dimanche 26 janvier 2020

La vallée de l'ombre de la mort (Psaume 23,4)

          Cette semaine, je vous propose un texte court, qui est l'éditorial de février du bulletin mensuel de l'Eglise protestante unie de Vincennes.

Même si je marche dans la vallée de l’ombre de la mort…

Quelle est donc cette vallée qui semble être la pire expérience qu’un être humain puisse vivre ?
Tout d’abord, cette ombre de la mort est, en langué hébraïque, un double mot valise : image de la mort, ou ombre de la mort. L’ombre de la mort, c’est que la mort n’est pas loin, c’est que la mort rode, elle va, elle vient, elle choisit sa victime et elle attend son heure… L’image de la mort, c’est l’ensevelissement, c’est être oppressé de tous côtés et réduit à la plus radicale impuissance.
S’agissant de la vallée, nous pensons sans doute à un ravin étroit, mais il s’agit au contraire d’une grande plaine ouverte dans laquelle, si les circonstances s’y prêtaient, on pourrait trouver des points de repère, choisir une direction, l’emprunter et s’y tenir. Mais lorsque l’ombre de la mort vient et recouvre une telle vallée, aucune direction ne peut être choisie, toutes se ressemblent, toutes se valent. Et même si l’on marche dans une direction, prise au hasard, cela ne fait qu’en rajouter au sentiment ressenti de désorientation, d’inutilité, d’impuissance et d’oppression.
Pourtant, l’auteur du texte l’affirme, je ne crains aucun mal. Et il donne les raisons de cette affirmation, l’Éternel veille. Même si je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me rassurent (Psaume 23,4). Et l’être humain éprouve le sentiment d’être à la fois défendu (la houlette) et dirigé (le bâton). Il peut alors marcher dans la vallée de l’ombre de la mort en ayant la certitude que le plus beau reste à venir.
C'était le  7 août 1974, New York, World Trade Center. Mais le plus beau reste à venir.
Cet éditorial, ainsi que ceux qui son venus avant lui, est disponible à cette adresse :

         La raison de ceci, c'est que je n'ai pas prêché ce dimanche. Il y avait un invité de marque, dans le cadre de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens : le Père Stéphane Aulard, curé de Notre Dame de Vincennes. Et voici son homélie.

