samedi 23 juillet 2022

Abraham, Dieu, et les prières qu'ils s'adressent l'un à l'autre (Genèse 18,20-33)

Genèse 18

20 Le SEIGNEUR dit: «La plainte contre Sodome et Gomorrhe est si forte, leur péché est si lourd

 21 que je dois descendre pour voir s'ils ont agi en tout comme la plainte en est venue jusqu'à moi. Oui ou non, je le saurai.»

 22 Les hommes se dirigèrent de là vers Sodome. Abraham se tenait encore devant le SEIGNEUR,

 23 il s'approcha et dit: «Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable?

 24 Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville! Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause des cinquante justes qui s'y trouvent?

 25 Ce serait abominable que tu agisses ainsi! Faire mourir le juste avec le coupable? Il en serait du juste comme du coupable? Quelle abomination! Le juge de toute la terre n'appliquerait-il pas le droit?»

 26 Le SEIGNEUR dit: «Si je trouve à Sodome cinquante justes au sein de la ville, à cause d'eux je pardonnerai à toute la cité.»

 27 Abraham reprit et dit: «Je vais me décider à parler à mon Seigneur, moi qui ne suis que poussière et cendre.

 28 Peut-être sur cinquante justes en manquera-t-il cinq! Pour cinq, détruiras-tu toute la ville?» Il dit: «Je ne la détruirai pas si j'y trouve quarante-cinq justes.»

 29 Abraham reprit encore la parole et lui dit: «Peut-être là s'en trouvera-t-il quarante!» Il dit: «Je ne le ferai pas à cause de ces quarante.»

 30 Il reprit: «Que mon Seigneur ne s'irrite pas si je parle; peut-être là s'en trouvera-t-il trente!» Il dit: «Je ne le ferai pas si j'y trouve ces trente.»

 31 Il reprit: «Je vais me décider à parler à mon Seigneur: peut-être là s'en trouvera-t-il vingt!» Il dit: «Je ne détruirai pas à cause de ces vingt.»

 32 Il reprit: «Que mon Seigneur ne s'irrite pas si je parle une dernière fois: peut-être là s'en trouvera-t-il dix!» - «Je ne détruirai pas à cause de ces dix.»

 33 Le SEIGNEUR partit lorsqu'il eut achevé de parler à Abraham et Abraham retourna chez lui.

Prédication :

         Dans les premiers chapitres de la Genèse, il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles Dieu a forme humaine et entre en conversation avec des êtres humains. Dieu a forme humaine, c’est manifeste s’agissant du langage, et c’est manifeste aussi s’agissant de l’apparence physique de Dieu. Par exemple Dieu c’est trois voyageurs qui apparaissent soudain, devant la tente d’Abraham, au plus fort de la chaleur du jour. Dieu donc a un corps, et Abraham va accueillir ce corps selon les règles habituelles de l’hospitalité. Laver ces corps, les faire asseoir à l’ombre d’un arbre, et les nourrir… la conversation s’engage. L’homme parle à Dieu, et Dieu parle à l’homme.

            A la fin de la conversation, Dieu s’en va de son côté et Abraham du sien. Le côté d’Abraham, c’est son chez soi, là où la conversation avait commencé, et le côté de Dieu… En Genèse 19:1, nous apprenons que Dieu a des messagers – il en a deux – qui engagent la conversation avec Lot, messagers qui agiront, comm-e un dieu courroucé, en détruisant la ville de Sodome, et comme un dieu miséricordieux en sauvant Lot et sa famille. En fait de messagers, ou d’anges, c’est Dieu, encore et toujours qui a visage humain et puissance gigantesque, même si par prudente pudeur on le nomme Anges plutôt que Dieu. Dieu avait parlé avec Abraham, et Abraham avec Dieu, Dieu parle à Lot, et Lot parle à Dieu.

            L’homme parle à Dieu. Ce doit être une prière… Mais Dieu parle à l’homme, serait-ce une prière aussi ? Et n’y aurait-il pas de questions à poser sur l’exaucement de ces prières ?

           

            (Dieu exauce l’homme) L’homme – concentrons-nous sur Abraham – parle avec Dieu. Ça se passe en un lieu-dit Chênes de Mamré. Nous nous souvenons en général assez bien de cette conversation, car il y a une question très puissante, et un certain marchandage. Question très puissante d’Abraham au sujet de Sodome : Cher Dieu, supprimeras-tu le juste avec le coupable ? Dialogue, marchandage : 50 justes, 45, 40, 30, 20, 10. Ce sont autant de prières à Dieu. Mais comment pouvons-nous qualifier les réponses de Dieu à Abraham ? Dieu répond à Abraham en accédant précisément à la demande qui avait été faite. Nous appelons exaucement ce genre de réponse. Mais il y a toujours quelque chose d’étrange là-dedans : pourquoi entrer dans ce marchandage ? Pourquoi cette attitude tellement étrange de Dieu qui entre comme un homme, comme un partenaire, dans la discussion humaine ? Et qui, en y entrant, se met à être affecté, se met à changer. A ce point que sa miséricorde initialement indexée à 50 étant à la fin indexée à 10… avant une dérogation, Lot et famille de Lot.

