samedi 30 avril 2022

En guerre avec Dieu (Jean 21,15-19 et Actes 5,27-41)

Jean 21

 15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime», et Jésus lui dit alors: «Pais mes agneaux.»

 16 Une seconde fois, Jésus lui dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime.» Jésus dit: «Sois le berger de mes brebis.»

 17 Une troisième fois, il dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois: «M'aimes-tu?», et il reprit: «Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime.» Et Jésus lui dit: «Pais mes brebis.

 18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas.»

 19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu; et après cette parole, il lui dit: «Suis-moi.»

Actes des Apôtres 5

27 Ils les amenèrent donc, les présentèrent au Sanhédrin et le Grand Prêtre les interrogea:

 28 «Nous vous avions formellement interdit, leur dit-il, d'enseigner ce nom-là, et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine; vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme!»

 29 Mais Pierre et les apôtres répondirent: «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

 30 Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous aviez exécuté en le pendant au bois.

 31 C'est lui que Dieu a exalté par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la conversion et le pardon des péchés.

 32 Nous sommes témoins de ces événements, nous et l'Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent.»

 33 Exaspérés par cette déclaration, ils envisagèrent de les faire mourir.

 34 Mais un homme se leva dans le Sanhédrin: c'était un Pharisien du nom de Gamaliel, un docteur de la Loi estimé de tout le peuple. Il ordonna de faire sortir un instant les prévenus,

 35 puis il déclara: «Israélites, prenez bien garde à ce que vous allez faire dans le cas de ces gens. 36 Ces derniers temps, on a vu surgir Theudas: il prétendait être quelqu'un et avait rallié environ quatre cents hommes; lui-même a été tué, tous ceux qui l'avaient suivi se sont débandés, et il n'en est rien resté.

 37 On a vu surgir ensuite Judas le Galiléen, à l'époque du recensement: il avait soulevé du monde à sa suite; lui aussi a péri, et tous ceux qui l'avaient suivi se sont dispersés.

 38 Alors, je vous le dis, ne vous occupez donc plus de ces gens et laissez-les aller! Si c'est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même;

 39 si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!» Se rangeant à son avis,

 40 ils rappelèrent les apôtres, les firent battre de verges et, après leur avoir enjoint de ne plus prononcer le nom de Jésus, ils les relâchèrent.

 41 Les apôtres quittèrent donc le Sanhédrin, tout heureux d'avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom.

Prédication

            Une remarque, pour commencer, sur la manière de choisir les textes bibliques, remarque sur l’évangile de Jean 21.19, qui se finit ainsi : « … et après cette parole, Jésus dit à Pierre, "Suis-moi". » L’extrait que nous avons lu s’arrête sur cet ordre. Dimanche prochain, autre texte… Et ainsi la figure qui domine la fin de l’évangile de Jean est la figure de Pierre, qui aime Jésus plus que tout, et plus que tous les autres, Pierre auquel est (donc) confié, par Jésus, le soin et la conduite de ses frères.

            Bien sûr, chacun peut donner foi à ces versets plus qu’à tous les autres, et considérer que la mission ainsi donnée à Pierre par le Ressuscité vaut aussi pour tous les successeurs de Pierre, pour les siècles des siècles. (Et si nous nous souvenons tout à coup que Jésus est un Fils d’Israël, et non pas un Fils d’Athènes, un hébreu plutôt qu’un gréco-latin, alors il nous faudra reconnaître que pour les siècles des siècles ne signifie pas toujours et quoi qu’il en soit, mais tant que sera vive la mémoire de l’alliance.) En attendant les siècles des siècles nous pouvons lire la suite du 21è chapitre de l’évangile de Jean, suite pour l’instant opportunément  coupée. Pierre est certainement tout à fait d’accord pour obéir à l’ordre de Jésus et pour endosser la responsabilité de ses frères, mais il a un problème et ce problème s’appelle Jean. Pierre fait volte-face et voit l’autre disciple – Jean – celui que Jésus aimait. Et Pierre, désignant Jean, demande à Jésus : « Et lui ? » Nous pouvons accentuer un peu le trait : « Et lui, alors ? » Et l’on se demander si vraiment Pierre qui aime Jésus plus que tous les autres aime aussi cet autre disciple ; on se demande si Pierre voit en ce disciple un frère, ou un concurrent.

            Même si, dans ce verset, Pierre se montre tout à fait inamical, Jésus, lui, ne prononce aucun jugement. Il fait part à Pierre de ce que Jean vivra, peut-être, jusqu’à son retour, et il renouvelle l’ordre déjà donné à Pierre : « Toi, suis-moi ! » Répéter, c’est fixer la notion, et Pierre est un berger tout à fait débutant.

            Mais même si ces quelques versets peuvent régler la question de la primauté de Pierre, il s’y passe autre chose. Jean vivrait – voire vivra – jusqu’au retour de Jésus ? Y aurait-il là la promesse d’un dernier croyant, comme il y a dans d’autres traditions la promesse du dernier des justes ? Pourquoi pas. Lorsque le monde, Églises comprises, serait devenu fou, il en resterait toujours un, quelque part, dernier disciple du Christ, dernier et premier à partir duquel tout pourrait recommencer…

            Il y a une troisième manière de comprendre ces versets, d’un côté ce que Pierre représente, et de l’autre côté ce que Jean représente. Pierre, représentant une Eglise ordonné, pyramidale, soudée par des structures réputées saintes et perpétuelles, gouvernée par un seul berger… et Jean de l’autre côté représentant une Eglise – ou des Églises – de dimensions modestes, soudées par une convergence des sentiments, par la convergence de l’amour. Et pour toujours, si nous comprenons ainsi l’évangile de Jean, ces deux formes de l’unique Église cohabiteront… pourvu qu’elles s’estiment… pourvu qu’elles s’aiment.

