samedi 30 avril 2022

En guerre avec Dieu (Jean 21,15-19 et Actes 5,27-41)

Jean 21

 15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime», et Jésus lui dit alors: «Pais mes agneaux.»

 16 Une seconde fois, Jésus lui dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime.» Jésus dit: «Sois le berger de mes brebis.»

 17 Une troisième fois, il dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois: «M'aimes-tu?», et il reprit: «Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime.» Et Jésus lui dit: «Pais mes brebis.

 18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas.»

 19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu; et après cette parole, il lui dit: «Suis-moi.»

Actes des Apôtres 5

27 Ils les amenèrent donc, les présentèrent au Sanhédrin et le Grand Prêtre les interrogea:

 28 «Nous vous avions formellement interdit, leur dit-il, d'enseigner ce nom-là, et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine; vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme!»

 29 Mais Pierre et les apôtres répondirent: «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

 30 Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous aviez exécuté en le pendant au bois.

 31 C'est lui que Dieu a exalté par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la conversion et le pardon des péchés.

 32 Nous sommes témoins de ces événements, nous et l'Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent.»

 33 Exaspérés par cette déclaration, ils envisagèrent de les faire mourir.

 34 Mais un homme se leva dans le Sanhédrin: c'était un Pharisien du nom de Gamaliel, un docteur de la Loi estimé de tout le peuple. Il ordonna de faire sortir un instant les prévenus,

 35 puis il déclara: «Israélites, prenez bien garde à ce que vous allez faire dans le cas de ces gens. 36 Ces derniers temps, on a vu surgir Theudas: il prétendait être quelqu'un et avait rallié environ quatre cents hommes; lui-même a été tué, tous ceux qui l'avaient suivi se sont débandés, et il n'en est rien resté.

 37 On a vu surgir ensuite Judas le Galiléen, à l'époque du recensement: il avait soulevé du monde à sa suite; lui aussi a péri, et tous ceux qui l'avaient suivi se sont dispersés.

 38 Alors, je vous le dis, ne vous occupez donc plus de ces gens et laissez-les aller! Si c'est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même;

 39 si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!» Se rangeant à son avis,

 40 ils rappelèrent les apôtres, les firent battre de verges et, après leur avoir enjoint de ne plus prononcer le nom de Jésus, ils les relâchèrent.

 41 Les apôtres quittèrent donc le Sanhédrin, tout heureux d'avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom.

Prédication

            Une remarque, pour commencer, sur la manière de choisir les textes bibliques, remarque sur l’évangile de Jean 21.19, qui se finit ainsi : « … et après cette parole, Jésus dit à Pierre, "Suis-moi". » L’extrait que nous avons lu s’arrête sur cet ordre. Dimanche prochain, autre texte… Et ainsi la figure qui domine la fin de l’évangile de Jean est la figure de Pierre, qui aime Jésus plus que tout, et plus que tous les autres, Pierre auquel est (donc) confié, par Jésus, le soin et la conduite de ses frères.

            Bien sûr, chacun peut donner foi à ces versets plus qu’à tous les autres, et considérer que la mission ainsi donnée à Pierre par le Ressuscité vaut aussi pour tous les successeurs de Pierre, pour les siècles des siècles. (Et si nous nous souvenons tout à coup que Jésus est un Fils d’Israël, et non pas un Fils d’Athènes, un hébreu plutôt qu’un gréco-latin, alors il nous faudra reconnaître que pour les siècles des siècles ne signifie pas toujours et quoi qu’il en soit, mais tant que sera vive la mémoire de l’alliance.) En attendant les siècles des siècles nous pouvons lire la suite du 21è chapitre de l’évangile de Jean, suite pour l’instant opportunément  coupée. Pierre est certainement tout à fait d’accord pour obéir à l’ordre de Jésus et pour endosser la responsabilité de ses frères, mais il a un problème et ce problème s’appelle Jean. Pierre fait volte-face et voit l’autre disciple – Jean – celui que Jésus aimait. Et Pierre, désignant Jean, demande à Jésus : « Et lui ? » Nous pouvons accentuer un peu le trait : « Et lui, alors ? » Et l’on se demander si vraiment Pierre qui aime Jésus plus que tous les autres aime aussi cet autre disciple ; on se demande si Pierre voit en ce disciple un frère, ou un concurrent.

