mardi 25 décembre 2018

Aujourd'hui, il vous est né un sauveur (Luc 2,1-20)

Joyeux Noël !

Luc 2
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l'époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s'appelle Bethléem en Judée, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
6 Or, pendant qu'ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva;
7 elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d'hôtes.
8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d'une grande crainte.
10 L'ange leur dit: «Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple:
11 Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur;
12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.»
13 Tout à coup il y eut avec l'ange l'armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait:
14 «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés.»
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: «Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.»
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.
19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.
20 Puis les bergers s'en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.
Prédication
          Je voudrais ouvrir cette prédication en évoquant l’un des textes les plus brutaux de toute la Bible ; c’est au 20ème chapitre du livre du Lévitique. Il s’agit d’une liste d’interdits liés aux sacrifices humains, à des unions illicites et à des affaires de relations sexuelles interdites. Le point commun entre tous ces interdits est que les contrevenants sont condamnés à mort. Le lien entre ces interdits est une question de pureté. L’auteur, ou les auteurs, de ce chapitre devaient être obsédés par la pureté, obsédés par le risque de contamination par l’impur. Et ce texte, dont certains interdits restent totalement valables aujourd’hui, sert à certains de nos frères et sœurs chrétiens, de base à leur éthique personnelle et communautaire, comme si tous ces interdits devaient être considérés valables aujourd’hui exactement comme hier. Mais est-ce que l’obsession de pureté qui a pu être celle de nos très lointains prédécesseurs doit encore être nôtre aujourd’hui ? Ou pour le dire autrement, les textes bibliques doivent-ils être considérés comme littéralement vrais, aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui ?
            Nous n’allons évidemment pas répondre maintenant à cette question, maintenant, c'est-à-dire le matin de Noël de 2018. Mais si c’est pour ne pas y répondre, pourquoi l’avoir posée ? Parce le texte, 2ème chapitre de Luc, nous y contraint. Il commence par une mention apparemment historique (Or, en ce temps-là…César Auguste, recensement, Quirinius procurateur de Judée), et comporte aussi des éléments qui relèvent d’une actualité (Aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur qui est le Christ Seigneur). Et bien, si nous affirmons que ce texte est historique, il ne nous concerne pas lorsqu’il dit « Aujourd’hui… » et « il vous est né un sauveur ». Mais si nous affirmons que ce texte relève entièrement de la foi, alors le « aujourd’hui » est aujourd’hui, jour de Noël 2018, le « vous » nous est directement adressé, c’est à nous qu’est faite cette annonce, et « un sauveur » n’est pas n’importe quel sauveur, mais notre sauveur. Et, voyez vous, je me dis qu’il ne peut pas y avoir de position intermédiaire : celui qui cherche dans les Saintes Ecritures une preuve historique de ce qu’il croit ne vit aucunement par la foi.
            En ce matin de Noël 2018, nous allons justement tâcher de donner foi à cette annonce : « Aujourd’hui, il vous est né un sauveur », et de l’expliquer.
           
            D’abord, vous ; comme nous l’avons déjà évoqué, ce qui advient en cette naissance est pour vous ; c’est à vous que l’ange parle, et c’est à vous qu’il annonce qu’il n’a pas plu à Dieu de se contenter d’être Dieu mais qu’il est devenu humain ; qu’il n’a pas voulu trouver un autre moyen que celui-ci pour attirer à lui et redresser le genre humain. Dieu n’avait aucun besoin de faire cela, car en tant que Dieu il n’avait rien à y gagner, mais il lui a plu de faire cette chose pour vous (dit le texte), c'est-à-dire pour nous, et non pas des humains en général. Sans préciser ce que nous devrions être, si nous en sommes dignes, si nous sommes pieux ou pas, crédules ou pas, l’ange nous dit que c’est pour nous. Précisons encore que pour nous ne signifie pas pour moi ; cela signifie pour moi et pour toi, pour moi et pas sans toi, sans qu’il y ait ni privilégier, ni premier, ni dernier, ni de gens favorisés pendant que d’autres seraient lésés ou délaissés. Non. C’est tous ensemble que nous sommes concernés par l’événement qui se produit aujourd’hui.
            Et maintenant, nous réfléchissons sur aujourd’hui. Aujourd’hui, cela signifie clairement que ce n’est pas hier ni quelque part dans un moment repérable de l’histoire. Ce n’est ni hier, ni demain. Bien sûr, c’était hier déjà et ce sera demain aussi, car jamais Dieu ne se lasse, mais nul n’est jamais tout à fait certain qu’il sera là encore demain. Ce n’est évidemment pas une menace, mais juste l’expression de la vérité. C’est pourquoi, aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs. La proposition de Noël est bien une invitation, aujourd’hui, à la conversion, à ce retournement qui constate que la faute ou la peur d’hier sont recouvertes de grâce et que, tout aussi vrai que le Sauveur est né, aujourd’hui peut prendre l’allure d’un commencement nouveau.

             Il y avait d’abord vous puis aujourd’hui, et il y a maintenant le Sauveur. Sauveur ? Et pour sauver qui, et de quoi ? D’abord, pour nous sauver du moi tout seul. Puis aussi pour nous sauver d’un nous qui serait trop étroit. Le vous que nous avons exploré tout à l’heure ne pourrait pas être limité par nous à notre seul petit groupe sans apparaître totalement vide de sens. Le sauveur est un sauveur pour tous, sans réserve, sans exception, sans mérite de la part de personne, et sans facture à payer à la fin, c'est-à-dire, en un seul mot, c’est un sauveur qui sauve librement et qui libère. Le message de l’ange de Noël tient en ce seul adverbe, librement. La liberté que Dieu a prise en Jésus Christ de se faire homme est le fondement inébranlable de notre liberté religieuse, de notre liberté tout court. En tout cas, c’est librement qu’il appartient à chacun de s’associer au nous et à l’aujourd’hui de la bonne nouvelle de Noël. 

