samedi 24 janvier 2015

Jean 4 (et tout ça pour un verre d'eau !) sans oublier Charlie

Je poursuis mes méditations sur Charlie. Et je vais les poursuivre encore un certain temps.


Je vais poursuivre encore un certain temps mes méditations sur Charlie parce que je sens que, tantôt, mais j'espère que ça ne viendra pas trop rapidement, la politesse, la prévenance, et la sympathie que l'on se témoigne depuis quelques temps, vont s'évaporer. Je les sens déjà évanescentes dans tel moment de la vie de mon Eglise. J'en entends et j'en lis qui, de nouveau, après un bien trop court silence, s'emparent de leurs Bibles et de leurs versets assassins et repartent, sabre au clair, baïonnette au canon, et que sais-je encore, mener la croisade, oui, la croisade contre l'abomination. C'est que le moment de l'effarement et de la sidération ne peut pas durer, surtout lorsqu'on pense que ce sont les autres qui ont fait ça... Quels autres ? Des autres que je ne suis évidemment pas, moi ! Je ne suis pas comme ces gens, moi. Je ne caricature pas ; et je ne tire pas. D'ailleurs, je suis contre les deux, disent-ils.

"Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère", aurait écrit Baudelaire. Un auteur à la moralité douteuse, assurément. Tout autant que François Villon... "Mais priez Dieu, que tous nous veuille absoudre !"

C'était la semaine de l'unité. Voici une méditation pour la semaine de l'unité. Il nous était proposé de lire le 4ème chapitre de l'évangile de Jean. En voici les premiers versets.

Jean 4
Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, 2 - à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples - 3 il quitta la Judée et regagna la Galilée. 4 Or il lui fallait traverser la Samarie.

5 C'est ainsi qu'il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, 6 là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C'était environ la sixième heure.

7 Arrive une femme de Samarie pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: «Donne-moi à boire.»
8 Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.
9 Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit: «Comment? Toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine!» Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains.

Prédication
            En lisant ce texte, nous sommes invités à réfléchir à deux questions : Sur quel chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ ? Quel chemin d’unité respecte vraiment notre diversité ?

            Alors nous devons commencer par nous souvenir que, dans l’évangile de Jean, Jésus prie son Père que tous soient un, pour que le monde croie. Mais c’est une prière et, qui plus est, une prière que Jésus lui-même prie, que le Père lui-même prie puisque Jésus et le Père, dans l’évangile de Jean, sont un. Si le Père lui-même prie qu’ils soient un, c’est que ça ne va pas de soi…
            Entre ceux qui se réclament du même Jésus-Christ, ça n’est jamais allé de soi. L’évangile de Jean en témoigne parfois douloureusement. Et pourquoi ? La réponse est dans le texte que nous lisons. Les disciples de Jean baptisent, et ceux de Jésus baptisent aussi. Pas de commentaires à faire… ça n’a guère changé depuis. On appose un signe sur le front d’un fidèle, on se choisit un nom, une couleur, un style et on ramène tout de l’identité chrétienne à ces misérables choix, quand ça n’est pas aux hasards de la naissance. Qui est né Samaritain est un chien, dirait un Juif, et réciproquement. Qui a choisi le Baptiste plutôt que Jésus est une erreur, diraient ceux qui ont choisi Jésus. Et ceux qui portent le turban, que sont-ils ?
            Ça se passe plutôt bien entre nous, ici, maintenant… et nous avons un peu compris qu’un véritable chemin d’unité doit respecter la diversité, tout comme l’unité du Père et du Fils dans l’évangile de Jean respecte la diversité du Père et du Fils. Mais il faut dire que nos chemins sont peu différents les uns des autres ; et qu’ils ont en commun de reconnaître pleinement la validité de la prédication du salut que nous formulons, les uns, les autres, chacun selon sa propre tradition et dans son propre style. Nous avons aussi en commun que nous ne confondons pas Dieu et les images de Dieu et que nous ne considérons pas comme sacralité à défendre les énoncés de la foi, les grands textes et les images et objets dont nous décorons nos lieux de culte… Et qu’il y a suffisamment de politesse entre nous pour ne pas nous attaquer gratuitement les uns aux autres.
            Alors nous pouvons, sur ces bases assez simples, assez dépouillées, et très exigeantes déjà, boire ensemble à la même source de la vie qu’est Jésus-Christ.

