samedi 29 mai 2021

Trinité - Liberté (Deutéronome 4:32-40)

Deutéronome 4

32 Interroge donc les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur la terre, interroge d'un bout à l'autre du monde: Est-il rien arrivé d'aussi grand? A-t-on rien entendu de pareil?

 33 Est-il arrivé à un peuple d'entendre comme toi la voix d'un dieu parlant du milieu du feu, et de rester en vie?  34 Ou bien est-ce qu'un dieu a tenté de venir prendre pour lui une nation au milieu d'une autre par des épreuves, des signes et des prodiges, par des combats, par sa main forte et son bras étendu, par de grandes terreurs, à la manière de tout ce que le SEIGNEUR votre Dieu a fait pour vous en Égypte sous tes yeux?  35 À toi, il t'a été donné de voir, pour que tu saches que c'est le SEIGNEUR qui est Dieu: il n'y en a pas d'autre que lui.

 36 Du ciel, il t'a fait entendre sa voix pour faire ton éducation; sur la terre, il t'a fait voir son grand feu, et du milieu du feu tu as entendu ses paroles.  37 Parce qu'il aimait tes pères, il a choisi leur descendance après eux et il t'a fait sortir d'Égypte devant lui par sa grande force,  38 pour déposséder devant toi des nations plus grandes et plus puissantes que toi, pour te faire entrer dans leur pays et te le donner comme patrimoine, ce qui arrive aujourd'hui.

 39 Reconnais-le aujourd'hui, et réfléchis: c'est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre; il n'y en a pas d'autre.  40 Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd'hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours.

Prédication :

            Une semaine après Pentecôte, dans l’année liturgique, c’est le dimanche de la Trinité. Et pour cette raison, les trois textes qui sont proposés à la lecture et à la méditation des fidèles, portent l’un sur le Père, l’autre sur le Fils, et le troisième sur le Saint Esprit. Choix de cette année, Matthieu 28 pour le Fils, Romains 8 pour le Saint Esprit, et Deutéronome 4 pour le Père, et là dedans la seule formule explicitement trinitaire de toute la Bible, au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit (Matthieu 28:19). Ces trois textes forment l’une des nombreuses bases bibliques possibles de la doctrine de la Trinité.

            Ainsi donc, dans la lecture de ces trois fragments bien choisis, nous verrons apparaître quelque chose de trinitaire, c’est certain. Mais est-ce nécessaire ? Est-il nécessaire, était-il nécessaire d’unifier Dieu ? Au IVe siècle, cela sembla nécessaire à l’unification de l’Église, mais peut-être bien cela sembla-t-il nécessaire à une réunification de l’Empire romain (Constantin 1er). Mais ces nécessités politiques pouvaient-elles être des contraintes théologiques ? Autrement dit, ce que les humains, ce que des évêques assemblés en synode, disent de Dieu, est-ce que cela contraint Dieu ? Plus profondément encore, Dieu est-il une créature de la parole humaine, ou l’homme est-il une créature de la parole divine ?

            Nous n’allons pas chercher à répondre à cette question. Nous allons bien plutôt la laisser là. Pouvoir la laisser là est l’expression d’une liberté…

             

            Cette liberté, pouvons-nous la trouver dans les textes bibliques ? Nous allons examiner les 9 versets du Deutéronome qui nous sont proposés.

            Il s’agit en peu de mots d’une histoire des Hébreux, depuis la fondation du monde jusqu’à l’entrée en Terre Promise. C’est extrêmement soigné, extrêmement compact.

            Tout un vocabulaire très spécifique figure dans ces versets. Le vocabulaire de la création, avec le mot commencement, et le verbe créer. Le vocabulaire spécifique à l’évocation de la mémoire des Patriarches. Puis le vocabulaire de l’esclavage et de la sortie d’Égypte : par sa main forte et son bras étendu. Puis le vocabulaire de l’entrée en Canaan : te faire entrer dans le pays et te le donner comme patrimoine.

            Cette histoire en quatre parties, commence par un impératif : interroge… Le lecteur, le fidèle, est exhorté à s’interroger, sur Dieu qui crée l’humanité sur la terre, sur une présence de Dieu dans le feu, présence qui, contre toute attente, épargne les humains, sur une force de Dieu, qui libère son peuple de l’esclavage, et sur une bienveillance de Dieu qui donne lois et commandements à son peuple.

            Nous pouvons nous demander ici à qui ce texte s’adresse. Et nous serons bien entendu tentés, il s’agit du Deutéronome, le 5ème livre de la Torah, de penser que ce texte s’adresse au peuple hébreu... Et après tout ils sont les premiers engagés par ce texte, tant s’agissant de la mémoire des origines qui est la leur que par les commandements qui leur ont été donnés. Mais est-ce si simple ? 

            Et surtout, si c’est si simple, où est la liberté sur laquelle nous méditons aujourd’hui.

            Voici quelques remarques, toujours sur ces mêmes versets :

Ce que Dieu crée n’est pas un peuple particulier, mais l’humanité, une humanité une sur une terre une.

            Il est affirmé, deux fois, que c’est le SEIGNEUR-IHVH qui est Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre. Comprenons bien ici qu’il ne s’agit pas que le dieu IHVH soit plus fort, soit plus beau, ou plus on ne sais quoi que les autres dieux. Il n’y en a pas d’autre, cela signifie que ces quatre lettres imprononçables sont au principe même de toute pensée théologique possible, pensée théologique qu’elles nourrissent et qu’elles désagrègent. Et l’important d’ailleurs n’est même pas que ce soit ces quatre lettres – ce pourraient en être d’autres – mais qu’elles soient imprononçables.