            Entendons encoure une fois la voix de l’ange : « Aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur ! » Joignons donc nos voix aux voix des anges, et chantons.


GLORIA IN EXCELSIS DEO !

dimanche 23 décembre 2018

Deux mères et deux fils (Luc 1,39-45) Quatrième dimanche de l'Avent



Luc 1
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth.
41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit: «Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein!
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru: ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira!»
46 Alors Marie dit: «Mon âme exalte le Seigneur
47 et mon esprit s'est rempli d'allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur,
48 parce qu'il a porté son regard sur son humble servante. Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse,
49 parce que le Tout Puissant a fait pour moi de grandes choses: saint est son Nom.
50 Sa bonté s'étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.
51 Il est intervenu de toute la force de son bras; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse;
52 il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles;
53 les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides.
54 Il est venu en aide à Israël son serviteur en souvenir de sa bonté,
55 comme il l'avait dit à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance pour toujours.»
56 Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis elle retourna chez elle.

Prédication : 
En ce temps-là… ça sonne comme le commencement d’un conte : on ouvre le livre, et les premiers mots qui s’offrent à la lecture sont : en ce temps-là. En ce temps-là, Marie partit en hâte…
Or, dans l’évangile de Luc, ce ne sont pas les premiers mots de l’histoire ; l’histoire de la visite de Marie à Elisabeth n’est qu’une partie de ce qui est, en fait, un prologue, un prologue tout entier fait de rencontres : le prêtre Zacharie rencontre l’ange Gabriel, Marie rencontre l’ange Gabriel, Marie rencontre Elisabeth, Jésus rencontre Jean le Baptiste (alors qu’ils ne sont que deux enfants à naître…), et nous n’avons pas insisté sur le fait que l’Esprit Saint va et vient qui fait le lien entre toutes ces rencontres, le tout comme si deux histoires, celle de Jean le Baptiste et celle de Jésus étaient en fait une seule et même histoire.

Revenons pour l’instant à la rencontre de Marie avec l’ange. L’ange Gabriel s’invite chez Marie pour lui annoncer qu’elle sera mère. Souvenez-vous : 34 Marie dit à l'ange: «Comment cela se fera-t-il puisque je n'ai pas de relations sexuelles?» 35 Et l’ange répond : «L'Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c'est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu. 36 Et voici que Elisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d'un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile, 37 car rien n'est impossible à Dieu.» 38 Marie dit alors: «Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l'as dit!» Et l'ange la quitta. Et sur l’heure, en hâte, Marie se mit en route… immédiatement et sans délai. Alors nous nous demandons : puisque tout se passe si vite, quand donc la puissance du Très-Haut, c'est-à-dire l’Esprit Saint, a-t-il couvert Marie de son ombre ? L’ange Gabriel est un ange qui se tient tout près de Dieu, sa parole est parole de Dieu. La parole et l’acte de Dieu sont une seule et même réalité. Ainsi pensons-nous que c’est aussi sans délai que, pour Marie, ce que l’ange avait annoncé arriva, sans tarder, sur l’heure. L’Esprit Saint la couvre de son ombre, tout comme elle manifeste son consentement, et tout comme elle se met en route pour visiter sa parente Elisabeth dans une ville de Juda…
Quelle distance y a-t-il entre le point de départ de Marie, Nazareth, en Galilée et la Judée ? En temps de parcours, deux jours tout au plus, car Marie est jeune. Elle rencontre donc Elisabeth deux jours au plus après avoir rencontré l’ange. La rencontre de Marie et d’Elisabeth est la rencontre d’une femme au tout tout tout début de sa grossesse (2 jours au plus) et d’une femme qui en est à son sixième mois. L’une de ces grossesses ne se voit absolument pas, l’autre est trop avancée pour pouvoir être cachée. Rencontre en somme de l’invisible et du visible, l’Esprit Saint faisant le lien entre deux mères et deux fils...
            L’Esprit Saint fait le lien entre ces quatre personnages. Comment autrement pourrait-on comprendre que l’enfant d’Elisabeth (enfant rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère – Luc 1,15) reconnaisse l’enfant de Marie, qui est enfant du même Esprit Saint ? Et comment Elisabeth pourrait-elle autrement appeler Marie mère de mon Seigneur ? L’enfant de Marie, au bout de deux jours d’humanité, n’est presque rien, qu’un petit paquet de cellules tout au plus qui, pourtant, déjà, rayonne, partout où il se trouve…
            « Marie demeura auprès d’Elisabeth pendant environ trois mois, puis elle retourna chez elle. » (Luc 1,56)

            Nous avons raconté pour l’instant cette histoire en adoptant une manière très naïve et obstétrique, en tâchant de prendre en considération l’humanité et la divinité, et en prenant aussi en considération la continuité de toute cette histoire. Mais nous ne nous sommes pas demandé pour quelles raisons l’évangéliste Luc insiste tellement sur cette continuité. Pour quelle raison Luc l’évangéliste insiste-t-il ainsi, et dans l’histoire de ces rencontres, et dans l’histoire d’Israël lorsque Marie entonne son Magnificat.

