samedi 27 décembre 2014

Noël 2014

Voici quelques méditations et prières, ainsi que la prédication du culte de Noël que j'ai célébré cette année. A mes lecteurs, un peu tardivement, il est vrai, je souhaite un joyeux Noël, et une heureuse fin d'année.

Que le Seigneur nous bénisse et nous garde

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Attendre.

Qu’attendent-ils, ceux qui regardent la pluie tomber, bien au sec dans leurs maisons ?
Qu’attendent-ils, ceux qui attendent qu’une main anonyme leur donne une petite pièce ?
Qu’attendent-ils, les enfants, le matin – ou le soir – de Noël ?
Et les bergers du Sahel qui, pendant trois ans, ne voient pas tomber la pluie ?
Qu’attendent-ils, ceux que les dictatures enferment dans les camps ?
Dans une prison, oublié, un détenu attend comme chaque jour le passage d’un rat qui est, depuis longtemps, son seul compagnon et avec lequel il partage quelques miettes de pain.

Les fils d’Israël, pendant leur long exil, qu’attendaient-ils ?

Qu’attendent-ils, ce matin, les assiégés de Kobané ?
Et ceux qui étaient traqués dans les marais du Rwanda ?

Sur le bord du chemin, nu, blessé et en plein soleil, un homme attaqué par des brigands attend du secours.

Untel attend un emploi, tel autre une promotion, tel autre encore attend, tranquillement, sa mise à le retraire et un autre, anxieusement, son licenciement.

Cette jeune femme attend le retour de son mari qui est soldat.

Un insomniaque attend le petit matin et Marie attend un enfant.

Ils attendent.
Attendre : se tenir en un lieu où quelqu’un doit venir, une chose arriver ou se produire, et y rester jusqu’à cet événement.
Combien de temps avant l’arrivée du bonheur, de la liberté, ou du Messie ?
Comment se manifestera-t-il ? Alors, qu’attendre ?

Attendre, parfois même s’il n’y a peut-être rien à attendre.

Et toi, qu’est-ce que tu attends ?

CHANT 351 D’un arbre séculaire

Lecture biblique : Luc 2
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l'époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s'appelle Bethléem en Judée, parce qu'il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.

CHANT 542-1 Ils ont marché au pas des siècles

6 Or, pendant qu'ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva;
7 elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle d'hôtes.

CHANT 542-3 « Ils sont venus les mains ouvertes… »

8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d'une grande crainte.
 10 L'ange leur dit: «Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple:
 11 Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur;
 12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.»
 13 Tout à coup il y eut avec l'ange l'armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait:
 14 «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés.»

CHANT 359 1-2 Ô  peuple fidèle

 15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: «Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.»
 16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
 17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
 18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.
 19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.
 20 Puis les bergers s'en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

Prière
Mon Dieu, j’attends.
J’attends un Sauveur qui est le Christ Seigneur.
Qu’est-ce que j’attends ? Le Christ Seigneur sera puissant et fort, il plaidera pour moi, il agira pour moi, je l’attends.
Il me guérira lorsque je serai malade, me consolera lorsque je serai triste et me nourrira lorsque j’aurai faim, je l’attends.
Il me libérera lorsque je serai détenu, je l’attends.
Et je trouve qu’il met beaucoup, beaucoup de temps à arriver.
Seigneur, je t’attends !
Tarderas-tu ?

J’attends un Sauveur qui est le Christ Seigneur,
Et voici le signe qui m’est donné : un enfant couché dans une mangeoire.
Mais, mon Dieu, que peut donc faire pour moi un enfant couché dans une mangeoire ?
Un enfant couché dans une mangeoire, comment pourrais-je l’attendre car comment ferait-il quelque chose pour moi ? Il est petit et faible, il attend tout…

Mon Dieu, est-ce cela que tu veux me dire ?
Le Sauveur qui est le Christ Seigneur ne peut rien, rien sans la foi de ceux qui croient en lui, rien sans les actes de ceux qui agissent pour lui.
C’est cela, je crois, que tu veux me dire.