            Mais qu’en est-il du monde ? C’est bien la question qui nous est posée… le monde. Le monde qui ignore tout ou presque tout de nos rites et de nos symboles, le monde, pas forcément bienveillant, qui est plutôt porté à se méfier – et il n’a pas tort – de ceux qui professent ouvertement une religion, même chrétienne. Pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ, il faut lui proposer d’y boire, et vu l’état du monde, il faut que cette proposition soit la plus simple possible, infiniment simple.
            Ce que je chéris par-dessus tout, dans le récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, c’est l’extrême simplicité, l’extrême dépouillement même, de l’approche entre Jésus et cette femme. « Donne-moi à boire. » Il faudrait tout oublier sauf ça. Il faudrait oublier que les Samaritains et les Juifs se détestent, que les hommes dominent les femmes, que c’est à Jérusalem et nulle part ailleurs, que le salut vient de ceux-ci plutôt que d’autres. Il faudrait tout oublier et ne se souvenir que de ceci : Jésus qui est un homme, un Juif, un Dieu et saint, demande à boire à une anonyme Samaritaine, femme, non Juive, humaine et impure.
            Lorsqu’il s’agit de parler d’unité, ce ne sont pas les humains qui ont besoin de Dieu, mais Dieu qui a besoin des humains. Et si l’on ne commence pas par considérer l’unité de l’humanité, l’unité du genre humain, alors Dieu est piétiné, trahi, défait.

            Sur quel chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ ? Et quel chemin d’unité respecte vraiment notre diversité ?
            Le chemin sur lequel on considérera que nos cérémonies ne valent pas plus par elles-mêmes, et même moins, qu’un verre d’eau que quelqu’un demande et qu’un autre lui accorde. Le chemin sur lequel on considérera que le moindre des verres d’eau que quelqu’un demande et qu’un autre lui accorde vaut d’avantage que les traditions religieuses… les nôtres, évidemment, car on ne peut se prononcer ainsi que sur soi-même. On ne peut se dépouiller que de soi-même.

            Tel est le chemin… Bien entendu, nos grands énoncés demeurent, et nos cérémonies demeurent, mais juste comme manière, comme style, et comme don. Et un don, c’est fait pour être offert – nous avons cela à offrir. Et ceux à qui l’on offre ce don en font, puisque c’est un don, exactement ce qu’ils veulent en faire. C’est le chemin de la foi, un chemin d’offrande et de dépouillement.

Puissions-nous le suivre comme l’ont suivi notre Maître le premier, et ceux qui, pour de vrai, l’ont suivi.



dimanche 18 janvier 2015

Quels disciples pour quel maître ? (Jean 1,43-51)

Que mes lecteurs me pardonnent... je poursuis dans la veine du billet précédent. Et je cite La Croix (n°. 40088 du vendredi 16 janvier, p.6). C'est le Pape François qui cite son prédécesseur, le Pape Benoît XVI, évoquant l'existence d'une "mentalité post-positiviste, qui porte à croire que les religions sont une sorte de sous-culture, qu'elles sont tolérées mais peu de choses", et qui poursuit "cela est un héritage des Lumières", "Il y a des gens qui parlent mal des autres religions, les tournent en dérision, font de la religion des autres un jouet. Ce sont des gens qui provoquent."

Je ne suis pas suffisamment savant pour savoir ce que c'est une mentalité post-positiviste, et je vais épargner à mes lecteurs un développement là-dessus. Mais ce que je vois, c'est que, s'exprimant ainsi, le Pape - les Papes - cèdent à la tentation des religieux, tentation positiviste,  seconde tentation rapportée par l'évangile de Matthieu (4,4-7), troisième tentation rapportée par l'évangile de Luc (4,9-12), et qu'on peut énoncer ainsi : ce qu'un texte sacré écrit sur Dieu oblige Dieu et donne pouvoir aux humains sur leurs semblables.

Lorsque le Pape François dénonce en Charlie une mentalité post-positiviste, c'est qu'il considère, de fait, que les Religions doivent avoir pouvoir sur les humains et sur Dieu. Et que les humains devraient se conformer, pour la conduite de leur vie, et celle de leurs semblables, à ce qu'énoncent et prônent les textes qu'on dit sacrés. Se conformer ou disparaître, c'est l'alternative qu'il défend. Au fond, c'est l'autonomie et l'universalité de la raison, c'est l'héritage des Lumières, que le Pape vise, et pas le Pape seulement. Et en cela, c'est précisément comme une sous-culture qu'il présente les religions qu'il défend.

Pour en revenir aux tentations bibliques ci-dessus mentionnées, en les paraphrasant à peine, nul Dieu ne s'est interposé lorsque les "religieux" ont tiré. Nul miracle n'a eu lieu qui aurait prouvé que Dieu désapprouve, c'est donc que Dieu approuve. Et c'est précisément contre ce genre de raisonnement que les hommes des Lumières se sont levés.

Dieu serait donc dans le camp des plus forts et des plus rusés, et des mieux armés, et des plus intransigeants ? Le Pape François, au fond, que veut-il ? Hissé au sommet du dôme de la basilique Saint Pierre, à Rome, se jetterait-il d'en-haut devant la foule, parce qu'il est écrit... Evidemment non ! Alors pourquoi parle-t-il ainsi ? Un Christ qui aurait parlé comme le Pape François aurait-il fini sur la croix ?

Les religions sont indéfendables telles que, dans les propos ici rapportés, le Pape les présente et les défend. Mais ceux qui croient sont le trésor de l'humanité. 