            Et ce que cela signifie c’est que ce Dieu ne peut pas être le dieu d’un peuple exclusivement. Bien sûr, c’est par un peuple que ce Dieu est arrivé au langage dans l’histoire humaine. Ça ne peut pas se produire autrement, et c’est toujours dans une forme particulière que cela advient. Mais pourtant cela concerne l’humanité tout entière. Même si les formes religieuses sont infiniment diversifiées, si elles parviennent à être fidèles à ce que l’imprononçable IHVH signifie, leurs différences ne devraient jamais être séparatrices. L’unité de IHVH est à la fois un principe de liberté et un principe de reconnaissance.

            Ce qui va nous faire déborder le cadre religieux : les lois et les commandements que le Seigneur donne concernent évidemment les enfants d’Israël, mais aussi tous ceux qui séjournent parmi eux. C’est une indication, une possibilité que l’éthique qui découle de cette construction religieuse soit une éthique universalisable.

            Ici, nous pouvons nous réjouir. Bible en main, nous avons esquissé, un projet religieux, et un projet de société, dont la liberté est le principe.

            Mais est-ce qu’un projet de ce genre a jamais vu le jour ? Toute ma vie je me souviendrai de cette question, posée par un enfant : « Est-ce qu’à ta connaissance des religieux sont un jour arrivés au pouvoir sans que ça tourne à la dictature ? » Des années après, cette question me laisse encore préoccupé.

            En plus, soyons honnêtes, nous devons avoir vu que d’autres choix de lectures sont possibles, avec ces 9 versets, et avec d’autres versets. D’autres choix de lecture qui auraient laissé émerger tout autre chose que la liberté. Choix qui auraient pu laisser émerger des contraintes indépassables,  et des inégalités irréductibles.

            Dans les versets d’aujourd’hui, il a été question des Hébreux, de leur captivité égyptienne et de leur libération par de grandes terreurs – et vous savez quel fut le prix de cette libération… Dans nos versets il a été question aussi de déposséder devant toi des nations (…) pour te faire entrer dans leurs pays et te le donner comme patrimoine – vous connaissez le prix de la conquête de Canaan par les Hébreux sortis du désert. Quant à  garder ses lois et ses commandements que le SEIGNEUR lui donne, l’observance peut tout aussi bien être comprise comme une promesse que comme une menace, surtout lorsqu’est écrit afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne. Ce sont les mêmes versets, avec un contenu tout différent.

            Et ainsi sont tissées une fraternelle liberté et une servitude vaniteuse. L’auteur des versets que nous lisons n’a pas fait le tri entre l’une et l’autre. Peut-être parce que, fin théologien, il se refusait à trancher dans la complexité de Dieu. Peut-être devait-il se montrer prudent devant des censeurs. Mais peut-être aussi parce que son projet était moins théologique que politique, et qu’il a voulu que chaque lecteur examine, s’examine lui-même, et choisisse librement la forme de la société humaine à laquelle il souhaitait appartenir avec ses semblables. Nous ne savons pas – nous ne savons presque jamais – pourquoi les auteurs de la Bible ont fait tel ou tel choix. Mais ce que nous savons, pour ces quelques versets du Deutéronome, c’est qu’en se refusant à trier entre servitude et liberté, celui qui les a écrits a écrit pour la liberté. Puisse cette liberté demeurer : tant que le monde durera, et tant que le texte sera tenu en l’état à la disposition du plus grand nombre, la liberté de choisir demeurera elle aussi. Amen



samedi 22 mai 2021

Pentecôte, les structures de l'Eglise et puis le Saint Esprit

 

Actes 2 

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie; 3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux. 4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. 7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens? 8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle? 9 Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie, 10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, 11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

Prédication :

            7 semaines se sont écoulées depuis Pâques. Et pendant les dimanches qui ont ponctué ces 7 semaines, nous avons été invités à lire des textes issus des Actes des Apôtre, des textes de l’évangile de Jean, et de la première épitre de Jean. Que retenons-nous de ces textes ? Nous retenons (je retiens) que ces textes proposaient une mise en place, la mise en place d’une structure d’Eglise, fondée sur le Christ, habitée par l’amour, évidemment, mais dominée par les Douze, et surtout dominée par Pierre.

            Nous avons bien repéré que Luc, l’auteur d’un évangile et des Actes, interrogeait cette structure. Mais son interrogation n’est pas une contestation ouverte (Luc est un écrivain trop avisé pour mettre en place une telle contestation ; si d’ailleurs il l’avait fait, ses livres ne seraient simplement pas dans la Bible).

            Quoi qu’il en soit, après 6 dimanches, la structure apostolique étant bien en place, nous sommes invités à lire ce récit tellement connu : des Galiléens, autant dire des ploucs, pris d’une émotion considérable, se mettent à produire des sons qui s’avèrent être des énoncés des merveilles de Dieu exprimés dans toutes les langues, dialectes et idiomes parlés à Jérusalem par une foule cosmopolite de pèlerins. Ces Galiléens, compagnons de route de Jésus, et certainement aussi ses Apôtres attitrés, sont « remplis du Saint Esprit », ou encore « revêtus de puissance » (Luc 24:49).

            Comment ne pas se réjouir de l’accomplissement d’une promesse faite par Jésus Christ Ressuscité ? Réjouissons-nous.

            Réjouissons-nous, et réfléchissons un peu. Nous venons de lire 11 versets des Actes des Apôtres qui célèbrent en quelque manière la venue du Saint Esprit et l’étonnement que provoque cette venue. Et juste après ces 11 versets, va venir un enseignement de Pierre qui dure 22 versets, deux fois plus que l’événement. Ce discours est très sophistiqué, très démonstratif, voire normatif, et semble n’avoir été prononcé qu’une une seule langue. Peu importe aujourd’hui le contenu de ce discours.

            Car ce qui importe, c’est la fonction de discours : c’est un discours qui unit. Autant l’onction de Saint Esprit était une manifestation qui individualisait à l’extrême les uns et les autres, autant le discours de Pierre collectivise, met chacun et chacune en totale égalité. Autant l’onction d’Esprit Saint conduisait à la production d’un florilège d’expressions des merveilles de Dieu, autant le discours de Pierre se donne comme premier, seul, originaire… énoncé de la foi chrétienne.

