lundi 25 janvier 2016

La grâce, la miséricorde de Dieu (Luc 1,1-4, et 4,14 et suivants) et l'art douteux de bien choisir les textes...



Non,  ils n'ont pas fait "ça" ! Si, ils l'ont fait ! Mais quoi donc ? Ils ont choisi les bons versets et la bonne traduction pour démontrer ce qu'ils voulaient démontrer. Mais qui sont-ils ? Car après tout ne faisons-nous pas souvent exactement cela ? Ils sont ceux qui choisissent les textes bibliques pour le prochain dimanche... Et, dans ce cas, c'est le lectionnaire "Dimanches et fêtes" qui est en question. Leurs intentions sont-elles réellement celles que je dis ? Le catéchisme, l'histoire sainte, le dogme, pour être simpliste, ont leurs exigences que les auteurs bibliques ignorent. Voici en tout cas le texte, dans la traduction qu'en donne John Nelson Darby (1800-1882), que j'ai choisie exprès pour en rajouter sur le mouvement premier de mon humeur... Ce n'est pas pour m'en prendre à Darby, mais ce choix s'est imposé à la fin d'un processus de traduction et d'exploration. On pourra m'objecter qu'il y a une part de mauvaise foi là-dedans. Et c'est un peu vrai. Mais il y a aussi une certaine lassitude qui confine parfois au dégoût. Il y a quelques années, lorsqu'un certain pasteur extrémiste s'était mis en avant en brûlant le Coran, le livre des autres, j'avais répliqué en proposant que les chrétiens brûlent eux-mêmes la Bible...
Luc 1
1 Puisque plusieurs ont entrepris de rédiger un récit des choses qui sont reçues parmi nous avec une pleine certitude,
2 comme nous les ont transmises ceux qui, dès le commencement, ont été les témoins oculaires et les ministres de la parole,
3 il m'a semblé bon à moi aussi, qui ai suivi exactement toutes choses depuis le commencement, très-excellent Théophile, de te les écrire en ordre,
4 afin que tu connaisses la certitude des choses dont tu as été instruit.

Luc 4
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»

Prédication :
            Les versets que nous venons de lire sont exactement ceux qui nous sont proposés ce matin, bien choisis dans l’Evangile de Luc, et bien traduits par John Nelson Darby. Que signifient-ils ?
Jésus a vécu. Des témoins oculaires ont rigoureusement tout retenu, et ils ont exactement tout bien transmis, mais peut-être un peu en désordre. Luc, qui fut de ceux-là, depuis le début de l’aventure, n’a fait que mettre tout bien en ordre, à l’intention de Théophile, qui avait été préalablement instruit. Résultat de tout ce processus : plus aucun doute n’est possible, au moins pour Théophile, l’exactitude du récit de Luc garantit la véracité  l’enseignement qu’il a reçu. La vie de Jésus s’est donc déroulée exactement tout comme on l’enseigne, et on l’enseigne exactement tout comme c’est écrit. Et plus encore, cela s’est déroulé exactement comme cela avait été prédit par le prophète Esaïe, etc.
Tant de précision, tant d’exactitude nous confondent. Nous nous réjouissons de cette année de grâce, de la miséricorde de Dieu. Nous rendons grâce à Dieu pour Luc, pour Esaïe, pour Jésus… Mais tant de précision et tant d’exactitude font planer comme une ombre sur ces versets. Les vérités qu’ils mettent sous nos yeux sont trop lisses, trop massives. Et ces versets semblent à la fois trop bien choisis, et trop bien traduits, comme s’ils devaient démontrer, prouver quelque chose.
Nous ne refusons pas de croire en la miséricorde de Dieu, là n’est pas la question, mais nous ne voudrions pas que ce soit trop naïvement… peut-être pas pour nous-mêmes, car notre émerveillement devant la fidélité et la miséricorde de Dieu peut comporter une part de naïveté. Mais à nos semblables nous ne pouvons pas d’emblée proposer d’abdiquer leur raison et leurs doutes pour un émerveillement naïf. C’est un peu cela, cette ombre qui plane sur ces versets, bien choisis, trop bien traduits et trop probants, trop beaux pour être honnêtes.
Que faire ? Opter pour la naïveté, nous ne le voulons pas, nous ne sommes pas des naïfs et nous ne voulons pas contraindre à la naïveté. Rejeter l’ensemble par ce que la démonstration est trop bien ficelée et qu’on a le sentiment qu’on nous prend pour des imbéciles, nous ne le voulons pas non plus… mais la tentation est forte. Que faire ?
           