Que mes lecteurs me pardonnent.

 Genèse 28
10 Jacob sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân.
11 Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu.
12 Il eut un songe: voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient et y descendaient.
(…)
16 Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria: «Vraiment, le SEIGNEUR est dans ce lieu, et moi je ne le savais pas!»

Jean 1
43 Le lendemain, Jésus résolut de gagner la Galilée. Il trouve Philippe et lui dit: «Suis-moi.»
44 Or, Philippe était de Bethsaïda, la ville d'André et de Pierre.
45 Il va trouver Nathanaël et lui dit: «Celui de qui il est écrit dans la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous l'avons trouvé: c'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth.»
46 - «De Nazareth, lui dit Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon?» Philippe lui dit: «Viens et vois.»
47 Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à son propos: «Voici un véritable Israélite en qui il n'est point de leurre
48 - «D'où me connais-tu?» lui dit Nathanaël; et Jésus de répondre: «Avant même que Philippe ne t'appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t'ai vu.»
49 Nathanaël reprit: «Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël.»
50 Jésus lui répondit: «Parce que je t'ai dit que je t'avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes.»
51 Et il ajouta: «En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme.»

Prédication : 
            Nos lectures bibliques du dimanche nous invitent à relire un récit dans lequel apparaissent pour la première fois des disciples de Jésus. C’est une lecture qui nous interpelle, au moment où certains ont mis à mort plusieurs de nos contemporains, en affirmant défendre l’honneur de leur prophète, c'est-à-dire en s’affirmant comme disciples.
A partir des quelques éléments du récit que l’évangile de Jean fait de l’appel des premiers disciples, nous pouvons construire une sorte de portrait et d’itinéraire du disciple, et peut-être aussi un peu du maître de ces disciples, en six remarques.

1. Au moment où nous prenons la lecture Jésus trouve Philippe, fait du hasard de la route, et donne à Philippe l’ordre de le suivre. C’est la première de nos remarques : la rencontre de Jésus se fait par hasard et il suffit au maître de donner un ordre. Oui, affirmons-nous, cela peut arriver. Oui, nous dirons certains, Jésus est venu à ma rencontre, il m’a parlé, a ordonné que je le suive et j’ai obéi. Nous n’avons rien à objecter à cela. Il faut écouter attentivement ceux qui nous font un tel récit. Peut-être même pouvons-nous envisager notre vie sous la forme d’un tel récit : il est venu à ma rencontre et m’a dit « Suis-moi ! ». Et peu importe le moment de cette interpellation. La vocation n’est jamais l’appel qu’on entend, mais la réponse qu’on donne à cet appel. Retenons ceci de cette première remarque, première facette d’un portrait et d’un itinéraire de disciple : Jésus nous trouve et nous appelle.

2. Ce qui est très frappant, juste après l’appel de Philippe, c’est que la réponse de Philippe est toute simple, ni gesticulation, ni emportements ; Philippe en appelle simplement un autre. Philippe qui a été trouvé par Jésus va trouver Nathanaël pour lui dire « nous l’avons trouvé ». Le geste fondamental de l’obéissance du disciple c’est l’appel d’un autre disciple, un appel tout simple, sans autre preuve à apporter qu’une sorte de joie sans arguments, avec juste une espérance dépouillée. Retenons ceci : le geste fondamental de l’obéissance du disciple de Jésus, facette de son portrait et moment de son parcours, c’est le témoignage, auprès d’un autre, de ce qu’on a trouvé et de l’espérance claire et simple qui accompagne cette trouvaille.

3. Philippe, à la fin de ces deux premières remarques, pourrait bien être une sorte de disciple idéal, celui qui se laisse très simplement appeler par Jésus et qui très simplement répond. Nous savons bien que ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Le disciple – futur disciple – déjà disciple – nous… celui qui est appelé est plein de préjugés. A l’extrême simplicité du témoignage qui lui est rendu, à la joie individuelle qui anime le témoin, Nathanaël  oppose quelque chose de grincheux et de globalisant : un préjugé. De Nazareth il ne peut rien sortir de bon ! Nathanaël en est là à l’instant où il est appelé, c’est ainsi. Un futur disciple, un disciple en chemin aussi, ça a des préjugés, des défauts, une histoire… et c’est avec cette histoire personnelle que le disciple est appelé, et c’est avec cette histoire aussi qu’il répond.
Nous noterons – retour de notre deuxième remarque – que Philippe ne s’engage dans aucune démonstration, dans aucune polémique. Il en reste à la simplicité de l’appel. Certes la vie du disciple peut bien être une vie dans laquelle l’étude trouve sa place, mais l’appel et le témoignage sont étrangers à toute démonstration savante. Philippe appelle Nathanaël avec la même simplicité qu’il a été, lui, appelé. « Viens et vois… »