 

            Voilà. J’ai pensé que cette méditation sur l’évangile de Jean serait juste une méditation sur ce qu’est le texte biblique : juste une histoire qui a été recueillie et qu’on rapporte à des fins d’édification, ou une sorte de traité destiné à prouver que les formes et la prédication de l’Eglise doivent être ceci, et pas cela…

            Je pensais donc proposer une méditation introductive avant de lire et de commenter quelques phrases du chapitre cinq du livre des Actes. Mais l’introduction a pris un peu de volume. Ceci dit, les quelques phrases des Actes, les voici : 1. Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. (Qu’est-ce que cela signifie ?) 2. Si c’est des hommes que viennent la volonté et les entreprises des apôtres, cela disparaîtra ; mais si c’est de Dieu… (Que signifie venir des hommes, et venir de Dieu ?) 3. N’allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu (que signifie être en guerre avec Dieu ?).

            Ces phrases – ou expressions – ont-elles une signification propre, c'est-à-dire hors contexte ?

           

            Pierre et les apôtres prêchent – avec succès – dans le Temple. Libre prédication, c’était ainsi au moins jusqu’à un certain point. Mais ils prêchent au nom de Jésus, un homme que les dignitaires du Temple ont assassiné. Ils prêchent la résurrection et la miséricorde divine. Les dignitaires du Temple entendent dans cette prédication une accusation portée contre eux.

            Aux dignitaires qui leur interdisent pour la seconde fois de prêcher le nom de Jésus, les Apôtres répliquent « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Ils reconnaissent en cela avoir désobéi et reconnaissent aussi leur intention de continuer à désobéir, et donc de continuer à prêcher au nom de Jésus Christ. Et cela c’est simplement le récit. Mais la phrase, en elle-même, signifie-t-elle quelque chose ? D’un côté, les apôtres, qui revendiquent leur droit de prêcher, sans aucunement revendiquer un droit exclusif. De l’autre côté, les autorités du Temple qui, elles, entendent bien se débarrasser des apôtres et de ce qu’ils prêchent. Et, voyez-vous, tous pourraient bien dire qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Sauf que certains pensent qu’ils sont les seuls à obéir à Dieu, et ils s’arrogent à ce titre tous les droits, dont vie ou mort. Notre génération le sait bien, les égorgeurs affirment qu’ils obéissent à Dieu plutôt qu’aux hommes. Alors, quel est le lieu où l’on obéit à Dieu plutôt qu’aux hommes ? Là où l’on reconnaît que d’autres peuvent vivre, croire et prier autrement que nous-mêmes, là où l’on n’est pas discriminé en raison de son sexe, ou de la couleur de sa peau, là où l’on est concrètement sœurs et frères… là on a probablement compris qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Et alors là aussi la prédication des apôtres n’est pas un parement mais une éthique responsable. Et ce qui est alors prêché c’est que des conversions sont possibles, et que Dieu pardonne.

            C’est dans ce sens que prêchent et œuvrent les apôtres, c’est aussi dans ce sens qu’ils sont détestés et que les dignitaires du Temple veulent les mettre à mort. Cependant, mettre les gens à mort, ça ne suffit pas toujours pour effacer leurs idées. Si c’est des hommes que viennent leur volonté et leur entreprise, cela disparaîtra ; mais si c’est de Dieu… Nous savons déjà que les œuvres et la volonté des apôtres passeront ce moment critique, celui de la confrontation avec les autorités religieuses de Jérusalem, mais nous savons aussi que le Temple sera détruit. Est-ce suffisant pour dire que le Temple était une entreprise humaine et que la prédication des apôtres était une entreprise divine ? Non. Car on peut toujours dire des choses pareilles et se prononcer ainsi doctement le lendemain sur les événements de la veille. Sauf que la question n’est pas hier, mais maintenant. Maintenant, ce que prêchent les apôtres, maintenant, ce que nous prêchons, est-ce des hommes, ou est-ce de Dieu ? La réponse à cette question d’actualité, nous l’avons abordée déjà. Va-t-on laisser aux gens, va-t-on affirmer que notre droit de vivre suppose et impose la discrimination, la persécution voire la destruction des autres ? Va-t-on au contraire leur laisser a minima le droit et la possibilité de vivre, et d’adorer ?

            Si les apôtres et leur prédication viennent de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître, dit le sage Pharisien Gamaliel. Et il ajoute : « n’allez pas risquer d’être trouvés en guerre avec Dieu. » C’est encore – troisième pour aujourd’hui, et dernière – une phrase qui trouve tout à fait bien sa place dans ce qui serait juste une histoire, parce qu’elle évoque justement un Dieu, un Monsieur Dieu courroucé parce qu’on porte atteinte à son saint projet (être en guerre contre Lui), et dont il est facile d’imaginer la réplique, sur le mode évidemment de la punition, d’un Dieu du ciel, éclairs à la main. On peut toujours faire ça. Mais être trouvé en guerre avec Dieu c’est, si nous comprenons bien, être en guerre avec l’idée que Dieu peut revêtir quantité de vêtements, que Dieu relève de quantité de manières de dire, dans le passé, dans le passé, et dans le futur, que Dieu est le souverain signe de l’humanité des hommes, que Dieu dure plus longtemps que Dieu, et que le désastre le plus absolu que puisse engendrer l’humanité n’exclut ni le pardon ni la conversion… et que de tout cela, de tout ce qu’est Dieu, les humains sont capables de parler, et ils sont capables de le mettre en œuvre, ensemble et pour le meilleur.