            Dieu change, Dieu est changé. Le Dieu à forme humaine dont nous parlent certaines belles pages de la Genèse, accepte le dialogue humain et les affects humains. Il est transformé par la fréquentation de l’humanité. A force de fréquenter Abraham, à force d’accepter la prière d’Abraham, Dieu devient miséricordieux comme Abraham. En somme donc, Dieu, en se transformant, exauce Abraham.

 

            (L’homme exauce Dieu) Dieu exauce Abraham, mais ça n’est pas tout, ça ne peut pas être tout. Nous avons commencé notre méditation en mettant face à face l’homme et Dieu, un face à face qui nous semble plutôt équilibré. Nous prenons au sérieux cet équilibre. Et si donc Dieu exauce Abraham, il nous faut explorer aussi qu’Abraham exauce Dieu. C’est une formule à laquelle nous sommes peu habitués, l’homme exauce Dieu. Mais en quoi pourrait-il accomplir cet exaucement ? Nous nous demandons pourquoi la discussion entre Abraham et Dieu au sujet de Sodome s’arrêta à 10. Nous reconnaissons en ce 10 le chiffre minimal qu’il faut atteindre, en judaïsme, pour pouvoir sortir le rouleau de la Loi et pour prier valablement… sauf qu’en ce dix il y a trop de rigueur, ou trop peu de souplesse, dans l’utilisation des nombres. Laissez-moi vous raconter une histoire juive.

            Il y a déjà plusieurs dizaines d’années, alors que j’étais pasteur à Bourg en Bresse, il y avait un jumelage très actif avec une ville allemande, Bad-Kreuznach. Dans le cadre de ce jumelage, nous avons voulu faire mémoire des années terribles 1933-1945. Nous sommes allés à Worms et à Worms nous avons visité les divers lieux et monuments témoignant de la présence des Juifs dans la ville, et donc, bien sûr, la Synagogue, où nous avons longuement discuté avec le gardien, qui n’était pas Juif, qui était Allemand fils d’Allemand depuis la nuit des temps. Un moment, la discussion s’est portée sur les offices du Sabbat : étaient-ils 10 adultes pour pouvoir prier ? Réponse du gardien, non, ils n’étaient pas dix, ils n’étaient que 9. Et alors ? Le gardien nous fit cette réponse : Je suis le 10ème. Objection fraternelle : « Vous n’êtes pas Juif ! » Et il nous fit cette étonnante réponse : « Ils m’ont dit "Tu n’es pas Juif mais tu t’occupes des affaires des Juifs, alors tu es Juif." » Et il faisait donc le 10ème, en attendant que, peut-être, d’autres Juifs viennent s’installer Worms, on était 60 ans après la catastrophe.

            Avec cette petite histoire, vous voyez cette souplesse en action. Passer de 50 à 10, c’est une souplesse arithmétique, bien sûr. Mais c’est aussi une souplesse du cœur. C’est aussi une souplesse du cœur que l’accord entre Dieu et Abraham sur le chiffre 10 se soit traduit par une toute autre arithmétique, et qu’Abraham n’y ait rien trouvé à dire. Car nous aurions pu voir un Abraham se tenir, avec vanterie, cramponné bec et ongle sur les chiffres et l’obéissance qu’on leur doit, comme on la doit aussi littéralement aux révélations divines (Jonas) ou aux Saintes Écritures…

            Comme souvent avec les Saintes Écritures, le lecteur en sait trop, le lecteur assiste à des scènes difficiles sans avoir à se mouiller, et le lecteur doit donc être prudent dans ses interprétations...

            Abraham se réclame-t-il d’une révélation ? Il rentre chez lui. Le voit-on se réclamer de son affaire personnelle avec Dieu ? Non. Le voit-on se prononcer sur le destin de Sodome ? Non. Est-ce de l’indifférence ? Si c’était de l’indifférence, Abraham n’aurait pas négocié avec Dieu.

            En négociant comme il le fait, à partir de 50 et en s’arrêtant à 10, Abraham laisse de l’espace, il laisse du jeu, et il laisse en cela de la place pour Dieu. Et c’est en cela qu’Abraham exauce Dieu, en lui laissant toute la place possible, toute l’initiative possible. Et en s’en remettant alors totalement à Lui, Abraham laisse Dieu être Dieu.