            Les gens qui ont choisi ces versets ne peuvent pas nous interdire de lire quelques versets de plus.

21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»
22 Tous lui rendaient témoignage; ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient: «N'est-ce pas là le fils de Joseph?»
23 Alors il leur dit: «Sûrement vous allez me citer ce dicton: ‹Médecin, guéris-toi toi-même.› Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie.»
24 Et il ajouta: «Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays;
26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien.»
28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.
           Il y avait une ombre, tant les versets choisis et traduits mettaient en avant une vérité trop belle, trop lisse… Et voici que cette vérité se fissure. La prédication de Jésus à Nazara – ou Nazareth – est un échec total. Ne méditons pas sur les raisons de cet échec ; Jésus cherche à prouver, à se justifier, et comme cela ne suffit pas, il provoque… Peut-être bien qu’il tombe dans le panneau de la troisième tentation (relire quelques versets plus haut, ou la méditation de la semaine passée). Il échoue en tant que prédicateur de la grâce de Dieu, mais cela n’annule pas la grâce de Dieu. Et la parole du prophète Esaïe dont Jésus se réclame n’est pas invalidée parce qu’elle n’est pas reçue. Quelqu’un proclame une année d’accueil par le Seigneur, quelqu’un proclame sa miséricorde et sa fidélité, et d’autres refusent de l’entendre, mais cela ne change rien à la miséricorde et à la fidélité du Seigneur. L’amour de Dieu n’est en rien entamé par ceux qui refusent d’en entendre parler.

Lorsque le récit de Luc rapporte l’échec de Jésus à Nazareth, il montre que l’accomplissement des Ecritures n’est  seulement pas une donnée massive, historiquement accomplie un jour et pour toujours. L’accomplissement des Ecritures en Jésus n’est pas seulement une vérité de la foi. C’est aussi un événement. Cet événement s’accomplit d’abord parce que Jésus a l’audace de reprendre la parole du prophète et de proclamer la grâce de Dieu. Mais un autre accomplissement reste attendu. La grâce de Dieu demande certes à être prêchée, mais elle attend aussi d’être reçue, puis prêchée de nouveau. Or, elle n’est pas toujours reçue. Est-elle reçue à Nazareth ? On est tenté de répondre négativement. Mais il n’appartient pas à celui qui l’annonce de savoir si elle a été reçue ou si elle sera reçue. La grâce pénètre d’ailleurs si profondément, si intimement, ceux qui la laissent entrer en elle que, le plus souvent, ils seront discrets… On n’expose pas ainsi devant tout le monde sa propre intimité, sa propre véritable foi. Et il se passe parfois des années, des dizaines d’années même, pour que l’annonce de la grâce trouve en quelqu’un le chemin de son cœur.