Je t’en prie, Seigneur, permets-moi de l’entendre et de ne jamais l’oublier.
Amen

CHANT 359 3 « Esprits de lumière… »

Lecture biblique : Jean 1
1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tout près de Dieu, et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement tout près de Dieu.
3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui.

4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue.

6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas connu.
11 Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli.
12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné la possibilité de devenir enfants de Dieu.
13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire, celle de l’unique Fils du Père, plein de grâce et de vérité.

15 Jean lui rend témoignage et proclame: «Voici celui dont j'ai dit: après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.»

16 Ainsi, de sa plénitude en effet, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce.
17 C’est que la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité fut par Jésus Christ.
18 Personne n'a jamais contemplé Dieu ; Dieu unique Fils, étant dans le sein du Père, nous l’a fait connaître.

SILENCE

Prédication
            De quoi parle le commencement de l’évangile de Jean ?
Il y a des phrases extrêmement abstraites, qui semblent nous dévoiler le plus intime de l’intimité de Dieu, Père et Fils, avant même la création du monde. Il y a aussi d’autres phrases qui semblent nous dévoiler les secrets de la création. Et alors, l’évangile de Jean fait de ses lecteurs des initiés aux plus grands mystères de Dieu.
Et puis, tout à coup, il se trouve que la révélation de ces grands mystères de Dieu est articulée à l’histoire de l’humanité. Une histoire de grands personnages – donc une grande histoire – celle de Moïse, de Jean – celui qui baptisait – de Jésus Christ. Alors le récit semble un peu moins abstrait. Les grands mystères de Dieu se tissent avec l’existence de grands personnages, et l’évangile de Jean fait de ses lecteurs des savants.
Mais dès lors qu’à ces grands mystères on associe des noms de grands personnages, ces grands mystères deviennent moins grands, un petit peu plus concrets. Ils peuvent être associés à des paroles qu’on se répète et à des actes qu’on se raconte. Jean rend témoignage… La Loi est donnée par Moïse… Mais il ne faut pas être bien savant pour être capable de raconter.
Et ainsi l’évangile de Jean franchit une autre étape, lorsqu’il fait apparaître le monde, les anonymes contemporains de Jésus Christ. Ceux qui ont vu et entendu, et alors l’objectif de l’évangile devient tout à fait concret. Car si certains n’ont pas accueilli Jésus Christ, d’autre l’ont reçu. Et cela, entre contemporains, est tout à fait concret. Accueillir et recevoir, cela se passe d’être humain à être humain, n’a rien de particulièrement mystérieux ni d’abstrait. Au fond, pour les contemporains de Jésus Christ, pour ceux qui ont croisé son chemin, l’accueillir revenait à laisser s’approcher un homme qui mettait de la lumière dans les recoins inaccessibles des maisons et des pensées, un homme qui savait voir la vérité du cœur d’un être humain, et devant qui il était, à quelque moment, impossible de se mentir. Certain des contemporains de Jésus ont voulu de cette rencontre ; d’autres n’en ont pas voulu.
Et l’évangile de Jean franchit une autre étape, lorsqu’il dit « de sa plénitude, nous avons reçu, et grâce sur grâce », ou encore « le Fils nous l’a fait connaître ». Qui sont les gens concernés par le « nous » ? Et voici que sont convoqués les lecteurs de l’évangile de Jean. Ceux d’hier, les premiers pour lesquels il a été écrit. Et puis, tous les suivants… et jusqu’à nous.
Il nous l’a fait connaître… Est-ce à dire que, nous, lecteurs de l’évangile de Jean, nous sommes savants de l’histoire des grands hommes et initiés aux profonds mystères de Dieu ? Non. Tel n’est pas l’objectif de l’évangile de Jean. Les textes de la même époque qui ont un objectif initiatique sont totalement abscons et ne font pas l’effort considérable que fait l’évangile de Jean pour ancrer dans le concret, dans la pratique, dans l’engagement… ce qu’il en est de la connaissance de Dieu. A contraire des textes initiatiques, l’essentiel de l’évangile de Jean se dit ainsi : « le Verbe s’est fait chair. »
Il nous l’a fait connaître. C’est dire que l’expérience de la rencontre et de la vérité n’est pas une expérience seulement réservée aux contemporains de Jésus Christ. Sa possibilité concerne chaque lecteur. Mais chaque lecteur la désire-t-il ? Elle n’est, à ce qu’il semble, chose simple pour personne. Car s’il s’agit de « devenir enfants de Dieu », d’un « Dieu que nul n’a jamais vu », s’il s’agit de recevoir « grâce sur grâce », qui le voudra ? Qui voudra de quelque chose de si précaire, de si peu reluisant ? Et qui acceptera, dans cette perspective, de se défaire de tout ce par quoi l’on brille, tout ce par quoi l’on peut faire le malin ou le beau, tout ce par quoi l’on s’assure reconnaissance et position ? La question est éternelle et doit être toujours reprise.
Hier comme aujourd’hui, à ceux qui lisent, écoutent, acceptent la vérité et croient, il est donné possibilité de devenir enfant de Dieu.