            Que nous faut-il penser de cela, c'est-à-dire de ces deux formes si extraordinairement différentes d’expression ?

             De la première d’abord, celle correspondant à l’expérience de Pentecôte, nous dirons qu’elle a l’immense avantage de mettre tous les croyants exactement à égale proximité de Dieu, et à égale compétence s’agissant de parler de Lui. Mais nous devons voir tout de même un inconvénient assez grave. C’est que cette expérience a une dimension collective, mais qu’elle n’est pas une expérience communautaire. Chacun vit sa propre émotion, celle de parler ou celle d’entendre, mais sans dialogue possible. Il faudrait du langage commun mais, à cette étape, celle du commencement de la formation de la communauté, il n’a pas de langage commun. Et supposons qu’il n’y ait rien d’autre qui se passe à Pentecôte, une fois l’émotion passée, une fois que les uns seraient essoufflé, et les autres las, chacun rentrerait chez soi retrouver celles et ceux de son ethnie…

            Il manque du langage commun ; au comblement de ce manque Pierre va pourvoir. Le langage commun, en religion, peut porter divers noms, comme liturgie, ou catéchisme, ou étude biblique... Pierre, le jour de Pentecôte, donne, nous l’avons déjà dit, un catéchisme de 22 versets ; Pierre, si j’ose dire, parle plus longtemps que le Saint Esprit. Et le discours qu’il fait, dans une langue commune, va permettre de commencer à constituer et à structurer la première communauté chrétienne. De cela nous pouvons nous réjouir. Mais – car il y a un mais – ce premier catéchisme qui structure si bien la première communauté, ne risque-t-il de devenir un discours unique, obligatoire, propriété exclusive du collège des Apôtres et surtout de Pierre ?

            Il sera clair, dans la suite des Actes des Apôtres, que le plus souvent, le Saint Esprit débordera certaines des structures mises en place... Mais il sera clair aussi que, parfois, ce sont des groupes structurés qui sauveront des messagers de la nouveauté.

            Et tout ceci nous interdit d’être pessimistes. Il n’y a pas seulement deux modèles d’Église possible, l’Église nébulisée, celle de l’expérience de Pentecôte, et l’Église bétonnée, celle du discours de Pierre. Il n’y a pas deux impasses, il n’y a que des éléments contingents, et des chemins possibles. Ni les Églises, ni les gens, ne sont tout l’un ou tout l’autre. Il y a  toujours des changements possibles.

            Oui, dans l’histoire des Églises, il a pu y avoir des temps de sclérose, des temps de confiscation de la parole, des temps où Christ n’était plus l’unique Seigneur de l’Eglise. Mais dans d’autres temps, il y a eu des réformateurs, c'est-à-dire des hommes, et des femmes, capables de retrouver le dynamisme de la parole première et de traduire ce dynamisme en des catéchismes nouveaux.

             Nous arrivons aujourd’hui à la fin de quelque chose, à la fin d’une méditation sur l’Église, ses discours, ses structures. Ceux qui ont choisi les textes que nous avons médités nous ont proposé de construire les structures de l’Église avant que vienne l’Esprit. Ces gens-là appartiennent à de grosses Églises, des Églises avec d’importantes structures, avec d’importants clergés. Et c’est ainsi que font ces grosses et grandes Églises… Tout se passe comme s’il fallait dire que les structures précèdent le message. Alors qu’un homme seul tendra toujours à dire que le message précède les structures ; c’est ce qu’affirmait Luther au tout début de son parcours de Réformateur, mais qu’il n’affirma plus lorsque la Réforme eut pris un peu d’ampleur.

           

            Où en est l’Église, au sens le plus large, celle que Dieu seul connaît ? Dieu le sait. Où en est notre Église ? Elle en est à Pentecôte, moment d’étonnement, et moment aussi de consolidation. Moment pour considérer qu’en même temps le Seigneur est parti, et qu’en même il nous accompagne par son esprit. Moment de creusement et moment de plénitude. Amen





samedi 15 mai 2021

Témoins de la résurrection (Actes 1:15-26)

Actes 1

15 En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères - il y avait là, réuni, un groupe d'environ cent vingt personnes - et il déclara: 16 «Frères, il fallait que s'accomplisse ce que l'Esprit Saint avait annoncé dans l'Écriture, par la bouche de David, à propos de Judas devenu le guide de ceux qui ont arrêté Jésus. 17 Il était de notre nombre et avait reçu sa part de notre service. 18 Or cet homme, avec le salaire de son iniquité, avait acheté une terre: il est tombé en avant, s'est ouvert par le milieu, et ses entrailles se sont toutes répandues. 19 Tous les habitants de Jérusalem l'ont appris: aussi cette terre a-t-elle été appelée, dans leur langue, Hakeldama, c'est-à-dire Terre de sang. 20 Il est de fait écrit dans le livre des Psaumes: Que sa résidence devienne déserte et que personne ne l'habite et encore: Qu'un autre prenne sa charge. 21 Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a marché à notre tête, 22 à commencer par le baptême de Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé: il faut donc que l'un d'entre eux devienne avec nous témoin de sa résurrection.» 

23 On en présenta deux, Joseph appelé Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias. 24 Et l'on fit alors cette prière: «Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, désigne celui des deux que tu as choisi, 25 pour prendre, dans le service de l'apostolat, la place que Judas a délaissée pour aller à la place qui est la sienne.» 26 On les tira au sort et le sort tomba sur Matthias qui fut dès lors adjoint aux onze apôtres.

Prédication :

            Nous avons tous en mémoire le nom de Judas et ce que Judas accomplit. Nous avons en mémoire aussi que Judas était l’un des Douze. Nous avons plus ou moins en mémoire ce qu’il en fut de la fin de la vie de Judas ; les évangiles, sur ce point, ne sont pas tous du même avis.