 

            Qu’en est-il alors de nos prières ? Pour essayer d’en comprendre la portée,  nous pouvons commencer par l’homme exauce Dieu. Nous confions nos prières à Dieu, avec ces prières nous nous confions nous-mêmes, et il sait, Lui, ce qui doit advenir. En somme notre prière Lui appartient. Nous exauçons Dieu en cela. Ce qui viendra sera exaucement de nos prières, car nous prions, au fond, non pas pour ceci et pour cela, mais pour que Sa volonté s’accomplisse.

            Et ce qui advient alors, c’est que Dieu exauce cette prière. Il apparaît, il se manifeste, tout autrement que nous ne l’avions voulu. Dieu exauce l’homme. Et c’est tellement vrai, la différence provisoirement comblé entre eux est tellement importante que, pour parler de cela, il existe une formule : Dieu se fait homme. Nous allons penser ici que Dieu se fait homme en Jésus Christ. Nous en parlerons une autre fois. Pour l’heure, Dieu exauce celui qui prie et se fait homme pour lui ! C’est une merveilleuse bonne nouvelle. Grâces soient rendues à Dieu ! Amen.

samedi 16 juillet 2022

Marthe, Marie, leur hospitalité, et le Bon Samaritain, tous ensemble (Luc 10,38-42 - Luc 10,25-37)

Pour la parabole du Bon Samaritain, je vous renvoie au billet précédent. Pour Marthe et Marie, ci-dessous.

Luc 10

38 Comme ils étaient en route, il entra dans un village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison.

 39 Elle avait une sœur nommée Marie qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.

 40 Marthe s'affairait à un service compliqué. Elle survint et dit: «Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m'ait laissée seule à faire le service? Dis-lui donc de m'aider.»

 41 Le Seigneur lui répondit: «Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et t'agites pour bien des choses.

 42 Une seule est nécessaire. C'est bien Marie qui a choisi la meilleure part; elle ne lui sera pas enlevée.»

Prédication :

            La vie d’un lecteur de la Bible est marquée de bien des découvertes, voici une de ces découvertes, qui date pour moi du 11 juillet 2022. C’est une découverte plutôt récente, n’est-ce pas et dont l’énoncé est très simple : Luc 10,38 vient juste après Luc 10,37. Vous allez penser qu’il n’y a pas là un grand mystère – et qu’il est temps que le Pasteur prenne des vacances… Vous allez penser aussi que c’est, quelque chose que nous faisons tous lorsque nous étudions quelques versets bibliques, regarder les versets qui viennent avant, et après, ceux que nous étudions.

            Tous cela est vrai, bien sûr. Mais pourquoi aujourd’hui, et ces versets-là ? Et bien Luc 10,38 c’est Marthe et Marie et Luc 10,37, nous l’avons lu dimanche dernier et c’est la parabole du bon Samaritain. Pourquoi ces deux textes hyperconnus ne sont-ils pas – ils le sont très rarement – associés l’un à l’autre, alors qu’ils se touchent totalement dans le récit ?

            Probablement parce qu’ils sont tellement connus et chargés chacun d’interprétations presque canoniques, qu’ils se suffisent à chacun à lui-même. Pour préciser :

- le Va et toi, fais de même de la merveilleuse histoire du Bon Samaritain, fonctionne avec une idée du secours, avec en plus l’identification de bons et de méchants, et tout le monde dit Amen,

- et Marie a choisi la meilleure part établit clairement la supériorité de la contemplation sur la diaconie ; ajoutons que, dans la Bible, si vous vous appelez Marie, on ne vous reprochera jamais rien, et que les scènes de ménage sortie fracassante de cuisine (façon Marthe), on n’aime pas trop celles qui les provoquent ; alors après la dernière réplique de Jésus, on dit Amen une seconde fois.

            Chacun de ces deux textes, donc, se suffit à lui-même.

 

            Pourtant, il y a entre ces deux textes des similitudes troublantes…

- à commencer par le fait que chaque fois il y a trois rôles (rôles plutôt que personnages) ;

- Marthe, Marie, Jésus, d’un côté, et Le Samaritain, le Prêtre, et l’homme battu de l’autre côté ;

- Et chaque texte comporte un « invité », Jésus, d’un côté, et l’homme battu, de l’autre côté ;

- devant ces invitations deux attitudes sont toujours possibles,

            - une attitude qui prend en charge explicitement un corps humain, l’homme tombé pour le soigner, et Jésus pour le nourrir ;

            - pendant que l’autre attitude se concentre sur la spiritualité, le Prêtre pense au Temple et à la pureté rituelle, et que Marie se concentre sur l’enseignement de Jésus ;

            - notons bien ici que ces attitudes sont entières et sans partage : elles s’excluent totalement l’une l’autre, c’est soit le corporel, soit le spirituel, et ça ne se mélange pas (élément peut-être le plus fort de ces similitudes).

- Et ajoutons – mais nous l’avons déjà fait – que deux morales indiscutables de l’histoire viennent clôturer chacune son récit ; nous allons encore en parler.

           

            Intéressantes similitudes. Que faire, une fois qu’elles sont repérées ?