Lectures : Isaïe 8,23-9,3 ; 1 Corinthiens 1,10-13.17 ; Matthieu 4,12-23.
Frères et sœurs, laissez-moi vous dire combien je suis heureux avec les catholiques ici présents d’être venu à votre rencontre dans ce temple de l’Eglise protestante unie de France cette année encore.
Nous partageons de semaine en semaine le même cycle de lectures bibliques à méditer et hier soir les enfants qui se préparent à communier pour la première fois à ND de Vincennes étaient à la messe dans notre église.
J’aimerais vous partager ce que je leur ai dit et qui est le fruit de ma méditation des textes et en particulier de l’évangile qui nous est donné aujourd’hui.
Auparavant je voudrais aussi vous signaler que le pape François nous a donné une belle invitation : faire de ce dimanche proche encore de Noël, de l’Epiphanie et du baptême du Seigneur un dimanche dit de « la Parole de Dieu ». Cela tombe bien que je me trouve parmi vous au sein d’une communauté protestante. Vous savez sans doute que pendant longtemps -et du fait en particulier de nos divisions historiques- les catholiques étaient en somme assez méfiants envers non pas la Parole de Dieu consignée et transmise dans la Bible mais sur la façon de la lire. Pour nous il n’y avait de lecture possible qu’en Eglise, c’est-à-dire au sein de l’assemblée dominicale. Pourtant, nos prédécesseurs donnaient souvent des sermons et il faut bien reconnaître que souvent ils tenaient un discours (c’est le sens du mot sermo en latin) sur un sujet qui leur tenait à cœur et la plupart du temps à forte connotation morale. Ce temps est normalement révolu et le concile Vatican II a invité les prédicateurs à offrir aux fidèles une homélie (du grec laléô qui signifie parler). Il s’agit en effet de faire parler le texte biblique aux oreilles qui veulent bien l’entendre et surtout de l’écouter du fond du cœur. Il s’agit en somme, comme j’aime à le dire, de laisser à Dieu la possibilité de parler à notre être qui se rend disponible à Lui.
Dans ce passage évangélique, nous avons les premières paroles de Jésus dans son ministère public. Les parents d’un petit enfant lorsqu’il commence à parler se souviennent souvent des tout premiers mots que leur enfant a prononcés alors qu’ils ne s’y attendaient pas. Parfois, c’est tellement déconcertant qu’ils les notent pour ne pas les oublier et cela les touche à jamais.
Ici, Jésus n’est plus enfant. Il a commencé à faire ses premiers pas d’homme adulte, au faîte de sa maturité et surtout il débute son activité messianique, son « ministère public » comme on le dit souvent… Et, il prononce précisément ses premières paroles qui constituent aussi selon Matthieu sa première prédication. Elle est d’ailleurs brève :
« Convertissez-vous, dit-il, car le Royaume des cieux est tout proche. » (Mt 4,17). L’évangéliste précise même : « A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer… » (Ibid.). Ce qui pourrait signifier qu’il a donné cette prédication essentielle dans sa concision plus d’une fois.
Ce verset nous est cher car dans la liturgie catholique il accompagne un rite que nous accomplissons chaque année en ouverture du Carême, le Mercredi des cendres lorsque nos fronts sont marqués d’une petite croix avec de la cendre, certes pour nous rappeler notre finitude, mais surtout pour nous indiquer que l’homme est toujours appelé à se convertir au Royaume des Cieux précisément dans sa finitude et c’est cela qui fait sa grandeur.
Dans notre pays aujourd’hui « se convertir » signifie souvent adopter une religion ou en changer. Vous le savez bien dans l’existence chrétienne la conversion, la métanoia (encore un mot grec qui signifierait plutôt littéralement notre changement d’esprit, le bouleversement de notre être), c’est le programme de notre vie. Quant à l’entrée dans le Royaume des Cieux, ce n’est pas seulement la promesse que dans l’au-delà de notre existence nous entrerons dans le Ciel image de la rencontre pleine et définitive avec notre Dieu. C’est d‘abord la vie à la manière de Jésus Christ.
Notre programme, c’est d’apprendre à vivre à la suite du Christ. N’est-ce pas ce qui se passe dans la suite de cette page d’évangile et que nous décrit Saint Matthieu ? En effet, que se passe-t-il ? Jésus rencontre deux fois deux frères Simon et André puis Jacques et Jean. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà demandé comment peut-on suivre quelqu’un et tout quitter sur un simple appel ? On nous dit si souvent qu’il ne faut pas suivre n’importe qui ! Et puis, en France nous sommes bien prévenus que les sectes rôdent et qu’il ne faut pas être crédule ; donc ne pas suivre bêtement le premier qui vient vous enrôler avec des paroles captatrices…
J’aime à croire, moi, que les futurs apôtres de Jésus avaient entendu la prédication de Jésus (« Convertissez-vous… »).  Ils attendaient le Messie d’Israël. Toute leur personne, comme la plupart de leurs contemporains, espérait la venue d’un Messie qui leur permettrait de bouter hors d’Israël l’ennemi du moment, les Romains assoiffés de conquêtes et si peu respectueux des usages des Juifs.  Et voilà que Jésus non seulement a rejoint leur attente, mais il les a bouleversés et ils sont maintenant mûrs pour entendre cet appel : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »(Mt 4,19)
Je crois que Jésus par son style de vie, sa liberté de ton, ses paroles comme ses faits et gestes est fascinant ; il est disponible, à l’écoute, il aime gratuitement. Il ne veut que servir la dignité de l’homme dont il sait qu’il a été créé à l’image et à la ressemblance du Dieu vivant. Et Il veut donc manifester cela au grand jour pour que l’être humain s’accomplisse pleinement dans sa personne comme dans ses relations avec autrui. Combien de fois dit-il ou fait-il sentir, dans les évangiles, aux personnes qu’Il rencontre sans jamais les sélectionner, « Tu n’es pas loin du Royaume » (cf. Marc 12,34).
Alors que conclure, frères et sœurs, amis protestants et catholiques ?
Et si nous laissions résonner en nous ce verset évangélique aujourd’hui…
Et si dans le cœur à cœur de la prière, dans le silence, nous laissions à la parole du Christ la chance de nous toucher le cœur alors que si souvent nous avons le sentiment intérieur que nous sommes bien loin de Dieu dans les choix que nous avons à faire, dans la vie que nous menons au jour le jour, dans l’environnement si complexe qui est le nôtre : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » Amen.          
                         

