Jébusite.
8 Je camperai auprès de ma maison, montant la garde contre ceux qui passent et repassent; plus aucun tyran ne l'accablera au passage car, à présent, j'y veille de mes propres yeux.
9 Tressaille d'allégresse, fille de Sion! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem! Voici que ton roi s'avance vers toi; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne - sur un ânon tout jeune.
10 Il supprimera d'Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l'arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'aux extrémités du pays.
11 Quant à toi, à cause de l'alliance conclue avec toi dans le sang, je renverrai tes captifs de la fosse où il n'y a point d'eau.
Prédication :

            Dans l’évangile de Marc – comme dans les trois autres évangiles – Jésus fait, une semaine avant sa mort et sa résurrection, une entrée en procession glorieuse à Jérusalem, monté sur un âne, ou un ânon. Jésus lui-même est à l’initiative de cette procession. Il en choisit la mise en scène. Elle obéit à un schéma biblique, issu de l’ancien testament : livre de Zacharie, chapitre 9. En choisissant cette mise en scène, Marc entend nous renseigner sur la forme qu’il entend donner à la messianité de Jésus.
            Nous pouvons parler de forme de la messianité, parce que la messianité peut prendre bien des formes dans la Bible. Dans l’ancien testament, par exemple, un puissant souverain étranger, aussi étranger à Israël que le Perse Darius (Esaïe 45), peut être considéré comme messie. Un roi aussi mauvais que le roi Saül est aussi messie. David évidemment sera appelé messie, son fils Absalom tout autant...
La messianité du messie peut en plus être tribale ou ethnique, c'est-à-dire ne concerner qu’une tribu, ou Israël tout entier, et mais la messianité peut aussi être transnationale, voire universelle, c'est-à-dire concerner toutes les nations de la terre, avec parfois une centralisation sur Jérusalem et le Temple, mais parfois avec une totale égalité entre toutes les nations.
Pour dire vrai, le messie et la messianité connaissent dans l’ancien testament autant de variantes que le salut dont nous avons parlé il y a quelques jours. Le nouveau testament n’est pas non plus univoque sur la messianité de Jésus. Considérez seulement le Messie triomphant en Apocalypse 19 (un glaive acéré sort de sa bouche, il se nomme Roi des rois, Seigneur des Seigneurs) et le Messie crucifié en Marc 15 (et au Psaume 22), qui hurle son sentiment d’abandon à la face des humains et sous un ciel désespérément vide.
            Marc fait référence à Zacharie 9. Quelle est la forme de la messianité en Zacharie 9 ? C’est une forme apparemment régionale. Avant même qu’il soit question de messianité, il est proclamé que tous ces territoires appartiennent à Dieu, et que sa parole y agit. Ainsi, le nord du pays (Phénicie), l’est (Aram), la bande côtière ouest (Philistie) vont-ils être objets d’un mystérieux ravage, opéré par la parole du SEIGNEUR – il faut entendre par Dieu lui-même – dont l’issue est extraordinairement étonnante puisqu’au terme de ce ravage, le Philistin – avec tous les autres – sera considéré comme un « reste », et « aura sa place parmi les clans de Juda » (v.7), c'est-à-dire que les nations voisines et ennemies perpétuelles d’Israël seront considérées par Dieu comme sa terre, son peuple et sont donc cohéritières de la promesse.
Quelle promesse ? Une promesse de sanctuarisation d’un grand Israël : de la Méditerranée jusqu’au bassin de l’Euphrate, de la Syrie et du Liban jusqu’au Golfe d’Aden. Sur ce grand territoire sera instaurée une paix éternelle, et la diaspora juive y reviendra tout entière. Comme centre de ce grand territoire, Jérusalem. Et comme roi de ce territoire, le Messie.
            Marc emprunte ainsi à Zacharie une certaine idée territoriale et politique de l’ère du Messie : fraternité paisible entre des peuples voisins, une forme d’unité religieuse, une capitale. On peut penser qu’à l’époque de Zacharie, les territoires qu’il mentionne correspondent à tous les territoires connus. Marc, reprenant Zacharie, imaginant alors une messianité universelle, fraternelle et paisible.

