samedi 1 mai 2021

Où l'on va parler de vigne, mais surtout de fruits (Jean 15,1-8 et Actes 9,26-31)

 Jean 15

1 «Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore. 3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.

5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.

8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

Actes 9

26 Arrivé à Jérusalem, Saul essayait de s'agréger aux disciples; mais tous avaient peur de lui, n'arrivant pas à le croire vraiment disciple. 27 Barnabas le prit alors avec lui, l'introduisit auprès des apôtres et leur raconta comment, sur la route, il avait vu le Seigneur qui lui avait parlé, et comment, à Damas, il s'était exprimé avec assurance au nom de Jésus. 28 Dès lors Saul allait et venait avec eux dans Jérusalem, s'exprimant avec assurance au nom du Seigneur. 29 Il s'entretenait avec les Hellénistes et discutait avec eux; mais eux cherchaient à le faire périr. 30 Les frères, l'ayant appris, le conduisirent à Césarée et, de là, le firent partir sur Tarse. 31 L'Église, sur toute l'étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie, vivait donc en paix, elle s'édifiait et marchait dans la crainte du Seigneur et, grâce à l'appui du Saint Esprit, elle s'accroissait.

Prédication

            Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance…  Quel est ce fruit ? En lisant juste les versets de l’évangile de Jean qui nous sont proposés, nous ne pouvons pas répondre. Si nous lisons quelques versets de plus, versets qui nous sont proposés aujourd’hui, nous allons trouver une réponse. Cela fait plusieurs semaines que nous lisons des mélanges de textes, évangile de Jean+Actes des Apôtres, mélanges bien choisis et bien dosés pour parler de l’Église ; la thèse portée par tous ces mélanges de textes, c’est que l’Église est Une, Sainte, Universelle et Apostolique, et qu’elle commence dès le jour de Pâques… Nous n’allons pas discuter cette thèse, car la discuter, la méditer, c’est ce que nous avons fait toutes ces dernières semaines.

            Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est tâcher de comprendre ce dont parle Jésus avec ce fruit. Qu’est-il donc, ce fruit ?

            Une proposition nous est faite, très claire, avec le 9ème chapitre des Actes des Apôtres où nous lisons : « l’Église…. s’accroissait. »

            Cette proposition rejoint celle qui nous avait été faite, jadis, début des années 70 – je dis nous parce que étions tout un petit groupe de catéchumènes – proposition qui nous avait été faite par le pasteur chargé de notre instruction religieuse. « Si vous voulez savoir si vous portez du fruit, demandez-vous combien d’âmes vous avez amenées à Christ. » La lecture d’un ouvrage intitulé Comment amener les âmes à Christ (Reuben Archer TORREY, 1856-1928) était très recommandée. Je ne vous dis rien du fruit, ou des fruits, que nous, catéchumènes, avions portés. Peut-être pourrait-on parler du fruit de culpabilité qu’il chargea sur nos faibles épaules…

            Des années plus tard, devenu pasteur, j’ai appris l’existence d’une œuvre d’évangélisation appelée CfaN (Christ for all Nations). Leur récent site commence ainsi : « Comment nous gagnerons 150 millions d’âmes pour Jésus ». L’image biblique qu’ils emploient est d’avantage celle de la moisson que celle de la vendange, mais ce qui est clair c’est qu’ils évaluent leur évangélisation tout comme le pasteur dont je vous parlais le faisait lui-même : le nombre.

            Mais le fruit dont parle l’évangile de Jean, en abondance ou pas, est-il vraiment celui-là ?           

            Puisqu’il nous est proposé de lire Actes 9:26-31 et qu’il y est question de Paul, parlons un peu de Paul… il s’appelait encore Saul à ce moment-là. Il avait approuvé le meurtre d’Etienne et avait reçu des autorités du Temple un mandat de flic religieux. Il fut extrêmement brutal dans l’exercice de cette mission. Les chrétiens d’origine juive étaient, à Jérusalem au moins, au tout début, protégés par leur proximité avec le Judaïsme. Mais tel n’était pas le cas de ceux qu’on appelle les Hellénistes, Juifs de langue grecque convertis à la foi en Christ. Et c’est probablement eux qui avaient été victimes de la brutalité de Saul. Être extrêmement brutal étant dans la nature de Saul, il fut aussi et immédiatement extrêmement brutal dans sa nouvelle mission, évangéliser. Qu’il ait indisposé les Juifs de Damas au point qu’ils complotèrent pour le tuer ; qu’il dut être descendu caché dans un panier et le long de la muraille relève du pittoresque. Mais plus intéressant est ce qui se passa à Jérusalem.

            Nous pouvons penser que Saul n’avait pas laissé à Jérusalem le meilleur souvenir à ces chrétiens de langue grecque, les Hellénistes. Saul voulait parler avec eux, mais eux voulaient tuer Saul. Ce ne sont pas des pensées très charitables entre chrétiens, mais c’est ainsi. Le livre des Actes des Apôtres n’est pas un livre d’apologie, mais un livre de vérité. Et la vérité est que le retour et la présence de Saul à Jérusalem en dérangeait plus d’un. Cet ex-persécuteur, sans autre connaissance du Christ que sa « vision » sur le chemin de Damas, mais semblant vouloir être compté au rang des Apôtres, ça dérange, et pas que les Hellénistes.