            Il y avait une ombre devant nous, à cause du choix trop bien ficelé de certains versets, et à cause d’une traduction trop bien agencée… Raconter l’échec de Jésus à Nazareth dépouille ces versets de leur portée démonstrative. Et trois vérités émergent.
C’est d’abord la vérité de la dureté des cœurs qui est mise en lumière. Les auditeurs de Jésus voulaient d’un amour de Dieu qui accomplisse ses promesses juste parce qu’elles sont promises, sans que leurs cœurs ne soient appelés à changer. On voudrait que ces promesses s’accomplissent sans devoir soi-même contribuer à leur accomplissement. On voudrait même les voir s’accomplir sans espérer leur accomplissement c’est à dire sans simplement agir en laissant le fruit de l’action s’offrir à d’autres que nous. C’est tout cela, la dureté des cœurs.
Une seconde vérité est ensuite mise en lumière : la prédication de la miséricorde de Dieu vient heurter ces cœurs, elle vient même les pénétrer. La violence de la réaction des gens des Nazareth en est le signe, non pas le signe qu’ils n’ont rien compris, mais le signe qu’ils ont parfaitement compris. Ils ont parfaitement saisi que la miséricorde de Dieu c’est Dieu qui dit NON à ces cœurs durs, à ces cœurs sûrs d’eux-mêmes et de leur bon droit.
Une troisième vérité est enfin mise en lumière, au moment où Jésus, s’éclipse à la faveur du tumulte. La grâce de Dieu n’est pas suspendue par l’échec apparent de la prédication. C’est le signe que la parole de cette prédication se cherche et se fraye elle-même son propre chemin, et que Dieu laisse finalement l’être humain choisir.

A ce moment du récit de Luc, nul ne sait si quelqu’un, à Nazareth, aura reçu cette grâce et l’aura acceptée… Tout comme nul ne sait, le soir du vendredi saint, si quelqu’un aura reçu la grâce et l’aura acceptée… L’espérance de la résurrection ignore tout de la résurrection ; tout comme l’espérance de la grâce ignore tout de la grâce. Elle en vit pourtant, et l’annonce.
Plaise à Dieu que sa miséricorde et sa grâce soient reçues. Plaise aussi à Dieu qu’elles soient transmises très exactement pour ce qu’elles sont. Qu’Il nous soit en aide. Amen

Cher Théophile (chers amis de Dieu, qui cherchez à entretenir avec Dieu, le mot Dieu et ce qu’on dit de Dieu des relations amicales, ouvertes, critiques, constructives…), des tas de gens, se prétendant autorisés parce qu’ils ont connu ceux qui ont connu ceux qui auraient vu ceci et cela, ont raconté n’importe quoi, pour se donner de l’importance, au lieu de chercher à penser ne serait-ce qu’un peu, et c’est devenu tellement n’importe quoi que j’ai décidé d’écrire, de faire le tri – et j’en ai balancé des tonnes, j’en ai retenu fort peu, et je l’ai soigneusement rédigé – pour que toi aussi, Théophile, tu sois équipé pour faire le tri et pour ne pas te laisser refiler n’importe quoi.

dimanche 17 janvier 2016

Comment Jésus est le Fils de Dieu (Luc 3,15 - 4,14)

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Luc 3
15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?
16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»
18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
19 Mais Hérode le tétrarque, qu'il blâmait au sujet d'Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu'il avait commis,
20 ajouta encore ceci à tout le reste: il enferma Jean en prison.

21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit;
22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, le bien aimé, en toi je me reconnais.» {aujourd’hui je t’ai engendré}

23 Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans. Il était, à ce qu’on disait, fils de Joseph, fils de Héli, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils de Iannaï, fils de Joseph, (…) 37 fils de Mathousala, fils de Hénoch, fils de Iaret, fils de Maléléel, fils de Kaïnam, 38 fils d'Enôs, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu.

Luc 4
1 Jésus, rempli d'Esprit Saint, revint du Jourdain et il était dans le désert, conduit par l'Esprit,
2 pendant quarante jours, et il était tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim.
3 Alors le diable lui dit: «Puisque tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain.»
4 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra.»
5 Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre
6 et lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c'est à moi qu'il a été remis et que je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu m'adores, tu l'auras tout entier.»
8 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c'est à lui seul que tu rendras un culte.»
9 Le diable le conduisit alors à Jérusalem; il le plaça sur le faîte du temple et lui dit: « Puisque tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas;
10 car il est écrit: Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder,
11 et encore: ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre.»
12 Jésus lui répondit: «Il est dit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
13 Ayant alors épuisé toute tentation possible, le diable s'écarta de lui jusqu'au meilleur moment.
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La quatrième tentation !
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.