 

            Et comment finir cette méditation ? Notre méditation s’est un peu éloignée de l’histoire. Revenons à l’histoire. Et Gamaliel dit à ses collègues du Sanhédrin (Tribunal religieux suprême) : « N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!» Se rangeant à son avis, 40 ils rappelèrent les apôtres, les firent battre de verges et, après leur avoir ordonné de ne plus prononcer le nom de Jésus, ils les relâchèrent. 41 Les apôtres quittèrent donc le Sanhédrin, tout heureux d'avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom. »

            Tout heureux… il n’est pas de notre propos maintenant de discuter du martyre et des mérites du martyre. Nous ouvrons les yeux et sur la Bible, et sur le monde. Puissent aujourd’hui les humain vivre ensemble, réconciliés, frères, obéissant à Dieu, en paix avec Lui et les uns avec les autres. Amen.

samedi 23 avril 2022

Actes des Apôtres, quelle évangélisation ? (Actes 5,12-16)

 

Actes 5

12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. Ils se tenaient tous, unanimes, sous le Portique de Salomon,

 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux; le peuple faisait pourtant leur éloge,

 14 et des multitudes de plus en plus nombreuses d'hommes et de femmes se ralliaient, par la foi, au Seigneur.

 15 On en venait à sortir les malades dans les rues, on les plaçait sur des lits ou des civières, afin que Pierre, au passage, touche au moins l'un ou l'autre de son ombre.

 16 La multitude accourait aussi des localités voisines de Jérusalem, portant des malades et des gens que tourmentaient des esprits impurs, et tous étaient guéris.

Prédication : 

            Nous venons de lire un court extrait des Actes des Apôtres, 5 versets. Et dans ces 5 versets, il y a un fragment qui est, pour moi, essentiel.

            Avant de dire quel est ce fragment, j’en appelle à votre mémoire.

           

            Souvenez-vous, souvenons-nous. Au commencement des Actes des Apôtres, il y a les disciples de Jésus. Il y a Jésus ressuscité qui promet à ses disciples qu’une force viendra bientôt sur eux, une force avec laquelle ils deviendront témoins de l’Évangile, d’abord à Jérusalem, puis dans le reste d’Israël, puis à Rome, puis dans le monde entier.

            Le propos du livre des Actes des Apôtres est donc de rapporter ce qu’on peut appeler la première évangélisation du monde romain (à l’est de l’empire romain, il y avait un autre empire, l’empire parthe, mais dans la Bible nous n’avons pas de récit d’une première évangélisation de l’empire parthe).

            50 jours après Pâques, c’est Pentecôte, fête juive, Chavouot, fête du début de la moisson, et du don de la Loi, l’un des trois pèlerinages annuels au Temple, qui amène un monde fou à Jérusalem.

            C’est ce jour-là que s’accomplit la promesse faite par Jésus. L’esprit descend, ceux qui le reçoivent se mettent à parler des langues et autre idiomes qu’ils n’ont jamais appris, mais que comprennent les étrangers… L’esprit descend. Mais sur qui descend-il ? Nous pensons d’habitude à un groupe constitué des Apôtres et d’autres gens, hommes et femmes, qui les accompagnaient depuis plus ou moins longtemps. Mais en lisant, nous voyons que ceux qui reçoivent l’esprit sont des ils, ou eux, pronoms neutres, et nous pouvons tout à fait attacher le don de l’esprit aux seuls Apôtres, évoqués d’ailleurs, eux seuls, juste avant et juste après Pentecôte… Sur qui donc l’esprit descend-il à cette étape ? N’y aurait-il pas là, mal dissimulé, un privilège apostolique ? (nous laissons ça de côté pour l’instant).

            Retour au récit. Suite à ce tumulte, Pierre prend la parole et donne un beau discours, qui est en fait un beau catéchisme, catéchisme à la suite duquel trois mille personnes se convertissent, reçoivent le baptême, et rejoignent les rangs des Apôtres. Quant aux Apôtres eux-mêmes, ayant reçu l’esprit saint, ils se rangent pour l’heure silencieusement semble-t-il, derrière Pierre.

            (ce qui est étonnant, c’est que certains fragments des Actes mettent en scène Pierre seul, d’autres Pierre et Jean – avec préséance de Pierre – et d’autres les Apôtres, de manière collégiale ; et c’est donc, pour le lecteur, comme si l’unité, et l’unanimité, des Apôtres, et donc de l’Eglise, n’allaient absolument pas de soi ; c’est comme si la supériorité et la primauté de Pierre faisaient l’objet de discussions, voire de disputes ; nous allons revenir là-dessus).

 

            Et maintenant, relisons, Actes 5 « 12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. Ils se tenaient tous, unanimes, sous le Portique de Salomon, 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux; le peuple faisait pourtant leur éloge, 14 et des multitudes de plus en plus nombreuses d'hommes et de femmes se ralliaient, par la foi, au Seigneur. »

            De ces trois versets nous retenons ceci : « Mais personne d’autre n’osait s’agréger à eux » Eux, ce sont les Apôtres. Nous avons déjà parlé de la possible première communauté chrétienne, et de ceux qui la composaient. Mais nous n’avons pas pris le temps de nous rappeler que, pour que cette communauté vive, tous les biens étaient mis en commun… Un engagement considérable. Nous n’avons pas non plus pris le temps de nous rappeler un épisode dérangeant, celui d’un homme, Ananias, et de sa femme, Saphira qui, membres de la première communauté apostolique, avaient vendu un champ et qui, d’un commun accord, n’avaient pas fait don à la communauté de l’intégralité du produit de la vente… Pierre, extra lucide et super puissant, les ayant confondus, l’homme et la femme furent foudroyés sur place.