Mais quel Messie pour cela ? Nous avons lu qu’il s’avance, « juste et victorieux, humble, monté sur un âne » (v.9). Qu’il soit monté sur un âne met d’accord tous les traducteurs. Mais les trois qualificatifs posent quelques problèmes. Nous partons de ce que nous avons lu, le Messie est  juste, victorieux et humble. Et nous approfondissant le sens de ces trois termes.
            Il est juste. Le premier homme de la Bible dont il est dit qu’il est juste, c’est Noé. Un juste, c’est quelqu’un qui ne tord pas le cours de la justice, qui juge sans discrimination, qui ne fausse pas les poids dans le commerce, et qui refuse tout cadeau. Il est sans fraude et sans violence.  Tel est le juste, tel est le Messie selon Marc. Les qualités du juste sont longuement mentionnées dans les Psaumes et dans les livres de sagesse. Et ces qualités en font quelqu’un de fragile, voire de vulnérable. Il est écrit dans la Bible que le juste est souvent la risée des hommes (Job 12,4). Le problème du juste souffrant est un problème qui a tourmenté la littérature du proche Orient ancien longtemps avant que la Bible n’existe. Le Messie selon Zacharie est juste – une qualité qui va de pair avec une infinie fragilité. On ne pense pas souvent à ça lorsqu’on lit le récit des Rameaux.
            Seconde qualité du Messie selon Zacharie (et Marc) : il est victorieux, d’après la plupart des traducteurs. Mais nous nous méfions des traducteurs. A bien y regarder, le mot victorieux est clair en grec (LXX), mais pas en hébreu. En hébreu, le roi messie qui vient n’a pas remporté la victoire par ses propres forces ; littéralement, il a été sauvé. Le roi messie est victorieux, soit, mais parce qu’il a été sauvé. On ne dit pas par qui… et l’on irait bien trop vite en besogne en mettant là qu’il a été sauvé par Dieu. Le Messie a été sauvé. Seconde marque de fragilité à laquelle on ne pense jamais en lisant le récit des Rameaux.
            Troisième qualité du Messie, nous avons lu qu’il est humble. Ce serait mieux de dire méprisé. Le Messie est semblable à ce que le peuple d’Israël était en Egypte. C'est-à-dire fort peu de chose, vulnérable, livré à ses dominateurs, sans gloire, sans droits. On ne pense pas à ça en lisant le récit des Rameaux.
            La royauté du roi Messie selon le prophète Zacharie – et selon Marc la royauté du Fils de l’homme, est ce qu’on peut appeler une royauté faible, sa force est une force désarmée, elle s’avance pour se proposer, pour s’offrir, elle appelle, mais jamais elle ne s’impose d’elle-même... comment le pourrait-elle ?
C’est à cette royauté que Jésus est identifié le jour de son entrée dans Jérusalem, monté sur un âne. Comment cette royauté pourrait-elle l’emporter ? Pourvu que quelques-uns répondent à l’appel. Mais l’appel est si faible, si ténu…
            Ont-ils eu conscience de tout cela, les gens qui, pleins de joie, ont suivi la procession ? Le texte de Marc ne fait aucun commentaire. Il laisse là l’événement. Le moment de liesse a eu lieu. Marc prend acte de cette liesse, comme si elle était juste et légitime : pourquoi la foule des disciples et le peuple ne se réjouiraient-ils pas ? Et de quel droit des observateurs éclairés comme nous le sommes leur adresseraient-ils un reproche ?          Il y a de la joie le jour des Rameaux, « Au cœur humain la joie est bonne ». Et pour ce qu’il en est des grands engagements suivis des lâchetés que nous savons, il y a toute la semaine sainte.

            Mais tous ces gens qui ont escorté Jésus, qu’ont-ils fait, ensuite ? Nous ne le savons pas. Feu de paille pour certains, conversion durable pour d’autres, et toutes les nuances sont possibles. Ils sont rentrés chacun chez soi, sans doute. Et la journée s’est finie là, et tout le monde est allé dormir.
Pour nous qui avons compris la signification de cette procession, qui avons compris quelle royauté va avec la messianité de Jésus, une fois la procession achevée, il nous reste la question : allons-nous suivre ce roi-là ? allons-nous être habités par les sentiments qui étaient les siens ? allons-nous faire montre d’humilité et de douceur ? allons-nous nous reconnaître comme sauvés ? En somme, allons-nous incarner cette messianité ?
Je laisse en suspens ces questions. A chacun de répondre en son cœur. Puissions-nous répondre chacun et tous ensemble par un oui résolu. Amen

dimanche 18 mars 2018

Difficile engagement (Jean 12,20-28)