            Considérons dans la vraie vie  des gens ordinaires que nous sommes cette occurrence vraiment rare : se trouver en présence d’une personne laissée pour morte… Cette situation requiert votre attention, toute votre attention jusqu’au moment où arriveront des secours – nous projetons ici dans notre siècle l’argument de l’histoire du Bon Samaritain… Nous retenons la rareté de l’événement, et l’intégralité de l’engagement. Il y a là-dedans ce que nous pourrions appeler une éthique spéciale, une éthique de l’urgence. Cette éthique de l’urgence peut comporter un module d’évaluation du comportement des uns et des autres, ceux qui restent, et de ceux qui passent, on verra que, dans ce module une certaine forme de la conscience de soi (forme théologique de la conscience de soi et de la conscience d’autrui) déterminera le comportement de ces gens qui passent, ou qui restent. Ceci pour la forme rare de l’événement : il nous semble que le comportement approprié  soit doit être entier, sans nuance et sans reste, entière dévotion à autrui.

            Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’un événement récurrent et dans lequel il n’y a aucune vie qui soit mise en jeu ? Comme Jésus invité chez Marthe. Évènement unique ? Oui, dans le récit de Luc, Jésus va une seule fois chez Marthe. Cependant nous ne retenons pas qu’il ne passe qu’une fois… le propos, c’est qu’il n’y a pas mort d’homme. Dans la vraie vie, notre vraie vie, Jésus s’invite auprès de Marthe et Marie, et chez nous, chaque fois que nous lisons le récit. Bien sûr, c’est Jésus, et bien sûr il n’est pas une personne ordinaire, mais faut-il s’engager dans les préparatifs de ce repas-là comme on s’engagerait s’il y avait risque létal ? On ne comprend guère cet engagement extrême de Marthe, comme si la vie de Jésus en dépendait, ou comme si la vie de l’hôtesse en dépendait, et comme si la mobilisation générale de toutes les ressources disponibles était obligatoire pour le dîner… Le Samaritain, lui, n’oblige personne d’autre que lui-même. Chez Marthe, on pourra manger un peu plus tard, l’hospitalité proche orientale sera un peu moins considérable, mais plus participative cette fois, et il y aura pour tous et de l’enseignement et de quoi manger… Ainsi cette autre éthique, éthique du récurrent, l’éthique de l’ordinaire, a le souci simultané de ce qui nourrit le corps et l’âme.

 

            Mais il reste un élément encore sur lequel nous allons nous pencher. Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C'est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée. Avançons prudemment, car – nous l’avons déjà dit, lorsque le prénom Marie arrive dans la Bible, sous nos yeux, nous risquons de perdre la tête. Marie a choisi la bonne part (bonne, ou meilleure, ça ne change pas trop…) Cette part ne lui sera pas ôtée, sans doute parce que la Parole de Jésus, quand quelqu’un la reçoit, devient en lui ineffaçable. Marie donc ventre vide se nourrirait de ce qui est bon, de la bonne part. Une part spirituellement nécessaire… Oui, mais il faut tout de même manger, car même la meilleure spirituelle part a besoin pour être dite et partagée de corps humains en état de fonctionner.

            Et c’est ici que nous allons retrouver Marie, assise aux pieds du Maître et ne faisant rien d’autre, vivant donc en fait selon une éthique de l’urgence et de l’exception, tout exactement comme sa sœur, tout exactement comme ces messieurs de la parabole du Bon Samaritain. Pourtant, il n’y a pas mort d’homme, pourtant Jésus est vivant. Bien sûr le lecteur qui est savant sait que Jésus mourra dans quelques chapitres et qu’il y a même une sorte d’urgence. Oui. Mais il faut être un peu théologien et un peu témoin du Dieu vivant et du Christ ressuscité.

            Il y a de la vie. La vie est là-dedans qui nous permet de méditer sur ce qui est exceptionnel et sur ce qui est régulier. Il n’y a pas péril à cet instant et nous pouvons vivre dans une tranquillité fraternelle. Amen,

samedi 9 juillet 2022

La parabole du bon Samaritain (Luc 10,25-37) Une méditation sur l'intégrité de ceux qui s'intéressent à Dieu

 Luc 10

25 Et voici qu'un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve: «Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle?»

 26 Jésus lui dit: «Dans la Loi qu'est-il écrit? Comment lis-tu?»

 27 Il lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.»

 28 Jésus lui dit: «Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie.»

 29 Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus: «Et qui est mon prochain?»

 30 Jésus reprit: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à moitié mort.

 31 Il se trouva qu'un prêtre descendait par ce chemin; il vit l'homme et passa à bonne distance.

 32 Un lévite de même arriva en ce lieu; il vit l'homme et passa à bonne distance.

 33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l'homme: il le vit et fut pris de pitié.