            Cette continuité va tellement de soi dans ce récit des origines qu’il est vraisemblable qu’elle n’ait pas du tout été de soi dans les faits que Luc prétend pourtant rapporter fidèlement. Mais quels peuvent être ces faits ?
Le judaïsme de ce temps-là était morcelé à l’extrême. Le mouvement de Jean le Baptiste était probablement l’une des composantes de ce judaïsme. Ces diverses composantes du judaïsme n’entretenaient pas entre elles des relations de fraternité cordiale… Lorsque le mouvement issu de Jésus de Nazareth a pris une certaine ampleur, y ont adhéré toutes sortes de gens, des gens vierge de toute culture juive, et des gens qui provenaient de toutes les diverses composantes qui existaient auparavant. Se sont donc trouvés mêlés des gens qui étaient passés par l’enseignement et le baptême de Jean le Baptiste, d’autres gens qui n’avaient connu que Jésus de Nazareth, et sans doute encore aussi d’autres qui n’avaient connu que le don du Saint Esprit. Il est très probable alors que cette diversité se soit traduite par d’importantes tensions.
Et que fait alors Luc ? Il fait œuvre d’unité, il essaie en tout cas... Il fait ce qu’ont fait bien des auteurs bibliques avant lui : il compose un récit d’origine commun à tous les courants. Ce récit a trois parties, le chapitre 1 de Luc (v.5-80), son chapitre 3 (v.1-21) et son chapitre 7 (v.18-33). Et jusqu’où ce récit remonte-t-il ? En racontant tout à l’heure, d’une manière très naïve, la rencontre de Marie (à peine enceinte) et d’Elisabeth (presque à terme), nous avons mis en évidence que Jean le Baptiste vient avant Jésus ; mais nous avons aussi mis en évidence que Jésus est reconnu comme Seigneur par Elisabeth et par l’enfant d’Elisabeth, alors qu’il (Jésus) n’est qu’un petit amas de cellules dans le ventre de Marie sa mère. Nous pouvons alors affirmer que le Seigneur Jésus vient avant même ceux qui viennent avant lui, autrement dit qu’il est antérieur à toutes les traditions, qu’il vit dès avant le commencement de tout. Luc, ainsi, récapitule tout en Christ et proclame que le Seigneur, l’Esprit Saint et le salut de Dieu sont UN, pour les baptistes, pour les pentecôtistes, pour les hébreux, les prosélytes, les théologiens… pour tous les fidèles, quelles que soient leurs origines. Oui, Luc proclame l’unité de Dieu, l’unité de la foi en Dieu et l’unité du genre humain.

Luc a-t-il été écouté ? Nous allons dire que oui et que non. Oui, parce que ses deux livres, l’évangile et les Actes des Apôtres, ont été recueilli dans le canon des saintes écritures chrétiennes : ces deux livres ont été connus, lus et reçus partout – partout où il y avait des communautés. Sans doute ces livres ont-ils été reçus comme explication, comme critique, et comme exhortation. Oui, Luc a été écouté. Et non, Luc n’a pas été, n’est toujours pas écouté. Il est plus souvent fait état, entre chrétiens, de manières de faire différentes et séparatrices que d’une commune origine en Dieu… Et ce Jésus qui vient avant tous ceux qui viennent avant lui est parfois, souvent, presque laissé de côté par nos traditions, plus soucieuses parfois d’elles-mêmes que de la foi en Christ...

Aujourd’hui, c’est le 4ème dimanche de l’Avent. Dans deux jours, c’est Noël. Chères sœurs, chers frères, nous appartenons tous à l’unique Eglise de Jésus Christ, Eglise morcelée, c’est le moins qu’on puisse dire. Puissions-nous à Noël tous nous réconcilier au-dessus du berceau. Amen

dimanche 16 décembre 2018

Trois baptêmes (Luc 3,7-18) Troisième dimanche de l'Avent

Luc 3

7 Jean disait alors aux foules qui venaient pour être baptisées par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Faites donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne fait pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.»
10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc faire?»
11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.»
12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent pour être baptisés et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?»
13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.»
14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne pillez pas, ne violentez personne, et contentez-vous de votre solde.»
15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?
16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»
18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il évangélisait le peuple.
Prédication :


            Ainsi, avec bien d’autres exhortations encore, Jean le Baptiste évangélisait le peuple. Certaines traductions préfèrent nous dire que Jean le Baptiste annonçait la Bonne Nouvelle ; pas une bonne nouvelle, ou plusieurs bonnes nouvelles, mais la Bonne Nouvelle, l’unique bonne nouvelle, celle de l’imminence de la venue du Christ. Soit, mais de quoi parle Jean le Baptiste en fait de bonne nouvelle ? La question mérite d’être posée, parce que la prédication de Jean le Baptiste, comme vous l’avez entendue, est tout de même assez brutale, et pas vraiment nouvelle. Bien des prophètes de l’ancien testament ont mis en cause la sincérité des adorateurs de Dieu, ont alerté leurs contemporains de l’imminence du jugement, ont prêché l’urgence de la conversion, la transformation des cœurs plutôt que les sacrifices, ont recommandé la justice sociale et le partage. Qu’est-ce que Jean le Baptiste dit de plus que les anciens prophètes ? C’est ce que nous allons tâcher de comprendre, en commençant par le commencement.
           