dimanche 19 janvier 2020

L'agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde (Jean 1,29-34)

Nul doute qu'avant longtemps les extrémistes de la cause animale ne réclament l'interdiction de toute évocation du sacrifice d'une bête. Et alors, pour ce qu'il en est de l'agneau, nous devrons dire adieu à  L'agneau de Dieu de Zurbaran (ci-dessus), au sublime Agnus Dei  du Requiem de Fauré, à une grande partie du Pentateuque (dont Genèse 22)  et à la consommation du gigot de 7 heures, des ris et des barons . Mais alors dans les Bibles - et dans la liturgie - par quoi remplacera-t-on le mot agneau ? Tout nom d'animal étant exclu, on se rabattra sur le nom d'un légume. Mais alors se lèveront les extrémistes de la cause  des végétaux qui exigeront l'interdiction de  etc.. Resteront alors les minéraux. Mais se lèveront les défenseurs de la cause minérale, qui etc..  (cette petite raillerie fait suite à une expérience vécue ; et pourrait bien servir de point de départ à l'écriture d'une longue nouvelle...).

Jean 1
29 Le lendemain, (Jean le Baptiste) voit Jésus qui vient vers lui et il dit: «Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C'est de lui que j'ai dit: ‹Après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.›
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c'est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l'eau.»
32 Et Jean porta son témoignage en disant: «J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, c'est lui qui m'a dit: ‹Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et demeurer sur lui, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint.›
34 Et moi j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le Fils de Dieu.»

Prédication : 


            Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Parole de Jean le Baptiste, selon Jean l’évangéliste, prononcée lorsqu’il vit Jésus venir à lui. Parole aussi que le prêtre prononce à un moment précis de la messe, pour inviter l’assemblée – c'est-à-dire chaque fidèle en lui-même et les fidèles tous ensemble – à reconnaître Jésus qui vient, Jésus qui est présent.
Alors l’assemblée peut dans la foi vivre la même expérience que Jean le Baptiste, qui vécut et prêcha l’espérance de cet instant, et qui vit son espérance, l’espérance de sa vie, s’accomplir.
            Mais quelle était cette espérance ? En voici l’expression : voir l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Nous allons tâcher de méditer cette expression.

            Cette expression fait instantanément penser aux cultes sacrificiels – au pluriel – dont les rituels – parfois extrêmement complexes – nous ont été soigneusement transmis dans les 5 premiers livres de la Bible. Ainsi, il y a, principalement dans les livres du Lévitique et des Nombres, des sacrifices pour tous les moments de la journée et pour tous les événements de la vie. L’étude approfondie de ces rituels et la question historique de leur mise en pratique sont des sujets passionnants.

Du temps de Jésus, certains de ces rituels se pratiquaient toujours au Temple de Jérusalem, mais le Temple n’était pas le seul lieu où l’on sacrifiait à Iahvé. Lorsque Jean a écrit son évangile, le Temple n’existait plus ; mais la mémoire du Temple et de ce qui s’y pratiquait était encore fraîche. Et le culte sacrificiel était toujours pratiqué, par les Samaritains, sur le mont Garizim ; et nous avons, avec le 4ème chapitre de Jean, la trace d’une mission chrétienne précoce vers la Samarie. Nous pouvons donc penser que le thème du sacrifice était compréhensible par le premier lectorat de l’évangile de Jean.
Parmi les rituels qui nous ont été transmis, nous en retenons 2.