            Et là, le lecteur s’inquiète, car devenir membre de cette communauté s’avère être tout à coup extrêmement exigeant et extrêmement dangereux. Et c’est donc tout comme nous avons lu, et comme nous lisons encore : « 12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. (…) 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux ; le peuple faisait pourtant leur éloge (…) »       Seriez-vous, sœurs et frères, devenu membres d’une communauté exigeant l’assiduité, l’unité, l’unanimité, la soumission et la pauvreté, le tout sous peine de mort ? Personne d’autre n’osait s’agréger à eux. On parle ici des Apôtres, même si l’ombre de Pierre n’est pas loin.  En tout cas, les gens se détournent…

            Ils se détournent des Apôtres, au profit manifestement d’un autre mode de vie communautaire.  Ils se rassemblaient et se ralliaient, par la foi, au Seigneur (par la foi et non par le catéchisme). Ce qui signifie qu’ils avaient confiance dans le fait que quelque chose de bon pouvait leur arriver, de la part du Seigneur – entendons miraculeusement – au passage de tel apôtre, surtout Pierre – mais que de l’enseignement des Apôtres ils ne voulaient pas, tout comme ils ne voulaient pas de l’engagement des Apôtres.

            Que devient alors l’évangélisation ? Les Apôtres sont off… Ne reste que l’évangélisation de l’ombre de Pierre. « 15 On en venait à sortir les malades dans les rues, on les plaçait sur des lits ou des civières, afin que Pierre, en passant, touche au moins l'un ou l'autre de son ombre. » Et ça marche. «  16 La multitude accourait aussi des localités voisines de Jérusalem, portant des malades et des gens que tourmentaient des esprits impurs, et tous étaient guéris. »

 

            Et, dans le livres des Actes, toute une discussion va être menée, à savoir quel modèle communautaire – disons ecclésiastique – sera privilégié. Soit le modèle historique,  apostolique, son enseignement, sa discipline, son autorité et sa hiérarchie, ou un modèle spontané qui voit les communautés se former sur le mode d’une joie extraordinaire, dont on partage l’attente et la venue.

 

            … mais personne n’osait s’agréger à eux. C’est le bout de verset dont je souhaitais parler. Il trace une sorte de frontière, entre une foi qui pourrait être professée, mais pas vécue, et une foi qui ne pourrait être que vécue, mais pas professée.

            Je me souviens d’un cours d’histoire ancienne qui portait le titre « Orthodoxie et hérésies » (orthodoxie ne désigne pas ici les chrétiens orientaux mais les confessions de foi reçues unanimement dans les premiers siècles de l’ère chrétienne). Un cours passionnant, parce que l’enseignant avait introduit l’idée que ce qu’on professe – la confession de foi – c’est ce qu’on vit, et qu’il faut que la foi qu’on professe ne soit pas réservée à des champions (ascètes, vivant au fond du désert, ou perchés au sommet d’une colonne…), mais reste en somme vivable pour le plus grand nombre. En conséquence de quoi, disait-il, l’orthodoxie n’est pas une doctrine qui aurait été brutalement imposée, mais une proposition de vie qui aurait été laborieusement élaborée, avec le souci du peuple, des petites gens et des grandes personnes. L’orthodoxie serait donc le beau fil de la fraternité.

            Nous pourrons essayer de nous en souvenir lorsque, dans quelques instants, nous lirons le Symbole des Apôtres. Amen. 



samedi 16 avril 2022

Il est ressuscité, on n'a jamais parlé d'autre chose que de ça (Jean 20,1-9 ; Colossiens 3,1-4 ; Actes 10,34-43)

Jean 20

1 Le premier jour de la semaine, à l'aube, alors qu'il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau.

 2 Elle court, rejoint Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit: «On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis.»

 3 Alors Pierre sortit, ainsi que l'autre disciple, et ils allèrent au tombeau.

 4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.

 5 Il se penche et voit les bandelettes qui étaient posées là. Toutefois il n'entra pas.

 6 Arrive, à son tour, Simon-Pierre qui le suivait; il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là

 7 et le linge qui avait recouvert la tête; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit.

 8 C'est alors que l'autre disciple, celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau; il vit et il crut.

 9 En effet, ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les morts.


Actes 10

34 Alors Pierre ouvrit la bouche et dit: «Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial,

 35 et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui.

 36 Son message, il l'a envoyé aux Israélites: la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous les hommes.

 37 «Vous le savez. L'événement a gagné la Judée entière; il a commencé par la Galilée, après le baptême que proclamait Jean;

 38 ce Jésus issu de Nazareth, vous savez comment Dieu lui a conféré l'onction d'Esprit Saint et de puissance; il est passé partout en bienfaiteur, il guérissait tous ceux que le diable tenait asservis, car Dieu était avec lui.

 39 «Et nous autres sommes témoins de toute son oeuvre sur le territoire des Juifs comme à Jérusalem. Lui qu'ils ont supprimé en le pendant au bois,

 40 Dieu l'a ressuscité le troisième jour, et il lui a donné de manifester sa présence,

 41 non pas au peuple en général, mais bien à des témoins nommés d'avance par Dieu, à nous qui avons mangé avec lui et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts.

