dimanche 11 mars 2018

Par grâce, par le moyen de la foi (Ephésiens 2,1-10 & 14-16)


Ephésiens 2
1 Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes et de vos péchés 2 où vous marchiez autrefois, quand vous suiviez le mouvement de ce monde, le prince des puissances de l’air, l'esprit qui agit encore maintenant en ceux qui sont endurcis…

3 Nous étions de ce nombre, nous tous aussi, qui nous abandonnions autrefois aux désirs de notre chair : nous faisions ses volontés, suivions ses impulsions, et nous étions tout comme les autres, des gamins d’une nature excessivement emportée.

4 Mais Dieu est riche en miséricorde; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ – c’est par grâce que vous avez été sauvés –,
6 avec lui, il nous a ressuscités et faits asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l'incomparable richesse de sa grâce.
8 C'est par la grâce, en effet, que vous avez été sauvés, par le moyen de la foi; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu.
9 Pas par les œuvres, afin que nul n'en tire orgueil.
10 Car c'est Lui qui nous a faits; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance afin que nous y marchions.

14 C'est Lui, en effet, qui est notre paix: de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation: la haine.
15 Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix,
16 et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix: là, il a tué la haine.

Prédication

            Il y a, dans l’épître aux Ephésiens, une phrase qui doit être chère aux oreilles des enfants de la Réforme, aux Protestants que nous sommes : « C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. » C’est là la traduction la plus courante de ce verset, traduction qui se poursuit par l’affirmation que cette foi – ou cette grâce avant la foi – est un don de Dieu, que ce salut n’advient pas par les œuvres. Tout cela est, si j’ose dire, bien de chez nous. Mais en même temps, vous pouvez trouver pour ces versets des traductions très différentes les unes des autres. Celle que je vous donne entend être aussi proche que possible du grec. Mais le grec de ces versets n’est pas simple. Ma traduction porte la trace d’une double perplexité que je voudrais partager avec vous. Premièrement, perplexité au sujet de la foi, précisément sur l’expression « par le moyen de la foi ». Deuxièmement, perplexité sur le salut : sauvé, mais de quoi ? Ce sera là le plan de cette prédication. 

Premièrement donc, la foi. Si c’est bien par grâce que nous sommes sauvés, que manque-t-il, et pourquoi ajouter la foi ? A qui Dieu la donne-t-il donc ? Et à quoi correspond-elle ? Dieu la donne à nous, c'est-à-dire à l’auteur et aux destinataires de la lettre, mais, apparemment, il ne la donne pas à certains autres. Le monde se partagerait donc entre les sauvés, un groupe, et les autres, sur un critère avoir ou n’avoir pas reçu la foi. Qu’aura-t-on à se dire, de part et d’autre d’une foi faisant mur de séparation ? Et lorsque quelqu’un viendra nous affirmer que Dieu ne lui a pas donné la foi, qu’aura-t-on à répondre ?

Mais qu’est-ce que la foi ? Une appétence, donc un sentiment, dont l’être humain n’est pas l’auteur, qui est don de Dieu, et qui fait que certains récipiendaires spécialement élus se tournent vers Dieu… pendant que d’autres s’en détournent ? Est-ce cela, la foi ? Un sentiment profond et inaltérable ? On peut le penser. Mais on ne peut pas bibliquement le soutenir. Car en tant que sentiment soit disant d’origine divine, cette foi ne résiste pas vraiment face à certaines passions humaines (lorsque le roi David, à qui Dieu avait donné la foi, a regardé la belle Bethsabée, femme d’Urie le Hittite, la foi de David s’est singulièrement délitée… lorsque le prophète Elie, a reçu les menaces de mort de la part de la reine Jézabel, la foi que Dieu lui avait donnée s’est évaporée… La foi, un sentiment ? David et Elie feront, après leurs déconvenues,  des expériences personnelles profondément bouleversantes – initiative de Dieu – qui restaureront en eux un sentiment d’humilité, de dépendance à l’égard de Dieu, de liberté face aux humains et d’engagement… sentiment qu’on nomme la foi.
Mais chacun ne vit pas de telles expériences. On ne peut pas dire de la foi qu’elle est seulement un état d’esprit que Dieu donne à tous au moment d’expériences extraordinaires, expériences de salut... Dans Ephésiens 2, ne dire que cela reviendrait à faire de la communauté un petit groupe d’élus, au langage uniformisé, en somme, une petite secte…
Il y a une autre manière d’envisager la foi, qui est de dire que la foi est le trésor mis à portée de tous premièrement dans les Saintes Ecriture et secondement dans les grands textes traditionnels, comme le Credo, les catéchismes, les textes des grands commentateurs, les propos des grands prédicateurs. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent… » Il y a là un trésor qui est à la portée de tous. C’est un moyen, un moyen que Dieu emploie pour se faire connaître ; ce moyen est mis à la disposition de tous. On l’appelle aussi la foi. Ce patrimoine est si ancien, si riche, si complexe et si beau qu’on peut le dire don de Dieu, même si des milliers d’hommes nous ont précédés pour le constituer et pour le transmettre.
Par la lecture, par l’étude, par la fréquentation de ce grand trésor, les yeux de chacun peuvent un jour s’ouvrir, les oreilles peuvent entendre comme un faible appel, une invitation à changer de vie, à transformer le monde…  par la foi, le salut étant l’horizon de cette vie. On peut bien dire alors que c’est par le moyen de la foi qu’on est sauvé.
Alors, la foi est-elle un sentiment intime partagé par une poignée d’élus ? La foi est-elle le trésor de toute l’Eglise ? Nous n’allons exclure ni l’un ni l’autre. Nous refusons de trancher.