Le premier rituel est celui d’un sacrifice annuel, et l’animal sacrifié est un bouc. Le bouc est l’animal qui est abattu le plus souvent dans des sacrifices d’expiation – de pardon des péchés. Ce peut être pour un péché individuel, et alors l’animal est égorgé. Mais ce peut être aussi pour tous les péchés de tout le peuple. L’animal alors, après avoir été chargé, par l’office du prêtre, de tous les péchés du peuple, est conduit dans le désert et y est abandonné à son sort (Lévitique 16,21).

Le second rituel que nous mentionnons est celui d’un sacrifice qui n’est pas annuel, mais qui est offert deux fois par jour, le matin et le soir, un sacrifice complet : aucune part n’en revient au prêtre, tout y est consumé. L’animal sacrifié y est un agneau sans défaut et âgé d’un an (Nombres 28,4). Ce sacrifice particulier a pour unique fonction de rappeler la perpétuité de l’Alliance.

Ce sont donc là deux sacrifices auxquels il est possible de penser lorsqu’on médite sur la phrase de Jean le Baptiste : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Chacun de ces deux sacrifices appelle une remarque.
Le sacrifice biquotidien des agneaux sans défaut nous signale qu’il faut moins d’une demi-journée à un être humain pour oublier le sens de l’Alliance ! En une demi-journée au plus, tout être humain aura oublié la libre initiative de Dieu qui fait grâce, et aura oublié ce qu’est l’engagement d’un être humain qui choisit de recevoir cette grâce. Une demi-journée pour oublier, pour renier, pour mentir… une demi-journée pour le disciple Pierre, qui passe de l’expression d’un engagement absolu à l’expression d’un reniement absolu. Nous sommes tous un peu Pierre… Le sacrifice biquotidien des agneaux suggère à raison aux catholiques romains leur discipline de la messe quotidienne, et suggère aussi aux protestants, à raison, leur pratique quotidienne faite de lecture et de méditation de la Bible, ainsi que d’oraison.
            Le sacrifice annuel du bouc signale que par une succession d’opérations symboliques, le peuple de Dieu tout entier, et donc les humains, chacun pour lui-même mais aussi chacun dans toutes les relations qu’il entretient avec ses contemporains, peut être pardonné, ou délié de ses péchés, fautes et autres compromissions.

Mais qu’en est-il du sacrifice de l’agneau de Dieu ? Qu’en est-il de cet agneau si particulier, l’Agneau de Dieu ? Les bêtes offertes dans les sacrifices que nous avons mentionnés précédemment sont offertes par l’homme à  Dieu. L’homme, en offrant ces bêtes, en se privant du capital et de la sécurité qu’elles représentent, manifeste sa foi en Dieu.
S’agissant de l’agneau de Dieu, c’est Dieu lui-même qui apporte l’agneau, qui l’offre aux êtres humains. Et de cet agneau, qui est Jésus, nous savons (Prologue de l’évangile de Jean) qu’il est le Verbe fait chair, qu’il est Dieu lui-même qui s’est fait homme. Dans le sacrifice de l’agneau de Dieu, c’est donc Dieu lui-même qui s’offre en sacrifice au bénéfice de l’humanité toute entière. Il le fait une fois pour toutes. Et en le faisant, il délie l’humanité de toutes les règles, obligations, pesanteurs et autres chaînes possibles.
Nous sommes cette humanité libérée. Puissions-nous honorer toujours cette libération et celui qui en est la source. Amen

dimanche 12 janvier 2020

Une histoire de simplicité (Matthieu 3,13-17)

Matthieu 3
13 Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu'au Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulut s'y opposer: «C'est moi, disait-il, qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi!»
15 Mais Jésus lui répliqua: «Laisse faire maintenant: c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice.» Alors, il le laisse faire.
16 Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et voici qu'une voix venant des cieux dit : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir.»