Pour commencer, donc, nous nous intéressons à un verbe qui est répété 7 fois dans les versets que nous avons lus, un petit verbe ordinaire auquel on ne fait pas forcément très attention, le verbe faire. Il apparaît sous forme d’impératifs un peu abstraits, puis de questions, puis d’autres impératifs lus précis : faites des fruits qui témoignent de votre conversion – que devons-nous faire ? – faites ceci ! Et ce second impératif a un objet spécifique pour chacune et chacun.

            Mais avant que chacun soit interpellé pour lui-même, notons qu’on vient en foule pour être baptisé par Jean le Baptiste ; la venue en foule est une venue sans méditation, sans réflexion, en suivant le mouvement, peut-être même en suivant une certaine mode, et semble-t-il avec l’idée qu’avoir été baptisé par Jean le Baptiste sera une protection en cas de catastrophe. Protection ? Rien du tout ! Jean le Baptiste insulte les gens et les renvoie à leurs actes. Soit, mais que devons-nous faire, demandent les foules ? Jean le Baptiste ne répond pas aux foules, mais il interpelle chacun : Que celui qui… et l’on passe ainsi du collectif à l’individuel ; l’individuel, c'est-à-dire à un  acte qu’une personne particulière, acte diaconal pour certains, renoncement à la rapacité et à la violence pour d’autres… La prédication et l’action de Jean le Baptiste ont ceci de particulier que l’aspect objectif, collectif et institutionnel de la religion laisse place à une pratique subjective, individuelle et clairement diaconale.
            Tout cela est bon – en tout cas pour le vivre ensemble – mais est-ce vraiment nouveau ? Les prophètes ont-ils jamais parlé d’autre chose ? Pas vraiment. Quant à savoir si les actes de bonté valent qu’on échappe à la colère qui vient, cela n’est pas certain, ça reste même bien ambigu.
            Alors, est-ce que cela est une bonne nouvelle ? Voire la bonne nouvelle ? Nous sommes jusqu’ici en quête d’une bonne nouvelle qui devrait être bonne et nouvell au regard de l’éternité et de l’absolu. Mais est-ce vraiment cela qui est attendu de nous en tant que lecteurs ? La grande et précise énumération historique par laquelle commence notre texte nous suggère plutôt de nous en tenir modestement au temps de Jean le Baptiste. Est-ce que la prédication de Jean le Baptiste est nouvelle et bonne en son temps à lui ? Oui, bonne et nouvelle est la bonne nouvelle de Jean le Baptiste dans un temps de domination brutale, d’état fantoche, de grands-prêtres intrigant avec et contre l’occupant, de collecteurs d’impôts rapaces et de soldats pillards. Oui, c’est une bonne nouvelle. Mais cela ne comble pas le peuple : tous sont dans l’attente du Christ. Ils attendent la paix, la restauration d’un état autonome, la justice et l’équité, un roi puissant, etc.
            Le Christ, serait-ce Jean le Baptiste ? Non, vous l’avez bien lu. Le baptême d’eau de Jean le Baptiste est une merveilleuse et prophétique aventure de foi, qui a les traits formidables des grandes aventures prophétiques, mais qui ne va pas jusqu’où ira l’autre aventure, celle qui vient, celle du Christ. Jean le Baptiste baptise d’eau ; le Christ, celui qui vient après lui (et qui va bien au-delà de lui) baptise dans l’Esprit Saint et le feu. Qu’est-ce à dire ?
            Baptiser, c’est immerger. Baptiser dans l’Esprit Saint, c’est immerger dans l’Esprit Saint. Si le Christ immerge les croyants dans l’Esprit Saint, cela signifie que Dieu lui-même se met à parler directement à qui il veut, quand il veut, et la manière qu’il veut. Ça ne sera évidemment pas pour dire le contraire de ce que prêche Jean le Baptiste (en tout cas pas à première vue), mais cela signifie que plus aucune institution religieuse ne pourra prétendre être plus que ce qu’elle n’est : juste une institution, une institution humaine, ce qui vaut même pour Jean le Baptiste, utile mais absolument inessentielle, et contingente. Et cela, Jean le Baptiste le sait, et le reconnaît clairement.

            Lorsque l’Esprit Saint s’invite ainsi, les lieux de culte et les traditions religieuses peuvent bien continuer d’exister, mais le lieu véritable de l’adoration devient le cœur de l’être humain. Et lorsque l’Esprit Saint s’invite dans une vie, il ne s’intéresse même pas aux actes – ni les plus merveilleux, ni les plus abominables – qui auraient pu être commis (souvenez-vous de Saul, devenu Paul l’Apôtre). Ce second baptême – celui dans l’Esprit Saint – est donc un baptême d’affranchissement et de liberté. Liberté pour quoi ? Pour répondre de ce baptême en paroles et en actes. Rien de bien différent du premier baptême, celui dans l’eau ? Si. Liberté de parole et intensité de l’engagement, rupture qualitative dans la vie de celui qui est baptisé dans l’Esprit Saint. Une totale libération pour un engagement total.
            Et qu’advient-il à ceux qui vivent ainsi ? Il n’est qu’à lire l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres. Celles et ceux qui vivent ainsi vivent ce que nous appelons aujourd’hui un baptême du feu. Ce baptême du feu, le troisième baptême, sera le lot du Christ Jésus. Là où il ira, là où il parlera et agira, il suscitera l’étonnement, la controverse, et il provoquera la colère des institutions religieuses. Ce baptême du feu sera vécu aussi par les Apôtres, qui susciteront eux aussi l’étonnement, la controverse, mais aussi la colère, et parfois l’émeute. Et ils seront traités comme on traitait à l’époque les agitateurs et les blasphémateurs.