Jean 12
20 Il y avait quelques Grecs qui étaient montés pour adorer à l'occasion de la fête.
21 Ils s'adressèrent à Philippe qui était de Bethsaïda de Galilée et ils lui firent cette demande: «Seigneur, nous voulons voir Jésus.»
22 Philippe alla le dire à André, et ensemble ils le dirent à Jésus.
23 Jésus leur répondit en ces termes: «Elle est venue, l'heure que le Fils de l'homme soit  glorifié.
24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25 Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s'y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu'un veut me servir, qu'il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera.
27 «Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je? Père, sauve-moi de cette heure? Mais c'est précisément pour cette heure que je suis venu.
28 Père, glorifie ton nom.» Alors, une voix vint du ciel: «Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore.»
Méditation :
            Voici une question simple : pourquoi Jésus déclare-t-il que l’heure est venue que le Fils de l’homme, c’est à dire lui-même, soit glorifié ?
            Il n’est pas nécessaire d’aller chercher trop loin la réponse à cette question. Elle est sous nos yeux. Jésus déclare que l’heure est venue que le Fils de l’homme soit glorifié, parce que quelques Grecs, qui sont montés à Jérusalem pour adorer à l’occasion de la fête (Pâque), s’adressent à Philippe, lui font la demande “Nous voulons voir Jésus !”, et que Philippe va le dire à André, et que tous deux vont le dire à Jésus. La raison pour laquelle l’heure est venue que le Fils de l’homme soit glorifié est là tout entière.
La renommée de Jésus a traversé les frontières. On veut le voir. Des gens venus de loin à Jérusalem pour adorer au Temple Dieu qu’on ne voit pas se mettent plutôt à demander à voir Jésus, et semble-t-il avec insistance.
Voir Jésus, qu’est-ce que cela apporte au fait de croire ? Nous sommes dans l’évangile de Jean et c’est dans cet évangile qu’on peut lire : « Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. »

Cette demande des pèlerins grecs nous indique  qu’il est en train de se mettre en place autour de Jésus une sorte de religiosité du voir plutôt qu’une religion du croire. Une religiosité du voir consacrera la domination de ceux qui auront vu sur ceux qui n’auront pas vu. C’est la violence possessive du voir qu’il faut ici identifier. Et c’est parce que ce processus est en train de se mettre en route que Jésus déclare que l’heure est venue que le Fils de l’homme soit glorifié.

Comment le Fils de l’homme va-t-il être glorifié ? Une fois encore, la réponse est sous vos yeux : « Si le grain ne meurt… » La glorification du Fils de l’homme, c’est sa Passion. Et sa Passion va être vue ! Non pas par quelques bienheureux élus, mais par tous ! Elle sera, cette Passion, une exhibition publique, obscène, humiliante, infâmante. Elle sera l’occasion pour les disciples de prendre la fuite et de renier. La Passion du Christ est vraiment tout le contraire d’un événement miraculeux auquel quelques privilégiés auraient assisté pour leur propre gloire. La Passion est infâmante pour le Fils de l’homme, elle est infâmante aussi pour ses disciples.

C’est crucifié que le Fils de l’homme est glorifié. La gloire du Fils de l’homme n’est donc que fort peu de choses, c’est une très faible gloire. Ce genre de gloire est susceptible de porter un fruit qui ne soit pas un fruit pourri d’arrogance et de vanité. Et du fruit, elle en portera, peut-être. Rien n’est certain.
Alors on peut donc comprendre que Jésus ait l’âme troublée au moment d’être ainsi glorifié, au moment de son ultime engagement.

Tout comme nous pouvons avoir l’âme troublée au moment de nous engager à la suite du Christ, au service de son Eglise : même le Fils de l’homme, notre Seigneur Jésus Christ, a hésité.

Mais voici qu’une promesse lui est faite, et est faite aussi à ceux qui choisiront de le suivre. Dieu a glorifié son nom, et il le glorifiera encore.

Oui, il le glorifiera encore. Je le crois fermement.



Prière
Seigneur notre Père ! Tu nous le dis aujourd’hui comme hier et tu nous le diras demain comme aujourd’hui : tu n’as pas cessé de nous aimer et c’est pourquoi tu nous as attirés à toi, par ta seule bonté.
Nous t’écoutons : fais que nous t’écoutions bien ! Nous croyons en toi : viens en aide à notre incrédulité ! Nous voulons t’obéir : abolis en nous la mollesse et la dureté qui font obstacle à une véritable obéissance. Nous nous confions en toi : expulse de nos cœurs et de nos esprits tous les fantômes, afin que notre confiance soit pleine et joyeuse. Nous nous réfugions en toi : fais-nous abandonner une bonne fois ce qui nous retient en arrière et donne-nous de regarder en avant et de progresser avec une assurance plus sereine.
(…)
Karl Barth (1886-1968)
Se présenter devant Dieu

dimanche 11 mars 2018

Par grâce, par le moyen de la foi (Ephésiens 2,1-10 & 14-16)


Ephésiens 2
1 Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de vos péchés 2 où vous marchiez autrefois, quand vous suiviez le mouvement de ce monde, le prince des puissances de l’air, l'esprit qui agit encore maintenant en ceux qui sont endurcis…

3 Nous étions de ce nombre, nous tous aussi, qui nous abandonnions autrefois aux désirs de notre chair : nous faisions ses volontés, suivions ses impulsions, et nous étions tout comme les autres, des gamins d’une nature excessivement emportée.