Prédication :
            Nous venons de lire le récit du baptême de Jésus, selon l’évangile de Luc, plus le commencement et la fin de sa généalogie, puis le récit des tentations, tout cela selon Luc. Dans chaque épisode, il est question de Jésus, et de Fils de Dieu. C’est l’objet maintenant de notre réflexion. Le baptême d’abord, au cours duquel une voix du ciel proclame à la cantonade que Jésus est le Fils de Dieu.

            Sœurs et frères, les voix qui proviennent du ciel sont extrêmement encombrantes. Non pas qu’il soit déplacé que le Dieu Tout Puissant se fasse entendre… qu’il se fasse entendre comme bon lui semble est l’une des ses divines prérogatives. Ce qui est extrêmement encombrant, c’est que les gens font de ces voix du ciel. Quels gens ? Une voix du ciel, c’est une preuve irréfutable… et cela confère autorité à celui qui l’a entendue et qui la brandit. Et si cela n’arrivait que lorsqu’il s’agit de voix du ciel… cela arrive tout autant lorsqu’il s’agit de textes bibliques – et pas bibliques seulement – que certains choisissent, et brandissent, comme si l’obéissance ou la soumission de leurs semblables était due.
            En lisant le récit du baptême de Jésus selon Luc, me reviennent en mémoire les horreurs dont nous fûmes récemment témoins et qui sont très divinement justifiées ; me reviennent en mémoire les débats qui ont eu pour objet la question de la place des minorités sexuelles dans notre Eglise, débats qui ne sont pas encore finis, et l’on s’est jeté des versets bibliques à la figure comme autant de voix du ciel… Et là-dessus me revient aussi le souvenir de Rabbi Yeoshoua ben Hannania et de Rabbi Eliezer ben Hyrcanos… Rabbi Eliezer, sûr de son bon droit dans une affaire juridique mais mis en minorité pourtant par ses pairs, en appela à une voix du ciel. Le ciel parla pour lui donner raison ; mais Rabbi Yeoshoua osa affirmer qu’on n’avait que faire d’une voix du ciel… et Rabbi Eliezer fut finalement excommunié pour en avoir appelé à cette voix du ciel !
            Qu’avons-nous à faire d’une voix du ciel, même si elle proclame, s’agissant de Jésus : « Celui-ci est mon fils… » ? Est-ce que nous pouvons, est-ce que nous devons, sans hésiter, affirmer que Jésus est le Fils de Dieu, avec pour  preuve irréfutable que la voix du ciel, Dieu lui-même, le proclame le jour du baptême, et le répète au jour de la Transfiguration ?
            Tout le début de cette prédication vous prépare à une réponse négative. La voix du ciel ne saurait rien prouver… L’affirmation que Jésus est le Fils de Dieu ne saurait reposer sur cette preuve. On ne peut rien imaginer de plus autorisé qu’une voix du ciel. Alors l’affirmation que Jésus est le Fils de Dieu ne peut reposer sur aucune preuve.