 34 Il s'approcha, banda ses plaies en y versant de l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.

 35 Le lendemain, tirant deux pièces d'argent, il les donna à l'aubergiste et lui dit: ‹Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c'est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.›

 36 Lequel des trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme qui était tombé sur les bandits?»

 37 Le légiste répondit: «C'est celui qui a fait preuve de bonté envers lui.» Jésus lui dit: «Va et, toi aussi, fais de même.»

 

Colossiens 1

15 Il est l'image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature,

 16 car en lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles comme les invisibles, Trônes et Souverainetés, Autorités et Pouvoirs. Tout est créé par lui et pour lui,

 17 et il est, lui, par devant tout; tout est maintenu en lui,

 18 et il est, lui, la tête du corps, qui est l'Église. Il est le commencement, Premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang.

 19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude

 20 et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix.

 

Deutéronome 30

10 puisque tu écouteras la voix du SEIGNEUR ton Dieu en gardant ses commandements et ses lois, écrits dans ce livre de la Loi, et que tu seras revenu au SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être.

 11 Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui n'est pas trop difficile pour toi, il n'est pas hors d'atteinte.

 12 Il n'est pas au ciel; on dirait alors: «Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique?»

 13 Il n'est pas non plus au-delà des mers; on dirait alors: «Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique?»

 14 Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique.

Prédication : 

         A la lecture de ces trois extraits, ce qui me vient à l’idée, c’est l’histoire de la fin du règne du roi David. Après que David eut vaincu tous ses ennemis, il cessa d’être un chef de guerre nomade qui vivait sous la tente, et il devint un roi sédentaire qui vivait dans une maison en dur, un palais en cèdre. Cela, c’était pour David. Et pour le Dieu de David ? Dieu, qui était alors un Dieu nomade, habitait sous la tente, mais il plut à David d’imaginer que Dieu devrait, lui aussi, habiter dans un palais (2 Samuel 7). Ça n’est pas David qui construirait ce palais, mais son fils, Salomon, un Temple à Jérusalem.

            En interrogeant David, il est possible de se demander : nomade, ou sédentaire, qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce que ça change pour les humains – à commencer par le Roi – et qu’est-ce que ça change pour Dieu ? Pour en rester quelques instants encore à David, on l’imagine droit, honnête, respectueux de ses compagnons, soumis à la parole divine et prophétique, tant qu’il était le petit capitaine nomade dont nous venons de parler… mais, quand il fut devenu un roi vainqueur et installé, sédentaire dans son palais de cèdre, David disposa des hommes selon sa fantaisie, et des femmes selon son caprice, une certaine Bethsabée...

            Il me revient aussi en mémoire que, ces dernières semaines, nous avons eu l’occasion de nous souvenir de ces disciples que Jésus envoya en mission, dans le dépouillement le plus extrême, et avec un ordre de mission ultra simplissime : au nom de Jésus guérir, et annoncer que « le règne de Dieu est tout à fait tout à fait proche ». Qu’allait-il advenir après leur mission de tous ces prêcheurs nomades. Les 72 disparaissent immédiatement du récit, mais pas les Douze. Qu’adviendra-t-il des Douze, lorsqu’ils seront devenus des gens importants ?

            Nomade (précaire), ou sédentaire (installé), est-ce que ça change le cœur de l’homme ? Est-ce que ça change Dieu, est-ce que ça change la foi en Dieu ?

 

            Maintenant, nous lisons la parabole dite du bon Samaritain. Nous la méditons à l’ombre du Temple de Jérusalem. En voici deux qui y exercent le service sacré. Qui selon son rang, sa caste et sa famille, et selon sa spécialité. Chacun sait ce qui doit être fait, ce qu’il a à faire et chacun présume qu’il en est ainsi depuis toujours et pour toujours. Ils sont au service du Temple, indubitablement. Mais au service de Dieu ? Ou au service de leurs semblables ?

            Ainsi donc un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il fut roué de coups. C’est effectivement en pente descendante et lorsqu’on descend sur cette route, c’est que Jérusalem est derrière et Jéricho devant. Si alors on est un prêtre, c’est qu’on a fini son tour de service et qu’on rentre chez soi. On peut imaginer que ce prêtre a un tel souci de pureté qu’il ne peut prendre le risque de toucher un corps humain ensanglanté… Sauf que la question de la pureté du prêtre ne se pose pas ainsi : c’est pour son service qu’il doit être pur, et pas une fois que son service est fini. Le prêtre fit un détour. Vint un lévite… même problème de pureté que le premier, peut-être ; on ne sait pas s’il monte à Jérusalem ou s’il en redescend, ce qu’on sait, c’est qu’il ne s’arrête pas non plus.