            Deuxième partie de notre méditation, maintenant, de quoi sommes nous sauvés ? Il faut toujours être prudent lorsque, Bible en main, on parle de salut. Car le mot salut peut prendre une bonne dizaine de sens : on peut être sauvé du néant, guéri miraculeusement d’une maladie, retrouver une terre promise, rebâtir un temple, être libéré d’un oppresseur, être délivré d’une angoisse existentielle, retrouver la joie liturgique… et tout cela s’appelle salut. Rien que dans les 13 versets d’Ephésiens que nous méditons, il y a 5 – au moins – réalités différentes qu’on peut appeler salut. Chacune de ces 5 réalités peut être vue comme essentielle par tel petit groupe de personnes ; ce petit groupe emploiera exclusivement le mot salut pour parler de cette réalité, a tel point qu’il se peut que méfiance, puis défiance, division, haine s’ensuivent. Dans ces 13 versets :
-          Etre sauvé : ce peut être acquérir une certaine maîtrise de soi,
-          Etre sauvé : ce peut être être libéré du tourment de ses fautes,
-          Etre sauvé : ce peut être prendre conscience de réalités mystiques supérieures (être ressuscité et être assis dans les cieux en Jésus Christ ; on peut dans ce registre friser ici la révélation gnostique,
-          Etre sauvé : ce peut être être rendu capable d’œuvres bonnes (le salut est alors diaconal),
-          Etre sauvé : ce peut être être libéré des obligations de la Loi (un salut libertaire)…
Et ce n’est sans doute pas sans raisons sérieuses que l’auteur de l’épître aux Ephésiens, autour de ces idées de salut, emploie les mots d’orgueil, de haine, de murs de séparation, de mort, et place en face de ces mots des expressions comme créer un seul homme nouveau, établir la paix, faire une unité… Il a dû, le pauvre, assister à des déchirements funestes. Et quand ces déchirements arrivent, la question qui se pose n’est pas “Qu’est-ce que le salut ?” mais “Que dis-tu, toi, du salut que proposent tes semblables ?” Et il est impossible de dire que tout se vaut. Ce n’est pas vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des manières de mettre en avant son propre salut qui sont des manières arrogantes, orgueilleuses, manières qui, parfois, deviennent violentes, voire meurtrières.
Ce qui est vrai aussi, c’est que tous n’ont peut-être pas besoin du même salut à tel moment de leur vie, et selon leur propre caractère.

Que faire, donc, de tous ces gens, de toute cette complexité ? Comment vivre ensemble alors qu’existe une diversité apparemment irréconciliable sur l’essentiel ? Le troisième moment de notre méditation porte sur les derniers mots du texte : « par le moyen de la croix, là, il a tué la haine ».
Que reste-t-il du ministère public de Jésus de Nazareth une fois qu’il a été crucifié ? Avoir fini crucifié est si infâmant que s’il reste quelque chose de ses enseignements et de ses miracles, ce ne peut être qu’un très faible appel, un discret « Va et fais de même », appel qui attend, appelle qui espère une réponse.
Et il faut bien dire alors que la foi chrétienne n’est pas un recueil de vérités qu’on proclame haut et fort, mais un faible appel auquel humblement on répond, sans rien attendre, ni de reconnaissance, ni de rétribution.
Sommes-nous de ce bord-là ? Sommes-nous de ce presque rien d’espérance, et d’engagement pourtant inconditionnel ? Dieu sonde les reins et les cœurs. Et nous, nous avons à marcher, à vivre notre vie et notre foi.