            C’est notre point de départ. Mais nous n’allons pas rejeter ni excommunier Luc l’évangéliste pour avoir osé mettre en scène une voix du ciel. Luc raconte l’histoire de cette voix du ciel, sans faire de ce qu’elle dit un argument ou une preuve… Jésus non plus d’ailleurs ne le fait pas, et ne le fera jamais. Libre à cette voix, libre à Dieu, de dire ce qu’il veut, à qui il veut, et quand il veut. Puissent aussi les auditeurs, et les lecteurs, ne jamais oublier cette liberté de Dieu. Luc, lui, ne l’oublie pas... que Jésus soit proclamé le Fils de Dieu va inspirer à Luc au moins deux réflexions qu’il met ensuite en récit. Ces deux réflexions ont été mises sous nos yeux par les textes que nous venons de lire.
            Première de ces deux réflexions : tout être humain est Fils de Dieu de par sa généalogie qui remonte jusqu’à Adam… Autrement dit, pas besoin d’une voix du ciel pour indiquer cette divine filiation. Et Luc le signale avec une certaine ironie lorsqu’il  écrit que « on disait de Jésus qu’il était fils de Joseph, fils de Héli, etc., fils d’Adam, fils de Dieu. » Tous sont donc enfants de Dieu. Chacun d’entre nous n’est pas moins le fils – ou la fille – de Dieu que Jésus. Il sera bien entendu très simple d’objecter à ceci que la voix du ciel ne s’est pas publiquement manifestée au moment d’autres baptêmes que celui de Jésus…
            D’où la seconde réflexion de Luc, avec le récit des tentations. Dans ce récit, c’est bien Jésus qui est mis en scène, mais pas en tant que le Fils de Dieu. Il est tenté en tant que fils de Dieu, il est tenté comme tout fils de Dieu, comme chacun d’entre nous. Lisons seulement !
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Bien entendu nous n’avons pas le pouvoir de transformer les pierres en pain. Mais nous avons bien d’autres pouvoirs sur les choses inertes. Transformer l’eau, ou l’atome, en électricité. Transformer le salpêtre en poudre à canon. Transformer le minerai de fer en acier... Quel usage faisons-nous de ces pouvoirs ? Notre satisfaction immédiate et personnelle ? Ou une satisfaction différée et partagée ? Tout fils, toute fille de Dieu, peut être ainsi tenté de se satisfaire, lui seul, sans attendre. Jésus, pour lui-même, refuse clairement le pouvoir sur les choses, mais l’exerce parfois, pour autrui : il multipliera les pains et calmera les tempêtes.
Toute fille et tout fils de Dieu peut être tenté d’obtenir le pouvoir en se soumettant, seconde tentation, et être aussi tenté de l’exercer en dominant. Jésus résiste clairement à cette seconde tentation, pourtant il ne refusera jamais de libérer de pauvres gens, ni d’affronter les puissants.
S’agissant de la voix du ciel dont nous parlons, c’est la troisième tentation qui est la plus significative. Car ce qui est proposé à Jésus, c’est de profiter pour lui-même de ce que le ciel, de ce que Dieu a dit, de lui, au jour de son baptême. Ce qui est proposé à Jésus dans la troisième tentation, c’est qu’il fasse de Dieu son serviteur, c’est qu’il subordonne Dieu à ses envies de Fils de Dieu. Cela a été dit par la voix du ciel – ou encore c’est écrit dans la Bible – et donc Dieu est obligé de le faire. Qui se positionne ainsi fait de Dieu son obligé ! Jésus résiste très nettement à cette tentation. Il est écrit : il donnera pour toi à ses anges… c’est la proposition du diable… Il est dit : tu ne mettras pas à l’épreuve, tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu… c’est la réponse de Jésus. Ainsi, à ce diable qui cherche à l’attirer sur la mauvaise pente de la preuve scripturaire, Jésus répond qu’il ne saurait être question de preuves par la Bible qui obligeraient Dieu et notre prochain, mais seulement d’une parole vivante qui engage l’auditeur qui la reçoit. Sœurs et frères, Dieu n’est pas notre obligé ; rien de ce qui est écrit dans la Bible n’oblige Dieu ; et rien de ce qui est écrit dans la Bible ne peut autoriser quiconque à obliger son prochain au nom de Dieu.
Jésus n’est donc pas le Fils de Dieu parce que la voix du ciel le proclame au jour de son baptême, ni en raison de sa généalogie, ni en raison de quoi que ce soit d’autre qui serait écrit de lui dans la Bible. Alors comment est-il le Fils de Dieu ?