            Dans l’évangile de Luc – même auteur que les Actes des Apôtres – Judas livre effectivement Jésus après l’avoir trahi, et ceci fait, il disparaît de l’histoire. Il ne réapparait que dans les versets que nous venons de lire. C’est une réapparition post mortem, sa mort étant ainsi contée « il est tombé en avant, s’est ouvert par le milieu, et ses entrailles se sont toutes répandues…»[1] Peut-être l’horreur de la faute de Judas appelait-elle cette mort horrible. Ce n’est pas ce qui va importer le plus dans notre méditation.

            Ce qui importe, c’est que Judas étant mort, les Douze ne sont plus douze. Il y a un trou et il va falloir urgemment boucher le trou, pour que les Douze redeviennent douze. Mais pourquoi est-ce si important ?

            Nous allons évoquer le nombre douze, symbole tout à la fois de totalité et de perfection, les douze tribus d’Israël, les douze fils de Jacob, les douze fois douze fois mille élus de l’Apocalypse de Jean…

            Très bien ! Et alors ? S’il en manque un ou deux ici et là, qu’est-ce que ça change au message et à la promesse ? Nous répondons que ça ne change rien au message et à la promesse, et que viendra un temps où, par la force des choses, il n’y aura plus ni Douze, ni d’ailleurs plus aucun autre des premiers témoins de Jésus vivant. 

            Dans l’évangile de Luc, il n’y a pas un, mais deux groupes identifiés de disciples. Le groupe des Douze (Luc 6,13) que Jésus lui-même appela Apôtres, et le groupe des soixante-douze (Luc 10,1). L’évangile de Luc est le seul à parler, très brièvement de ces soixante-douze. Mais ils ont bien dû exister, et il y a bien dû avoir des gens pour se réclamer d’eux et des miracles accomplis par eux.

            Mais voilà, l’évangile de Luc est plus écrit apparemment en faveur des Douze qu’en faveur de ces soixante-douze. A ceci près que la seule mention de ce groupe par l’évangile de Luc vient complexifier une filiation chrétienne dont certains voudraient qu’elle soit simple, attachée exclusivement au Douze, et principalement à Pierre.

            Luc est aussi le seul qui parle d’un troisième groupe, celui « des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps que le Seigneur marchait à notre tête », c'est-à-dire depuis le baptême de Jésus et jusqu’à l’Ascension (Ac. 1,21). Ce groupe-là n’a aucun nom particulier, ni aucune structure particulière, mais il est constitué de gens qui ont tout vu et tout entendu, du début à la fin. Appelons ces gens-là les anonymes.

            Alors nous nous demandons : que manque-t-il à ces gens en matière de témoignage, que leur manque-t-il en matière d’évangélisation ? Vous sentez bien que nous sommes tentés de dire qu’il ne leur manque rien, sauf peut-être d’avoir été adoubé par Pierre… nous allons y revenir.

            Puisqu’il est indispensable que les Douze soient douze, et puisque les anonymes sont là, Pierre propose que « l’un d’entre eux devienne avec nous témoin de (la) résurrection ». La proposition de Pierre est en fait l’expression d’une indérogeable nécessité ; mais bon, c’est Pierre…

            Ce qui saute aux yeux par contre, et qui est nouveau, c’est de lire que celui qui sera finalement choisi deviendra (avec les Douze qui sont onze) témoin de la résurrection.

            Qu’est-ce à dire, devenir témoin de la résurrection ? Ces hommes, Justus et Matthias, et sans doute un certain nombre d’autres, ont tout entendu, tout vu, sans rien manquer, depuis le baptême de Jésus et jusqu’à son ascension ; et ils ne seraient pas témoins de la Résurrection ? Ce que nous devons comprendre ici, c’est que témoin de la résurrection, dans l’usage qui en est fait ici, n’est pas le résumé d’un parcours, ni même une confession de foi ou un engagement personnel, mais une sorte de titre particulier, voire honorifique, réservé dans la communauté, par tradition, depuis le commencement, à douze hommes. Au moment où les Actes des Apôtres sont écrits, ce titre ne peut plus relever d’un appel émanant directement du Seigneur Jésus, mais il relève d’une forme particulière de cooptation (discernement d’abord, puis tirage au sort).

            Faisons un petit bilan : les Douze, d’abord personnellement appelés par le Seigneur Jésus vivant, et selon leurs propres dires seuls témoins autorisés de la résurrection, ne peuvent pas être moins que douze ; l’un de ces douze étant définitivement manquant, le titre de témoin de la résurrection va être conféré à un homme jamais nommément appelé par le Seigneur Jésus vivant.

            C’est une brèche qui s’ouvre. Il est nécessaire que cette brèche s’ouvre, pour que les Douze puissent demeurer douze. Mais il est plus nécessaire encore que cette brèche s’ouvre pour que commence à s’opérer une différenciation entre l’histoire des faits et le témoignage des personnes, différenciation entre le titre de témoin de la résurrection et le témoignage de la résurrection.

            Il est capital que cette brèche s’ouvre, parce que les onze qui restent, et même Matthias le nouveau douzième, vont progressivement disparaître, ainsi que tous les premiers témoins anonymes dont nous avons parlé… Et qui pourra témoigner authentiquement de la résurrection après que tous ces gens-là auront disparu, après que l’institution des Douze ait elle aussi disparu (passé Actes 6:2, les Douze n’apparaissent plus en tant que tels) ? Il restera des individus, et surtout Pierre, et avec Pierre une conception monarchique de l’Église, avec l’idée que le témoignage authentique de la résurrection se transmet toujours sans rupture entre successeurs de Pierre, et se transmet aussi de suzerain à vassal… Succession apostolique, c’est le nom que cela porte. Mais qu’est-ce qui se transmet là, réellement ? Le titre de témoin de la résurrection, ou le témoignage de la résurrection, ou les deux ?