            Le secours d’un blessé n’est pas une question d’ordre du culte. Ces questions d’ordre du culte sont des questions de sédentaires, des questions pour un monde dans lequel tout est codifié. Dans un tel monde,  y a-t-il de la place pour un inconnu sur lequel le sort s’est acharné ? Dans le monde des commandements, il y en a un qui stipule que si une vie est en jeu, tous les autres commandements sont immédiatement suspendus. Peut-être que ce commandement et sa portée n’étaient pas encore précisés au temps de Jésus. Mais même s’ils ne l’étaient pas, il y avait un autre commandement, que nous avons sous les yeux : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et qui est mon prochain ? Pas d’émois romantiques, mais un engagement tout à fait concret, comme secourir un homme agressé et laissé pour mort… Et qui est mon prochain ? Le commandement de l’amour du prochain tel qu’il est présenté dans la parabole efface toute distinction entre des personnes… Nul ne choisit jamais son prochain.

            Dans la parabole, dans le rôle du secouriste, nous avons un Samaritain. On dit souvent que les Juifs haïssaient les Samaritains. Au débit du 6ème siècle, Jérusalem, ville et temple, furent détruits, et leurs élites déportées en Babylonie. Vers le milieu du 5ème siècle, on put construire un nouveau Temple. Qui allaient être les prêtres légitimes de ce nouveau Temple ? Ceux qui, après la catastrophe avaient pu rester sur place avaient continué le culte tant bien que mal et avec les moyens du bord ? Ou ceux qui revenaient de l’exil, se réclamant d’une légitimité ancestrale et d’un sang pur. Il faut dire que, parmi ceux qui n’avaient pas connu l’exil et avaient continué le culte, certains avaient – ô crime affreux – épousé des femmes étrangères… Fallait-il chasser ces femmes ainsi que leurs enfants ? Tout cela conduisit au schisme, et à l’émergence d’un nouveau lieu de culte, en Samarie. Épisode terrible, de quoi se faire traiter de chiens pour les siècles des siècles.

            Mais tout n’est pas encore été dit. Trois choses essentielles sont à ajouter.

            La première, c’est que les Samaritains lisaient la Bible, la même Bible que les Juifs, au moins pour les cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome) à l’intérieur desquels le culte est codifié ; l’éthique aussi y est codifiée, sur la base des Dix Commandements.

            Deuxième chose, Les Samaritains avaient un Temple, sur une montagne (Garizim), où ils rendaient eux aussi un culte à Dieu.

            Troisième chose, essentielle plus que toutes les autres, tous ceux qui servent Dieu au Temple de Jérusalem ne sont pas des abrutis, et parmi ceux qui viennent en aide à leur prochain, tous ne sont pas Samaritains.

           

            Ce qui signifie que le Samaritain, le Prêtre et le Lévite sont parfaitement égaux devant la question posée par Jésus : « Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Il est écrit la même chose pour tous, mais tous ne lisent pas, ne comprennent pas, ne mettent pas en œuvre de la même manière… Secourir, ou ne pas secourir ? Par rapport à l’urgence du secours, il n’y a ni culte ni Temple qui tienne. Peu importe le culte qui est pratiqué collectivement, peu importe les rites auxquels les gens participent collectivement, car la validation de leur pratique religieuse n’est pas collective, hors du temps et dans le Temple, cette validation est  individuelle, dans l’instant présent, et dans le monde.

 

            Au début de l’extrait que nous méditons, nous apprenons que celui qui interroge Jésus est un spécialiste de la Loi, et qu’il veut tenter Jésus. Le tenter sans doute d’enfermer le message de l’Évangile dans des énoncés de Loi, du oui non, du noir blanc, du prochain pas mon prochain. Et nous voyons Jésus complexifier suffisamment l’affaire pour que le message demeure vivace et fécond. Mais cette entreprise est-elle pérenne ?

            Bonne nouvelle, oui ! L’entreprise est pérenne, et le message toujours là, parce que certains des Douze, ou leurs successeurs, ont su faire travailler leur mémoire, et se sont aussi fiés au génie propre de l’écriture. Ce qui fait que, maintenant, si nous demandons si les Douze et leur successeurs ont su transmettre l’Évangile sans le figer, s’ils ont agit comme des Apôtres  plutôt que comme des taxidermistes, la réponse est oui, ils ont transmis… Heureux sommes-nous, et Gloire soit rendue à eux, et à Dieu.

 


samedi 2 juillet 2022

Les Apostoliques Anonymes, ou la Bonne Nouvelle avant la Bonne Nouvelle (Luc 10,1-20)

Luc 10

1 Après cela, le Seigneur désigna soixante-douze autres disciples et les envoya deux par deux devant lui dans toute ville et localité où il devait aller lui-même.

 2 Il leur dit: «La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson.

 3 Allez! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.

 4 N'emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales, et n'échangez de salutations avec personne en chemin.

 5 «Dans quelque maison que vous entriez, dites d'abord: ‹Paix à cette maison.›

 6 Et s'il s'y trouve un homme de paix, votre paix ira reposer sur lui; sinon, elle reviendra sur vous.

 7 Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant ce qu'on vous donnera, car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.