Prédication :
            Pourquoi Jésus s’est-il présenté devant Jean le Baptiste afin d’être baptisé par lui ? Le baptême de Jean le Baptiste était un « baptême de conversion en vue du pardon des péchés ». Jésus avait-il des péchés à se faire pardonner ?
Quelque chose à se faire pardonner
            Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait que nous disposions d’un récit de vie des premières années de Jésus. Bethléem, puis l’Égypte, puis Nazareth, en Galilée. Nous connaissons ces lieux et les motivations de Joseph, père de Jésus, mais s’agissant de Jésus lui-même, Matthieu ne nous dit rien – et les autres évangiles ne viennent pas d’avantage nous renseigner sur l’enfance et l’adolescence de Jésus, en tout cas, rien ne nous est raconté qui justifie un baptême de conversion pour le pardon des péchés... à part peut-être l’escapade d’un gamin surdoué, parti discuter au Temple avec les maîtres des Écritures, provoquant chez ses parents une inquiétude mortelle (Luc 2,41-52)…
            Jésus, d’ailleurs, aurait-il péché ? Le Fils de Dieu, celui qui est vrai dieu et vrai homme, aurait-il pu pécher ? Nous répondons assez spontanément que non – ce qui revient, disons-le en passant, à ne conserver que la moitié du Concile de Chalcédoine (451). Jésus, vrai Dieu. Et que faisons-nous alors de Jésus vrai homme ? En méditant cela, il me revient à l’esprit un tableau de Max Ernst, La vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins, André Breton, Paul Éluard et le peintre (1926). La vierge, auréolée, administre une fessée à l’enfant Jésus, dont l’auréole est posée par terre, et les trois témoins sont ravis… Jésus aurait péché.
            Si rien de la vie humaine n’est étranger à notre Seigneur Jésus Christ, alors le péché ne lui est pas étranger. Mais alors, que fait-on du fait qu’il soit aussi vrai Dieu ? Pour mettre fin – ou plutôt suspendre – un débat aussi stérile que possiblement nocif, les Pères de l’Église ont inventé l’idée de confusion sans mélange : en Jésus, la nature humaine et la nature divine se confondent, mais ne se mélangent pas.
            Cette solution n’est pourtant pas vraiment satisfaisante et nous pourrions poursuivre assez longtemps. Nous la laissons ; avec une question supplémentaire : avez-vous un avis particulièrement tranché sur cette question ? (pour notre prochain atelier du samedi, samedi prochain donc, nous avons choisi d’essayer de réfléchir sur Jésus marié ? Sur la base de cette question, nous pourrons poser la question de l’incarnation, et donc aussi d’un éventuel péché de Jésus).
Incarnation
            Il ne me semble pas que la question du péché de Jésus soit si importante que cela pour la compréhension du récit de son baptême par Jean le Baptiste.

Voici donc une autre question, pour une autre réflexion : quels liens y a-t-il eu entre les groupes baptistes et les premiers Chrétiens ? Nous explorons trois points de contact.
(1)  Nous avons parlé, il y a quelques temps déjà, de Jean le Baptiste qui, emprisonné, avait envoyé quelques de ses propres disciples enquêter sur Jésus de Nazareth (Luc 7). « Es-tu celui qui vient, ou attendons-nous quelqu’un d’autre ? » Quelle que soit la réponse donnée par Jésus, la question indique que les mouvements baptistes – dont celui de Jean le Baptiste – ont précédé l’apparition de Jésus dans le concert des mouvements du Judaïsme de l’époque. Que Jésus, qui n’a encore ni disciples ni réputation se présente devant Jean confirme que Jean est venu le premier.
(2)  Nous avons le souvenir de Jean le Baptiste invectivant Pharisiens et Sadducéens lorsqu’ils se présentent à son baptême. Jean le Baptiste est en rupture avec le Temple de Jérusalem. Il faut dire que la contestation de l’autorité, et de la primauté du Temple est aussi ancienne que le Temple. Dans le monde où vivait Jésus, il existait de nombreuses manières d’approcher Dieu sans passer par le Temple, et d’assurer son salut sans en passer par les sacrifices du Temple. Plusieurs mouvement baptistes existaient et, parmi ces mouvements, celui de Jean le Baptiste et son baptême de conversion – d’autres proposaient des baptêmes de purification. Jésus lui aussi rompt avec le Temple et le culte sacrificiel. Jésus aussi prêche la conversion…
(3)  Jean le Baptiste s’adresse à tous – enfin, presque à tous : « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ». Dans le récit que donne l’évangile de Matthieu, le mouvement de Jean le Baptiste reste un mouvement ‘local’, un mouvement ‘judéen’. Mais vu comme Jean s’adresse aux dignitaires, on devine que sa mission est dirigée vers les petites gens, ceux qui n’ont pas les moyens de payer les rites du Temple. Il s’adresse à eux et il les sauve gratuitement, ce que fera Jésus, lui aussi.