            Et que sortira-t-il de tout cela ? Les Actes des Apôtres nous racontent – entre autres choses – comment les humains, y compris les Apôtres, cherchent à normaliser, à cadrer l’Esprit Saint et comme l’Esprit Saint ne cesse de s’inviter là où on ne l’attendait pas. Les humains, y compris les Apôtres, partant du deuxième baptême et redoutant le troisième, sont tentés et essayent le plus souvent de ramener leur expérience de foi à une sorte de prudent premier baptême. Agir ainsi ne peut pas constituer une bonne nouvelle mais au mieux, comme au commencement de notre texte, une sorte de préparation. Au mieux, disons-nous, car de ceux qui en restent à ceci on peut dire qu’ils attendent bien des choses, mais certainement pas le Christ.
            Et la bonne nouvelle, face à cela, est qu’il se lève toujours un moment un Jean le Baptiste pour renouveler la prédication initiale : il va venir ! Il vient ! et à n’importe quel moment l’Esprit Saint peut vous saisir et faire de vous son disciple, son envoyé.
            Amen

dimanche 9 décembre 2018

La route et les sentiers du Seigneur (Luc 3,1-9) Deuxième dimanche de l'Avent

Luc 3

1 L'an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
Jean le Baptiste, représentation possible
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, faites droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire baptiser par lui: «Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n'allez pas dire en vous-mêmes: ‹Nous avons pour père Abraham.› Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.»
Babylone, porte d'Ishtar (Musée Pergamon, Berlin)
Prédication

            Il nous est rapporté par l’archéologie qu’à Babylone la statue colossale du grand dieu Mardouk était sortie de son temple une fois par ans pour une procession. Le chemin de la procession devait être préalablement nivelé, redressé, aplani… Nous savons aussi que l’empire babylonien avait pour habitude d’emmener à Babylone les élites des peuples conquis, et de transporter aussi jusqu’à Babylone tous les objets sacrés des cultes des peuples vaincus. Ces objets étaient déposés dans le temple de Mardouk, en signe de soumission. Quant aux déportés, ils constituaient la main d’œuvre nécessaire à la préparation de la procession (défrichage et terrassement) et au déroulement de la procession (portage de la statue). Prêtres, princes, dignitaires étrangers qui avaient été vaincus étaient mis au service du dieu de leur vainqueur, avec pour mot d’ordre ceci : préparez dans le désert le chemin du Seigneur (le Dieu Mardouk), rendez droits ses sentiers, etc. exactement comme nous venons de le lire.
Plus tard, lorsque les élites des Israélites, ou plutôt leurs descendants, ont pu être émancipées et qu’elles ont entrepris de raconter l’histoire de leur exil, elles ont transformé les paroles de leur humiliation en paroles de soutien et d’espérance. Le prophète Esaïe est l’un des écrivains de cette espérance ; les évangélistes Marc, puis Matthieu et Luc, se sont reconnus dans  l’expression de cette espérance, qu’ils ont interprétée comme une promesse de rédemption messianique. Ils ont mis ces paroles dans la bouche du précurseur Jean le Baptiste : « Préparez le chemin du Seigneur, faites droits ses sentiers… » Vous savez bien de quel Seigneur Jean le Baptiste veut parler ; il veut parler de Jésus Christ.
            Mais vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, dans l’énoncé de cette espérance, il y a un singulier, et un pluriel ? Le chemin et les sentiers. Et  pourquoi aussi il y a deux verbes ? Préparer, et faire (droits).
            Le chemin, et les sentiers. Pour le chemin, il serait préférable de dire la route, une grande route (le chant Aube nouvelle traduit justement « il faut préparer la route au Seigneur »), une unique route, bien identifiée, bien rectiligne, directe. Une route qu’il faut préparer. Préparer est un verbe assez neutre, qui convient tant pour des actions concrètes que pour des actions plus abstraites, comme préparer son cœur.
Faites droits ses sentiers... Hum...
Une seule route donc, et plusieurs sentiers, sentiers tortueux et étroits comme les sentiers le sont sur les terrains accidentés, sentiers qu’il s’agit de rendre plus praticables. Vous le savez bien, sur des terrains accidentés, deux sentiers peuvent être à proximité l’un de l’autre, et deux promeneurs peuvent passer très près l’un de l’autre sans se voir. S’agissant encore des sentiers sur terrains accidentés, lorsque vous questionnez les vieux du village, chacun sait donner l’indication correspondant à une destination particulière, et aucune de ces indications n’est semblable à l’autre. Bref, la route du Seigneur est droite mais doit être spécialement entretenue, et ses sentiers, multiples et tortueux doivent être profondément rectifiés. Mais quelle route ? Et quels sentiers ?
            Dans le texte que nous méditons, nous pouvons distinguer sept sentiers du Seigneur, qu’on nomme ainsi parce que la personne qui emprunte tel sentier entend bien servir ou rencontrer le Seigneur sur ce sentier précisément, sentier personnel tout à fait différent de tous les autres sentiers. Sept sentiers du Seigneur en moins de six versets !
            Premier sentier, celui de l’ascèse, celui que suit Jean le Baptiste ; choix d’une extrême pauvreté, une existence frugale, dans le désert, en retrait de toute sorte de pouvoir ou de puissance, longues séquences de prière et de méditation. Un sentier sur lequel effectivement on ne rencontre personne ou du moins pas grand monde.
Mais parfois la parole de Dieu se fait connaître, parfois quelqu’un pense avoir quelque chose à dire, prophète ou prêtre, ou simple homme. Et il parle, publiquement il parle. Second sentier, celui de la parole, ou de la prédication. Jean le Baptiste l’ascète devient un jour prophète, et il passera du sentier de l’ascèse au sentier de la prédication.
            Troisième sentier, qui n’est à proprement pas un sentier mais plutôt un état, le sentier du sang, de la lignée. Nous avons pour père Abraham, affirment certains et cela, pour eux, tient lieu d’élection, d’assurance et de destin. Ils pensent et affirment que oui, Dieu a été, est et sera toujours présent en tout temps pour les fils d’Abraham, et pour eux seuls.
            Quatrième sentier, celui de l’action. Il y a sous nos yeux une cascade de verbes d’action à l’impératif : faites, comblez, abaissez, redressez, aplanissez, produisez. Le sentier du Seigneur est alors celui de l’action, action diaconale, si l’on veut, ou action d’évangélisation, ou action politique, mais action, agir, faire… Tel est ce quatrième sentier.
            Cinquième sentier, celui de la conversion, c'est-à-dire la décision personnelle, la transformation de soi, le choix, en somme. Et, une fois que ce choix est fait, que la conversion a eu lieu, on en est marqué pour le restant de ses jours…
            Sixième sentier, le rituel, tout comme Jean le Baptiste propose un rituel que, manifestement, certains considèrent comme nécessaire et suffisant pour échapper à la colère de Dieu, comme on entend parfois dire que le baptême est nécessaire au salut.
            Septième sentier, celui de la pure divine grâce, comme le dit Jean le Baptiste, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham, comme ça, d’un coup d’un seul. Une pierre devient fils d’Abraham, il ne faut rien d’autre pour cela que la grâce divine.