 8 «Dans quelque ville que vous entriez et où l'on vous accueillera, mangez ce qu'on vous offrira.

 9 Guérissez les malades qui s'y trouveront, et dites-leur: ‹Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous.›

 

 10 Mais dans quelque ville que vous entriez et où l'on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites:

 11 ‹Même la poussière de votre ville qui s'est collée à nos pieds, nous l'essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le: le Règne de Dieu est arrivé.›

 12 «Je vous le déclare: Ce jour-là, Sodome sera traitée avec moins de rigueur que cette ville-là.

 13 Malheureuse es-tu, Chorazin! Malheureuse es-tu, Bethsaïda! car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu'elles se seraient converties, vêtues de sacs et assises dans la cendre.

 14 Oui, lors du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous.

 15 Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu'au ciel? Tu descendras jusqu'au séjour des morts.

 16 «Qui vous écoute m'écoute, et qui vous repousse me repousse; mais qui me repousse repousse celui qui m'a envoyé.»

 17 Les soixante-douze disciples revinrent dans la joie, disant: «Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom.»

 18 Jésus leur dit: «Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair.

 19 Voici, je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l'ennemi, et rien ne pourra vous nuire.

 20 Pourtant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux.»

Prédication : 

            L’évangile de Luc, lorsqu’on l’associe avec le livre des Actes des Apôtres, constitue un récit qui commence avant même la naissance de Jésus de Nazareth, et qui finit lorsque son message commence à être proclamé à toutes les nations. Il nous faut ici entendre par nations tous ceux qui ne sont pas Juifs, ceux qui ne parlent pas araméen, tous ceux qui parlent la langue commune de l’époque, le grec, mais l’on sait que bien des efforts de traduction seront très tôt accomplis pour que le message soit traduit, et rendu compréhensible, en arménien par exemple, ou en éthiopien, ou en syriaque…

            Mais avant cet effort de traduction, il y a un effort de mission, de programmation, qui semble avoir été accompli par les Apôtres eux-mêmes… on connait les voyages de Pierre, on subodore les voyages de Philippe, on nous dit que la première communauté fut dispersée après une persécution, et l’on ne peut pas ignorer les voyages de Paul. A ceci près que Paul ne fait pas partie du collège des Apôtres, entendons par là le collège des Douze, ceux qui ont effectivement connu Jésus de son vivant. A part Pierre et Philippe, deux sur douze, qu’ont fait les Apôtres ? Voyager ? Évangéliser ? S’installer plutôt en communauté, ou en école, en se donnant pour tâche d’élaborer et de maintenir le bon message, la bonne doctrine ?

             Qu’un livre spécifique s’appelle justement Actes des Apôtres, et qu’il soit dans nos Bibles juste après les quatre évangiles doit nous donner à penser que, très tôt dans l’histoire de la chrétienté (occidentale), il a été tenu pour acquis que l’origine de l’évangile (les textes, la doctrine, l’histoire…) était apostolique. Et que les évangiles aient pour titres les noms de quatre Apôtres vient évidemment à l’appui de cette idée. Mais est-ce aussi simple ?

            Origine apostolique de l’Évangile est une idée intéressante. Mais cette idée ne dispense pas d’une question simple : les Apôtres, lorsqu’ils ont voyagé et prêché l’évangile de Jésus Christ, qu’ont-ils trouvé comme terrain, comme terreau ?

           

            Évangile de Luc, et Actes des Apôtre, un seul auteur qui, toujours, expose les idées reçues, mais propose aussi, souvent mine de rien, de réfléchir de manière critique sur ces mêmes idées. C’est, semble-t-il, dans ce cadre, que nous pouvons méditer le dixième chapitre de Luc.

            Nous avons quelques connaissances sur les Douze, mais qui sont les 72 ? Si nous voulons faire quelque chose du 72, c’est le nombre des nations païennes selon Genèse 10 (grc.). Symbole assez simple : cette mission envoyée par le Seigneur sera allée partout, dans le monde entier.

            Cette mission est une mission assez radicale. Les missionnaires sont de pauvres itinérants, que la mission n’enrichira jamais. Quant à leur message, il se limite à deux énoncés simplissimes, paix à cette maison, et le règne de Dieu est tout à fait proche de vous (ici, un petit souci de traduction, il faut comprendre que le règne de Dieu s’est approché et est on ne peut plus proche, autrement dit, il est là, et sa pleine manifestation tient aux humains). Deux énoncés simplissimes donc, paix à cette maison, et le règne de Dieu est tout à fait proche de vous, ces énoncés pouvant être vu comme le corps et la norme de la prédication. Quant à l’action des 72, elle tient en un verbe, guérir. C’est donc très simple. Avec ça, ils seront accueillis, ou ne le seront pas.