En repérant ces points de contact, nous repérons aussi que Jésus va plus loin que Jean le Baptiste.
Jean le Baptiste est un prédicateur sédentaire : on sort de chez soi pour aller le rencontrer. Nous voyons au contraire Jésus quitter une fois pour toutes l’ascèse du désert pour aller à la rencontre de ses contemporains.
Jean le Baptiste propose un rituel de salut à ceux qui viennent vers lui, Jésus sauvera sans aucun rituel.
Du fait de sa mobilité, Jésus se trouvera en contact avec des populations plus diversifiées encore que Jean. Ainsi s’approchera-t-il des laissés pour compte, des infirmes, de malades, des maudits (collecteurs d’impôts, prostitués) et des occupants romains.
Peut-être même est-ce en raison de sa mobilité que Jésus sera plus radical encore que Jean le Baptiste, dans son opposition avec des chefs de synagogues, avec des dignitaires religieux, et avec le Temple, dont – comme nous le savons – il prédira la destruction.
Et finalement, si l’on voit en Jean le Baptiste un mouvement d’émancipation du judaïsme vis-à-vis de ses anciennes structures, et son ouverture à tout un petit peuple autochtone, nous verrons en Jésus une émancipation plus radicale encore, et une ouverture du judaïsme sur l’universel : c’est aux nations qu’il entend finalement s’adresser, c'est-à-dire à toute femme et à tout homme, et en tous temps.
 
Mais cette originalité, cette ouverture, celles de Jésus, peuvent-elles être comprises par tous ? Jésus n’aura pas été compris par tous, ni accepté par tous, nous le savons. Nous savons que la singularité de Jésus, et son universalité, proclamées par la voix du ciel au jour de son baptême, seront déclarées blasphème par certains. Nous savons aussi que la mise à mort de Jésus ne pourra pas mettre fin à cette extraordinaire ouverture qu’il avait initiée.
A la fin de l’évangile de Matthieu, comme un résumé de tout son ministère, ne reste de Jésus que cette consigne : « Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, 20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps. » C’est une consigne infiniment simple…

La chrétienté s’en est-elle toujours tenue à cette simplicité ? Nous en sommes nous toujours tenus à cette simplicité ? Je crois que la simplicité vient toujours à la fin… A la fin de cette méditation, me revient la fin d’un texte de Saint Exupéry, appris il y a longtemps, classe de CM2 : « Mais tu répands en nous un bonheur infiniment simple. » Puisse cette simplicité nous habiter. Amen

dimanche 5 janvier 2020

L'Epiphanie, moment de la construction de la foi (Matthieu 2,1-12)


Matthieu 2

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage.»
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage.»
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
Prédication

