Je poursuis mes méditations sur Charlie. Et je vais les poursuivre encore un certain temps.
Je vais poursuivre encore un certain temps mes méditations sur Charlie parce que je sens que, tantôt, mais j'espère que ça ne viendra pas trop rapidement, la politesse, la prévenance, et la sympathie que l'on se témoigne depuis quelques temps, vont s'évaporer. Je les sens déjà évanescentes dans tel moment de la vie de mon Eglise. J'en entends et j'en lis qui, de nouveau, après un bien trop court silence, s'emparent de leurs Bibles et de leurs versets assassins et repartent, sabre au clair, baïonnette au canon, et que sais-je encore, mener la croisade, oui, la croisade contre l'abomination. C'est que le moment de l'effarement et de la sidération ne peut pas durer, surtout lorsqu'on pense que ce sont les autres qui ont fait ça... Quels autres ? Des autres que je ne suis évidemment pas, moi ! Je ne suis pas comme ces gens, moi. Je ne caricature pas ; et je ne tire pas. D'ailleurs, je suis contre les deux, disent-ils.
"Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère", aurait écrit Baudelaire. Un auteur à la moralité douteuse, assurément. Tout autant que François Villon... "Mais priez Dieu, que tous nous veuille absoudre !"
C'était la semaine de l'unité. Voici une méditation pour la semaine de l'unité. Il nous était proposé de lire le 4ème chapitre de l'évangile de Jean. En voici les premiers versets.
Jean 4
1 Quand Jésus apprit que
les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en
baptisait plus que Jean, 2 - à vrai dire, Jésus
lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples - 3 il quitta la Judée et
regagna la Galilée. 4 Or il lui fallait
traverser la Samarie.
5 C'est ainsi qu'il
parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée
par Jacob à son fils Joseph, 6 là même où se trouve le
puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du
puits. C'était environ la sixième heure.
7 Arrive une femme de
Samarie pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: «Donne-moi à boire.»
8 Ses disciples, en
effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.
9 Mais cette femme, cette
Samaritaine, lui dit: «Comment? Toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une
femme samaritaine!» Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec
les Samaritains.
Prédication
En lisant
ce texte, nous sommes invités à réfléchir à deux questions : Sur quel
chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la
vie qu’est Jésus-Christ ? Quel chemin d’unité respecte vraiment notre
diversité ?
Alors nous
devons commencer par nous souvenir que, dans l’évangile de Jean, Jésus prie son
Père que tous soient un, pour que le monde croie. Mais c’est une prière et, qui
plus est, une prière que Jésus lui-même prie, que le Père lui-même prie puisque
Jésus et le Père, dans l’évangile de Jean, sont un. Si le Père lui-même prie
qu’ils soient un, c’est que ça ne va pas de soi…
Entre ceux
qui se réclament du même Jésus-Christ, ça n’est jamais allé de soi. L’évangile
de Jean en témoigne parfois douloureusement. Et pourquoi ? La réponse est
dans le texte que nous lisons. Les disciples de Jean baptisent, et ceux de Jésus
baptisent aussi. Pas de commentaires à faire… ça n’a guère changé depuis. On
appose un signe sur le front d’un fidèle, on se choisit un nom, une couleur, un
style et on ramène tout de l’identité chrétienne à ces misérables choix, quand
ça n’est pas aux hasards de la naissance. Qui est né Samaritain est un chien,
dirait un Juif, et réciproquement. Qui a choisi le Baptiste plutôt que Jésus
est une erreur, diraient ceux qui ont choisi Jésus. Et ceux qui portent le
turban, que sont-ils ?
Ça se passe
plutôt bien entre nous, ici, maintenant… et nous avons un peu compris qu’un
véritable chemin d’unité doit respecter la diversité, tout comme l’unité du
Père et du Fils dans l’évangile de Jean respecte la diversité du Père et du
Fils. Mais il faut dire que nos chemins sont peu différents les uns des
autres ; et qu’ils ont en commun de reconnaître pleinement la validité de
la prédication du salut que nous formulons, les uns, les autres, chacun selon
sa propre tradition et dans son propre style. Nous avons aussi en commun que
nous ne confondons pas Dieu et les images de Dieu et que nous ne considérons
pas comme sacralité à défendre les énoncés de la foi, les grands textes et les
images et objets dont nous décorons nos lieux de culte… Et qu’il y a
suffisamment de politesse entre nous pour ne pas nous attaquer gratuitement les
uns aux autres.
Alors nous
pouvons, sur ces bases assez simples, assez dépouillées, et très exigeantes
déjà, boire ensemble à la même source de la vie qu’est Jésus-Christ.
Mais qu’en
est-il du monde ? C’est bien la question qui nous est posée… le monde. Le
monde qui ignore tout ou presque tout de nos rites et de nos symboles, le
monde, pas forcément bienveillant, qui est plutôt porté à se méfier – et il n’a
pas tort – de ceux qui professent ouvertement une religion, même chrétienne.
Pour que le monde boive à la source de la vie qu’est Jésus-Christ, il faut lui
proposer d’y boire, et vu l’état du monde, il faut que cette proposition soit
la plus simple possible, infiniment simple.
Ce que je
chéris par-dessus tout, dans le récit de la rencontre de Jésus avec la
Samaritaine, c’est l’extrême simplicité, l’extrême dépouillement même, de
l’approche entre Jésus et cette femme. « Donne-moi à boire. » Il
faudrait tout oublier sauf ça. Il faudrait oublier que les Samaritains et les
Juifs se détestent, que les hommes dominent les femmes, que c’est à Jérusalem
et nulle part ailleurs, que le salut vient de ceux-ci plutôt que d’autres. Il
faudrait tout oublier et ne se souvenir que de ceci : Jésus qui est un
homme, un Juif, un Dieu et saint, demande à boire à une anonyme Samaritaine,
femme, non Juive, humaine et impure.
Lorsqu’il
s’agit de parler d’unité, ce ne sont pas les humains qui ont besoin de Dieu,
mais Dieu qui a besoin des humains. Et si l’on ne commence pas par considérer
l’unité de l’humanité, l’unité du genre humain, alors Dieu est piétiné, trahi,
défait.
Sur quel
chemin d’unité devons-nous marcher pour que le monde boive à la source de la
vie qu’est Jésus-Christ ? Et quel chemin d’unité respecte vraiment notre
diversité ?
Le chemin
sur lequel on considérera que nos cérémonies ne valent pas plus par
elles-mêmes, et même moins, qu’un verre d’eau que quelqu’un demande et qu’un
autre lui accorde. Le chemin sur lequel on considérera que le moindre des verres
d’eau que quelqu’un demande et qu’un autre lui accorde vaut d’avantage que les
traditions religieuses… les nôtres, évidemment, car on ne peut se prononcer
ainsi que sur soi-même. On ne peut se dépouiller que de soi-même.
Tel est le
chemin… Bien entendu, nos grands énoncés demeurent, et nos cérémonies
demeurent, mais juste comme manière, comme style, et comme don. Et un don,
c’est fait pour être offert – nous avons cela à offrir. Et ceux à qui l’on
offre ce don en font, puisque c’est un don, exactement ce qu’ils veulent en
faire. C’est le chemin de la foi, un chemin d’offrande et de dépouillement.
Puissions-nous le suivre comme
l’ont suivi notre Maître le premier, et ceux qui, pour de vrai, l’ont suivi.