4. Nathanaël donc répond simplement – tout comme Philippe avait simplement répondu – à un simple et pur appel. Et nous allons préciser encore la disposition d’esprit profonde à laquelle cela correspond. Quatrième remarque donc, en lisant ceci : « Voici un véritable Israëlite, en qui il n’est point de leurre. »  Que Jésus sache lire au cœur des hommes qu’il rencontre est une donnée de l’Evangile ; mais que veut-il dire ici ? Pensons un petit instant pêche à la ligne : le pêcheur, plus malin que le poisson, présente un leurre au poisson, le poisson, séduit, leurré, gobe ce leurre ; le poisson est capturé, extrait de son élément vital, et devient la chose du pêcheur ; le pêcheur est satisfait. Il n’y a point de leurre en Nathanaël, ce qui enrichit d’une nouvelle facette notre portrait de disciple : aucune volonté de séduire ou d’utiliser les faiblesses d’autrui pour le soumettre, aucune volonté de faire d’autrui sa chose. Le témoignage du disciple est une offre sans hameçon, un cadeau qui laisse libre.

5. Cependant, la vie du disciple n’est pas seulement la vie du pur et simple témoignage. Alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu, dit Jésus à Nathanaël. L’expression est bien connue en ce temps, et elle désigne ceux qui vouent une certaine part de leur vie à l’étude. Se tenir sous le figuier c’est certes se tenir sous l’arbre méditerranéen qui donne l’ombre la plus fraîche qui soit, mais c’est aussi se tenir sous l’arbre qui est le plus imprévisible qui soit. Le figuier ne donne du fruit que lorsque vient son temps de le donner, lorsqu’il en a décidé ainsi. Et donc, se tenir sous le figuier c’est certes s’adonner à l’étude des grands textes, mais s’y adonner dans une perspective gratuite, obstinée, et pleine d’espérance. Se tenir sous le figuier ça n’est pas étudier pour devenir seulement savant, ni pour devenir persuasif et puissant, mais pour nourrir l’espérance et pour devenir simple et sage. La vie du disciple est ainsi aussi une vie de recueillement et d’étude, de recueillement dans la grâce de l’étude.

Résumons : 1. A un moment de sa vie, le disciple est trouvé par Jésus qui lui adresse une injonction toute simple à laquelle, tout simplement, le disciple répond ; 2. Il répond tout aussi simplement à cette injonction en trouvant un autre disciple et en l’appelant, tout comme lui-même a été appelé ; 3. Mais le disciple est un être humain, portant un bagage d’idées toutes faites et de préjugés ; 4. Le disciple est aussi un être humain franc et vrai, dénué de toute idée de séduire et de prouver, et s’il ne l’est pas encore il apprendra à le devenir ; 5. Le disciple se recueille dans l’étude.

6. Mais nous avions annoncé une sixième facette, et la voici, sous la forme d’une promesse : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » Promesse référée clairement au songe de Jacob, songe d’un homme en fuite et qui passe la nuit sur une terre inconnue et qui découvre, dans sa nuit et au sortir de sa nuit, qu’il y a une promesse et une espérance. Le disciple de Jésus peut être parfois défait, presque anéanti, mais cela jamais ne signifie que Dieu l’a abandonné.

Chacun peut, chacun doit s’interroger sur sa vocation. Quel appel as-tu entendu ? Comment y réponds-tu ? Que fais-tu des textes que tu lis ? Et que fais-tu de ton semblable ?

            Et que l’exigeante et aimante réponse de notre Seigneur soit aussi la nôtre. Amen 

vendredi 16 janvier 2015

Bénis soient les caricaturistes (2 Samuel 12), ou plutôt Charlie que François !



2 Samuel 12
1 Le SEIGNEUR envoya Nathan à David. Il alla le trouver et lui dit: «Il y avait deux hommes dans une ville, l'un riche et l'autre pauvre.
2 Le riche avait force moutons et bœufs.
3 Le pauvre n'avait rien du tout, sauf une agnelle, une seule petite, qu'il avait achetée. Il la nourrissait. Elle grandissait chez lui en même temps que ses enfants. Elle mangeait de sa pitance, elle buvait à son bol, elle couchait dans ses bras. Elle était pour lui comme une fille.
4 Un hôte arriva chez le riche. Il n'eut pas le cœur de prendre de ses moutons et de ses bœufs pour apprêter le repas du voyageur venu chez lui. Il prit l'agnelle du pauvre et l'apprêta pour l'homme venu chez lui.»

Méditation
Vous souvenez-vous à quelle occasion Nathan le prophète prit ainsi la parole ?

C’est après que le roi David, qui avait fait enlever, parce qu’il l’avait trouvée subliiiime, la femme de Uri le Hittite, mercenaire à son service, et après avoir violé et engrossé cette femme, après avoir tenté vainement de mettre cette grossesse au compte du mari, fit mettre à mort le mari… Comme si un crime allait pouvoir en effacer un autre (2 Samuel 11).