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M. Dieu (reconnaissable à son tatouage) avec son fils.
L'unité du Père et du Fils est ici parfaitement mise en évidence.
Nous avons lu dans l’évangile de Luc le récit de la vie d’un homme, Jésus, qui a résisté sa vie durant, aux tentations que nous venons de rappeler. Nous sommes lecteurs de ce texte, dans une perspective communautaire. La résistance de Jésus aux tentations, nous la disons singulière, unique, inégalable… et peut-être même qu’intimement, certains d’entre nous la pensent surhumaine, divine. Il se passe alors aussi que nous lisons l’évangile dans une perspective personnelle, et que ce que nous lisons ne reste pas seulement littérature, mais devient vivante parole.
Cette résistance aux tentations, c'est-à-dire la manière de vivre qui fut celle de Jésus en son temps, toute exemplaire et surhumaine qu’elle soit, nous espérons la faire  nôtre, nous tâchons de la faire nôtre en notre temps et avec les moyens qui sont les nôtres. Et c’est en cela qu’il est le Fils de Dieu, dans la reconnaissance intime de nos cœurs, dans nos vies personnelles, et dans notre vie communautaire, c'est-à-dire sur le trépied de la foi. Mais en cela, nous n’entendons rien prouver ni rien démontrer et il appartient à Dieu seul que ce que nous vivons, faisons et montrons devienne vivante parole entendue par d’autres que nous. Amen

jeudi 7 janvier 2016

L'assassin court toujours (Romains 11,32-12,2), ou l’œil de Dieu



NGC 7293 "Eye of God"
De Dieu, nous n’avons aucune connaissance, car Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Nous n’avons de Lui que des interprétations, des images, des récits… une nouvelle image de Dieu est apparue tout récemment, en une de Charlie.

Le 7 janvier 2016, je me suis souvenu de The Corrs, groupe pop irlandais aux influences celtiques… pas forcément inoubliable, mais dont un refrain me reste dans la tête : « You’re forgiven, not forgotten. » En français cela donne « Vous êtes pardonné, pas oublié ». Je repense à ce refrain, parce que je repense à la une du premier Charlie d’après les attentats : « Tout est pardonné », et à la une de cette semaine : « Un an après, l’assassin court toujours. » Les commémorations de ces événements font polémique, la une de Charlie fait polémique… jusque dans l’Osservatore Romano. "Derrière la bannière trompeuse d'une laïcité intransigeante, l'hebdomadaire français oublie une fois de plus que des dirigeants religieux de tous les cultes appellent depuis des lustres à rejeter la violence commise au nom de la religion et qu'invoquer Dieu pour justifier la haine est un authentique blasphème" et "Le choix de Charlie Hebdo montre le triste paradoxe d'un monde de plus en plus soucieux d'être politique correct, au point d'en devenir ridicule mais qui ne veut pas reconnaître ou respecter la foi en Dieu de chaque croyant, quelle que soit sa religion" (c'est moi qui souligne). J'ai recueilli ceci en ligne, et je n'ai pas lu l'article en langue italienne. Aussi bien peut-être tomberai-je tantôt sous les flèches que je m'apprête à décocher...
Autre pièce de mon petit puzzle, je suis en ce moment en train de lire un ouvrage dont le titre est L’accueil radical. Ressources pour une Eglise inclusive, sorti en 2015 chez Labor et Fides. On trouve dans cet ouvrage des textes fort intéressants, certains très érudits, d’autres sages et parfaitement corrects (Oh, perfect radical correctness !), et diverses contributions militant pour l’accueil inconditionnel et radical des minorités sexuelles au nom de l’Evangile.

Ce qui frappe, c’est une étonnante convergence entre ces derniers textes et le propos de l’Osservatore Romano. La seconde citation est révélatrice, puisque, s’inscrivant en faux contre Charlie, elle suggère qu’on devrait « reconnaître ou respecter la foi en Dieu de chaque croyant, quelle que soit sa religion. » Ce type de rhétorique est typique du discours radical… et force est donc de constater que le radicalisme se porte bien, qui définit l’identité de l’homme – et celle de Dieu – à partir de la conviction intime d’une seule personne, conviction érigée en identité et réputée valable et respectable, parce que fondée en Dieu – en quelque chose de sacré – en un texte, etc. Exactement la même rhétorique que celle qui anime les textes militants que produisent les minorités sexuelles – et ceux qui appellent leur accueil inconditionnel et radical…