            La tradition chrétienne protestante à laquelle nous appartenons n’a pas retenu ces modes successoraux, ni ces modes de gouvernance, si bien que témoins de la résurrection ne saurait y être un titre. Mais même si, s’agissant de la résurrection du Seigneur Jésus, elle donne d’avantage de poids aux Saintes Écritures qu’à la succession apostolique, notre tradition ne peut pas éviter la question : « Qu’est-ce qu’un témoin de la résurrection ? »

            Le texte biblique est en son essence témoin de la résurrection, c'est-à-dire témoin littéraire de ce que la mort n’est jamais la plus forte, de ce qu’il y a toujours une espérance pour les vivants.

            Ce qui fait qu’un témoin de la résurrection peut être, dans la vie, quelqu’un qu’on croyait perdu, fini, et qui, contre le cours attendu des événements, se redresse et reprend vie. Ce que nous disons ici en deux lignes peut prendre des années, et connaître bien des soubresauts… mais est bien visible, bien réel. Le témoin de la résurrection est ici celui qui ressuscite.

            Mais le témoin de la résurrection est aussi celui qui en ressuscite un autre. Et nous parlons ainsi de ceux qui accompagnent, ceux dont l’accompagnement, la présence, les propos, son réellement décisifs et apportent à autrui le supplément d’âme, surcroît de vie dont il manque. Même si c’est en Christ que ces témoins se fondent, leur existence est au-delà des titres et des groupes…

             Puissions-nous, sœurs et frères, dans nos jours mauvais, faire la rencontre de ces témoins-là. Et puissions-nous, dans nos meilleures journées, partager la joie de les avoir rencontrés.



Lettre pastorale du 15 mai 2021 "Heureux... lorsqu'on vous insulte"

           Et voici la dernière des béatitudes du 5ème chapitre de l’évangile de Matthieu, deux longs versets qui évoquent la persécution dans toute sa hideur et qui promettent aux persécutés une grande récompense dans les cieux. L’ensemble est couronné d’un impératif soyez dans la joie et dans l’allégresse !  Nous voici bien embarrassés. Car il existe bien des endroits où des chrétiens sont persécutés à cause de leur foi. Nous pouvons bien sûr prier pour eux, nous pouvons aussi les aider via des organisations de soutien. Mais nous n’allons certainement pas leur dire, tout de go, Bienheureux êtes-vous lorsqu'on vous insulte, qu'on vous persécute et qu'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Nous n’allons pas leur dire Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

            La présence de ces deux versets dans l’évangile de Matthieu nous donne à penser que, dès le commencement, lorsqu’il n’existait que de petits groupes de fidèles, juifs ayant reconnu en Jésus leur Sauveur et Maître, ces petits groupes furent persécutés, leurs membres dénoncés comme hérétiques, comme apostats… Il s’agissait de dénonciations entre frères, entre plus proches cousins. La terre d’Israël était une terre de passion, ce qu’elle est encore aujourd’hui.

            En temps de persécution, comment peut-on donner sens à ce qu’on subit ? Matthieu insiste plus que tous les autres évangiles sur les Saintes Écritures, et il connaît aussi fort bien les traditions extrabibliques. Il propose à ses premiers lecteurs de se souvenir des prophètes et de ce que les prophètes ont subi (on relira ici par exemple 1 Rois 15, et 2 Chroniques 24). Traditions bibliques (par exemple 1 Rois 13) ou extrabibliques, l’histoire des prophètes est l’histoire de la vérité, de la liberté de parole, et du prix de cette liberté. Les prophètes, avec audace et librement, disent la vérité, leurs quatre vérités, aux princes, aux prêtres, aux rois, au peuple. Ils  paient cette audace d’un prix de solitude, et parfois du prix de leur vie. Sont-ils récompensés ? Ici-bas ? Dans l’au-delà ? Le récit de la transfiguration de Jésus, en mettant en scène Moïse et Élie en gloire, suggèrent que ces deux là au moins bénéficient d’un certain statut dans l’au-delà. Mais s’agissant de la nuée des autres prophètes, et de ceux qui sont persécutés à cause de Jésus, nous n’avons que la promesse que fait Jésus, celle d’une grande récompense dans les cieux. Quant à la nature de la récompense, nous ne pouvons imaginer que la béatitude, un repos, conscient, paisible.

            Mais nous n’avons pas vu de prophète, ni l’un des lecteurs de Matthieu, réclamer cette récompense. Élie, peut-être le plus grand de tous les prophètes, traversant un jour un profond découragement, demande à Dieu de lui prendre sa vie (1 Rois 19:4). Et Dieu ne l’exauce pas. Au contraire, Dieu le console, et le renvoie à sa vie d’homme, à sa tâche de prophète. C’est entre Élie et Dieu que cela se passe, dans leur intimité. Et nous, lecteurs, nous sommes introduit, sans discrétion aucune, dans cette intimité. Nous voyons bien que Dieu répond, mais que savons-nous, réellement, de la réponse de Dieu ?

            Alors, pour revenir à cette dernière béatitude, il nous faut la comprendre, plus que toutes les autres béatitudes, comme un témoignage rendu sur quelque chose qui doit arriver absolument, une joie peut-être, une intime espérance, inscrite dans le cœur de chacun.


samedi 8 mai 2021

Pierre et les païens (Actes 10:1-2;25-26;34-35;44-48)

Actes 10 

1 Il y avait à Césarée un homme du nom de Corneille, centurion à la cohorte appelée ‹l'Italique›. 2 Dans sa piété et sa crainte envers Dieu, que toute sa maison partageait, il comblait de largesses le peuple juif (invention de la TOB) et invoquait Dieu en tout temps. (…)

25 Au moment où Pierre arriva, Corneille vint à sa rencontre et il tomba à ses pieds pour lui rendre hommage. 26 «Lève-toi!» lui dit Pierre, et il l'aida à se relever. «Moi aussi, je ne suis qu'un homme.» (…)

34 Alors Pierre ouvrit la bouche et dit: «Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, 35 et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. (…)

44 Pierre exposait encore ces événements quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. 45 Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre: ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de l'Esprit Saint était maintenant répandu! 46 Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu. Pierre reprit alors la parole: 47 «Quelqu'un pourrait-il empêcher de baptiser par l'eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l'Esprit Saint?» 48 Il donna l'ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ, et ils lui demandèrent alors de rester encore quelques jours.