 42 Enfin, il nous a prescrit de proclamer au peuple et de porter ce témoignage: c'est lui que Dieu a désigné comme juge des vivants et des morts;

 43 c'est à lui que tous les prophètes rendent le témoignage que voici: le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi.»

Colossiens 3

1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu;

 2 c'est en haut qu'est votre but, non sur la terre.

 3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.

 4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.            Pâques, résurrection, Jésus s’est relevé d’entre les morts, pour le dire à la manière de l’évangile de Jean.

Prédication            

Les textes qui nous sont offerts aujourd'hui constituent un riche bouquet ; échantillon de ce bouquet :

- la résurrection selon Jean (une partie seulement) pour savoir qui fut le premier croyant,

- une question dans les Actes : qui peut être légitimement prédicateur de la bonne nouvelle de la résurrection (une discussion serrée à la manière de Luc, auteur des Actes des Apôtres) (de Actes 10, je retrouve les notes d’une étude biblique de mars 2019, qui dut être passionnée) (comme ont été passionnées, au 16ème siècle, les discussions de nos pères de la Réforme sur ce sujet : qui peut légitimement prêcher, juger, et absoudre),

- comment doit vivre celui qui croit en la résurrection (à la manière assez mystique de l’épître aux Colossiens) (et avec l’un des verbes les plus difficiles à traduire de toute la Bible),

- et puis ceci « c’est à lui que tous les Prophètes rendent le témoignage que voici "le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi" et « ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. »

            Ce qui fait une sorte de bouquet de quatre fleurs, quatre roses rouges dans un merveilleux vase de cristal, pour parler de la résurrection. Chacune de ces roses a ses propres nuances de rouge, et pourrait connaître de multiples descriptions. Parlons ce matin de l’Écriture, et des Prophètes.

           

            Et commençons par l’Écriture, celle selon laquelle « Jésus devait se relever d'entre les morts ». Il semble qu’il n’y ait aucun doute sur l’existence d’une telle Écriture, et il semble aussi qu’il n’y ait aucun doute sur ce que cette Écriture apporte. Ce qu’apporte cette Écriture, c’est que Jésus doit se relever d’entre les morts. Et, bien sûr, chacun pourra ouvrir sa Bible et chercher où il est écrit que Jésus doit se relever d’entre les morts. Se relever d’entre les morts, c’est l’expression qu’emploie l’évangile de Jean pour dire ressusciter (ressusciter, resurgere, c’est un verbe latin qui connaîtra une grande postérité, et qui alimentera, en devenant le nom résurrection, le passage du verbe au substantif, et, pour le dire le plus simplement possible, le passage de l’événement au dogme ; et par dogme nous entendons ici une obligation de croire).

            Que Jésus, couché parmi les morts, se relève d’entre les morts, et qu’une Écriture le dise, cela ne fait aucun doute pour l’auteur de l’évangile de Jean. Et c’est très étonnant. Quelle Écriture ? Nous ouvrons nos concordances, et nous regardons bien dans les marges des éditions savantes du Nouveau Testament. Et nous trouvons des références de versets, quelque chose que d’autres ont pensé avant nous. Mais en même temps que nous que nous découvrons ces références, nous trouvons une question : se relever d’entre les morts, est-ce que cela se ramène à la correspondance entre deux versets, l’un plus ancien que l’autre ? Peut-être bien – et ne boudons pas sur ces versets. Le réconfort (le réconfort, mais peut-être pas la satisfaction) que peut apporter une simple recherche, une simple méditation de la Bible, n’est pas à rejeter. C’est possible – ainsi en a voulu notre Dieu – et le négliger, pire, le rejeter, serait une grave offense faite à Dieu (nous le disons avec Calvin).

            Et donc, que Jésus doive se relever d’entre les morts, cela est établi par certaine Écriture (singulier ou pluriel), et cela ne fait pas de doute pour l’auteur de l’évangile de Jean (je me demande toujours s’il faut dire l’auteur uniquement, ou l’auteur et les copistes, copistes qui se sont souvent pris pour des auteurs, alors qu’on ne leur demandait que de copier). Pas de doutes pour l’auteur, pas de doutes non plus s’agissant de l’Écriture pour deux personnages au moins, Pierre et Jean… mais ils n’avaient pas compris que Jésus devait se relever d’entre les morts.

            Jésus, donc, devait se relever d’entre les morts. Il devait… c’est le verbe devoir, à l’imparfait, qui est un temps du passé. Il le devait, il l’a fait, il ne le doit plus, il est ressuscité, et Alléluia ! Mais en interrogeant les traducteurs, on sent qu’il y a une hésitation… et l’on finit par se rendre compte que le verbe devoir n’est pas à l’imparfait, mais au présent. Au présent donc, selon l’Écriture, Jésus doit se relever d’entre les morts.

            Et voici donc où en sont les disciples que nous sommes : aujourd’hui  (Vincennes, 17 avril 2022), l’Écriture l’affirme, Jésus doit se relever d’entre les morts. Comprenons-nous cela ? Cet incroyable événement, c’est à lui qu’il incombe de l’accomplir. La responsabilité des relevailles de Jésus lui incombe totalement. C’est même un devoir perpétuel. C’est un devoir au bénéfice duquel s’est trouvé, se trouve et se trouvera chaque croyant.