MUSIQUE

CHANT 352 O nuit bienveillante 

dimanche 14 décembre 2014

Quelques petits pas vers celui qui vient (Jean 1,6-8 et Jean 1,19-29) avec le Baptiste

Jean 1
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.
 7 Il vint en témoin, afin qu’il témoignât de la lumière, afin que tous croient par lui.
 8 Il n'était pas, celui-là, la lumière, mais (il fut afin qu’il) témoignât de  la lumière.
(...)
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Juifs envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question: «Qui es-tu?»
20 Il affirma – il ne nia pas – il affirma : « Je ne suis pas le Messie. »
21 Et ils lui demandèrent: «Qui es-tu? Es-tu Elie?» Il répondit: «Je ne le suis pas.» - «Es-tu le Prophète?» Il répondit: «Non.»
22 Ils lui dirent alors: «Qui es-tu?... que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés! Que dis-tu de toi-même?»
23 Il affirma: «Je suis une voix qui crie dans le désert: ‹Aplanissez le chemin du Seigneur›, comme l'a dit le prophète Esaïe.»

24 Or parmi ceux qui avaient été envoyés il y avait des Pharisiens.
25 Ils continuèrent à l'interroger en disant: «Si tu n'es ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu?»
26 Jean leur répondit: «Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas;
27 il vient après (et derrière) moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale.»
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.

Prédication : 
            En ce troisième dimanche de l’Avent, nous rencontrons de nouveau Jean le Baptiste. C’est un personnage qui apparaît dans les quatre évangiles. Mais il serait plus juste de dire que quatre personnages apparaissent, chacun dans l’un des quatre évangiles, qui portent tous le même nom. Chacun de ces personnages apparaît, apparemment, pour annoncer celui qui doit venir après lui, c'est-à-dire Christ, le Messie. Mais en deçà des apparences, en deçà de l’histoire racontée, chaque figure du Baptiste apparaît comme une condition particulière de possibilité de rencontre du Christ. Oui, chaque évangile est particulier, chaque évangile trace son propre chemin vers le Christ.
C’est maintenant le chemin – un petit bout du chemin – de l’évangile de Jean que nous parcourons. C'est-à-dire que nous allons nous en tenir aux versets que nous venons de lire et, s’il faut aller chercher d’autres versets, ce sera seulement dans l’évangile de Jean.
            Or donc, il y eut un homme, envoyé de Dieu, envoyé pour témoigner de la lumière, afin que par lui, les hommes croient. Croient quoi ? Afin que, par lui, les hommes croient, c'est-à-dire, dans l’évangile de Jean, qu’ils soient dans une disposition d’esprit particulière, et que nous allons préciser chemin faisant.