Prédication

            Lorsqu’on s’intéresse à Pierre, et au chapitre 9 des Actes des Apôtres, lorsque, dans ce chapitre, on s’intéresse aux destinations de Pierre, on se rend compte qu’il circule beaucoup, et que ses destinations restent cantonnées à l’espace traditionnel Judée Samarie Galilée dont nous avons déjà parlé. En particulier, Pierre ne s’aventure pas au-delà de Jaffa, limite nord du territoire d’influence (70 km au nord-ouest de Jérusalem) de la religion Juive. Ainsi donc peut-on dire que la bonne nouvelle de Jésus Christ s’arrête là, c'est-à-dire là où elle est susceptible d’être comprise par des populations traditionnellement imprégnées par la Loi et par le Temple. Ce qui signifie que, dans la pensée de Pierre – et donc sans doute dans la pensée des Apôtres – la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, affaire Juive, ne concerne pas les païens.

            Or, indépendamment de Pierre, à 90 km de Jérusalem, une affaire radicalement nouvelle est en train de se tramer. A Césarée – ville assurément romaine – un certain Cornelius, romain, centurion, semble-t-il sans avoir attendu de permission ni reçu d’instructions de personne, vit pieusement, craint Dieu, vient en aide aux Juifs – aux pauvres – du secteur et prie régulièrement (Actes 10:2).

            Ce qui signifie que là où Pierre ne va pas, quelqu’un est déjà allé. Ou, pour le dire autrement, même si Pierre n’y va pas, le centurion Cornelius a pu s’informer, considérer comme bons – c'est-à-dire bons pour des Romains – certains éléments de la piété des Juifs, et a mis en pratique certains de ces éléments.

            Bons, c'est-à-dire bons pour des Romains, pour lui et pour sa famille, et nous aimerions pouvoir dire bon aussi pour les troupes qu’il commande, voire bon pour l’empire. Voire universellement bon…

            Nous sommes tentés de dire que cette Bonne Nouvelle de Jésus Christ est bonne pour le monde. Mais peut-on oser dire une chose pareille ? Essayons de dire deux ou trois choses, à partir de ce que nous avons lu.

  1. Cornelius, centurion romain dont nous avons déjà repéré la piété, comblait « le peuple » de largesses. Certains traduisent qu’il s’agissait du peuple Juif, les Juifs du coin ; mais il nous semble qu’il s’agit du peuple, tout entier, du peuple de Césarée, et de la Paix Romaine. Pour établir et maintenir la paix, les voies de la répression peuvent être utilisées, mais elles ne sont pas les seules et il semble bien que Corneille ait été capable de maintenir la paix en déployant des mesures sociales dans une cité extrêmement inégalitaire.      
  2. Cornelius, centurion romain, se prosterne devant Pierre. C’est un Romain qui se prosterne devant un Juif, le dominant se prosternant devant le dominé. Mais Pierre ne veut pas de cette prosternation. Tout se passe comme si un nouveau commandement était à l’œuvre : Personne ne se prosternera devant toi, ou Tu relèveras celui qui se prosternera devant toi.
  3. (proche de 2) Avec ce commandement nouveau, il n’y a rien d’autre que des êtres humains, et tous sont égaux, en humanité, et aussi en divinité. Pierre dit : « … et moi aussi je suis un homme. » Et voici que la société selon l’Évangile est une société d’égaux.

            Nous pouvons penser que nous tenons là quelque chose d’universellement bon… mais nous devons rester prudents, et modestes avec l’universel. Notre petit projet de société juste, paisible et égalitaire est issu d’un choix approprié de versets bibliques… Le chapitre 10 des Actes des Apôtres est bien porteur de ce projet, mais il est porteur aussi d’un projet théologique, et d’un projet d’Église.

  1. Pierre affirme dans la maison de Cornelius, En vérité je comprends enfin que Dieu ne regarde pas au faciès. Et nous n’avons pas de difficultés à adhérer à cette affirmation théologique au titre de laquelle le nom de Dieu et une certaine miséricorde de Dieu – on l’espère aussi de ceux qui parlent de lui – couvrent la terre entière.
  2. Plus délicate est la suite, qui affirme qu’en toute nation, quiconque le révère et travaille à la justice est bienvenu auprès de Lui. C’est plus délicat, parce que cela introduit un étrange clivage entre des ouvriers de justice qui seraient laïcs et des ouvriers de justice qui seraient religieux. La question d el’ouvrier de justice qui ignore Dieu, et sans doute y en avait-il dans le monde romain, voire même à Césarée, n’est pas abordée (cet ouvrier de justice doit-il avoir connu et accepté Dieu pour que ses péchés lui soient pardonnés ?). Et on se retrouve ici, en Actes 10, dans la même situation qu’avec la fin de l’évangile de Marc, c'est-à-dire avec un projet théologique extraordinairement ouvert, simple, et peut-être même universel, mais qui se trouve articulé avec un projet ecclésiastique apostolique d’emblée restrictif.