Comment appelez-vous le genre de couplet que Nathan le prophète alla lui chanter ? Peut-être allez-vous hésiter. Mais si Nathan avait su dessiner, et si la culture hébraïque avait été une culture de l’image plutôt qu’une culture de l’oralité, vous auriez appelé Nathan un caricaturiste. Car c’est bien une caricature que fait Nathan, une caricature de David. Cette caricature est aussi un piège, piège dans lequel le roi David va tomber…

5 David entra dans une violente colère contre cet homme et il dit à Nathan: «Par la vie du SEIGNEUR, il mérite la mort, l'homme qui a fait cela.
6 Et de l'agnelle, il donnera compensation au quadruple, pour avoir fait cela et pour avoir manqué de coeur.»
7 Nathan dit à David: «Cet homme, c'est toi! (…)

Nous laissons la suite du texte… et nous nous souvenons seulement que le roi David sera amené à un certain repentir, ou au moins à une certaine prise de conscience. C’est un peu étrange, en fait. Et il faudrait soigneusement étudier le texte pour esquisser seulement une interprétation. L’acte de David est terrible et quelque chose aura été irrémédiablement brisé. Sa foi en sera à jamais transformée, plus précaire assurément et, peut-être, en quelque manière, plus pure.

Si le caricaturiste ne prend pas la parole, ou la plume, si le caricaturiste ne vient pas écorcher ma foi, ou plutôt ma prétention à croire, comment ma foi sera-t-elle mise à l’épreuve d’autrui, et par qui mes prétentions seront-elles dénoncées ? Comment aimerais-je un jour mon prochain si je j’écarte mon prochain, si je le supprime ?

Cet homme, c’est toi, dit le prophète Nathan au roi David.

Cet homme, c’est toi ! Cela ne s’adresse-t-il pas aussi au lecteur ? Moi, demande le lecteur ? Mais… je n’ai mis à mort personne…

Ma foi est-elle pure pour autant ?

Je prie mon Dieu que je sois caricaturé, que mes yeux soient ouverts sur moi-même, que je me repente, que ma foi devienne pure et que mon amour soit de l’amour.

Voilà… ma méditation s’arrêtait là, et puis j’ai entendu dire que le Pape François avait dit que… et encore que… A-t-il vraiment dit que « Vous ne pouvez pas provoquer, vous ne pouvez pas insulter la foi des autres, vous ne pouvez pas vous moquer de la foi » ? A-t-il vraiment dit aussi qu’ « Il ne faut pas jouer avec la religion des autres. Ces personnes provoquent. La liberté d'expression a des limites ». Et cela relance encore ma méditation, et avive encore ma colère.
Les assassins de ces derniers jours, qu’ont-ils mis en œuvre, si ce n’est leur liberté d’expression ?  Ils l’ont mise en œuvre à coups d’armes à feu. Au mépris de la liberté d’expression de leurs victimes ! Mon frère François se trompe de cible et il oublie que le Seigneur dont pourtant il se réclame et dont il entend être le vicaire s’est, Lui, laissé insulter, laissé humilier pour avoir mis en œuvre, Lui, sa liberté d’expression et pour avoir dénoncé les imbéciles et les violents de son temps. Mon frère François oublie que son Seigneur s’est laissé transformer en cette caricature de Dieu qu’est le Messie crucifié. Et que c’est donc sous une caricature qu’il dit la Sainte Messe, et sous une caricature de Dieu que je me recueille, comme lui.
J’ajoute que, peut-être aussi que le Pape François a dit que « Il est vrai que vous ne devez pas réagir par la violence, mais même si nous sommes de bons amis, s'il maudit ma mère, il peut s'attendre à recevoir un coup, c'est normal. » Alors, maintenant, peut-être aussi que le Pape François va, au nom de la chrétienté, présenter des excuses aux djihadistes offensés par les caricaturistes de Charlie, et offensés aussi par l’existence persistante de Juifs. Parce qu’après tout, c’est normal de flinguer lorsqu’on vous offense… et que la Police française aurait plutôt dû, au lieu de les abattre, ces djihadistes, les arrêter fort poliment, leur payer l’hôtel et les raccompagner à la frontière en leur présentant des excuses au nom de la République française, puisqu’ils n’ont fait, après tout, après avoir été si gravement offensés, qu’exercer librement leur liberté d’expression…

Mais peut-être que le Pape François n’a rien dit de tout cela. Et que je m’égare. Ah… la colère est mauvaise conseillère et je vais vite me retremper dans certaines des unes de Charlie qui, peut-être, m’écorcheront et conduiront ma foi à d’avantage de douceur et de pureté… car, comme me le dit le prophète Nathan, cet homme, c’est toi !

Cet homme, c’est moi…


dimanche 11 janvier 2015

Père infiniment bon (Marc 1,1-15) Je suis Charlie


Père infiniment bon, qui fais se lever le soleil sur les justes, nous te confions les humains qui – dans leurs vies personnelles et leurs engagements professionnels -  relèvent, guérissent et sauvent. Fais que nous nous tenions, nous aussi, concrètement aux côtés de ceux qui souffrent, pour soigner, consoler et soutenir.