            Missionnaires très dépouillés – missionnaires mendiants – message très simple, pratique très simple. C’est la partie douce de la radicalité de la mission des 72. Mais y a l’autre partie de la mission, la partie dure, si l’on ne veut pas d’eux. Qui pourrait refuser de recevoir des itinérants prédicateurs et guérisseurs fonctionnant à un tarif aussi bas ? …mais on n’est pas obligé de les recevoir ! Que serait une bonne nouvelle si elle était assortie d’une obligation de recevoir ? Que serait un don gratuit s’il était obligatoire de souscrire ? Et bien la mission des 72 introduit une forme de malédiction contre ceux qui ne la recevront pas… mais cette malédiction est ce qu’on peut appeler une malédiction liturgique. Il n’appartient pas aux missionnaires de la mettre en œuvre, les 72 ne sont pas des prophètes genre Elie.

            Et il semble que cette mission ait été couronnée d’un certain succès, un succès en excès, puisqu’en plus de la prédication et de la guérison, il vient que les démons sont soumis aux missionnaires œuvrant au nom de Jésus… voilà cette mission décrite. Mais voilà aussi une chose bien étrange, que nous ne savons absolument pas qui sont ces 72, ils sont, nous dit Luc, désignés en plus des Douze et après eux, mais ils sont envoyés en mission avant les Douze, pour une mission couronnée de succès, pendant que les Douze… on ne sait pas ce que les Douze firent pendant que les 72 étaient à besogner partout, c'est-à-dire dans les vignes du Seigneur. Ces 72, j’aime les appeler les Apostoliques Anonymes, car anonymement ils vont recevoir leur lettre de mission et les instruments de leur mission, anonymement ils vont accomplir leur mission,  puis, redoublant d’anonymat, ils disparaitront, avec seulement cette unique distinction : « Réjouissez-vous de ce que vos noms ont été inscrits dans les cieux », déclaration de Jésus.

            Qui sont-ils ? Nous ne le savons pas, nous ne le sauront pas. Leur existence est attestée par les traces de leur mission, par les traces de leur passage. Il nous faut envisager leur existence du point de vue des Douze puis après devenus, à leur tour, apôtres et partis en mission. De qui les Douze tiennent-ils leur autorité, quel est le contenu de la prédication, quelle en est aussi la norme ? Et, surtout, où et à qui prêchent-ils ? Ils prêchent partout, et ils prêchent à tous. Mais enfin, que trouvent-ils là où ils prêchent ? L’évangile aura-t-il été déjà prêché avant que les Douze s’amènent, avec leur autorité, leurs catéchismes et leur baptême ? Si l’on entend par Évangile l’histoire vie et mort de Jésus de Nazareth plus sa compréhension comme miséricorde et amour de Dieu dans l’histoire d’Israël et du monde, alors oui, les Douze sont les premiers. Mais si l’on entend par Évangile la mission des 72 comme nous l’avons entendu, alors les Douze ne sont pas les premiers, ils ont été précédés, par une autre mission, celle des itinérant, très simples prédicateurs, et très simples guérisseurs. Qui apparaissent, disparaissent, sans souci de rassemblement, d’organisation, de pérennisation...

            La thèse portée par les 72 Apostoliques Anonymes, c’est que partout où Jésus devait aller lui-même, la mission des 72 était toujours déjà passée. Et plus avant encore, cette thèse, c’est que partout où l’on annonce un évangile élaboré, structuré, inscrit dans une histoire de Dieu, du Christ et de l’Esprit, partout donc, l’évangile a toujours déjà été annoncé et reçu librement, comme présence concrète du Règne de Dieu. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à toute évangélisation. Cela signifie que ceux à qui l’on s’adresse, ceux à qui nous nous adressons, ne sont jamais sans connaître ce que nous appelons, nous, les bienfaits de Dieu, mais qui peuvent porter bien d’autres noms.

            Bien sûr, à cette affirmation nous pourrons opposer qu’en certains endroits la mission des 72 a été repoussée et qu’à cette attitude correspondent de sévères et divines sanctions. Mais ces sanctions qui va les mettre en œuvre ? Dieu, lors du jugement… c'est-à-dire dans très longtemps, ce qui fait que la liberté d’accepter ou de refuser demeure pour toujours. Dans les illustrations que Jésus propose, il y a du Satan, il y a des serpents et des scorpions, il y a des villes qui flambent, mais ce qui demeure, ce par quoi tout commence, et ce par quoi tout recommence, c’est l’annonce de l’évangile, et c’est donc la liberté.

           

            Voilà, cette méditations sur les 72 touche à sa fin, pour aujourd’hui. Méditation d’un évangile ramené à sa plus simple expression, proclamation et service du prochain, à son plus grand engagement, et à son plus bel accomplissement.

            Réjouissez-vous d’avoir part à cette tâche, et réjouissez-vous, car vos noms ont été inscrits dans les cieux.