            Sept sentiers… il y en a bien sûr encore quelques autres – comme l’étude, ou comme le baptême du Saint Esprit et les divers charismes qui ont mené, faute d’amour, la communauté de Corinthe dans l’impasse, ou comme l’écriture... Sept sentiers, c’est le chiffre pour aujourd’hui.
Quelqu’un est sur son sentier particulier, quelqu’un qui vit sa vie personnelle, toujours un peu sinueuse, avec des hauts, et des bas. Le choix de ce sentier tout personnel est un choix sérieux, un engagement, personnel et particulier. Cette personne ne doute pas que, sur ce sentier qui est le sien, le Seigneur l’accompagne. Mais cette personne est-elle capable, sur ce sentier qui est le sien, d’apercevoir, de comprendre ou de reconnaître un autre sentier, qui est celui d’une autre personne ? Pas sûr. C’est un assez vieux souvenir pour moi que celui d’une paroisse d’une certaine importance dont certains membres ne juraient que par l’action diaconale, mais d’autres membres étaient habitées par la grâce qui leur avait fait rencontrer Dieu, d’autres ne s’intéressaient qu’à la liturgie des célébrations, d’autres au seul groupe de prière, d’autres encore, issus de grande familles protestantes, ne venaient que les jours d’Assemblée générale et avaient naturellement des avis sur tout. J’ai encore dans mes oreilles des mots désagréables que les uns prononçaient sur les autres, chacun sur son propre sentier du Seigneur, sentier personnel trop exigeant, trop accidenté et trop tortueux pour y convier un autre, ou pour prendre le temps de visiter les autres, trop prenant pour prendre le temps d’une rencontre.
            « Faites droits ses sentiers », proclame Jean le Baptiste. C’est à dire, ayez en vous plus de modestie, plus d’ouverture, plus de simplicité, non pas à la place de la consécration qui est la vôtre, mais en plus de cette consécration, de sorte que vous puissiez voir, rencontrer, apprécier vos sœurs et vos frères qui sont sur un autre sentier. De sorte aussi que vous soyez en mesure de le voir venir, lui, le Seigneur, lorsqu’il viendra… et qui vous dit que c’est sur votre sentier qu’il viendra ?
             Préparez la route du Seigneur, faites droits ses sentiers ! Nous avons suffisamment parlé de ces multiples sentiers et de leur rectification. Il nous faut maintenant parler de la route, de cette unique route qu’il s’agit de préparer. Prenons garde de ne pas faire de cette unique route un sentier de plus. Il nous faut réfléchir à quelque chose qui puisse être retrouvé sur tous les sentiers possibles.
            Il ne fait aucun doute que, chacun sur son propre sentier, nous nous consacrons chacun à sa propre tâche. Mais lorsque nous avons rendu droit notre propre sentier, qui va se prononcer sur ce que nous faisons, sur notre fruit ? Ultimement, le Seigneur, ce que Jean le Baptiste énonce sans aucun détour. C’est le Seigneur qui sait ultimement si notre fruit est mauvais ou s’il est bon, si la hache coupera ou épargnera notre racine. Et ceci nous interdit de nous prononcer nous-mêmes sur la qualité de notre propre fruit. Or, seulement trois instances peuvent se prononcer : Dieu, nous-mêmes, et nos contemporains. Dietrich Bonhoeffer, dans les circonstances dramatiques qui étaient celles du Nazisme, a médité cette question, sur le thème de la responsabilité. Etre responsable, répondre de ses actes, dit-il, c’est bien sûr en répondre devant sa propre conscience et aussi devant Dieu, mais c’est surtout poser là ses actes devant ses contemporains – dire : oui, je l’ai fait, jugez-moi – et accepter leur jugement. S’agissant de Bonhoeffer, vous savez quels furent ses actes et quel fut le jugement de ses contemporains. Jean le Baptiste n’a pas vécu différemment, et notre Seigneur n’a pas fait autre chose. Jusqu’au bout, jusqu’à la fin, jusqu’à la mort.
            Nous tâchons, pour notre part, de comprendre quelle est cette unique « route du Seigneur » qu’en tant qu’êtres humains et disciples nous avons à préparer et qui est commune à tous les « sentiers du Seigneur ». Cette route est, pour nous tous, chacun sur son propre sentier, la responsabilité. Tels sont mes actes et les fruits en sont offerts à mes contemporains, et mes contemporains se prononceront. Je serai responsable, j’accepterai leur jugement.