Père infiniment bon, qui fais se lever le soleil sur les justes, nous te confions les humains qui ont la charge de gouverner les états et les peuples. Inspire leurs pensées, leurs paroles et leurs actes. Fais que nous nous comportions en citoyens lucides, responsables et soucieux de la dignité de chacun.

Père infiniment bon, qui fais se lever le soleil sur les justes, nous te confions les autorités des Eglises du Monde. Au-delà du nom qu’elles te donnent, qu’elles parlent de Toi et de ton Esprit avec sagesse. Ne nous laisse pas sacraliser livres, gestes ou lieux. Fais nous nous souvenir de ta parole de vie, vie pour nos semblables et pour nous-mêmes.

Père infiniment bon, qui fais se lever le soleil sur les injustes, nous te confions notre dégoût, nos peurs et nos angoisses devant la violence du monde. Ne nous laisse pas nous abandonner à la haine ou au découragement. Fais nous comprendre que notre calme, notre prière et notre compassion comptent et contribuent à l’apaisement des esprits et des cœurs.

Père infiniment bon, qui fais se lever le soleil sur les injustes, nous te confions nos ennemis, ceux que nous voyons comme tels, ceux qui se déclarent comme tels, ceux qui agissent comme tels. Libère tout homme de l’emportement et fais que la Croix de notre Seigneur Jésus Christ nous couvre de son ombre, pêcheurs que nous sommes tous. 

Père infiniment bon, qui fais lever le soleil sur les justes et sur les injustes, viens en aide à notre incrédulité et accorde nous d’aimer.
Amen

Murielle ANDRE - Jean DIETZ
11 janvier 2015

Marc 1
1 Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu:
2 Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète Esaïe, Voici, j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ton chemin.
3 Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
4 Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés.
5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
6 Jean était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
7 Il proclamait: «Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales.
8 Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint.»
9 Or, en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain.
10 À l'instant où il remontait de l'eau, il vit les cieux se déchirer et l'Esprit, comme une colombe, descendre sur lui.
11 Et, des cieux, une voix: «Tu es mon Fils bien aimé, en toi je me plais
12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert.
13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Évangile de Dieu et disait:
15 «Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile.»

Prédication :
            Je me souviens, c’était il y a une quinzaine d’année, d’un culte de Pentecôte, pendant lequel j’avais imposé les mains à quelques catéchumènes. A la sortie de ce culte j’avais été accroché par un Monsieur ; voici le commencement du dialogue qui eut lieu : - C’était un beau culte… - Oui, c’était un beau culte. - Mais l’Esprit Saint n’était pas là… - Comment le savez-vous ? - Les catéchumènes n’ont pas parlé en langues… Je ne raconte pas la suite de l’entretien avec le Monsieur, un entretien qui m’attrista. La lecture du récit que Marc donne du baptême de Jésus vient raviver le souvenir de cet entretien. L’Esprit se pose sur Jésus ; Jésus ne parle pas en langues… A quels signes reconnaît-on que quelqu’un a reçu l’Esprit Saint ?

Moi, je vous ai baptisé d’eau, dit Jean le Baptiste, et lui vous baptisera d’Esprit Saint. L’on peut s’attendre ensuite à ce que l’évangile de Marc précise un peu ce que Jean Baptiste veut suggérer. On lit alors fébrilement tout l’évangile de Marc… et on en est pour ses frais. Marc ne donne aucune précision sur ce baptême d’Esprit Saint dont Jésus baptise.
Bien entendu, on peut considérer que les grands développements du livre des Actes et de la première épître aux Corinthiens viennent dire sur l’Esprit ce que Marc, lui, ne dit pas. Il est effectivement possible de construire une « doctrine biblique de l’Esprit Saint ». Mais procéder ainsi revient à faire violence à l’évangile de Marc. A trop vouloir rassembler les Saintes Ecritures en une seule doctrine, on finit par faire fi de certains textes et violence aux personnes…
Si Marc en dit si peu sur l’Esprit Saint, c’est peut-être bien pour que les choses restent simples, concrètes, et encadrées par un rite. Et puis, si l’évangile prend l’allure d’une histoire racontée, plutôt que l’allure d’une doctrine, c’est peut-être bien parce que la vie chrétienne, la vie dans l’Esprit, n’est pas affaire de doctrine, mais plutôt d’engagement.
Mais faisons pourtant le pari que Marc, en matière d’Esprit Saint, en dit plus qu’il n’y paraît. Lisons… et pensons que les réponses qu’il donne, s’agissant de Jésus, sont les réponses proposées à chaque chrétien.