            Avant d’entrer dans le commentaire de ce texte, j’aimerais que nous nous souvenions ensemble de ce qui précède ces 12 versets, et de ce qui suit ces quelques versets.
            Ce qui suit ? Où nous découvrirons que les intentions d’Hérode vis-à-vis de ce Roi des Juifs qui vient de naître sont totalement inamicales. Supprimer le Roi des Juifs qui vient de naître, c’est l’objectif d’Hérode et, faute d’avoir pu supprimer un seul enfant, il détruira une population entière.
            Ce qui précède ? Les deux généalogies de Jésus, par la mère et par le père. Et par le père, en résumé, ceci : « 17 Le nombre total des générations est donc: quatorze d'Abraham à David, quatorze de David à la déportation [μετοικεσία] de Babylone, quatorze de la déportation de Babylone au Christ. »
            Notre réflexion commence ici, et elle s’attache à ces quatre étapes, ou quatre moments, qui porteront d’abord chacun un nom propre : Abraham, David, Babylone, Christ. Que ces moments soient inscrits dans une chronologie descendante peut être remarqué. Mais sans pour autant que nous affirmions qu’il y a une histoire de la révélation, une révélation progressive de Dieu à l’humanité, révélation qui atteint son plein accomplissement en Christ. Cela a été dit, mais nos pères dans la foi ont trop souvent mis en avant l’idée d’une progression, l’idée que chaque étape invalidait ses précédentes, et que c’est en Christ seul que la plénitude et l’universalité de la révélation sont avérées... Inutile de vous raconter avec quelle violence notre Occident a parfois mis en avant cette conviction. Parlons plutôt de ces quatre moments.

            Premier de ces quatre moments, Abraham. Il s’appelle d’abord Abram, et quelques éléments généalogiques nous sont livrés au 11ème chapitre de la Genèse. Et, tout à coup, il se passe que Dieu parle à Abram et qu’Abram obéit à Dieu. D’Abram, qui deviendra Abraham, nous n’allons retenir que ceci : c’est l’aventure d’un homme seul avec Dieu. Bien entendu nous avons en mémoire la promesse, que Dieu fait à Abram, d’une postérité innombrable ; nous avons aussi en mémoire l’histoire chaotique de l’accomplissement de cette promesse ; et sans cet accomplissement, il n’y a pas de suite. Oui. Mais nous allons garder cela pour d’autres méditations. Pour l’heure, maintenant, retenons ceci : avec Abraham, ce qui importe, c’est la relation d’un homme avec Dieu, une relation interpersonnelle. Dieu ordonne, Abraham obéit. Dieu parle à Abraham, Abraham répond à Dieu, discute avec Dieu. Premier moment, si l’on veut. Mais plutôt première strate – strate la plus profonde, ou la plus primitive.

            Deuxième moment, David. Il faudrait raconter toute l’histoire de David, le petit pâtre devenu capitaine de la garde du roi, du capitaine de la garde du roi devenu le nouveau roi, du nouveau roi qui unifia son royaume et qui unifia dit-on aussi le culte en se faisant auteur de liturgies. Avec David, la foi en Dieu change de nature et de structure. Le peuple est le peuple de Dieu, le trône est le trône de Dieu, la terre est la terre de Dieu. Le roi sert Dieu en représentation du peuple, et si le roi agit avec droiture et fidélité envers Dieu, le peuple entier en reçoit la bénédiction. Et si le roi faute, c’est le peuple qui trinque.  Retenons ceci : sous le nom de David, la foi est structurée ainsi, il y a un Dieu, un peuple, une terre et un roi dont les destins sont totalement indissociables. Et c’est très différent de ce qu’il en était avec Abraham !

Troisième moment, Babylone. Déportation à Babylone, c’est ce qui advint vers 590 av. J.-C.. N’allez pas imaginer que tout le peuple fut déporté à Babylone. Seules les élites jérusalémites le furent, les petites gens étant nécessaires pour que le pays conquis continue de fonctionner. Et lorsque vers le milieu du 5ème siècle ces élites furent autorisées à retourner vers la ville de leurs ancêtres, un autre judaïsme était né, en Babylonie, et avait pris racine en Babylonie. Un judaïsme sans terre, sans roi, sans temple – mais pas sans espérance. Un judaïsme en contact avec d’autres cultures, d’autres religions. Et même si la muraille et le temple de Jérusalem furent reconstruits, le judaïsme fut à jamais transformé par l’exil. Peuple mobile et infiniment adaptable, patrie portative… c’est l’habitat même de la foi qui change, qui s’élargit, qui entre en contact – contact avec porosité – avec l’universel. Dieu lui-même devient méconnaissable, puisqu’après avoir été Dieu d’une terre, après être devenu Dieu d’un Temple, il devient Dieu des cieux.