            Et lorsque nous nous demandons (ou demanderons) quel est ce bénéfice, nous pouvons nous souvenir de Pierre et Jean et du spectacle de leur course au tombeau, ça commence toujours dans un certain affolement, avant que l’on jouisse d’un bénéfice de joie et de sérénité, un bénéfice dont on ne sait vraiment jamais exactement d’où il vient.

            Ainsi donc en est-il de Jésus qui, selon l’Écriture, doit se relever d’entre les morts.

           

             Tout ceci jusqu’à présent sur l’Écriture (au singulier), mais ajoutons quelques mots sur tous les Prophètes.

            Tous les Prophètes, entendons d’abord les trois grands livres que sont Ésaïe, Jérémie, et Ezéchiel, plus les 12 petits, ainsi (dans certaines classifications) que Josué, Juges, Samuel (1 et 2) et Rois (1 et 2)… un ensemble considérable de 21 livres donc l’auteur des Actes des Apôtres a l’audace de dire que tous rendent le même témoignage : « Le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi. » Ici, les verbes sont au présent… Ce qui nous intéresse, plus que ce présent, et plus que le message, c’est qu’il soit affirmé que le chœur de ces 21 livres est intégralement engagé dans cette unique proclamation.

            Sur une durée de 8 à 9 siècles, il n’y aurait pas eu, sur le fond, d’autre affirmation, d’autre leçon à retenir que « Le pardon des péchés est accordé par son Nom à quiconque met en lui sa foi. » Rien d’autre à retenir, selon Luc. Le message a ainsi circulé. Est-ce parce que les gens ont cru que l’aventure de ce peuple ne s’est achevée et que son espérance, non contente de ne pas s’éteindre, est allée se chercher des fidèles ailleurs et parmi les nations ? Non. Il y a là infiniment plus que la foi des gens.

            Il y a là, une fois encore, des phrases au présent. Il y a là l’infini d’une proclamation, infini auquel répond l’infini de l’espérance, et l’infini de la paix.

            Puissions-nous goûter à ces infinis.




samedi 9 avril 2022

Dimanche des Rameaux, parlons un peu des pierres (Luc 19,28-40)

Luc 19

28 Sur ces mots, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem.

 29 Or, quand il approcha de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont dit des Oliviers, il envoya deux disciples

 30 en leur disant: «Allez au village qui est en face; en y entrant, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a jamais monté. Détachez-le et amenez-le.

 31 Et si quelqu'un vous demande: ‹Pourquoi le détachez-vous?› vous répondrez: ‹Parce que le Seigneur en a besoin.› »

 32 Les envoyés partirent et trouvèrent les choses comme Jésus leur avait dit.

 33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent: «Pourquoi détachez-vous cet ânon?»

 34 Ils répondirent: «Parce que le Seigneur en a besoin.»

 35 Ils amenèrent alors la bête à Jésus, puis jetant sur elle leurs vêtements, ils firent monter Jésus;

 36 et à mesure qu'il avançait, ils étendaient leurs vêtements sur la route.

 37 Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers, quand tous les disciples en masse, remplis de joie, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus.

 38 Ils disaient: «Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux!»

 39 Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus: «Maître, reprends tes disciples!»

 40 Il répondit: «Je vous le dis: si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront.»

Prédication

                        Ainsi donc, les disciples de Jésus, entendons au moins une petite foule, étaient tout à la joie, une joie bruyante et liturgique, alors qu’ils participaient à cette procession.

            Cette procession obéissait aux codes en vigueur. C’était une procession royale. Royale dans le sens politique, royale dans le sens religieux. Certes, en ce temps-là début du 1er siècle de notre ère, le pouvoir religieux et le pouvoir politique étaient séparés, mais une certaine espérance subsistait dans les Prophètes et dans des littératures parlant de fin des temps, subsistait aussi sous cette même forme dans certains enseignements de Jésus, et aussi dans sa manière d’opérer des guérisons…

            Toutes ces raisons expliquant pourquoi ceux qui accompagnaient Jésus ont rendu grâce presque comme l’avaient fait les anges du ciel, à Bethléem, à l’occasion de sa naissance.

            Et nous nous disons que c’est peut-être cela, l’accomplissement de l’Évangile : que les chants de joie des anges du ciel deviennent les chants de joie des hommes ici- bas.

            Peut-être est-ce la signification de cet épisode. Peut-être est-ce au moins l’espérance qu’il proclame.

 

            Mais – il y a un mais – du milieu de la foule, s’élèvent les voix de quelques Pharisiens demandant à Jésus de réprimander ses disciples, entendons qu’il les fasse taire. Pour quelle raison les disciples devraient-ils se taire (et pour quelle raison devraient-ils taire la gloire de leur maître) ?

 

            Question politique

            Nous devons d’abord penser à Jérusalem sous occupation romaine et sous gouvernement fantoche. Et à Jérusalem, lieu du Temple, au moment où l’on doit célébrer la Pâque. Comme la Pâque est une fête de libération, elle peut, à n’importe quel moment, tourner à l’émeute. Et une émeute  peut parfaitement commencer là où se réunit une foule, même une petite foule qui s’échauffe… En cas d’émeute l’occupant romain sait comment ramener le calme (c’est bien dans l’évangile de Luc qu’on fait mention de « ces Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang au sang de leurs sacrifices…). Personne ne veut de ça. Et donc ces quelques Pharisiens qui se trouvent opportunément là appellent au calme. Question politique… Mais ça n’est pas tout.