             Bien sûr, nous n’allons pas bouder le Saint Esprit qui prend Pierre de cours et qui tombe sur des païens convertis d’on ne sait où et à peine catéchisés. Nous n’allons pas bouder non plus sur la stupeur qui saisit les croyants circoncis – des vrais légitimes – qui avaient accompagné Pierre, mais nous nous demandons, La situation étant porteuse de tellement de promesses et de liberté, pourquoi donc fallait-il, que ces gens-là soient immédiatement baptisés ? La reconnaissance de la fraternité avec ces Romains chrétiens incirconcis ayant reçu le Saint Esprit devant des témoins qualifiés… la reconnaissance de la fraternité exigeait-t-elle que ces gens soient baptisés ? Ne répondons pas trop vite que leur baptême était une sorte d’abus de la part de Pierre et de la part de l’Église naissante. Le récit de Luc rapporte qu’ils furent baptisés sans délai.

            Mais il y a encore à dire. Lorsque Pierre demande Quelqu’un pourrait-il empêcher de baptiser par l’eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l’Esprit Saint, il suggère que certains s’opposaient au baptême d’eau des Romain – de tous les étrangers, des non Juifs – convertis… Il était donc audacieux de baptiser ainsi des païens. Et le geste de Pierre, les baptisant était peut-être un geste par lequel il entendait ouvrir les portes de l’Église à toutes les nations... 

            Alors, ce projet d’Église selon Pierre, et selon l’Esprit Saint, et le projet de monde qui va avec ces projets d’Église, sont-ils des projets ouverts, et égalitaires ? Ou sont-ils des projets structurés par certains rites obligatoires, par l’appartenance ethnique, et par des considérations hiérarchiques ? Le 10ème chapitre des Actes des Apôtres, dont nous venons de lire juste quelques versets, médite ces questions, sans, nous semble-t-il, trancher. Il ne nous enseigne pas en disant Voici ce qui doit être. Tout est, en quelque manière, remis par le texte entre les mains du lecteur. Quelle Église, et quel monde, veux-tu ?

            Nous restons sur cette question. Puisse l’Esprit Saint apporter la réponse.        

samedi 1 mai 2021

Où l'on va parler de vigne, mais surtout de fruits (Jean 15,1-8 et Actes 9,26-31)

 Jean 15

1 «Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore. 3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.

5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.

8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

Actes 9

26 Arrivé à Jérusalem, Saul essayait de s'agréger aux disciples; mais tous avaient peur de lui, n'arrivant pas à le croire vraiment disciple. 27 Barnabas le prit alors avec lui, l'introduisit auprès des apôtres et leur raconta comment, sur la route, il avait vu le Seigneur qui lui avait parlé, et comment, à Damas, il s'était exprimé avec assurance au nom de Jésus. 28 Dès lors Saul allait et venait avec eux dans Jérusalem, s'exprimant avec assurance au nom du Seigneur. 29 Il s'entretenait avec les Hellénistes et discutait avec eux; mais eux cherchaient à le faire périr. 30 Les frères, l'ayant appris, le conduisirent à Césarée et, de là, le firent partir sur Tarse. 31 L'Église, sur toute l'étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie, vivait donc en paix, elle s'édifiait et marchait dans la crainte du Seigneur et, grâce à l'appui du Saint Esprit, elle s'accroissait.

Prédication

            Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance…  Quel est ce fruit ? En lisant juste les versets de l’évangile de Jean qui nous sont proposés, nous ne pouvons pas répondre. Si nous lisons quelques versets de plus, versets qui nous sont proposés aujourd’hui, nous allons trouver une réponse. Cela fait plusieurs semaines que nous lisons des mélanges de textes, évangile de Jean+Actes des Apôtres, mélanges bien choisis et bien dosés pour parler de l’Église ; la thèse portée par tous ces mélanges de textes, c’est que l’Église est Une, Sainte, Universelle et Apostolique, et qu’elle commence dès le jour de Pâques… Nous n’allons pas discuter cette thèse, car la discuter, la méditer, c’est ce que nous avons fait toutes ces dernières semaines.

            Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est tâcher de comprendre ce dont parle Jésus avec ce fruit. Qu’est-il donc, ce fruit ?

            Une proposition nous est faite, très claire, avec le 9ème chapitre des Actes des Apôtres où nous lisons : « l’Église…. s’accroissait. »

            Cette proposition rejoint celle qui nous avait été faite, jadis, début des années 70 – je dis nous parce que étions tout un petit groupe de catéchumènes – proposition qui nous avait été faite par le pasteur chargé de notre instruction religieuse. « Si vous voulez savoir si vous portez du fruit, demandez-vous combien d’âmes vous avez amenées à Christ. » La lecture d’un ouvrage intitulé Comment amener les âmes à Christ (Reuben Archer TORREY, 1856-1928) était très recommandée. Je ne vous dis rien du fruit, ou des fruits, que nous, catéchumènes, avions portés. Peut-être pourrait-on parler du fruit de culpabilité qu’il chargea sur nos faibles épaules…

            Des années plus tard, devenu pasteur, j’ai appris l’existence d’une œuvre d’évangélisation appelée CfaN (Christ for all Nations). Leur récent site commence ainsi : « Comment nous gagnerons 150 millions d’âmes pour Jésus ». L’image biblique qu’ils emploient est d’avantage celle de la moisson que celle de la vendange, mais ce qui est clair c’est qu’ils évaluent leur évangélisation tout comme le pasteur dont je vous parlais le faisait lui-même : le nombre.

            Mais le fruit dont parle l’évangile de Jean, en abondance ou pas, est-il vraiment celui-là ?           