            Préparer le chemin du Seigneur, faire droits ses sentiers. En ce deuxième dimanche de l’Avent, faisons vœu tous ensemble et chacun sur son propre sentier, que jamais nous n’ayons à engager jusqu’à notre propre vie ; et que notre Seigneur nous inspire de véritables paroles et de véritables actes de bonté. Amen

dimanche 2 décembre 2018

Le temps de la fin et du commencement (Luc 21,25-36) Premier dimanche de l'Avent

 Luc 21

25 «Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l'impasse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,
26 tandis que les hommes défailleront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde; car les puissances des cieux seront ébranlées.
27 Alors, ils verront le Fils de l'homme venir entouré d'une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
28 «Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance s’est approchée.»
29 Et il leur dit une parabole : «Voyez le figuier et tous les arbres:
30 dès qu'ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l'été est proche.
31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n'arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
34 «Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l'improviste,
35 comme un filet; car il s'abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.
36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour avoir la force d'échapper à tout ça qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme.»
Prédication
            Premier dimanche de l’Avent 2018. Luc, chapitre 21. Dans le long discours que Jésus donne aux environs du Temple, il parle de persécutions contre ceux qui se réclameront de lui, d’épidémies, de catastrophes naturelles, dont des vagues gigantesques, il parle de guerres, de réduction en esclavage des vaincus, d’impostures religieuses, de trahisons dans les familles, de destructions de villes… il ne manque rien, ou presque rien, à la liste des catastrophes possibles. Notre époque trouverait à y ajouter des horreurs nucléaires, militaires ou civiles, les périls industriels et le péril climatique… Finalement aujourd’hui comme hier, avec toutes ces horreurs mises bout à bout, on vous prédit l’imminence de la fin des temps et du retour en gloire de Jésus. L’ancien testament en son temps prédisait et prédit toujours toutes sortes de catastrophes possibles et finalement le retour du peuple dispersé, plus la venue en gloire et le règne d’un descendant de David à Jérusalem, ville devenue centre du monde.  Mais l’ancien testament est moins audacieux que le nouveau sur la question de l’imminence. 
            Ce sont les écrits intertestamentaires qui commencent à imaginer une fin toute proche ; jugez plutôt : « Que soit donc en tous temps devant vos yeux ce qui a été prédit (…) Le Très-Haut se montre se montre patient avec nous ici : il nous a fait connaître ce qui doit être et il ne nous a pas caché ce qui doit arriver à la fin. Avant donc que le jugement ne réclame ce qui lui appartient, et la vérité ce qui lui est dû, préparons notre âme à prendre et non à être pris, à espérer et non à être confondu, à reposer avec nos pères, et non à être suppliciés avec nos ennemis. Car la jeunesse du monde est passée et la vigueur de la création est déjà à son terme ; l’avènement des temps est bien proche et ils vont passer. La cruche est proche du puits et le navire du port (…) etc. » (Livre de l’apocalypse de Baruch, fils de Néria, II Baruch 85,8-10). Nous parcourons avec ces     différents livres à peu près quatre siècles d’activité littéraire (IIIè siècle avant JC – Ier siècle après JC), mais tous ces textes apocalyptiques ont à peu près la même structure. Excepté certaines prudentes prophéties de l’ancien testament, le lecteur se dit que l’imminence de ces événements et de la fin commence à avoir beaucoup duré…