            Même si, dans ce verset, Pierre se montre tout à fait inamical, Jésus, lui, ne prononce aucun jugement. Il fait part à Pierre de ce que Jean vivra, peut-être, jusqu’à son retour, et il renouvelle l’ordre déjà donné à Pierre : « Toi, suis-moi ! » Répéter, c’est fixer la notion, et Pierre est un berger tout à fait débutant.

            Mais même si ces quelques versets peuvent régler la question de la primauté de Pierre, il s’y passe autre chose. Jean vivrait – voire vivra – jusqu’au retour de Jésus ? Y aurait-il là la promesse d’un dernier croyant, comme il y a dans d’autres traditions la promesse du dernier des justes ? Pourquoi pas. Lorsque le monde, Églises comprises, serait devenu fou, il en resterait toujours un, quelque part, dernier disciple du Christ, dernier et premier à partir duquel tout pourrait recommencer…

            Il y a une troisième manière de comprendre ces versets, d’un côté ce que Pierre représente, et de l’autre côté ce que Jean représente. Pierre, représentant une Eglise ordonné, pyramidale, soudée par des structures réputées saintes et perpétuelles, gouvernée par un seul berger… et Jean de l’autre côté représentant une Eglise – ou des Églises – de dimensions modestes, soudées par une convergence des sentiments, par la convergence de l’amour. Et pour toujours, si nous comprenons ainsi l’évangile de Jean, ces deux formes de l’unique Église cohabiteront… pourvu qu’elles s’estiment… pourvu qu’elles s’aiment.

 

            Voilà. J’ai pensé que cette méditation sur l’évangile de Jean serait juste une méditation sur ce qu’est le texte biblique : juste une histoire qui a été recueillie et qu’on rapporte à des fins d’édification, ou une sorte de traité destiné à prouver que les formes et la prédication de l’Eglise doivent être ceci, et pas cela…

            Je pensais donc proposer une méditation introductive avant de lire et de commenter quelques phrases du chapitre cinq du livre des Actes. Mais l’introduction a pris un peu de volume. Ceci dit, les quelques phrases des Actes, les voici : 1. Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. (Qu’est-ce que cela signifie ?) 2. Si c’est des hommes que viennent la volonté et les entreprises des apôtres, cela disparaîtra ; mais si c’est de Dieu… (Que signifie venir des hommes, et venir de Dieu ?) 3. N’allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu (que signifie être en guerre avec Dieu ?).

            Ces phrases – ou expressions – ont-elles une signification propre, c'est-à-dire hors contexte ?

           

            Pierre et les apôtres prêchent – avec succès – dans le Temple. Libre prédication, c’était ainsi au moins jusqu’à un certain point. Mais ils prêchent au nom de Jésus, un homme que les dignitaires du Temple ont assassiné. Ils prêchent la résurrection et la miséricorde divine. Les dignitaires du Temple entendent dans cette prédication une accusation portée contre eux.

            Aux dignitaires qui leur interdisent pour la seconde fois de prêcher le nom de Jésus, les Apôtres répliquent « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Ils reconnaissent en cela avoir désobéi et reconnaissent aussi leur intention de continuer à désobéir, et donc de continuer à prêcher au nom de Jésus Christ. Et cela c’est simplement le récit. Mais la phrase, en elle-même, signifie-t-elle quelque chose ? D’un côté, les apôtres, qui revendiquent leur droit de prêcher, sans aucunement revendiquer un droit exclusif. De l’autre côté, les autorités du Temple qui, elles, entendent bien se débarrasser des apôtres et de ce qu’ils prêchent. Et, voyez-vous, tous pourraient bien dire qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Sauf que certains pensent qu’ils sont les seuls à obéir à Dieu, et ils s’arrogent à ce titre tous les droits, dont vie ou mort. Notre génération le sait bien, les égorgeurs affirment qu’ils obéissent à Dieu plutôt qu’aux hommes. Alors, quel est le lieu où l’on obéit à Dieu plutôt qu’aux hommes ? Là où l’on reconnaît que d’autres peuvent vivre, croire et prier autrement que nous-mêmes, là où l’on n’est pas discriminé en raison de son sexe, ou de la couleur de sa peau, là où l’on est concrètement sœurs et frères… là on a probablement compris qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Et alors là aussi la prédication des apôtres n’est pas un parement mais une éthique responsable. Et ce qui est alors prêché c’est que des conversions sont possibles, et que Dieu pardonne.