4 Mais Dieu est riche en miséricorde; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ – c’est par grâce que vous avez été sauvés –,
6 avec lui, il nous a ressuscités et faits asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l'incomparable richesse de sa grâce.
8 C'est par la grâce, en effet, que vous avez été sauvés, par le moyen de la foi; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu.
9 Pas par les œuvres, afin que nul n'en tire orgueil.
10 Car c'est Lui qui nous a faits; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance afin que nous y marchions.

14 C'est Lui, en effet, qui est notre paix: de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation: la haine.
15 Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix,
16 et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix: là, il a tué la haine.

Prédication

            Il y a, dans l’épître aux Ephésiens, une phrase qui doit être chère aux oreilles des enfants de la Réforme, aux Protestants que nous sommes : « C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. » C’est là la traduction la plus courante de ce verset, traduction qui se poursuit par l’affirmation que cette foi – ou cette grâce avant la foi – est un don de Dieu, que ce salut n’advient pas par les œuvres. Tout cela est, si j’ose dire, bien de chez nous. Mais en même temps, vous pouvez trouver pour ces versets des traductions très différentes les unes des autres. Celle que je vous donne entend être aussi proche que possible du grec. Mais le grec de ces versets n’est pas simple. Ma traduction porte la trace d’une double perplexité que je voudrais partager avec vous. Premièrement, perplexité au sujet de la foi, précisément sur l’expression « par le moyen de la foi ». Deuxièmement, perplexité sur le salut : sauvé, mais de quoi ? Ce sera là le plan de cette prédication. 

Premièrement donc, la foi. Si c’est bien par grâce que nous sommes sauvés, que manque-t-il, et pourquoi ajouter la foi ? A qui Dieu la donne-t-il donc ? Et à quoi correspond-elle ? Dieu la donne à nous, c'est-à-dire à l’auteur et aux destinataires de la lettre, mais, apparemment, il ne la donne pas à certains autres. Le monde se partagerait donc entre les sauvés, un groupe, et les autres, sur un critère avoir ou n’avoir pas reçu la foi. Qu’aura-t-on à se dire, de part et d’autre d’une foi faisant mur de séparation ? Et lorsque quelqu’un viendra nous affirmer que Dieu ne lui a pas donné la foi, qu’aura-t-on à répondre ?

Mais qu’est-ce que la foi ? Une appétence, donc un sentiment, dont l’être humain n’est pas l’auteur, qui est don de Dieu, et qui fait que certains récipiendaires spécialement élus se tournent vers Dieu… pendant que d’autres s’en détournent ? Est-ce cela, la foi ? Un sentiment profond et inaltérable ? On peut le penser. Mais on ne peut pas bibliquement le soutenir. Car en tant que sentiment soit disant d’origine divine, cette foi ne résiste pas vraiment face à certaines passions humaines (lorsque le roi David, à qui Dieu avait donné la foi, a regardé la belle Bethsabée, femme d’Urie le Hittite, la foi de David s’est singulièrement délitée… lorsque le prophète Elie, a reçu les menaces de mort de la part de la reine Jézabel, la foi que Dieu lui avait donnée s’est évaporée… La foi, un sentiment ? David et Elie feront, après leurs déconvenues,  des expériences personnelles profondément bouleversantes – initiative de Dieu – qui restaureront en eux un sentiment d’humilité, de dépendance à l’égard de Dieu, de liberté face aux humains et d’engagement… sentiment qu’on nomme la foi.
Mais chacun ne vit pas de telles expériences. On ne peut pas dire de la foi qu’elle est seulement un état d’esprit que Dieu donne à tous au moment d’expériences extraordinaires, expériences de salut... Dans Ephésiens 2, ne dire que cela reviendrait à faire de la communauté un petit groupe d’élus, au langage uniformisé, en somme, une petite secte…
Il y a une autre manière d’envisager la foi, qui est de dire que la foi est le trésor mis à portée de tous premièrement dans les Saintes Ecriture et secondement dans les grands textes traditionnels, comme le Credo, les catéchismes, les textes des grands commentateurs, les propos des grands prédicateurs. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent… » Il y a là un trésor qui est à la portée de tous. C’est un moyen, un moyen que Dieu emploie pour se faire connaître ; ce moyen est mis à la disposition de tous. On l’appelle aussi la foi. Ce patrimoine est si ancien, si riche, si complexe et si beau qu’on peut le dire don de Dieu, même si des milliers d’hommes nous ont précédés pour le constituer et pour le transmettre.
Par la lecture, par l’étude, par la fréquentation de ce grand trésor, les yeux de chacun peuvent un jour s’ouvrir, les oreilles peuvent entendre comme un faible appel, une invitation à changer de vie, à transformer le monde…  par la foi, le salut étant l’horizon de cette vie. On peut bien dire alors que c’est par le moyen de la foi qu’on est sauvé.
Alors, la foi est-elle un sentiment intime partagé par une poignée d’élus ? La foi est-elle le trésor de toute l’Eglise ? Nous n’allons exclure ni l’un ni l’autre. Nous refusons de trancher.