            Quatrième moment : Christ. Un moment très universel ; tellement universel qu’il est inscrit et lisible au firmament. Des hommes viennent du levant – de l’orient – et affirment qu’à l’orient, ils ont vu à l’orient – à l’orient de l’orient donc – se lever l’étoile du Roi des Juifs. L’étoile du Roi des Juifs, en se levant à l’orient de l’orient, se lève sur l’humanité entière : l’advenue du Roi des Juifs est une bonne nouvelle pour la totalité du genre humain. Ils n’ont certainement pas tort, ces savants, d’avoir envie de se prosterner devant un roi si universellement proclamé et si universellement reconnaissable.
 
            Mais, et c’est là que quelque chose ‘cloche’ : les mages si savants se trompent de destination. Et cette erreur est une erreur funeste. Elle met en danger non seulement le Roi des Juifs, mais aussi tous les enfants mâles du petit peuple de Bethléem et de ses environs. Et que personne n’aille dire que, grâce à Dieu, le Roi des Juifs échappera au massacre. Les Saints Innocents ne sont pas un détail de l’histoire, et Rachel – nom générique donné aux mères de tous ces enfants – est à jamais inconsolable. A quoi cette erreur des mages tient-elle ? A ce que les mages n’ont de connaissance que d’un seul des moments de la foi. Ils ne connaissent que Christ – que Roi des Juifs. S’ils sont capables de lire dans les cieux, ils ignorent presque tout – disons tout – du reste, de ces trois autres moments, ou piliers, de la foi dont nous avons parlé. Ce qui les fait se précipiter à Jérusalem – les rois naissent et meurent dans les capitales, c’est bien connu – alors que les rois selon Dieu naissent où et quand Dieu le veut. Est-ce faute de connaissance, qu’ils manquent à ce point de discernement ?
            Ne concluons pas trop vite. Si Christ venait ou revenait un jour prochain, où, comment et quand Dieu veut, serions-nous dans notre quête meilleurs que les mages ? Nous ne pouvons pas mettre en avant nos propres personnes…

            Ce que nous pouvons repérer, par contre, c’est qu’à ces mages habités par une juste foi selon le quatrième moment de la foi, Dieu fait grâce de se faire entendre selon le premier moment de la foi : il s’adresse à eux personnellement. Et, « divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils rentrèrent chez eux par un autre chemin. » Dieu commande, ils obéissent. Ils obéissent en tant que croyants qui prennent conscience de ces quatre dimensions – ou piliers – ou strates de la foi en Dieu, du plus individuel au plus universel :
-        (Abraham) Dieu parle à l’être humain et l’être humain répond ;
-        (David) Dieu est le Dieu d’un groupe structuré attaché à une tradition nourricière comme on s’attache à une terre nourricière ;
-        (Babylone) Dieu est le Dieu d’une multitude extrêmement diversifiée, dispersée ailleurs et partout ;
-        (Christ) Dieu est à l’orient de tous les orients possibles, créateur toujours affairé à créer toute la terre – et tout ce qu’elle contient – et tous les cieux.

Aujourd’hui, c’est le dimanche de l’Épiphanie : En son Fils, nouveau-né, Roi des Juifs, adoré par de Savant étrangers, chacun selon son propre rituel, Dieu est pleinement manifesté à l’humanité entière. Réjouissons-nous de cela. C’est le côté lumineux de l’Épiphanie. Mais l’ignorance, et le manque d’expérience en matière de foi de ces Savants étrangers conduit à un inoubliable massacre. Et Dieu s’il peut dans la foi sauver le Roi des Juifs, ne peut pas sauver les enfants de Bethléem. C’est le côté sombre de l’Épiphanie. Et c’est avec ces deux côtés inséparables, mais vrais, que Dieu se donne dans la foi à connaître aux humains.
A ce niveau d’engagement, et avec cette vérité qui sont ceux de Dieu dans ces quelques versets, nous pouvons oser parler d’amour de Dieu pour l’humanité. Puissions-nous, à notre tour, aimer Dieu – et aimer l’humanité – comme Dieu nous aime. Amen