            Puisque nous parlons de fruits, nous nous demandons "Mais quelle sorte de fruit est-il, ce Saul ? Et quelle sorte de fruits va-t-il produire, en s’adressant à des gens de langue grecque, langue que tout le monde connaît ? Les Galiléens que sont les Apôtres sont-ils prêts à recevoir ces fruits-là ?"

            Lisons : « Les frères – chrétiens canal apostolique – ayant appris que les Hellénistes voulaient tuer Saul, le conduisirent à Césarée et, de là, le firent partir sur Tarse » (v.30). Est-ce pour le mettre à l’abri que Saul est gentiment envoyé vers sa ville natale ? Nous pensons que c’est une mesure d’éloignement. Prenant prétexte de la menace qui pèse sur lui, les Apôtres envoient Paul le plus loin possible afin que le calme revienne dans l’Église. Lisons le v.31 : « L’Église, sur toute l’étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie, vécut donc en paix. » C’est le donc qui porte le sens de toute la phrase.

            Exit donc ce fruit nommé Saul – et bientôt Paul –, et préservée ainsi la paix apostolique sur le territoire apostolique, Judée, Galilée, Samarie. Pour le dire un peu crûment, à cette étape, l’Évangile reste un truc de Juifs demeurés depuis toujours sur la terre de leurs ancêtres. Ceux qui se convertissent à cet évangile seront suffisamment peu différents les uns des autres pour qu’il n’y ait pas trop de problèmes d’intégration… Et « L’Église s’accroissait », soit, mais de fruits assez semblables les uns aux autres, parce que tous recrutés dans les mêmes villages. 

            Nous revenons à l’évangile de Jean qui, s’agissant de vigne et de sarments, est lui aussi capable d’envisager la qualification, la disqualification, et le tri. Même dans l’évangile de Jean qui parle tellement d’amour, certains sarments sont promis à être enlevés, rejetés, desséchés, et brûlés. Qui dit certains sarments dit certaines personnes… Responsable de ces opérations, Dieu, encore qu’apparaissent ici et là des formes impersonnelles, et des on, un peu suspects, qui laissent à penser que l’homme y prend sa part, qu’il se croit capable de faire un diagnostic, et d’appliquer une thérapie radicale.

            Dans ce chapitre de l’évangile de Jean, demeurer en Jésus Christ, c’est ce qui compte, c’est même la seule chose qui compte si l’on veut porter du fruit, demeurer en Lui comme il demeure en nous – nous allons y revenir. Mais d’abord, le fruit, qu’est-ce que c’est ?

            Nous avons l’immense chance d’avoir ici une allégorie végétale. Jésus Christ, le cep de vigne, le croyant, le sarment, et le fruit ? Prenons cette allégorie juste pour ce qu’elle est : le fruit, en sa saison, on le voit et on le désire, on le cueille, on le mange, il nourrit… Et ceux des chrétiens – c’est d’eux que nous parlons – qui portent du fruit sont ceux auprès desquels nous trouvons de quoi nous nourrir, nourrir notre foi, nourrir notre espérance, nourrir nos interrogations, et nourrir en somme notre vie. Et cela s’accomplit dans le partage des réflexions, des prières, des chants, de la Cène, etc.. Pourquoi des chrétiens seulement ? N’y a-t-il pas d’autres gens auprès desquels nous trouvons matière à vivre ? Il y en a. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? Notre Seigneur le déclare lui-même, il a d’autres brebis. Chrétiens ou pas donc, auprès desquels vivre devient plus profond, plus simple, plus beau. Tel est le fruit. En poursuivant notre allégorie végétale, en pensant aussi à Angelus Silesius (1624-1677) et à sa rose, nous disons que le sarment est sans pourquoi, il ne cherche pas si on le voit, il porte son fruit parce qu’il porte son fruit, et le donne librement, gratuitement à qui le prend. Tel est le fruit, tel est le sarment.  

            Il nous reste juste une question. Comment ces sarments restent-ils attachés au Christ ? Nous laissons un peu de côté notre métaphore végétale, qui n’ouvre pas à une réflexion sur la conscience et la responsabilité des végétaux. Comment les disciples de Jésus Christ demeureront-ils en Lui ? Ils demeureront en Lui en persistant dans l’étude et le partage, dans la prière, dans la célébration du culte. Même si le Christ dispose toujours d’autres moyens, ceux-là restent toujours à la disposition de tous.

            Pour porter finalement quel fruit ? Un fruit de fraternité qui ne doit rien à l’uniformité ni rien au nombre. Ce fruit qu’on reçoit autant qu’on le donne, pour la seule gloire de Dieu. Amen