 

            Question religieuse

            Jusqu’à maintenant, la compréhension que nous avons de l’intervention des Pharisiens n’exige  rien qui soit spécifiquement pharisien. D’autres qu’eux pourraient appeler à cette prudence.

            Bien sûr, la procession de Jésus est une procession politique, mais elle est aussi une procession religieuse. Elle emprunte une forme très particulière de la religion. Cette forme est une forme publique, une forme joyeuse. La foi s’y manifeste dans l’exultation. Et l’exultation se dit dans une forme simplissime.

            Est-ce la forme qui convient au message de Jésus ? Est-ce la forme qui convient à l’Évangile ? La question doit avoir une certaine pertinence. On la rencontre encore aujourd’hui.

            Et voyez-vous, au temps de Jésus, les Pharisiens – certains des Pharisiens – avaient déjà compris que l’aventure du Temple de Jérusalem – l’aventure aussi de la Ville, étaient sur le point de finir, et ils avaient commencé à envisager une autre forme de leur religion, une forme sans le temple et ses pompes, une forme fondée sur la réflexion et la pratique de la Loi de Moïse. Une forme en somme très discrète, silencieuse, sans tambours ni trompettes. Et cette forme nouvelle de là religion pouvait correspondre l’enseignement de Jésus en parabole, ou certains de ses discours en petit comité…

            Et donc ces Pharisiens-là (il y avait évidemment plusieurs écoles, mais il y en a qui…) demandent à Jésus de faire taire ses disciples, cette foule qui l’accompagne, et à laquelle ils appartiennent.

 

            Les pierres crieront

            Mais Jésus n’en a cure. La procession, il l’a voulue, il l’a organisée et il l’assume, et il l’assumera de plusieurs manières dont une réplique : « Si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront ! »

            Que les disciples et la petite foule des Rameaux puissent être réduits au silence, c’est clair. Ils peuvent se taire parce qu’ils sont fatigués de crier, ou parce qu’on leur a fait violence. Et c’est d’ailleurs, d’une certaine manière ce qui se produira entre Rameaux et Vendredi Saint. Mais, les pierres, est-ce que ça crie ?

            Lorsque le diable suggère à Jésus affamé par 40 jours de jeûne de transformer les pierres en pain, il s’agit de pierres sauvages, de pierres du désert. Et ces pierres-là désignent à la fois ce qui est le plus durable, mais aussi le plus inerte. Le plus durable et le plus inerte confrontés au Fils de Dieu.

            Que le Fils de Dieu puisse transformer les pierres en pain dit sa puissance et sa générosité. Mais nous savons que dans le cadre de sa première tentation, il n’accomplira pas cette transformation, préférant en fait la compagnie des hommes à celles des minéraux… Comme reste de cet épisode il y a ces pierres, abondantes et en grand désordre, qui sont la matière première de ce qui relie le monde, les humains et Dieu.

            Et voilà que ces pierres sont de retour dans le propos de Jésus. Si la foule se tait, les pierres crieront. Et pensons bien que les pierres se mettront à crier exactement ce que la foule criait. Voici comment leur monde est structuré : le minéral, le végétal, l’animal, l’humain, le juif, et le divin. Si le minéral se met à crier la louange et la gloire de Dieu, c’est la création toute entière qui se mettra à crier. Et rien ne l’arrêtera, tant il est vrai que si pour le faire taire vous retournez tout un tas de cailloux, ce tas de cailloux ne cessera pas de crier… La louange des pierres est plus robuste, plus pérenne nous l’avons dit, que celles des humains.

            Mais à Jérusalem, il y a d’autres pierres encore, celles de la muraille, celles de la ville et celles du Temple, pierres dont Jésus est sur le point de dire qu’il ne restera « pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas reconnu le temps où tu as été visitée.» Ce qui n’est pas une menace – la destruction de la ville n’est pas une punition divine ; et que punirait-elle, d’ailleurs ? – ce qui n’est pas une menace mais un constat. Que reste-il du temple lorsque les pierres du temple sont brisées et culbutées ? A celui qui aura reconnu en ces pierres le signe et le symbole de la divine présent il importera finalement peu qu’elles soient intègres et debout, ou brisées et culbutées, parce que ces débris, parce que cette poussière, ne cesseront pas de parler.

            Et alors la louange des pierres, de toutes les pierres, sera louange de Dieu : les pierres crieront.

 

            Revenons un instant au dimanche des Rameaux. Les pierres crient lorsque les humains cessent de rendre gloire à Dieu. Imaginons donc que nous pourrions, à la fin, appeler le dimanche des Rameaux le dimanche des pierres. A la fin du culte de ce dimanche là nous pourrions recevoir chacun une petite pierre qui pourrait nous accompagner, et être le baromètre de notre louange. Elle accompagnerait silencieusement notre louange, et donnerait de la voix si nous nous oubliions. Mais c’est juste une idée un peu fantaisiste. Sœurs et frères, pour cette entrée dans la Semaine Sainte, rendons grâces à Dieu, et qu’à lui aille notre louange. Amen

             

samedi 2 avril 2022

Jésus sauve une femme (Jean 8,1-11) Pitié pour les femmes !


 Jean 8

1 Et Jésus gagna le mont des Oliviers.

2 Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner.

3 Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu'on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe.

4 «Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère.

5 Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu?»

6 Ils parlaient ainsi dans l'intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol.

7 Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit: «Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre.»

8 Et s'inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol.

9 Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle,

10 Jésus se redressa et lui dit: «Femme, où sont-ils donc? Personne ne t'a condamnée?»

11 Elle répondit: «Personne, Seigneur», et Jésus lui dit: «Moi non plus, je ne te condamne pas: va, et désormais ne pèche plus.»