            Deuxième partie de notre méditation, maintenant, de quoi sommes nous sauvés ? Il faut toujours être prudent lorsque, Bible en main, on parle de salut. Car le mot salut peut prendre une bonne dizaine de sens : on peut être sauvé du néant, guéri miraculeusement d’une maladie, retrouver une terre promise, rebâtir un temple, être libéré d’un oppresseur, être délivré d’une angoisse existentielle, retrouver la joie liturgique… et tout cela s’appelle salut. Rien que dans les 13 versets d’Ephésiens que nous méditons, il y a 5 – au moins – réalités différentes qu’on peut appeler salut. Chacune de ces 5 réalités peut être vue comme essentielle par tel petit groupe de personnes ; ce petit groupe emploiera exclusivement le mot salut pour parler de cette réalité, a tel point qu’il se peut que méfiance, puis défiance, division, haine s’ensuivent. Dans ces 13 versets :
-          Etre sauvé : ce peut être acquérir une certaine maîtrise de soi,
-          Etre sauvé : ce peut être être libéré du tourment de ses fautes,
-          Etre sauvé : ce peut être prendre conscience de réalités mystiques supérieures (être ressuscité et être assis dans les cieux en Jésus Christ ; on peut dans ce registre friser ici la révélation gnostique,
-          Etre sauvé : ce peut être être rendu capable d’œuvres bonnes (le salut est alors diaconal),
-          Etre sauvé : ce peut être être libéré des obligations de la Loi (un salut libertaire)…
Et ce n’est sans doute pas sans raisons sérieuses que l’auteur de l’épître aux Ephésiens, autour de ces idées de salut, emploie les mots d’orgueil, de haine, de murs de séparation, de mort, et place en face de ces mots des expressions comme créer un seul homme nouveau, établir la paix, faire une unité… Il a dû, le pauvre, assister à des déchirements funestes. Et quand ces déchirements arrivent, la question qui se pose n’est pas “Qu’est-ce que le salut ?” mais “Que dis-tu, toi, du salut que proposent tes semblables ?” Et il est impossible de dire que tout se vaut. Ce n’est pas vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des manières de mettre en avant son propre salut qui sont des manières arrogantes, orgueilleuses, manières qui, parfois, deviennent violentes, voire meurtrières.
Ce qui est vrai aussi, c’est que tous n’ont peut-être pas besoin du même salut à tel moment de leur vie, et selon leur propre caractère.

Que faire, donc, de tous ces gens, de toute cette complexité ? Comment vivre ensemble alors qu’existe une diversité apparemment irréconciliable sur l’essentiel ? Le troisième moment de notre méditation porte sur les derniers mots du texte : « par le moyen de la croix, là, il a tué la haine ».
Que reste-t-il du ministère public de Jésus de Nazareth une fois qu’il a été crucifié ? Avoir fini crucifié est si infâmant que s’il reste quelque chose de ses enseignements et de ses miracles, ce ne peut être qu’un très faible appel, un discret « Va et fais de même », appel qui attend, appelle qui espère une réponse.
Et il faut bien dire alors que la foi chrétienne n’est pas un recueil de vérités qu’on proclame haut et fort, mais un faible appel auquel humblement on répond, sans rien attendre, ni de reconnaissance, ni de rétribution.
Sommes-nous de ce bord-là ? Sommes-nous de ce presque rien d’espérance, et d’engagement pourtant inconditionnel ? Dieu sonde les reins et les cœurs. Et nous, nous avons à marcher, à vivre notre vie et notre foi.