            C’est dans ce sens que prêchent et œuvrent les apôtres, c’est aussi dans ce sens qu’ils sont détestés et que les dignitaires du Temple veulent les mettre à mort. Cependant, mettre les gens à mort, ça ne suffit pas toujours pour effacer leurs idées. Si c’est des hommes que viennent leur volonté et leur entreprise, cela disparaîtra ; mais si c’est de Dieu… Nous savons déjà que les œuvres et la volonté des apôtres passeront ce moment critique, celui de la confrontation avec les autorités religieuses de Jérusalem, mais nous savons aussi que le Temple sera détruit. Est-ce suffisant pour dire que le Temple était une entreprise humaine et que la prédication des apôtres était une entreprise divine ? Non. Car on peut toujours dire des choses pareilles et se prononcer ainsi doctement le lendemain sur les événements de la veille. Sauf que la question n’est pas hier, mais maintenant. Maintenant, ce que prêchent les apôtres, maintenant, ce que nous prêchons, est-ce des hommes, ou est-ce de Dieu ? La réponse à cette question d’actualité, nous l’avons abordée déjà. Va-t-on laisser aux gens, va-t-on affirmer que notre droit de vivre suppose et impose la discrimination, la persécution voire la destruction des autres ? Va-t-on au contraire leur laisser a minima le droit et la possibilité de vivre, et d’adorer ?

            Si les apôtres et leur prédication viennent de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître, dit le sage Pharisien Gamaliel. Et il ajoute : « n’allez pas risquer d’être trouvés en guerre avec Dieu. » C’est encore – troisième pour aujourd’hui, et dernière – une phrase qui trouve tout à fait bien sa place dans ce qui serait juste une histoire, parce qu’elle évoque justement un Dieu, un Monsieur Dieu courroucé parce qu’on porte atteinte à son saint projet (être en guerre contre Lui), et dont il est facile d’imaginer la réplique, sur le mode évidemment de la punition, d’un Dieu du ciel, éclairs à la main. On peut toujours faire ça. Mais être trouvé en guerre avec Dieu c’est, si nous comprenons bien, être en guerre avec l’idée que Dieu peut revêtir quantité de vêtements, que Dieu relève de quantité de manières de dire, dans le passé, dans le passé, et dans le futur, que Dieu est le souverain signe de l’humanité des hommes, que Dieu dure plus longtemps que Dieu, et que le désastre le plus absolu que puisse engendrer l’humanité n’exclut ni le pardon ni la conversion… et que de tout cela, de tout ce qu’est Dieu, les humains sont capables de parler, et ils sont capables de le mettre en œuvre, ensemble et pour le meilleur.

 

            Et comment finir cette méditation ? Notre méditation s’est un peu éloignée de l’histoire. Revenons à l’histoire. Et Gamaliel dit à ses collègues du Sanhédrin (Tribunal religieux suprême) : « N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu!» Se rangeant à son avis, 40 ils rappelèrent les apôtres, les firent battre de verges et, après leur avoir ordonné de ne plus prononcer le nom de Jésus, ils les relâchèrent. 41 Les apôtres quittèrent donc le Sanhédrin, tout heureux d'avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom. »

            Tout heureux… il n’est pas de notre propos maintenant de discuter du martyre et des mérites du martyre. Nous ouvrons les yeux et sur la Bible, et sur le monde. Puissent aujourd’hui les humain vivre ensemble, réconciliés, frères, obéissant à Dieu, en paix avec Lui et les uns avec les autres. Amen.