Prédication

            La réplique est fameuse. « Celui qui est, parmi vous, sans péché, qu’il lui jette le premier la pierre. » La réplique est efficace, puisque les accusateurs – bourreaux – renoncent à leur sinistre dessein et s’en vont.

            Mais cette réplique si efficace, d’où vient-elle ?

 

            Première piste.

            D’où vient la réplique de Jésus ? La réplique vient de Jésus, produit de son propre génie. A ce moment de sa discussion critique avec les humains, l’homme Jésus est capable d’une cinglante répartie (c’est peut-être dans l’évangile de Jean que Jésus est le plus capable de ce genre de répartie, peut-être parce qu’il y est La Parole).

            Ce qui donne une interprétation finalement très séculière de l’événement. Il parle et la femme est sauvée, ce qui est l’essentiel.

            Tout le reste est dérisoire. Mais même si tout le reste est dérisoire, il nous faut explorer ce reste.

 

            Deuxième piste

            D’où vient la réplique de Jésus ? (c’est la même question) Mais pour y répondre, commençons par une autre question. La condamnation de la femme, d’où vient-elle ? Elle vient de la Loi, elle vient de Moïse, comme ils disent ; aujourd’hui nous dirions Lévitique 20,10 ou Deutéronome 22,22-24. Sauf que ces commandements ne parlent pas de la femme seulement, mais de la femme et de l’homme. Or, dans le procès expéditif auquel nous assistons, l’homme n’y est pas. Est-ce respecter le commandement que de mettre la femme à mort pendant que l’homme court encore ? Cette subtilité ne semble pas avoir effleuré les accusateurs… ces gens-là sont toujours mille fois plus sévères contre les femmes, qu’ils condamnent, que contre les hommes, qu’ils absolvent, et c’est encore le cas aujourd’hui.

            Ceci dit Jésus parvient à arrêter les bras assassins, et il nous semble que c’est Loi contre Loi, commandement contre commandement.

            Allons-nous trouver le commandement dont Jésus se réclame ? Nous nous précipitons sur notre concordance… mais sous les références liées à adultère, nous ne trouvons rien qui suspende le geste vengeur. Nous n’avons pas ça dans notre Loi écrite de Moïse, cinq premiers livrets de notre Bible devant l’océan de la Loi orale de Moïse, sans parler des probables milliers de leçons qui ont été perdues… Et donc les accusateurs gagnent.

            Cependant, il est vain de chercher à tout propos une concordance littérale, comme si le mot et la chose étaient toujours et à jamais identiques.

            Que cette concordance littérale n’existe pas n’empêche pas que le débat soit un débat à l’intérieur même de la Loi.

            Prenons un exemple, dans le livre du Lévitique, au chapitre 20, qui est celui dont se réclament les accusateurs de la femme. C’est vraiment un chapitre dans lequel éclate l’obsession de sainteté (de pureté, rituelle, sociale, etc.) qui a habité l’esprit de certains auteurs religieux de l’ancien Israël : pour presque tous les écarts, la peine est toujours la même, la mort. Mais dans ce sinistre catalogue, il vient ceci : « 7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu. 8 Gardez mes lois et mettez-les en pratique. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie. » Alors, nul doute qu’il ne faille respecter et faire respecter les lois, et que cela ne peut pas nuire à la bonne santé du corps social, mais quant à les mettre en œuvre littéralement, c’est une toute autre chose. Est-ce qu’on sanctifie le corps social en multipliant les mises à mort ? Réponse : C’est Dieu et Dieu seul qui sanctifie. La fin – finale – de la Loi lui appartient. Et ceux qui, au nom de Dieu, mettraient à mort la femme adultère – et tous les autres – prendraient à Dieu ce qui n’appartient qu’à Lui. De fait ils se prendraient pour Lui, ce qui est au moins un péché, voire un blasphème.

            Seulement, les bras déjà armés de pierres ont-ils des oreilles pour entendre  un vague reste de sentiment humain, pour entendre la voix implorante d’une malheureuse femme ?

            Si nous faisons l’hypothèse que ces bras armés de pierres avaient un rien, un soupçon de conscience de ce qu’ils faisaient, alors, peut-être que la répartie de Jésus les rappelle à leur conscience pécheresse : prétendre être autorisé à jeter la pierre est en soi un péché. Et alors ils se retirent… et la femme est sauvée. Et nous en revenons à l’essentiel. En ayant peut-être un peu mieux compris.

 

            Troisième piste.

            La répartie de Jésus suffit à sauver cette femme, mais même si, en méditant ce récit et son commentaire nous ouvrons nos esprit à une forme toute pratique de la miséricorde chrétienne, le salut de cette femme est un salut tout littéraire. Ça se passe dans la Bible et dans nos têtes.

            Et pendant ce temps-là, ces messieurs décident que les écoles ne seront pas ouvertes aux filles, et que sans un chaperon, les femmes ne prendront pas l’avion. Nous pressentons que la créativité de ces messieurs sera sans limites… Mais qu’y pouvons-nous ?

            Quelque chose peut sortir de nous. Chose dérisoire, et pourtant essentielle. Nous n’avons peut-être pas la répartie de Jésus de Nazareth pour trouver la phrase qui sauve, ni celle qui change le monde. Mais il y a, mais il reste notre prière. Nous pouvons, et nous pourrons, toujours prier.

            Puisse le Seigneur rendre justice à toutes les femmes