            Puisqu’il nous est proposé de lire Actes 9:26-31 et qu’il y est question de Paul, parlons un peu de Paul… il s’appelait encore Saul à ce moment-là. Il avait approuvé le meurtre d’Etienne et avait reçu des autorités du Temple un mandat de flic religieux. Il fut extrêmement brutal dans l’exercice de cette mission. Les chrétiens d’origine juive étaient, à Jérusalem au moins, au tout début, protégés par leur proximité avec le Judaïsme. Mais tel n’était pas le cas de ceux qu’on appelle les Hellénistes, Juifs de langue grecque convertis à la foi en Christ. Et c’est probablement eux qui avaient été victimes de la brutalité de Saul. Être extrêmement brutal étant dans la nature de Saul, il fut aussi et immédiatement extrêmement brutal dans sa nouvelle mission, évangéliser. Qu’il ait indisposé les Juifs de Damas au point qu’ils complotèrent pour le tuer ; qu’il dut être descendu caché dans un panier et le long de la muraille relève du pittoresque. Mais plus intéressant est ce qui se passa à Jérusalem.

            Nous pouvons penser que Saul n’avait pas laissé à Jérusalem le meilleur souvenir à ces chrétiens de langue grecque, les Hellénistes. Saul voulait parler avec eux, mais eux voulaient tuer Saul. Ce ne sont pas des pensées très charitables entre chrétiens, mais c’est ainsi. Le livre des Actes des Apôtres n’est pas un livre d’apologie, mais un livre de vérité. Et la vérité est que le retour et la présence de Saul à Jérusalem en dérangeait plus d’un. Cet ex-persécuteur, sans autre connaissance du Christ que sa « vision » sur le chemin de Damas, mais semblant vouloir être compté au rang des Apôtres, ça dérange, et pas que les Hellénistes.

            Puisque nous parlons de fruits, nous nous demandons "Mais quelle sorte de fruit est-il, ce Saul ? Et quelle sorte de fruits va-t-il produire, en s’adressant à des gens de langue grecque, langue que tout le monde connaît ? Les Galiléens que sont les Apôtres sont-ils prêts à recevoir ces fruits-là ?"

            Lisons : « Les frères – chrétiens canal apostolique – ayant appris que les Hellénistes voulaient tuer Saul, le conduisirent à Césarée et, de là, le firent partir sur Tarse » (v.30). Est-ce pour le mettre à l’abri que Saul est gentiment envoyé vers sa ville natale ? Nous pensons que c’est une mesure d’éloignement. Prenant prétexte de la menace qui pèse sur lui, les Apôtres envoient Paul le plus loin possible afin que le calme revienne dans l’Église. Lisons le v.31 : « L’Église, sur toute l’étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie, vécut donc en paix. » C’est le donc qui porte le sens de toute la phrase.

            Exit donc ce fruit nommé Saul – et bientôt Paul –, et préservée ainsi la paix apostolique sur le territoire apostolique, Judée, Galilée, Samarie. Pour le dire un peu crûment, à cette étape, l’Évangile reste un truc de Juifs demeurés depuis toujours sur la terre de leurs ancêtres. Ceux qui se convertissent à cet évangile seront suffisamment peu différents les uns des autres pour qu’il n’y ait pas trop de problèmes d’intégration… Et « L’Église s’accroissait », soit, mais de fruits assez semblables les uns aux autres, parce que tous recrutés dans les mêmes villages. 

            Nous revenons à l’évangile de Jean qui, s’agissant de vigne et de sarments, est lui aussi capable d’envisager la qualification, la disqualification, et le tri. Même dans l’évangile de Jean qui parle tellement d’amour, certains sarments sont promis à être enlevés, rejetés, desséchés, et brûlés. Qui dit certains sarments dit certaines personnes… Responsable de ces opérations, Dieu, encore qu’apparaissent ici et là des formes impersonnelles, et des on, un peu suspects, qui laissent à penser que l’homme y prend sa part, qu’il se croit capable de faire un diagnostic, et d’appliquer une thérapie radicale.

            Dans ce chapitre de l’évangile de Jean, demeurer en Jésus Christ, c’est ce qui compte, c’est même la seule chose qui compte si l’on veut porter du fruit, demeurer en Lui comme il demeure en nous – nous allons y revenir. Mais d’abord, le fruit, qu’est-ce que c’est ?

            Nous avons l’immense chance d’avoir ici une allégorie végétale. Jésus Christ, le cep de vigne, le croyant, le sarment, et le fruit ? Prenons cette allégorie juste pour ce qu’elle est : le fruit, en sa saison, on le voit et on le désire, on le cueille, on le mange, il nourrit… Et ceux des chrétiens – c’est d’eux que nous parlons – qui portent du fruit sont ceux auprès desquels nous trouvons de quoi nous nourrir, nourrir notre foi, nourrir notre espérance, nourrir nos interrogations, et nourrir en somme notre vie. Et cela s’accomplit dans le partage des réflexions, des prières, des chants, de la Cène, etc.. Pourquoi des chrétiens seulement ? N’y a-t-il pas d’autres gens auprès desquels nous trouvons matière à vivre ? Il y en a. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? Notre Seigneur le déclare lui-même, il a d’autres brebis. Chrétiens ou pas donc, auprès desquels vivre devient plus profond, plus simple, plus beau. Tel est le fruit. En poursuivant notre allégorie végétale, en pensant aussi à Angelus Silesius (1624-1677) et à sa rose, nous disons que le sarment est sans pourquoi, il ne cherche pas si on le voit, il porte son fruit parce qu’il porte son fruit, et le donne librement, gratuitement à qui le prend. Tel est le fruit, tel est le sarment.  

            Il nous reste juste une question. Comment ces sarments restent-ils attachés au Christ ? Nous laissons un peu de côté notre métaphore végétale, qui n’ouvre pas à une réflexion sur la conscience et la responsabilité des végétaux. Comment les disciples de Jésus Christ demeureront-ils en Lui ? Ils demeureront en Lui en persistant dans l’étude et le partage, dans la prière, dans la célébration du culte. Même si le Christ dispose toujours d’autres moyens, ceux-là restent toujours à la disposition de tous.

            Pour porter finalement quel fruit ? Un fruit de fraternité qui ne doit rien à l’uniformité ni rien au nombre. Ce fruit qu’on reçoit autant qu’on le donne, pour la seule gloire de Dieu. Amen