            Pour ma part, lorsque j’étais un teenager, j’ai fréquenté des prédicateurs ardents selon l’avis desquels l’imminence de la fin des temps était vraiment très imminente, au point qu’ils affirmaient qu’il était certain qu’ils verraient tout cela arriver de leur vivant. Ils nous faisaient chanter, et nous chantions, Jésus revient, Alleluia. Seras-tu prêt quand il viendra. Si tu es prêt il te prendra. Et avec lui tu règneras. Et à ses pieds tu te tiendras. En entonnant Alleluia, Alleluia, Alleluia, etc. Ils donnaient parfois des sermons et des enseignements inquiétants, qui terrifiaient et convainquaient certaines personnes. Une quarantaine d’années plus tard, ils ont disparu, et nous voici, la fin des temps est toujours imminente, nous pouvons chanter le même chant,  et entendre et lire les mêmes sermons et les mêmes enseignements, tout est en ligne, c’est seulement ça qui a changé ; avec la mise en ligne et l’absence de contradicteurs qui est son corollaire, la violence de ces propos s’est considérablement accrue.
            Ne nous moquons pas. Observons que des textes apocalyptiques n’ont jamais cessé d’être écrits – la Bible en est truffée, nous l’avons évoqué, et certains écrits bien plus vieux que la Bible, composés au 4ème millénaire avant Jésus Christ, comportent déjà de belles pages apocalyptiques… Gageons que dès cette époque, et continuellement depuis, des commentateurs et des prédicateurs se sont levés pour prêcher la fin des temps, et la fin des temps n’est jamais arrivée. 
Toulouse, AZF
            La question « la fin des temps, c’est quand ? » n’a donc que très peu d’intérêt. Et nous allons la laisser un moment de côté. Nous nous demandons plutôt, la fin des temps, c’est quoi ? Et avant de répondre nous posons encore une autre question : le temps, c’est quoi ?
Le temps, c’est quoi ? Il est difficile de répondre, parce que quoi que nous fassions, le temps passe et nous n’avons pas moyen de le saisir et de l’arrêter. Par contre, nous pouvons le mesurer, le rythmer, le construire… Les fêtes agraires, les fêtes de commémoration, les fêtes des lunaisons, puis, plus tard, le rythme des six-jours-plus-un ont rythmé et construit le temps de ces cananéens réformés qu’étaient les hébreux ; les rendez-vous intertribaux sur les hauts-lieux de culte et de justice ont aussi construit le temps ; et lorsque le culte a été centralisé par la volonté du roi Josias, le rythme des trois pèlerinages annuels, plus les sacrifices liés aux grands événements d’une vie, a construit le temps, et construit aussi la présence de Dieu dans le temps. Il faut prendre très au sérieux cette construction du temps ; d’ailleurs il y a eu des schismes, des ruptures définitives, entre diverses composantes du judaïsme, seulement pour des raisons de respect de tel ou tel calendrier… Certains on fait sécession, ont renié la tradition du temple et s’en sont tenus à leur seul calendrier ! C’est peut-être cela qui a séparé Jérusalem de Qumran.
Voilà donc ce qu’est le temps. Et voilà aussi ce que sera la fin des temps. Ce sera la destruction des lieux de culte, l’exil, l’impossibilité de continuer à célébrer, et, corollaire de la fin des temps, l’absence de Dieu.
Le prophète Ezéchiel en a merveilleusement parlé : la divine présence a quitté le temple et s’en est allée – c’était au moment de la destruction du premier temple. La divine présence s’en est allée vers l’est. Pourquoi vers l’est ? Parce que c’est là bas que se trouvaient les exilés. Ce qui signifie que la fin des temps n’était pas la fin de tout. Et qu’après la fin des temps il s’agissait de continuer à vivre, et de reconstruire le temps en réinventant la vie.
Reprenons : la fin des temps, c’est quoi ? C’est la destruction des points de repère qui permettent de construire et de régler le temps. Ces points de repère peuvent être des points de repère familiaux, ils peuvent aussi être des points de repère religieux. Ils peuvent être détruits, lorsqu’un bâtiment est détruit, lorsque quelqu’un meurt… Et que fait-on alors ? Disparaît-on ? Non, la fin des temps est arrivée, et on se retrouve là, en plein chaos.
Que va-t-on faire ? Notre texte nous présente une alternative. Soit le cœur s’alourdit… soit l’on veille. Peut-être le cœur s’alourdit-il, d’abord et que, plus tard, on se prendra à veiller, a guetter, à repérer, à saluer un petit signe, un presque rien qui devient discrète source de joie. On se surprendra peut-être à rouvrir la Bible, à prier, à retourner au temple… Et le temps, lentement, se reconstruit. Il se reconstruit, autrement qu’il n’était. Et la présence de Dieu, petit à petit, redevient perceptible.

Ainsi, lorsque le second temple a été détruit, lorsque Jérusalem a été saccagée, en l’an 70, cela a été la fin des temps. Le culte qui était là rendu à Dieu a cessé, pour toujours. Et quelque chose s’est passé. Le temple n’était plus, mais demeuraient le Livre et les sept jours de la semaine, le Livre qu’on pouvait transporter, recopier, lire et relire, commenter, mettre en œuvre pour inventer un nouveau temps, une nouvelle vie, une religion sans temple, pour laquelle le cœur de l’homme était la demeure de Dieu et la Torah la trace de sa parole. Cette transformation avait commencé bien avant la destruction du temple. Des synagogues existaient dans tout le monde méditerranéen, le judaïsme de Babylonie était extrêmement florissant... Alors ? La fin était-elle la fin, ou la fin était-elle le commencement ?

Retour à notre question de départ : la fin des temps, c’est quoi ? Au point où nous sommes arrivés, nous pouvons retourner cette question  comme un gant, et nous lui donnons une réponse : la fin des temps, c’est le commencement du commencement des temps nouveaux, c’est peut-être même le commencement des temps nouveaux, mais on ne peut pas trop se le dire, parce que souvent la souffrance est trop forte, on n’ose qu’à peine le murmurer, on n’y croit pas, pas trop, ou si peu... Le chaos est encore trop présent.
Pourtant la promesse est là qui ne failli pas : « … mes paroles ne passeront pas. » Et que disent ces paroles ? Depuis toujours et à la face du chaos, de ce chaos qui est toujours le chaos des origines, le même Dieu prononce les mêmes paroles : « Qu’il y ait de la lumière ! » Et la  lumière apparaît. Et l’espérance renaît.
Qu’il en soit ainsi
Amen