L’Esprit descend sur Jésus au jour de son baptême. C’est un moment inaugural et intime. Le lecteur est fait témoin de la scène, mais le texte dit bien que c’est Jésus qui vient de lui-même, qui se fait baptiser, et qui voit les cieux s’ouvrir ; quant à la voix, qui lui dit « Tu es… », elle semble – selon certains traducteurs – n’être entendue que par lui.
Premières conclusions sur l’Esprit Saint : (1) le recevoir est un moment secret, au cours duquel quelqu’un s’entend intimement adresser une parole d’adoption «  Tu es mon Fils… » ; (2) cet événement a lieu au cours d’un rite public auquel ce quelqu’un se présente volontairement. A ces deux premières conclusions nous pouvons en ajouter, tout de suite, une troisième, comme il est écrit : lui, il vous baptisera d’Esprit Saint : (3) qui a reçu l’Esprit peut répandre l’Esprit.

Mais avant qu’il ne le répande, celui qui a reçu l’Esprit sera tenté de ne pas le répandre. Il résistera à sa vocation… Jésus fut poussé, par l’Esprit, au désert et fut tenté par Satan. Tenté de quoi ? Vivant en harmonie avec les bêtes sauvages et servi par les anges, rempli en plus d’Esprit, Jésus est tenté de garder tout cela pour lui-même. La tentation, dans l’évangile de Marc, la tentation de l’homme béni, c’est de rester seul avec lui-même. Ce qui nous conduit à une quatrième conclusion sur l’Esprit : celui qui a reçu l’Esprit éprouvera la tentation de garder pour lui-même le don qui lui fut fait. Cette tentation aura sa durée, et sera surmontée, comme nous lisons : « … après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée, il proclamait la bonne nouvelle de Dieu… (4) Celui qui a reçu l’Esprit Saint éprouvera la tentation de garder ce don pour lui-même, et de cette tentation, il triomphera.

Commencement donc du ministère public de Jésus. Il prêche, il appelle des disciples, il enseigne, il envoie, il nourrit, il guérit, il polémique, il se laisse trahir, il se laisse mettre à mort, le tout sans jamais se réclamer de ce don que le ciel lui fit. D’où une cinquième conclusion sur l’Esprit Saint : (5) celui qui a reçu l’Esprit ne s’en réclame jamais, mais répond de ce don par sa parole, par ses actes, par sa vie toute entière engagée au bénéfice de l’humanité...
Et la suite du ministère de Jésus, l’activité des disciples après sa mort, leur foi concrète et agissante en sa résurrection, attestent bien – dernière conclusion – que (6) celui qui a reçu l’Esprit répand l’Esprit.
L’évangile de Marc nous en dit ainsi beaucoup sur l’Esprit Saint, beaucoup plus que nous ne le pensions. Il nous dit le moment inaugural et intime ; son lien  avec un rite ; la tentation de se retirer ; et puis l’engagement responsable ; et la continuation – Dieu voulant – du témoignage, de la vocation et de l’action.

Retour sur l’entretien qui eut lieu à la sortie d’un culte de Pentecôte, il y a une quinzaine d’années. Les catéchumènes avaient-ils reçu l’Esprit Saint ? Ils sont aujourd’hui trentenaires et font leur chemin… Dieu les bénisse et les garde !
Interrogeons-nous, maintenant, nous qui avons été baptisés. Nous souvenons-nous des cieux qui se sont déchirés et d’une voix céleste qui nous déclarés filles et fils du Très-Haut ? Non ? Le ciel ne peut-il pas se déchirer, et la voix être entendue à l’occasion d’un autre rite que nous pratiquons ? Et pourquoi pas lorsque nous partageons le repas du Seigneur ?
Cène ou baptême, ou n’importe quel autre moment, car libre est l’Esprit, il s’agira toujours d’abord de l’intimité de nos cœurs. Il s’agira toujours de la bénédiction intime de chacune et de chacun, lorsque la voix du ciel nous tutoie et nous déclare son amour.

Que chacun rentre en lui-même et se souvienne. Que chacun aussi se prépare. Et que, chacune, chacun, selon ce qu’il sait faire, selon ce qu’il peut faire, partage cette bénédiction, et répande cet Esprit Saint reçu. Le monde en a grand besoin....


dimanche 4 janvier 2015

Huit étapes d'un culte rendu à Dieu (Matthieu 2,1-12)