            Cet homme, le Baptiste, avait semble-t-il suffisamment de succès pour qu’on vînt, depuis la capitale, pour enquêter sur lui. C’est que, hier comme aujourd’hui, les puissants s’intéressent à ceux qui, sortant pour ainsi dire de nulle part, emportent l’adhésion de foules petites ou grandes. On se méfie de possibles concurrents. Bref, on vient enquêter sur le Baptiste. Nous suivons l’une après l’autre les étapes de l’enquête. Première question : « Qui es-tu ? » Première réponse : « Je ne suis pas le Messie. » Seconde question : « Elie ? » Pas d’avantage. Troisième question : « Le Prophète ? » Pas plus. Ces trois questions correspondent à trois figures de l’attente.

En commençant par la plus grande, la plus haute, d’abord, le Messie, qui changerait tout, les cieux et la terre, le commencement et la fin ; le Messie, figure la plus haute, la plus attendue, ou plutôt la plus espérée, la plus lointaine et la plus étrangère aussi ; la figure de la plus grande attente, de la plus grande crainte et de la plus grande espérance… Et non, le Baptiste n’est pas le Messie, il le confesse positivement.
Alors, les enquêteurs mettent la barre un peu plus bas : « Es-tu Elie ? » Elie, c’est une très haute figure, celui qui fit et défit les rois, tant les rois d’Israël que des rois étrangers, et qui, surtout, fut projeté au ciel sans jamais mourir, de sorte qu’il peut toujours revenir, à n’importe quel instant. Elie, c’est moins que le Messie, mais ça n’est pas rien tout de même, parce que, justement, ça pourrait défaire tel et tel roi et rétablir Israël dans une certaine vieille grandeur. Mais le Baptiste confesse positivement qu’il n’est pas Elie.
Alors, l’enquête met la barre encore un peu plus bas : « Le Prophète ? » Ce n’est pas rien non plus, le Prophète. C’est une voix, assez reconnaissable, qui interpelle puissamment ses contemporains, qui leur rappelle énergiquement l’Alliance et les exigences de la miséricorde de Dieu. Mais le Baptiste confesse positivement encore qu’il n’est pas le Prophète.

S’il n’est ni le Messie, ni Elie, ni le Prophète, qu’est-donc alors le Baptiste, celui qui témoigne de la lumière ? La barre est au plus bas. Et l’on sent bien que l’enquête officielle va conclure que le Baptiste n’est rien, rien parce que rien de reconnu, ni rien de connu, ni rien d’espéré ; le Baptiste, avec son message, n’est rien, rien parce qu’on ne peut l’associer à aucune figure religieuse cataloguée, à aucune sommité célèbre, ni à aucun imaginaire bien reçu.
Et ce rien – ce presque rien, ce pas grand-chose – le Baptiste l’assume, parfaitement : Je suis une voix qui crie… Non pas La Voix, comme le rendent immodestement les traducteurs, mais juste une voix qui crie : « Dans le désert, aplanissez le chemin du Seigneur. » Cette voix crie que la Lumière est à attendre et à observer dans le presque rien de la monotonie apparente des jours, que la rencontre de la Lumière est promise sur les lieux où personne apparemment ne va. Cette voix crie que la plus fiable des espérances est la plus banale des quotidiennetés, pourvu qu’on s’y prépare, pourvu qu’on abaisse – en matière d’espérance – le niveau de ses exigences au niveau de l’inexhaustible et imprévisible réalité. Pourvu qu’on apprenne, qu’on consente à apprendre, que le désert n’est jamais désert, et qu’un paysage toujours identiquement recommencé n’est pas dépourvu de chemin à parcourir, alors la promesse ne saura jamais faillir et la Lumière ne saura jamais manquer de jaillir.