Au fond, si je comprends bien ce qu’on cite de l’Osservatore Romano, la foi en Dieu de chaque croyant doit être reconnue et respectée, sans prendre aucunement en considération son mode d’expression, ses buts, ses moyens. Certes. Oui… même la foi des assassins de Charlie, de l’hyper casher, du Bataclan et de Saint Denis ? Non. Trois fois non. Alors, bien sûr, l’Osservatore Romano prend soin de rappeler qu’invoquer Dieu pour justifier la haine est un authentique blasphème, et c’est vrai.

Mais si c’est vraiment vrai, pourquoi ne pas tâcher de comprendre l’image et se réjouir de la dénonciation du dieu du radicalisme, à la manière de Charlie, radicalisme que représente bien ce vieillard haineux et vindicatif qui se pare la face des attributs ordinaires de la sagesse et de la sainteté, récupère pour lui-même, s’en faisant une sorte d’auréole, les codes trinitaires de la rationalité théologique, qui transporte avec soi, sans les montrer à ceux à qui il se présente les instruments de la menace et de la violence, radicalisme qui s’enfuit, les mains et la robes tachés de sang, et le cœur plein de jouissance, radicalisme qui érige en valeurs ultimes l’affirmation de soi et le respect, et l'amour de soi, radicalisme qui ne recule devant aucune outrance, verbale, et pas seulement verbale, pour arriver à ses fins, à son accomplissement ? Aimez-moi les uns les autres comme je me suis aimé ! Radicalisme qui nie toute médiation traditionnelle et communautaire et qui fait de l’accomplissement de la propre personne la finalité de toute l’histoire, chacun messie et grand-prêtre de sa propre religion et ne se refusant rien, chaque autre victime expiatoire. Ce radicalisme, qui n’est pas seulement religieux ; Oncle Bernard – l’économiste Bernard Maris – assassiné à Charlie le 7 janvier 2015, l’avait repéré en économie, et nommé « capitalisme radical », frère siamois de l’inclusivisme radical, du catholicisme radical, de l’islamisme radical, du biblicisme radical et du laïcisme radical… et qui est l’une des manifestations du symptôme du monde présent.

Oui, l’assassin court toujours, et se porte fort bien.

Le 7 janvier, je me suis souvenu de l’épître de Paul aux Romains, une fois encore, une fois de plus me disant que traducteurs et commentateurs (sauf Barth) pillent et massacrent, et peut-être bien moi aussi en tentant de la traduire, mais dont les verset suivants sont, comme j'ai cru les comprendre, un antidote contre le radicalisme  :
Romains 11 32 Car Dieu a enfermé ensemble tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde.
33 O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables!
34 Qui en effet a connu la pensée du Seigneur? Ou bien qui a été son conseiller?
35 Ou encore qui lui a donné le premier, pour devoir être payé en retour?
36 Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire éternellement! Amen.
Romains 12 1 Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel, logique, normal, intelligent, véritable, raisonnable (conforme à son objet – Barth).
2 Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence…
…pour que vous tâchiez de discerner ce qu’est la volonté de Dieu de ce qui est agréable, de ce qui plaît, de ce qui est ancien.

Prions :
Notre Dieu,
Oui, le 7 janvier 2016, l’assassin court toujours, et ce n’est pas Toi, Notre Dieu.
Cloué au bois on ne court pas.
L’assassin court toujours ; puissions-nous ne jamais courir à sa remorque.
Toi, nous t’en prions, renouvelle chaque jour nos intelligences, ouvre nos esprits, et nos cœurs.
Puissions-nous ne jamais chercher à nous justifier en faisant usage de Ton Nom ni des Saintes Ecritures.

Notre Dieu, fais-nous miséricorde.
Rends-nous, s'il se peut encore, aimants.

Amen
NGC 7293