Matthieu 2
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille me prosterner devant lui
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils se réjouirent d’une immense et gigantesque joie .
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, étant tombés, ils se prosternèrent devant lui ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication : 
Au récit de la visite des mages j’ajoute ceci, quelques versets extraits du récit des tentations, dans le même évangile : « 8 Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9 et lui dit: «Tout cela je te le donnerai, si tu tombes et si tu te prosternes devant moi.»  10 Alors Jésus lui dit: «Retire-toi, Satan! Car il est écrit: C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras et c'est à lui seul que tu rendras un culte.» (Matthieu 4).
            J’ajoute ces versets parce que deux verbes s’y trouvent, qui se trouvent également dans le récit de la visite des mages. Tomber – entendez tomber à genoux – et se prosterner. Ainsi traduits, de la manière la plus triviale, la plus physique, vous imaginez bien le mouvement des corps : l’agenouillement d’abord puis, le buste s’incline, les mains touchent le sol, le buste s’incline encore et c’est finalement visage contre terre que cela se finit.
            Le geste est beau qui conduit à une telle posture. Mais le récit des tentations indique clairement que le geste rituel n’a nulle valeur en tant que tel. Pour autant, le geste rituel n’est pas disqualifié. Il est ce qu’il est, proposé, institué et pratiqué dans une culture religieuse particulière. La Bible toute entière, Ancien et Nouveau Testament, ne cesse jamais de proposer, d’instituer des gestes rituels et d’interroger le cœur de ceux qui les pratiquent. Cela est vrai depuis les premiers sacrifices végétaux, animaux, voire humains, et jusqu’à la Cène… Mais qu’y a-t-il derrière ces gestes ? Qu’y a-t-il dans le cœur de ceux qui les accomplissent ?
Le geste d’un Jésus pliant le genou et se prosternant devant le Diable afin de recueillir pouvoir et puissance ne saurait être le geste d’un adorateur de Dieu, c’est évident, et même trop évident. Quant à Hérode, s’il a annoncé aux mages son intention, le moment venu, d’aller se prosterner devant le Roi des Juifs, il n’a pas du tout l’intention de plier le genou, c’est trop évident encore.
Les anciens hébreux ont parfois haï les astrologues et tous ceux qui adoraient d’autres dieux que le leur. Alors qu’en est-il de ces mages venus d’Orient, païens pratiquant l’astrologie et adorateurs d’on ne sait quels dieux : leur prosternation devant le Roi des Juifs pourrait-elle être reconnue comme culte rendu à Dieu seul ? La tradition chrétienne réserve la meilleur part à ces mages. La fête de l’Epiphanie, fête du moment où Dieu est « montré », est la fête des mages, la fête de ceux qui sont apparemment étrangers à l’alliance, apparemment étrangers à Dieu et qui, pourtant, le reconnaissent et le « montrent » parfois mieux que personne ! Nous reprenons le parcours de ces mages… et nous faisons de chacune de ses étapes le moment d’un véritable culte rendu à Dieu. En huit étapes :
 1. ouvrir les yeux et regarder autour de soi ; s’intéresser certes à la régularité des choses mais aussi à l’émergence d’un inattendu, même modeste (verset 2) ;
2. interroger cet inattendu, avec les moyens qu’on a ; tout le monde certes n’est pas un astrologue capable de dire « cette nouvelle étoile est celle du Roi des Juifs », mais chacun peut, selon la mesure qui lui est donnée, interroger ;
3. se mettre en quête, se mettre surtout en route, accepter le déplacement auquel l’inattendu invite (verset 2, aussi) ;
4. se découvrir incompétent, chemin faisant et, donc, questionner ceux que les hasards de la route auront mis en notre présence ; car il y a toujours quelque part plus compétent, plus avisé, plus avancé que soi-même ; on n’est pas toujours – on n’est jamais vraiment tout seul – sur le chemin d’une quête sérieuse (verset 2, encore) ;
5. accepter ensuite de se laisser indiquer le chemin, et surtout prendre le chemin qu’on vous a indiqué, sans oublier aucune des étapes précédentes ; la joie est au rendez-vous (verset 2 et suivants, puis verset 9) ;
6. au rendez-vous de la joie, se laisser habiter tout entier (verset 10), MAIS accomplir aussi le geste rituel qu’on sait accomplir (verset 11) ; ainsi l’intensité du sentiment qu’on éprouve ne conduira-t-elle pas à un débordement qui pourrait devenir malsain ;
7. et ayant reçu ce qu’on a reçu, donner ce qu’on a à donner (verset 11, aussi) ;
8. puis s’en retourner chez soi, par un autre chemin (verset 12) ; les véritables guides de vos pas ne vous demandent jamais de rendre compte du chemin que vous avez parcouru (verset 8…).

Et maintenant ? « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? » D’une certaine manière, peu importe. Peu importe parce que nous n’en sommes pas tous au même point du chemin. Ceux qui peuvent renseigner aujourd’hui seront un autre jour tout à fait perdus. Ceux qui sont aujourd’hui tout perdus auront demain quelque chose à enseigner. Et à ceux qui, aujourd’hui, pleins de joie, se prosternent devant le Roi des Juifs qui vient de naître il reste à s’en retourner chez eux par un autre chemin, chemin qu’ils ne connaissent pas d’avantage au retour qu’ils ne le connaissaient à l’aller.
Au jour de l’Epiphanie, nous fêtons la certitude que le Roi des Juifs qui vient de naître est quelque part où chacun peut aller selon son propre chemin, ce propre chemin dont nous célébrons l’existence ; nous fêtons aussi l’existence certaine de balises et de guides sur ce chemin. Pour tout cela nous rendons grâce à Dieu.

Et nous le prions, ayant entendu son appel et commencé notre quête, qu’il nous donne de ne jamais perdre courage. Amen