Tel fut le témoignage que le Baptiste rendit à la Lumière… et la conclusion de l’enquête dût, sur ce coup, être que ce Baptiste n’était pas grand-chose, juste un bruit, juste une voix.
Mais alors pourquoi baptisait-il ? Pourquoi donc baptises-tu, toi qui n’est rien, ni personne, lui demande-t-on ? Et le Baptiste, dans les versets que nous lisons, de se dérober, apparemment. Apparemment seulement, parce que pour qui réfléchit un peu, cette réponse était une critique virulente de la pratique religieuse ordinaire, canonique, reçue et obligatoire. « Pourquoi baptises-tu, toi qui n’es rien ? », c’est la question qu’on lui pose. Et sa réponse résonne ainsi : « Et vous, qui sacrifiez, qui célébrez… que croyez-vous que vous êtes ? Vous qui affirmez que c’est comme vous le voulez et pas autrement que la Lumière se manifestera, quel témoignage apportez-vous ? Vous qui pensez qu’a part vous et autrement que vous nul n’est aimé de Dieu et illuminé par lui, pour qui vous prenez-vous ? »
En substance, ce que le Baptiste répond, c’est que ceux qui savent sous quelle forme et de la part de qui l’on doit entendre la Parole de Dieu ne l’entendront jamais de qui que ce soit. Ce que le Baptiste a répondu a dû profondément déplaire à l’enquête…

Peut-être même que ce que le Baptiste a répondu ne nous plaît guère non plus. Et pourtant… que sont nos prières, nos cultes, nos Temples et nos usages, que sont nos connaissances, même bibliques ? Qu’est tout cela, et que sommes-nous nous-mêmes à la mesure de la grandeur de Dieu et de l’histoire de l’humanité ? Peu de chose, et sans doute moins encore que le Baptiste. Pourtant, tout autant que le Baptiste nous pouvons apprendre et comprendre l’espérance, la plus belle, la plus profonde, celle du quotidien, de l’ordinaire, du presque rien, et affirmer à sa suite que, déjà, dans cette simplicité, toute la fidélité de Dieu est inscrite.

« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas… », dit le Baptiste. Oui, il est là, déjà, au milieu de nous, que nous ne connaissons pas… et la seule tâche que nous ayons à accomplir est celle d’apprendre la simplicité, d’apprendre à le voir et à l’accueillir.

mardi 9 décembre 2014

le socle permanent de la Bonne Nouvelle (Marc 1,1-7)

Marc 1
1 Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu:
2 Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe : « Voici, j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ton chemin. 3 Une voix crie : «  Dans le désert,  préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ! »

4 Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés.
5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
6 Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
7 Il proclamait : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint. »



Esaïe 40
1 Réconfortez, réconfortez mon peuple, dit votre Dieu,
2 parlez au cœur de Jérusalem et proclamez à son adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu'elle a reçu de la main du SEIGNEUR deux fois le prix de toutes ses fautes.

3 Une voix proclame : « Dans le désert dégagez un chemin pour le SEIGNEUR, nivelez dans la steppe une chaussée pour notre Dieu. 4 Que tout vallon soit relevé, que toute montagne et toute colline soient rabaissées, que l'éperon devienne une plaine et les mamelons, une trouée ! 5 Alors la gloire du SEIGNEUR sera dévoilée et tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »

6 Une voix dit : « Proclame ! », l'autre dit : « Que proclamerai-je ? » - « Tous les êtres de chair sont de l'herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs :
7 l'herbe sèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR vient sur elles en rafale. Oui, le peuple, c'est de l'herbe : 8 l'herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours ! »
(…)
12 Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer, dans son empan toisé les cieux, tassé dans un boisseau l'argile de la terre, pesé les montagnes sur une bascule et les collines sur une balance ?

Méditation :
            En renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc le renvoie à une époque où les fils d’Israël peinent sous domination Babylonienne. Le dieu dont il faut alors préparer les chemins et rendre droits les sentiers est le dieu Mardouk, probablement, le grand dieu de Babylone. Et voici comment on procède pour préparer les chemins de ce dieu : une fois par an, sa colossale statue est extraite du temple et processionnée autour de la ville. Des esclaves, c'est-à-dire des ennemis vaincus, doivent d’abord aménager un beau chemin pour la procession de cette statue ; ils doivent éventrer des collines, combler des ravins, et, le jour de la procession, ils doivent se charger pour de vrai de la statue du dieu de leurs dominateurs, donc se charger aussi symboliquement de ce dieu qui a vaincu leur dieu. La métaphore politique et théologique est suffisamment évidente pour que nous ne nous y attardions pas.

            Le peuple hébreu, fidèle à son Dieu, s’est sans doute interrogé pendant l’exil, et après l’exil, sur la signification de tout cela. Il mettra ainsi dans la bouche du prophète Esaïe, ainsi que dans son cœur, l’idée que son Dieu, qu’il avait déjà réussi à penser comme un, est l’unique Dieu – raison pour laquelle on ne devra plus du tout prononcer son nom… De cette unicité, nous avons ici la trace puisque quelques-uns des versets que nous avons lus font de lui le créateur et l’ordonnateur de toutes choses – un peu comme on peut le lire dans certains Psaumes ou dans la fin du livre de Job – ordonnateur en particulier de cette domination sous laquelle le peuple hébreu a été, et ordonnateur de la fin de cette domination.
            Ceci étant dit, l’idée de ce Dieu un et unique porte encore en elle les marques de son histoire. Parmi ces marques, justement, le souvenir de ces processions pénibles et humiliantes. Souvenir que l’on peut ainsi énoncer, sous la forme d’une question : pourquoi avons-nous dû être chargés du dieu des autres ? Cette question, exprimée à la voix passive, peut aussi être exprimée à la voix active : pourquoi charge-t-on les autres avec notre propre dieu ?

Et nul doute que, très tôt chez les Hébreux, certains se sont réclamés de l’idée de l’unicité de dieu pour imposer leurs vues et leurs usages à toutes sortes de gens,  pendant que d’autres, se souvenant de l’exil, ont préféré une manière plus douce, laissant le choix à chaque personne de se mettre, ou non, sous le joug de dieu. Ceux qui furent un jour dominés doivent-ils, un autre jour, devenir dominateurs ?

            En renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc l’évangéliste pose d’emblée à son lecteur ces mêmes genres de question. Quel dieu portes-tu si péniblement, qui n’est pas celui que tu as choisi ? Quel dieu fais-tu porter à ton semblable, que sans toi il ne choisirait pas ?
            Ce qui est clair, pour Marc, c’est que Jean-Baptiste ne se prêche pas lui-même. Il ne fait ni temple ni école. C’est une sorte de héraut et de champion de la grâce et de la liberté. Ascète solitaire, adepte de l’extrême frugalité, il ne fait peser sur personne le poids de ses propres choix. A quoi il faut ajouter qu’il en annonce un autre – nous savons que cet autre est Jésus Christ – qui, lui-même, ne s’annoncera pas tant lui-même qu’il baptisera d’Esprit Saint, comme nous l’avons lu.
            Or, ce baptême d’Esprit Saint n’est aucunement codifié dans la suite de l’évangile de Marc (les grandes codifications de la présence de l’Esprit Saint figurent en Actes, ou dans les Corinthiens). Qu’est-ce à dire ? Nul doute qu’il ne soit en action lorsque Jésus agit. Et bien, puisqu’il l’est, nous ne pouvons pas le voir autrement que comme nous venons de tenter de le penser. L’Esprit Saint est en action lorsque l’être humain cesse de peiner sous le joug de dieux qui ne sont pas ceux de son choix (guérisons et enseignements de Jésus iront largement dans ce sens). L’Esprit Saint est en action aussi lorsque l’être humain se refuse à charger autrui du joug de dieux qui ne sont pas ceux de son choix et l’en libère, ou au moins lui propose d’en être libéré.

            Ces deux perspectives de l’action humaine, libérer d’une part et se refuser à asservir d’autre part, constituent une sorte de socle permanent de la Bonne Nouvelle.